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Date : 20210510


Dossier : T‑716‑20

Référence : 2021 CF 416

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2021

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

LINDA SKIBSTED, RICK SKIBSTED, SPRUCE COULEE FARMS LTD., RICHARD CLARK, WENDY CLARK, HALF‑DIAMOND HC LIMITED, SAMANTHA ANDERSEN et H&A ANDERSEN FARMS LTD.

demandeurs

et

CANADA (LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE) ET CANADA (LE PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeurs

et

BADLANDS RECREATION DEVELOPMENT CORP.

intervenante

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir une ordonnance de mandamus afin de contraindre le ministre [le ministre] d’Environnement et Changement climatique Canada [ECCC], au titre de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29 [la LEP], à élaborer et à mettre dans le registre un programme de rétablissement et un plan d’action à l’égard de l’hirondelle de rivage, qui est une espèce menacée, ainsi qu’à désigner l’habitat essentiel de celle‑ci.

Les faits à l’origine du litige

[2] L’hirondelle de rivage (Reparia riparia) est un petit oiseau chanteur insectivore et migrateur. Elle niche dans des terriers qu’elle creuse dans des talus verticaux ou presque verticaux de sable fin limoneux, comme ceux qui se trouvent sur les falaises le long des lacs et des océans, et sur les berges des ruisseaux et des rivières.

[3] En mai 2013, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (la COSEPAC) a établi à l’issue d’une évaluation que l’hirondelle de rivage était une espèce menacée. Le paragraphe 27(1.1) de la Loi sur les espèces en péril (LEP) stipule que le gouverneur en conseil peut, dans les neuf mois suivant la réception d’une évaluation par le COSEPAC et sur recommandation du ministre, confirmer l’évaluation et inscrire l’espèce sur la Liste des espèces sauvages en péril, qui constitue l’annexe 1 de la LEP [la Liste]. Le 2 novembre 2017, quatre ans après avoir été désignée espèce menacée par le COSEPAC, l’hirondelle de rivage a été inscrite comme étant une espèce menacée sur la Liste (Décret modifiant l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril, DORS/2017‑229).

[4] Selon le document intitulé Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur l’Hirondelle de rivage (Riparia riparia) au Canada, la justification de la désignation de l’hirondelle de rivage comme espèce menacée découle du fait que cette espèce largement répandue a subi un grave déclin à long terme, sa population canadienne ayant chuté de 98 % au cours des 40 dernières années. Le rapport indique que, comme pour beaucoup d’autres insectivores aériens, le déclin se poursuit, mais il est moins prononcé depuis les années 1980. Les données du Relevé des oiseaux nicheurs de 2001 à 2011 indiquent une perte potentielle de 31 % de la population pendant cette période de 10 ans. En outre, les raisons de ces déclins ne sont pas bien comprises, mais les effets cumulatifs de plusieurs menaces seraient probablement en cause, notamment la perte d’habitat de reproduction et d’alimentation, la destruction des nids occasionnée par l’excavation d’agrégats, les collisions avec des véhicules, l’utilisation généralisée de pesticides, qui réduit l’abondance des proies, ainsi que les effets des changements climatiques, qui peuvent limiter la survie ou le potentiel de reproduction.

[5] L’inscription d’une espèce, comme l’hirondelle de rivage, sur la liste des espèces menacées entraîne le déclenchement de délais et d’obligations prévus par la LEP. Le ministre doit élaborer un programme de rétablissement à l’égard de l’espèce menacée et mettre le projet de programme de rétablissement dans le registre dans les deux ans suivant la désignation de l’espèce (art 37 et 42(1) de la LEP). Le programme de rétablissement doit comporter, notamment, une désignation de l’habitat essentiel de l’espèce. Dans les 60 jours suivant la mise du projet dans le registre, toute personne peut présenter des observations quant au projet (art 43(1)). Trente jours après l’expiration du délai de 60 jours en question, le ministre doit étudier les observations qui lui ont été présentées, apporter au projet les modifications qu’il estime indiquées et mettre le texte définitif du programme de rétablissement dans le registre (art 43(2)).

[6] Dans la présente affaire, aux termes de la LEP, un projet de programme de rétablissement aurait dû être mis dans le registre au plus tard le 2 novembre 2019. Cependant, cela n’a pas été fait jusqu’à maintenant. D’après la preuve des défendeurs, une version provisoire du programme a été élaborée et fait actuellement l’objet de consultations; le projet de programme de rétablissement devrait être mis dans le registre en juin 2021 et la version finale le sera [traduction] « vers novembre 2021 ».

[7] Lorsque la version définitive du programme de rétablissement est publiée, le ministre est tenu d’élaborer un plan d’action, comme l’exige la LEP (art 47). Le plan d’action est fondé sur la version définitive du programme de rétablissement et doit comporter un exposé des mesures envisagées pour mettre en œuvre celui‑ci, notamment des mesures visant à protéger l’habitat essentiel de l’espèce ainsi que la désignation des parties de l’habitat essentiel de l’espèce qui ne sont pas protégées (art 49 de la LEP). La loi ne fixe aucun délai pour l’élaboration du plan d’action. Cependant, le ministre doit mettre un projet de plan d’action dans le registre et, dans les 60 jours qui suivent la mise du projet dans le registre, toute personne peut déposer des observations à son sujet. Dans les 30 jours suivant l’expiration du délai de 60 jours en question, le ministre doit étudier les observations qui lui ont été présentées, apporter au projet de plan d’action les modifications qu’il estime indiquées et mettre le texte définitif du plan d’action dans le registre (art 50).

[8] Dans les 180 jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel de l’espèce menacée, tout l’habitat essentiel est protégé (art 57‑58).

[9] Les demandeurs possèdent des propriétés bordant la rivière Rosebud, en Alberta, sont des représentants de ces propriétés ou y habitent. De plus, ces propriétés sont immédiatement adjacentes à une propriété appartenant à Badlands Recreation Development Corp. [Badlands], qui borde également la rivière Rosebud. Badlands a proposé l’aménagement d’une piste de course de véhicules à moteur sur sa propriété. Il n’est pas contesté que des colonies d’hirondelles de rivage nichent le long des rives de la rivière Rosebud, y compris sur et à côté de la propriété de Badlands. Les demandeurs affirment que la piste de course proposée sera construite sur des terres qui constituent de l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage. Ils sollicitent, par la présente demande de contrôle judiciaire, une ordonnance de mandamus obligeant le ministre, conformément aux obligations qui lui incombent au titre de la LEP, à élaborer un programme de rétablissement et un plan d’action à l’égard de l’hirondelle de rivage et à désigner l’habitat essentiel de cette espèce.

L’historique de l’instance

[10] Le 7 juillet 2020, les demandeurs ont déposé un avis de demande dans lequel ils ont nommé le ministre d’Environnement et Changement climatique Canada et le procureur général à titre de défendeurs et sollicité les mesures de réparation suivantes :

[traduction]

  1. Un bref de mandamus obligeant le ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) à élaborer un programme de rétablissement à l’égard de l’espèce connue sous le nom d’« hirondelle de rivage », ou Riparia riparia, conformément au paragraphe 37(1) de la Loi sur les espèces en péril (la LEP).
  2. Un bref de mandamus obligeant le ministre à élaborer, conformément à l’article 47 de la LEP, un ou plusieurs plans d’action sur le fondement du programme de rétablissement.
  3. Un bref de mandamus obligeant le ministre à définir ou à désigner l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage, ou à formuler une recommandation à cet égard, au titre de l’alinéa 41(1)c) et des paragraphes 58(5) et 58(5.1) de la LEP.
  4. Un bref de mandamus obligeant le ministre à recommander que le gouverneur en conseil prenne un décret d’urgence visant la protection de l’hirondelle de rivage au titre du paragraphe 80(1) de la LEP, en particulier à l’intérieur ou à proximité des terres visées par le Water Act, RSA 2000, c W‑3, approbation no 00406489‑00‑00.

[11] Badlands a présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation d’intervenir relativement à la quatrième mesure de réparation sollicitée par les demandeurs, soit la prise d’un décret d’urgence au titre du paragraphe 80(1) de la LEP. Dans une ordonnance datée du 21 décembre 2020, la protonotaire Ring, qui agissait comme juge chargée de la gestion de l’instance, a fait droit à la requête de Badlands, mais a limité la participation de celle‑ci en qualité d’intervenante dans l’instance aux faits et aux questions en litige pertinents quant à cette mesure de réparation. Dans une ordonnance du 24 décembre 2020, la juge chargée de la gestion de l’instance a fixé le calendrier concernant les étapes restantes de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente. Dans ce contexte, elle a accordé aux demandeurs l’autorisation de déposer un dossier supplémentaire, y compris des affidavits et des observations écrites supplémentaires en réponse aux affidavits de l’intervenante.

[12] Le 23 février 2021, les demandeurs ont déposé un avis de requête visant à obtenir une injonction interlocutoire à l’encontre de Badlands afin d’empêcher celle‑ci d’aller de l’avant avec le projet de développement ou de construction jusqu’à ce que la présente demande soit instruite. Le juge Pentney a instruit la requête le 9 mars 2021 et l’a rejetée dans des motifs rendus le 7 avril 2021.

[13] Le 24 mars 2021, les défendeurs ont écrit aux demandeurs pour les informer que le ministre avait décidé de ne pas présenter de recommandation au gouverneur en conseil au titre du paragraphe 80(1) de la LEP. En conséquence, les demandeurs ont présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de modifier à nouveau leur avis de demande afin de retirer la quatrième mesure de réparation, soit une demande de bref de mandamus exigeant la prise d’un décret d’urgence au titre du paragraphe 80(1). Dans une ordonnance rendue le 12 avril 2021, la juge chargée de la gestion de l’instance a fait droit à la demande. Le 13 avril 2021, les demandeurs ont déposé un nouvel avis de demande modifié radiant la quatrième mesure de réparation sollicitée. Les demandeurs ont également informé la juge chargée de la gestion de l’instance qu’ils ne solliciteraient pas de dépens contre l’intervenante Badlands relativement à sa participation et, finalement, Badlands a fait savoir à son tour qu’elle ne déposerait pas de dossier de requête et ne comparaîtrait pas à l’audience relative à la présente demande de contrôle judiciaire.

Le régime légal

[14] Les dispositions particulièrement pertinentes de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29, sont jointes en annexe aux présents motifs.

Les questions en litige

[15] La présente demande soulève deux questions préliminaires et une question de fond à trancher.

[16] Les questions préliminaires sont les suivantes :

  1. L’admissibilité de l’affidavit d’expert de Cliff Wallis [le premier affidavit de M. Wallis] signé le 6 juillet 2020;

  2. L’état du dossier supplémentaire des demandeurs.

[17] La question de fond peut être formulée en ces termes :

Les demandeurs ont‑ils satisfait au critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de mandamus obligeant le ministre :

  • a) à élaborer un programme de rétablissement, en application de l’article 37 de la LEP;

  • b) à élaborer un plan d’action fondé sur le programme de rétablissement, en application de l’article 47 de la LEP;

  • c) à définir ou à désigner l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage, ou à faire une recommandation à cet égard, en application de l’alinéa 41(1)c) et des paragraphes 58(5) et (5.1) de la LEP?

Les questions préliminaires

i. L’admissibilité du premier affidavit de M. Wallis

[18] Dans leurs observations écrites, les défendeurs soulignent que le premier affidavit de M. Wallis, signé et déposé le 6 juillet 2020, n’était pas accompagné d’une formule 52.2 ‑ Certificat relatif au Code de déontologie régissant les témoins experts [le certificat], comme l’exige l’alinéa 52.2(1)c) des Règles des Cours fédérales, DORS 98‑106 [les Règles], et que les demandeurs n’ont jamais corrigé cette lacune.

[19] De plus, dans une ordonnance rendue le 6 janvier 2021, la juge chargée de la gestion de l’instance a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher la requête des demandeurs en vue d’obtenir l’autorisation de joindre le certificat en question au premier affidavit de M. Wallis ou de rendre une décision anticipée au sujet de l’admissibilité de l’affidavit. Les défendeurs soutiennent que les demandeurs ont désobéi à la décision de la Cour en joignant une copie signée du certificat au premier affidavit de M. Wallis à leur dossier de demande.

[20] Selon les défendeurs, lorsqu’un expert ne respecte pas les exigences objectives du Code de déontologie, la Cour peut exclure la totalité ou une partie de l’affidavit de celui‑ci. Le premier affidavit de M. Wallis ne satisfait pas aux critères minimaux d’admissibilité, parce que l’expert n’a pas respecté les Règles en joignant un certificat. De plus, l’inobservation des exigences soulève des doutes sur l’objectivité et l’indépendance de l’expert. Dans la présente affaire, le contre‑interrogatoire de M. Wallis met en lumière l’inobservation objective des exigences du Code et soulève des questions importantes au sujet de l’impartialité de ce témoin.

[21] Lorsqu’ils ont comparu devant moi, les demandeurs ont soutenu que le contre‑interrogatoire et le réinterrogatoire de M. Wallis établissaient qu’il avait compris les obligations du témoin expert et s’y était conformé. En conséquence, le défaut de joindre le certificat pouvait être corrigé et ne justifiait pas l’exclusion du rapport de ce témoin.

Analyse

[22] Pour situer la question dans son contexte, il convient de souligner que, dans son ordonnance du 6 janvier 2021, la juge chargée de la gestion de l’instance a mentionné que les demandeurs avaient présenté une requête par écrit afin d’obtenir une ordonnance lui permettant de joindre le certificat exigé par l’alinéa 52.2(1)c) des Règles au premier affidavit de M. Wallis. Le protonotaire a souligné qu’il était admis de part et d’autre que l’affidavit ne respectait pas l’alinéa 52.2(1)c) des Règles, parce qu’aucun certificat selon la formule 52.2 n’y était joint. Il est également mentionné dans l’ordonnance que, lorsque M. Wallis a été contre‑interrogé par les défendeurs, il a reconnu qu’il n’avait pas lu le Code et ignorait que, dans les instances portées devant la Cour fédérale, un certificat doit être joint aux affidavits des témoins experts. La juge souligne aussi qu’au cours du réinterrogatoire, l’avocat des demandeurs a posé à M. Wallis une série de questions concernant son respect du Code.

[23] Les défendeurs se sont opposés à la requête et ont également soutenu que la Cour avait là l’occasion d’examiner l’affidavit du témoin expert et d’en déterminer l’admissibilité. Ils ont demandé à la Cour d’exclure la totalité de l’affidavit. La juge chargée de la gestion de l’instance a décidé que la demande informelle des défendeurs [traduction] « constitue en réalité une tentative déguisée de solliciter une ordonnance interlocutoire radiant l’affidavit de M. Wallis sans devoir présenter une requête formelle afin d’obtenir cette mesure de réparation ». Elle a refusé d’examiner la demande des défendeurs.

[24] En ce qui concerne la mesure de réparation effectivement sollicitée dans la requête dont elle a été saisie, la juge chargée de la gestion de l’instance a mentionné l’arrêt Saint Honore Cake Shop Limited c Cheung’s Bakery Products Ltd., 2015 CAF 12 [Saint Honore], de la Cour d’appel fédérale, et conclu que [traduction] « l’absence de certificat constitue un vice de l’affidavit d’expert qui, eu égard à l’ensemble des circonstances, peut être corrigé ou rendre l’affidavit inadmissible ».

[25] En fin de compte, la juge chargée de la gestion de l’instance a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la requête des demandeurs de façon préliminaire, parce qu’[traduction] « il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’isoler les différentes lacunes que comporterait l’affidavit de M. Wallis et de les faire examiner de façon fragmentaire à différentes étapes de l’instance par différents membres de la Cour ». En conséquence, elle a décidé que la demande des demandeurs en vue d’obtenir l’autorisation de joindre le certificat exigé au premier affidavit de M. Wallis après la signature de celui‑ci serait tranchée à l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire, en même temps que toute requête des défendeurs en vue de radier ce même affidavit.

[26] Elle a rejeté la requête, sous réserve de la possibilité pour les demandeurs de solliciter une ordonnance lui permettant de joindre le certificat lors de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire.

[27] Comme le soulignent les défendeurs, les demandeurs ont joint le certificat au premier affidavit de M. Wallis figurant dans leur dossier de demande.

[28] Je souligne que les défendeurs n’ont pas déposé de requête visant à faire radier le premier affidavit de M. Wallis, ni n’ont présenté d’observations de fond au sujet de l’admissibilité de celui‑ci, sauf dans des renvois, dans des notes de bas de page de leurs observations écrites, à certaines pages de la transcription du contre‑interrogatoire de Wallis.

[29] L’alinéa 52.2(1)c) et le paragraphe 52.2(2) des Règles sont ainsi libellés :

52.2(1) L’affidavit ou la déclaration du témoin expert doit :

[...]

c) être accompagné d’un certificat, selon la formule 52.2, signé par lui, reconnaissant qu’il a lu le Code de déontologie régissant les témoins experts établi à l’annexe et qu’il accepte de s’y conformer;

(2) Inobservation du Code de déontologie – La Cour peut exclure tout ou partie de l’affidavit ou de la déclaration du témoin expert si ce dernier ne se conforme pas au Code de déontologie.

[30] Dans le certificat relatif au Code de déontologie régissant les témoins experts (formule 52.2), le témoin expert atteste qu’il a pris connaissance du Code de déontologie régissant les témoins experts qui figure à l’annexe des Règles et qu’il accepte de s’y conformer.

[31] Dans l’arrêt Saint Honore, la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes :

[24] En toute déférence, j’estime que le juge a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’affidavit de Mme Chen était inadmissible dans les circonstances. Sa conclusion fait l’amalgame entre les exigences particulières de la règle 52.2(1)c) quant à l’affidavit d’expert et l’objectif général de la règle 52.2(2) quant à l’observation du Code de déontologie régissant les témoins experts. L’inobservation des exigences ne doit pas être assimilée à un manquement au Code. En fait, bien que la règle 52.2(2) permette d’écarter en totalité ou en partie l’affidavit de l’expert qui ne s’est pas conformé au Code de déontologie, cette même règle ne s’applique pas forcément en cas de manquement aux exigences particulières énoncées à la règle 52.2(1) relativement au contenu de l’affidavit.

[32] Dans la présente affaire, les défendeurs invoquent la transcription du 15 octobre 2020 du contre‑interrogatoire de M. Wallis, au cours duquel celui‑ci a confirmé qu’il n’avait pas lu le Code de déontologie ni n’était au courant de l’existence du certificat et de l’obligation qu’il avait, en qualité de témoin expert, de le signer et de le joindre à son affidavit. Cependant, il a également mentionné qu’il savait qu’il devait fournir une opinion indépendante et qu’il comprenait que, en qualité d’expert témoignant devant notre Cour, il avait l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence et que cette obligation l’emportait sur toute autre obligation qu’il avait envers la partie ayant retenu ses services. Qui plus est, il a compris que, pour témoigner en qualité d’expert, il devait être indépendant et objectif. Au cours du réinterrogatoire, l’avocat des demandeurs a passé en revue le Code de déontologie avec M. Wallis et celui‑ci a confirmé qu’il en comprenait les exigences et qu’il les respectait.

[33] L’annexe – Code de déontologie régissant les témoins experts (article 52.2 des Règles), comporte les dispositions suivantes sous la rubrique « Devoir général envers la Cour » :

1. Le témoin expert désigné pour produire un rapport qui sera présenté en preuve ou pour témoigner dans une instance a l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence.

2. Cette obligation l’emporte sur toute autre qu’il a envers une partie à l’instance notamment envers la personne qui retient ses services. Le témoin expert se doit être indépendant et objectif. Il ne doit pas plaider le point de vue d’une partie.

[34] À mon avis, le contre‑interrogatoire et le réinterrogatoire de M. Wallis montrent clairement qu’il comprenait son obligation générale envers la Cour. Les défendeurs affirment de manière générale que l’inobservation de l’exigence relative au certificat soulève des doutes concernant l’objectivité et l’indépendance de l’expert. En général, c’est vrai. Cependant, compte tenu du contre‑interrogatoire et du réinterrogatoire de M. Wallis, je ne souscris pas à l’argument supplémentaire des défendeurs selon lequel le contre‑interrogatoire fait ressortir l’inobservation objective du Code – hormis sa reconnaissance du fait qu’il n’a pas fourni le certificat exigé. De plus, les défendeurs n’étoffent pas leur argument selon lequel l’absence de certificat soulève [traduction] « d’importantes questions concernant son impartialité ». Ils ne précisent pas quelles sont ces questions et n’ont pas répondu à l’ordonnance de la juge chargée de la gestion de l’instance en présentant une requête préliminaire afin de contester l’impartialité du rapport d’expert de M. Wallis sur ce fondement et d’en demander la radiation.

[35] Lorsqu’ils ont comparu devant moi, les défendeurs ont soutenu que les demandeurs devaient présenter une requête afin de corriger la lacune créée par l’absence de certificat, mais qu’ils ne l’avaient pas fait. Or, les demandeurs ont effectivement déposé cette requête. La juge chargée de la gestion de l’instance a refusé d’instruire la requête, concluant plutôt que la question serait examinée à l’audience relative à la demande. Elle a rejeté la requête des demandeurs sans porter atteinte à leur capacité de solliciter une ordonnance joignant le certificat lors de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire. En conséquence, je suis d’avis que l’argument des défendeurs selon lequel les demandeurs devaient présenter une nouvelle requête est sans fondement. Il était loisible aux demandeurs de formuler leur demande à l’audience devant moi.

[36] Les demandeurs n’auraient pas dû joindre le certificat au premier affidavit de M. Wallis avant d’obtenir l’autorisation de la Cour de le faire, ou ils auraient dû signaler que le certificat avait été joint sous réserve de l’octroi de l’autorisation à l’audience. Cependant, étant donné que je suis convaincue que M. Wallis a compris son obligation envers la Cour, j’accorde aux demandeurs l’autorisation de corriger la lacune en joignant le certificat.

ii. L’état du dossier supplémentaire des demandeurs

[37] Comme je l’ai mentionné plus haut, les demandeurs ont déposé un dossier supplémentaire par suite de l’ordonnance du 24 décembre 2020 dans laquelle la juge chargée de la gestion de l’instance avait établi le calendrier des mesures supplémentaires qui devaient être prises après que Badlands eut obtenu le statut d’intervenante. Aux termes de l’alinéa 4b) de l’ordonnance, les demandeurs et les défendeurs sont autorisés à signifier une preuve supplémentaire par affidavit en réponse aux affidavits de l’intervenante. Aux termes de l’alinéa 4d), les demandeurs sont autorisés à déposer un dossier supplémentaire [traduction] « comportant des affidavits et des observations écrites supplémentaires en réponse aux affidavits de l’intervenante ».

[38] Le 20 janvier 2021, l’intervenante a déposé un affidavit de la biologiste Heather Ferguson, signé le 19 janvier 2021, et l’affidavit de Rick Grol, signé le 20 janvier 2021. Mme Ferguson et M. Grol ont été contre‑interrogés sur leurs affidavits le 12 février 2021.

[39] Le 29 janvier 2021, les demandeurs ont déposé un affidavit en réponse de Cliff Wallis, signé le 29 janvier 2021 [le deuxième affidavit de M. Wallis]. M. Wallis a été contre‑interrogé sur cet affidavit le 10 février 2021.

[40] Le dossier supplémentaire des demandeurs a été déposé le 26 février 2021. Leur mémoire supplémentaire confirme que les observations écrites supplémentaires sont déposées au titre de l’alinéa 4d) de l’ordonnance du 24 décembre 2020 rendue par la juge chargée de la gestion de l’instance. Le dossier supplémentaire comprend le deuxième affidavit de M. Wallis, la transcription du contre‑interrogatoire de Natalie Savoie, des réponses aux engagements pris lors de ce contre‑interrogatoire et la transcription des contre‑interrogatoires de Heather Ferguson et Rick Grol.

[41] Comme je l’ai mentionné précédemment, en raison de la tournure subséquente des événements, Badlands n’est plus intervenante dans l’instance. Cependant, les affidavits déposés par celle‑ci et le dossier supplémentaire des demandeurs demeurent au dossier.

[42] Étant donné que le bref de mandamus obligeant le ministre à recommander au gouverneur en conseil de prendre un décret d’urgence au titre du paragraphe 80(1) de la LEP n’était plus demandé et que Badlands n’est plus intervenante dans l’instance, la juge chargée de la gestion de l’instance a demandé aux parties d’informer la Cour des éléments de preuve et des documents qui n’étaient plus pertinents quant à la demande.

[43] Dans une lettre du 16 avril 2021 qu’ils ont a fait parvenir à la Cour, les demandeurs ont affirmé que seuls quatre paragraphes de leur mémoire supplémentaire ne devraient pas être pris en compte (paragraphes 68 à 72), ainsi que la transcription du contre‑interrogatoire de Rick Grol (de plus, ils ont mentionné que certaines parties de leur mémoire initial n’étaient plus pertinentes).

[44] Dans une lettre du 16 avril 2021, les défendeurs ont expliqué le contexte de cette situation et leur position. Étant donné que l’autorisation d’invoquer une preuve par affidavit supplémentaire a été refusée aux demandeurs, que l’intervenante ne participe plus à la demande d’ordonnance de mandamus et que la mesure de réparation mentionnée au paragraphe 4 de l’avis de demande des demandeurs n’est plus sollicitée, les défendeurs font valoir que le dossier supplémentaire des demandeurs devrait être exclu en entier du dossier de l’instance (les défendeurs mentionnent également d’autres paragraphes du mémoire initial des demandeurs qui, selon eux, ne sont plus pertinents).

[45] À l’audience relative à cette question, les avocats des demandeurs ont fait savoir que leurs clients ne se fonderaient pas sur leur dossier supplémentaire, sauf en ce qui concerne trois décisions mentionnées aux paragraphes 55 à 62 de leur mémoire supplémentaire. Ils ont également précisé que leur dossier de demande supplémentaire comprend la transcription du contre‑interrogatoire de Mme Natalie Savoie, biologiste d’ECCC. Les demandeurs ont souligné que les défendeurs avaient sollicité l’autorisation de déposer l’affidavit de Mme Savoie, qu’ils avaient obtenu cette autorisation de la juge chargée de la gestion de l’instance et que l’affidavit en question n’était pas déposé en réponse aux affidavits de l’intervenante.

[46] Je conviens que le dossier supplémentaire des demandeurs devrait être exclu en entier des éléments à prendre en compte dans la présente demande, car il n’est plus pertinent, sauf en ce qui concerne la transcription du contre‑interrogatoire de Natalie Savoie. Les demandeurs peuvent également invoquer les trois décisions mentionnées.

[47] Les affidavits déposés par l’intervenante ne sont plus pertinents non plus.

Les demandeurs ont‑ils satisfait au critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de mandamus?

Le critère

[48] Les parties conviennent que le critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de mandamus est énoncé dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF) [Apotex] :

1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

2. L’obligation doit exister envers le requérant;

3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b) il y a eu

i. une demande d’exécution de l’obligation;

ii. un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ;

iii. il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4. Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d) un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est‑à‑dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

5. Le requérant n’a aucun autre recours;

6. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

7. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

8. Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[49] Les défendeurs ne contestent que deux aspects du critère. D’abord, ils nient qu’une obligation existe envers les demandeurs, parce que ceux‑ci ne respectent pas les principes applicables régissant la qualité pour agir. En deuxième lieu, ils soutiennent que les demandeurs n’ont pas un droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation du ministre, parce qu’ils n’ont pas présenté une demande d’exécution de celle‑ci et parce que le délai lié à la mise du programme de rétablissement dans le registre est justifié et raisonnable dans les circonstances. Lorsqu’ils ont comparu devant moi, les défendeurs ont confirmé qu’ils ne nient pas que les autres facteurs du critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de mandamus soient établis en l’espèce en ce qui concerne le programme de rétablissement. La thèse des défendeurs repose sur leur opinion selon laquelle le ministre n’est pas tenu d’élaborer et de présenter un plan d’action ou de désigner un habitat essentiel avant que le programme de rétablissement ne soit mis dans le registre.

i. L’obligation légale d’agir à caractère public

Les arguments des demandeurs

[50] Les demandeurs soutiennent que le ministre a une obligation légale à caractère public de présenter un programme de rétablissement et un plan d’action, ainsi que de désigner et protéger l’habitat essentiel. Ils font valoir que le ministre devait, dans les neuf mois suivant l’évaluation du COSEPAC selon laquelle l’hirondelle de rivage est une espèce menacée, modifier la liste en conséquence (art 27(3) de la LEP), mais que le ministre a dépassé ce délai de près de quatre ans. Le prononcé de l’ordonnance datée du 2 novembre 2017 a déclenché l’obligation légale pour le ministre de mettre dans le registre un programme de rétablissement et un plan d’action au plus tard le 1er novembre 2019. Cela n’a pas été fait et le ministre n’a pas respecté ces délais prévus par la loi.

[51] Les demandeurs soulignent que le programme de rétablissement doit comporter la désignation de l’habitat essentiel de l’espèce (art 41(1)c) de la LEP). De plus, le plan d’action doit comporter à la fois la désignation de l’habitat essentiel de l’espèce et des exemples d’activités susceptibles d’entraîner sa destruction, ainsi que la désignation de toute partie de l’habitat essentiel de l’espèce qui n’est pas protégée (art 49(1)a) et c) de la LEP). Selon les demandeurs, un des éléments essentiels du régime de la LEP réside dans l’obligation pour le ministre de protéger l’habitat essentiel 180 jours après la publication d’un plan d’action ou d’un programme de rétablissement (art 58(5) de la LEP). Qui plus est, les demandeurs font valoir que le ministre n’a aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la désignation d’un habitat essentiel et que, une fois que celui‑ci est désigné au moyen d’un programme de rétablissement et d’un plan d’action, il est automatiquement protégé. Les demandeurs affirment que, suivant les principes d’interprétation légale au paragraphe 58(5.1), le ministre est tenu de protéger l’habitat essentiel, soit en concluant un accord au titre de l’article 11, soit en prenant un arrêté au titre de l’article 58 de la LEP.

Les arguments des défendeurs

[52] Les défendeurs conviennent que le ministre doit élaborer un programme de rétablissement à l’égard de l’hirondelle de rivage, parce qu’elle est inscrite sur la liste des espèces menacées sous le régime de la LEP, et qu’un projet de programme de rétablissement devait être mis dans le registre au plus tard le 2 novembre 2019, deux ans après l’inscription. Cependant, les défendeurs font valoir que l’inobservation du délai n’empêche pas le ministre d’élaborer le programme de rétablissement, qu’ECCC a entrepris et poursuit avec diligence l’élaboration d’un programme de rétablissement efficace et que le délai est raisonnable et ne justifie pas l’intervention judiciaire au moyen d’une ordonnance de mandamus.

[53] Les défendeurs soutiennent également que les demandeurs ne peuvent exiger un plan d’action ou la désignation de l’habitat essentiel avant que le texte définitif du programme de rétablissement soit mis dans le registre. Selon les défendeurs, la demande des demandeurs est prématurée, car le droit d’obtenir l’exécution de l’obligation n’est pas encore né. Il en est ainsi parce que, selon le régime légal, le ministre n’a pas une obligation légale à caractère public d’élaborer un plan d’action ou de protéger l’habitat essentiel avant que le texte définitif du programme de rétablissement ne soit mis dans le registre. De plus, il est prématuré pour la Cour d’interpréter les obligations qui incombent au ministre aux termes de l’article 58, étant donné que l’application de la disposition n’est déclenchée que lorsqu’un programme de rétablissement est mis dans le registre.

Analyse

[54] Les demandeurs doivent, afin de contraindre le ministre à agir, démontrer qu’il a une obligation légale d’agir à caractère public.

[55] Selon l’article 37 de la LEP, si une espèce sauvage est inscrite comme espèce disparue du pays, en voie de disparition ou menacée, le ministre compétent est tenu d’élaborer un programme de rétablissement à son égard. Dans le cas d’une espèce menacée, le paragraphe 42(1) de la LEP prévoit que le ministre compétent doit mettre le projet de programme de rétablissement dans le registre dans les deux ans suivant l’inscription de l’espèce à ce titre. Les parties ne contestent pas que le ministre est tenu de mettre un programme de rétablissement dans le registre et que la date limite prévue par la loi à cette fin, soit le 2 novembre 2019, est passée.

[56] Je conviens avec les demandeurs que le ministre a une obligation légale à caractère public de présenter un programme de rétablissement et qu’il ne l’a pas fait à l’intérieur du délai de deux ans prescrit par la loi.

[57] Cependant, je conviens également avec les défendeurs que tout recours en mandamus supplémentaire est prématuré, parce que l’obligation du ministre d’élaborer un plan d’action ou de protéger l’habitat essentiel n’est déclenchée qu’une fois que la version définitive du programme de rétablissement est mise dans le registre.

[58] Le paragraphe 41(1) de la LEP énonce que le ministre compétent doit, dans le programme de rétablissement, traiter des menaces à la survie de l’espèce précisées par le COSEPAC, notamment toute perte de son habitat et, à cette fin, il doit inclure dans le programme en question les renseignements mentionnés dans cette disposition. Ces renseignements comprennent une désignation des menaces à la survie de l’espèce et des menaces à son habitat (art 41(1)b)), ainsi que la désignation de l’habitat essentiel de l’espèce dans la mesure du possible, fondée sur la meilleure information accessible. Lorsque l’information accessible est insuffisante, un calendrier des études visant à désigner l’habitat essentiel (art 41(1)c) et c.1)) ainsi qu’un exposé de l’échéancier prévu pour l’élaboration d’un ou de plusieurs plans d’action « relatifs au programme de rétablissement » devront être préparés (art 41(1)g)) et être inclus dans le programme de rétablissement.

[59] Selon l’article 47 de la LEP, le ministre compétent responsable d’un programme de rétablissement est tenu d’élaborer un ou plusieurs plans d’action « sur le fondement de celui‑ci ». Le paragraphe 49(1) énonce les éléments que doit comporter le plan d’action, soit notamment un exposé des mesures à prendre pour mettre en œuvre le programme de rétablissement (art 49(1)d)).

[60] Essentiellement, le programme de rétablissement constitue le fondement du plan d’action. Jusqu’à ce que l’habitat essentiel soit désigné, aucune mesure visant à le protéger ne peut être prise. Ainsi que l’a expliqué la Cour fédérale dans la décision Environmental Defence Canada c Canada (Pêches et Océans), 2009 CF 878 :

[6] Les dispositions de la LEP visant l’élaboration d’un programme de rétablissement sont une des composantes d’un programme de protection global. Une fois que les exigences du programme de rétablissement prévues à l’article 41 sont satisfaites, on passe au volet du plan d’action conformément aux articles 47 à 55. Il est admis que ces deux volets sont ainsi structurés parce qu’on veut d’abord se doter de renseignements fondamentaux sur la biologie et l’écologie d’une espèce et d’un programme général pour contrer la menace. De leur côté, les plans d’action visent à décrire des mesures [TRADUCTION] « d’intervention » plus détaillées devant assurer la survie et le rétablissement de l’espèce, y compris l’évaluation des répercussions socioéconomiques de ces mesures.

[61] Dans la décision Western Canada Wilderness Committee c Canada (Pêches et Océans), 2014 CF 148 [WCWC], les demandeurs ont sollicité des jugements déclaratoires portant que le ministre avait agi illégalement en omettant de mettre dans le registre des projets de programme de rétablissement dans les délais prévus par la LEP et des ordonnances de mandamus obligeant le ministre à mettre dans le registre des projets et des versions définitives de programme de rétablissement dans les délais prévus par la loi pour les quatre espèces qui faisaient l’objet de la demande. Lorsque la demande a été instruite, le ministre avait mis dans le registre des projets de programme de rétablissement à l’égard de trois des quatre espèces, ainsi qu’une version définitive du programme de rétablissement à l’égard de la quatrième. La Cour a décidé qu’il était prématuré de rendre une ordonnance de mandamus à l’égard d’une obligation dont l’exécution ne pouvait encore être exigée :

[123] Je conviens avec les ministres que, dans les faits, la demande de mandamus des demandeurs concernant la mise dans le registre de la version définitive des programmes de rétablissement pour les trois espèces en question est prématurée. Les délais fixés à l’article 43 de la LEP n’entrent en jeu que lorsqu’un projet de programme de rétablissement a été mis dans le registre public. Ces délais ne sont pas encore expirés, ce qui fait qu’il n’existe pas, pour le moment, d’obligation légale d’agir à caractère public pour les ministres concernant la mise dans le registre de la version définitive des programmes de rétablissement pour le caribou des montagnes du Sud, le guillemot marbré et l’esturgeon blanc de la Nechako.

[124] Une ordonnance de mandamus ne sera pas accordée pour obliger un fonctionnaire à agir d’une manière donnée si ce dernier n’est pas tenu d’agir à la date de l’audience : Apotex, précité, au paragraphe 51. Voir également l’arrêt Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 RCS 41, 114 DLR (4th) 193, au paragraphe 157.

[62] Dans la décision WCWC, la Cour a refusé de rendre une ordonnance de mandamus obligeant le ministre à mettre dans le registre des versions définitives de programme de rétablissement dans des circonstances où le délai de 90 jours prévu par la loi pour la présentation d’observations et la révision n’était pas encore expiré. Cependant, la Cour est demeurée saisie de l’affaire afin que les demandeurs ne soient pas tenus de déposer une nouvelle demande si le ministre ne se conformait pas à ses obligations légales à l’intérieur du délai (WCWC au para 125).

[63] Dans la présente affaire, le ministre n’a pas encore d’obligation légale d’agir à caractère public en ce qui concerne l’élaboration d’un plan d’action au titre de l’article 47, car le plan d’action est fondé sur le programme de rétablissement, qui n’est pas encore mis dans le registre.

[64] En ce qui a trait à la désignation de l’habitat essentiel, l’article 57 prévoit que l’article 58 a pour objet de faire en sorte que, dans les 180 jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel visé au paragraphe 58(1), tout l’habitat essentiel soit protégé, soit par des dispositions de la LEP ou d’une autre loi fédérale, ou d’une mesure prise sous leur régime (notamment les accords conclus au titre de l’article 11), soit par l’application du paragraphe 58(1).

[65] L’article 57 indique clairement que l’article 58 ne s’applique que si le programme de rétablissement ou le plan d’action est d’abord mis dans le registre. L’obligation légale d’agir à caractère public du ministre en ce qui a trait au paragraphe 58(1) n’est déclenchée qu’après 180 jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action et, par conséquent, toute ordonnance de mandamus est prématurée.

[66] À cet égard, je souligne que, dans l’arrêt Canada c Fondation David Suzuki, 2012 CAF 40 [Suzuki], la Cour d’appel fédérale a souligné au paragraphe 30 que, selon le paragraphe 58(5) de la LEP, la mise du programme de rétablissement dans le registre obligeait le ministre à assurer dans les 180 jours la protection de l’habitat essentiel qui y était défini, soit en prenant un arrêté de protection sous le régime des paragraphes 58(1) et (4), soit en établissant, par une déclaration, l’habitat essentiel ou la partie en cause de celui‑ci. Le paragraphe 58(5) prévoit expressément que le ministre doit prendre l’une de ces mesures dans les 180 jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel.

[67] Je prends acte des observations des demandeurs sur l’interprétation de la loi en ce qui concerne le paragraphe 58(5.1). Cependant, même si j’acceptais le point de vue des demandeurs, la recommandation du ministre compétent mentionnée dans cette disposition est expressément assujettie au délai prévu à l’alinéa 58(5.2)a). Le ministre compétent est tenu de faire la recommandation dans les 180 jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel qui comporte tout ou partie de l’habitat auquel la Loi de 1994 sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs s’applique, après la consultation requise. En conséquence, l’obligation légale d’agir à caractère public du ministre n’est pas encore déclenchée et la demande de mandamus est prématurée.

[68] Eu égard à ce qui précède, des trois mesures de réparation par voie de mandamus qui sont mentionnées dans l’avis de demande des demandeurs (les demandeurs ayant abandonné la quatrième mesure), seule la première, l’élaboration d’un programme de rétablissement en application du paragraphe 37(1) de la LEP, demeure en litige. Les deux autres sont prématurées. Les motifs exposés ci‑après porteront donc uniquement sur cette mesure. Je souligne également que la seule obligation légale d’agir à caractère public qui incombe au ministre à ce moment‑ci consiste à mettre dans le registre un projet de programme de rétablissement. Compte tenu du régime légal, le ministre n’est pas tenu de publier une version définitive du programme de rétablissement avant l’expiration du délai de 90 jours prévu pour la présentation d’observations et la révision (art 42‑43 de la LEP; WCWC au para 123).

ii. L’obligation doit exister envers les demandeurs

La position des demandeurs

[69] Les demandeurs soutiennent que les principes relatifs à la qualité pour agir s’appliquent à la question de savoir si une obligation existe envers le demandeur dans une demande visant à obtenir une ordonnance de mandamus et que la qualité pour agir du fait d’un intérêt direct ou de l’intérêt public respecte les conditions préalables établies dans l’arrêt Apotex (renvoyant à Bancroft v Nova Scotia (Lands and Forests), 2020 NSSC 175 au para 145 [Bancroft]). Les demandeurs affirment qu’ils satisfont à l’un ou l’autre de ces critères.

[70] En ce qui a trait à la qualité directe pour agir, les demandeurs soutiennent que la qualité pour agir dans l’intérêt privé couvre les parties qui ont [traduction] « des raisons personnelles de faire valoir que [leurs] droits ont été touchés ou le seront vraisemblablement » (renvoyant à Alberta (Attorney General) v Malin, 2016 ABCA 396 aux para 18‑19). Ils affirment qu’ils ont directement qualité pour agir, parce que leurs propriétés sont adjacentes à celle des Badlands, qui accueille des colonies d’hirondelles de rivage, à l’instar d’autres propriétés situées à proximité des leurs, et qu’ils seraient probablement touchés par tout projet de désignation de l’habitat essentiel. Dans la même veine, les demandeurs affirment qu’ils ont un intérêt spécial dans l’application de la LEP, qui dépasse l’intérêt commun général à l’égard de la protection des espèces menacées, parce que chacun d’eux s’intéresse personnellement à la protection de l’hirondelle de rivage et que la question de savoir quand et comment cette protection est assurée touchera directement leurs propriétés (renvoyant à l’arrêt Finlay c Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 RCS 607 aux para 17‑22 [Finlay]).

[71] Les demandeurs font valoir qu’ils respectent également les critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public qui sont énoncés dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45 [DESW]. La question est justiciable, parce qu’il y a une exigence légale qui lie le ministre, et l’inobservation par celui‑ci des exigences légales et, par conséquent, de son obligation de préserver ou de protéger l’environnement, soulève une question sérieuse. Les demandeurs ont un intérêt véritable, parce que leurs propriétés seront probablement touchées par la définition de l’habitat essentiel et parce que l’un des demandeurs est un observateur d’oiseaux passionné. De plus, disent‑ils, la présente demande constitue une manière raisonnable et efficace de soulever la question, parce que l’hirondelle de rivage est incapable d’intenter l’action ou d’exiger l’application de la LEP.

La position des défendeurs

[72] Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont pas directement qualité pour agir, parce que les droits de ceux‑ci ne sont pas directement touchés par les mesures du ministre. Pour exercer le recours en mandamus, le demandeur doit être « directement touché » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985 c F‑7 [la Loi sur les Cours fédérales]. Ce recours doit porter atteinte à des droits, imposer des obligations juridiques ou entraîner des effets préjudiciables d’une façon ou d’une autre pour le demandeur. Les demandeurs n’ont pas démontré non plus qu’ils respectent les exigences relatives à la qualité pour agir du fait d’un intérêt privé ou direct, parce qu’ils n’ont pas établi qu’ils subissent un préjudice exceptionnel ou qu’ils ont un intérêt spécial dans l’objet de l’action ou encore qu’ils sont lésés plus particulièrement que d’autres, comme l’exige l’arrêt Finlay. De l’avis des défendeurs, la preuve des demandeurs n’établit pas qu’ils ont un intérêt spécial ou un intérêt véritable à l’égard de la mesure de réparation sollicitée. Selon les défendeurs, le fait d’avoir un intérêt lié à la protection de la rivière Rosebud et d’être un observateur d’oiseaux ne peut donner naissance à une qualité directe pour agir. De plus, aucun élément de preuve n’indique que les droits ou les droits de propriété des demandeurs seront lésés ou touchés par une mesure ultérieure prise en application de la LEP. Le fait d’être à proximité de la piste de course proposée ne satisfait pas au critère relatif à la qualité directe pour agir et les demandeurs ne sont que de simples observateurs intéressés. Enfin, la contestation du projet dans d’autres lieux de débats ne constitue pas un fondement de la qualité pour agir.

[73] Les défendeurs soutiennent également que les demandeurs n’ont pas la qualité pour agir dans l’intérêt public aux fins d’un recours en mandamus. Les défendeurs reconnaissent les critères de l’arrêt DESW, mais font valoir que les demandeurs doivent présenter une preuve directe d’un intérêt réel et continu établi et prouver que l’affaire les touchera personnellement et directement (renvoyant à Conseil canadien des Églises c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 RCS 236 à la p 254). Selon les défendeurs, les demandeurs n’ont pas présenté une preuve établissant l’existence d’un intérêt direct et personnel et n’ont pas non plus un intérêt véritable du fait qu’ils ont des propriétés avoisinantes ou qu’ils sont des observateurs d’oiseaux passionnés. Enfin, les défendeurs affirment que l’intérêt ou l’avis personnel des propriétaires fonciers n’est pas synonyme d’intérêt public.

Analyse

[74] Je conviens avec les parties que les principes relatifs à la qualité pour agir s’appliquent à ce volet du critère établi dans l’arrêt Apotex. En conséquence, l’analyse de l’existence d’une obligation envers les demandeurs porte sur la question de savoir si ceux‑ci sont « directement touchés » par l’objet de la demande ou s’ils ont satisfait aux critères énoncés dans l’arrêt DESW à l’égard de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[75] Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales confère à la Cour fédérale la compétence d’accorder les mesures de réparation sollicitées, y compris le bref de mandamus. Ces mesures de réparation ne peuvent être obtenues qu’au moyen d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre de l’article 18.1. Le paragraphe 18.1(1) précise qui peut présenter une demande de cette nature :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

[76] Dans l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307, la Cour d’appel fédérale a conclu que, pour qu’une partie qui présente la demande de contrôle judiciaire soit « directement touchée » par une décision dans le contexte du paragraphe 18.1(1), il faut que la décision en question ait touché ses droits, lui ait imposé en droit des obligations ou lui ait porté préjudice (voir Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c Canada (MRN), [1976] 2 CF 500 (CAF); Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116). Ce critère a été appliqué de façon constante dans la jurisprudence subséquente lorsque la qualité pour agir au titre de cette disposition a été contestée (voir également, par exemple, Forest Ethics Assn c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 au para 29; Oceanex Inc. c Canada (Transports), 2018 CF 250 au para 258).

[77] Les demandeurs soutiennent qu’ils s’intéressent particulièrement à l’application de la LEP, car leurs propriétés peuvent être touchées par la désignation de l’habitat essentiel et parce qu’ils ont un intérêt personnel à l’égard de la protection de l’hirondelle de rivage, qui niche près ou sur leurs propriétés ainsi que sur la propriété de Badlands.

[78] La preuve des demandeurs sur ce point est limitée. Parmi les demandeurs nommés, seul Rick Skibsted a présenté un affidavit à l’appui de la demande. Dans son affidavit, il se décrit comme un passionné de l’observation des oiseaux qui étudie les habitudes en matière de nidification des oiseaux dans la vallée de la rivière Rosebud depuis des décennies. Il déclare que chacun des demandeurs possède une propriété, réside sur une propriété ou est le représentant du propriétaire de la propriété, qui est immédiatement adjacente au site du projet de Badlands proposé le long de la vallée de la rivière Rosebud. En outre, le site de la piste de course de Badlands est directement adjacent à trois sites de nidification de l’hirondelle de rivage, deux sur la propriété de Badlands et une troisième colonie sur des terres appartenant aux Knibbs (qui ne sont pas demandeurs en l’espèce). Il joint à titre de pièces diverses cartes et photos qui désignent l’emplacement des propriétés des demandeurs et d’autres personnes ainsi que l’emplacement des colonies d’hirondelles de rivage. Dans le cadre d’un réinterrogatoire fondé sur son affidavit, il a été demandé à M. Skibsted pourquoi il pensait que la vallée devait être protégée. Il a répondu qu’elle devait l’être en raison des espèces en voie de disparition, des faucons pèlerins, des prairies, des hirondelles et de la faune.

[79] Le rapport d’expertise de M. Wallis, présenté par les demandeurs, indique qu’en 2020, il y avait cinq colonies actives d’hirondelles de rivage sur les rives de la propriété de Badlands et sur les propriétés situées de l’autre côté de la rivière. Il peut s’agir de petites colonies de 10 couples ou de colonies comptant des centaines de couples nicheurs. L’auteur du rapport indique qu’il est connu que les hirondelles de rivage s’alimentent dans les milieux humides de la vallée qui sont près de la piste de course, et qu’il les a observées en train de s’alimenter dans ces milieux humides de la vallée. En juin et juillet 2020, des centaines d’oiseaux ont volé depuis les colonies au‑dessus des prairies, des arbustaies de faible hauteur et des milieux humides de la propriété de Badlands.

[80] Je ne suis pas convaincue que cette preuve établit que les demandeurs seront directement touchés par le défaut du ministre de présenter un programme de rétablissement dans le délai prescrit.

[81] À cet égard, il convient de souligner que la preuve présentée par les demandeurs établit que le programme de rétablissement est incomplet, principalement parce que l’habitat essentiel n’a pas encore été déterminé. Par conséquent, ce qui constituera finalement l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage est actuellement inconnu. Par exemple, les intimés ont présenté l’affidavit de M. Marc‑André Cyr, biologiste de la faune de l’Unité de conservation des oiseaux migrateurs du Service canadien de la faune [le SCF] d’Environnement et Changement climatique Canada, qui a été souscrit le 11 septembre 2020 [l’affidavit de M. Cyr]. Depuis mai 2017, M. Cyr est le responsable du SCF qui coordonne l’élaboration du programme de rétablissement de l’hirondelle de rivage. Entre autres choses, dans son affidavit, il renvoie à la définition de l’habitat essentiel prévue par la LEP : « l’habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement d’une espèce sauvage inscrite, qui est désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d’action élaboré à l’égard de l’espèce ». En ce qui concerne l’habitat d’alimentation de l’hirondelle de rivage, M. Cyr déclare que les hirondelles de rivage s’alimentent depuis un point central, ce qui signifie que l’espèce se nourrit selon un schéma radial à partir du nid. La distance parcourue pour attraper les proies est influencée par des facteurs environnementaux (c.‑à‑d. les conditions météorologiques et l’abondance d’insectes) et la période de reproduction. En ce qui concerne la désignation des emplacements provisoires de l’habitat essentiel tels que présentés dans le programme de rétablissement provisoire (qui n’a pas été produit), M. Cyr déclare :

[traduction]
48
... la zone englobant l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage est délimitée par l’application séquentielle des méthodes suivantes :

a) Sélection de plans d’eau naturels (tels que les lacs, les étangs, les milieux humides et les eaux côtières) et de rivages de cours d’eau (tels que les rivières et les ruisseaux) qui recoupaient des mentions de nidification confirmée dans une distance radiale correspondant à l’incertitude spatiale de la mention et à une distance de recherche de 100 m (c’est‑à‑dire à une distance maximale de 800 m de la mention);

b) Extraction des rivages sélectionnés dans la distance radiale de 5 km de l’incertitude d’une mention de nidification dans la zone. Il convient de relever que ce facteur n’a pas encore été finalisé et que, par conséquent, la distance radiale tampon peut changer à l’avenir lorsque le programme de rétablissement proposé sera publié dans le Registre public des espèces en péril et lorsque le programme de rétablissement sera achevé par le SCF;

c) Application de la distance radiale de 500 m autour des rivages faisant l’objet d’extractions pour englober l’habitat d’alimentation associé aux lieux de nidification potentiels.

49. À ce jour, cette stratégie a permis de désigner environ 400 emplacements d’habitat essentiel. L’application de la procédure de modélisation se traduit par environ 19 000 km de rivages. Au moment de la déclaration sous serment du présent affidavit, les travaux ne sont pas encore terminés et les emplacements visés ainsi que les résultats des processus de modélisation sont susceptibles d’être modifiés. Un autre affidavit pourra être fourni une fois que les travaux de cartographie de l’habitat essentiel auront été achevés.

[82] En ce qui concerne les colonies d’hirondelles de rivage sur la rivière Rosebud, M. Cyr a déclaré qu’il n’avait pas visité la vallée de la rivière Rosebud ou d’autres sites en Alberta où niche l’hirondelle de rivage, mais qu’il avait vu des photographies aériennes de la région. Il a également confirmé que l’espèce a besoin d’un habitat d’alimentation à proximité de l’habitat de nidification pour nourrir les oisillons pendant la saison de reproduction. En réponse à un engagement, M. Cyr a produit des photographies aériennes et autres qu’il avait examinées et qui permettaient de détecter des colonies d’hirondelles de rivage le long de la rivière Rosebud. Celles‑ci semblent inclure sept (7) colonies directement adjacentes à la propriété de Badlands ainsi que 13 autres colonies situées proche de la propriété, le long de la rivière. Il a également produit une carte des habitats potentiels de nidification et d’alimentation près des colonies d’hirondelles de rivage sur la rivière Rosebud.

[83] Ainsi, l’existence de colonies d’hirondelles de rivage dans la zone désignée par les demandeurs n’est pas contestée. Cependant, il n’y a aucune certitude concernant le fait qu’une partie ou la totalité de la propriété de Badlands, ou des propriétés des demandeurs, soient désignées comme habitat essentiel.

[84] Lorsqu’ils ont comparu devant moi, les demandeurs ont déclaré qu’ils espéraient que le programme de rétablissement désignerait l’habitat essentiel et imposerait donc des restrictions sur l’utilisation de leurs propriétés, et que ces restrictions serviraient à protéger l’hirondelle de rivage. Toutefois, le fait de ne pas avoir mis en œuvre le programme de rétablissement conformément aux délais prévus par la LEP n’établit pas que les demandeurs subissent ou subiront un préjudice en raison de cette inaction. Il n’en va peut‑être pas de même pour l’hirondelle de rivage.

[85] Il se peut que le programme de rétablissement désigne des parties des propriétés des demandeurs comme habitat essentiel, ce qui aurait pour effet de toucher leurs droits ou de leur imposer des obligations à cet égard. Cependant, le programme de rétablissement en est encore à l’étape d’ébauche et la preuve concernant les zones de nidification et d’alimentation de l’hirondelle de rivage ne permet pas d’établir que les propriétés des demandeurs seront ainsi désignées. En tout état de cause, les demandeurs semblent percevoir une telle obligation comme une évolution positive, plutôt que préjudiciable. Il incombait aux demandeurs de produire une preuve suffisante pour établir qu’ils sont indirectement touchés. Les éléments de preuve qui ne font qu’indiquer un intérêt du demandeur dans la matière ne suffisent pas pour justifier une demande en vue d’obtenir la qualité pour agir (Unifor c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2017 CF 110 au para 29).

[86] Dans la même veine, je ne puis conclure qu’un intérêt dans l’observation d’oiseaux ou un intérêt général au sujet du sort de l’hirondelle de rivage satisfait au critère préliminaire de l’intérêt direct au sens où il a touché les droits des demandeurs, leur a imposé en droit des obligations ou leur a porté préjudice. Il ne s’agit pas non plus d’un intérêt spécial, privé ou suffisant qui dépasse celui qui touche l’ensemble du public. Qui plus est, cet intérêt n’établit pas que les demandeurs sont lésés plus particulièrement que d’autres Canadiens ou qu’ils ont à l’égard de l’application de l’article 37 de la LEP un intérêt spécial plus grand que l’intérêt général de chaque Canadien préoccupé par la conservation de la faune (Finlay au para 19). Par conséquent, je suis d’avis que les demandeurs ne satisfont pas aux principes relatifs à la qualité directe pour agir de manière à établir qu’une obligation leur est due selon le critère de l’arrêt Apotex.

[87] En ce qui concerne la qualité pour agir dans l’intérêt public, la Cour suprême du Canada a énoncé en ces termes, dans l’arrêt DESW, les facteurs à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public :

37 Lorsqu’ils exercent le pouvoir discrétionnaire de reconnaître ou non la qualité pour agir dans l’intérêt public, les tribunaux doivent prendre en compte trois facteurs : (1) une question justiciable sérieuse est‑elle soulevée? (2) le demandeur a‑t‑il un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question? et (3) compte tenu de toutes les circonstances, la poursuite proposée constitue‑t‑elle une manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux? : Borowski, p. 598; Finlay, p. 626; Conseil canadien des Églises, p. 253; Hy and Zel’s, p. 690; Chaoulli, par. 35 et 188. Le demandeur qui souhaite se voir reconnaître la qualité pour agir doit convaincre la cour que ces facteurs, appliqués d’une manière souple et téléologique, militent en faveur de la reconnaissance de cette qualité. Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré.

[88] La Cour suprême a décidé que ces facteurs doivent être vus comme des considérations connexes devant être appréciées ensemble, plutôt que séparément, à la lumière des objectifs qui sous‑tendent les restrictions à la qualité pour agir et être appliqués d’une manière souple et libérale de façon à favoriser la mise en œuvre de ces objectifs (DESW aux para 20, 36). Lorsqu’il s’agit d’établir s’il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir dans les affaires de droit public, les tribunaux doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire et mettre en balance, d’une part, le raisonnement qui sous‑tend les restrictions à cette reconnaissance et, d’autre part, le rôle important qu’ils jouent lorsqu’ils se prononcent sur la validité des mesures prises par le gouvernement. « Les règles de droit relatives à la qualité pour agir tirent leur origine de la nécessité d’établir un équilibre “entre l’accès aux tribunaux et la nécessité d’économiser les ressources judiciaires” Conseil canadien des Églises, p. 252 » (DESW au para 23). La qualité pour agir dans l’intérêt public peut être invoquée pour contester non seulement les lois inconstitutionnelles, mais également d’autres mesures administratives (Finlay aux para 31‑32).

[89] Dans la présente affaire, il est indéniable que les demandeurs soulèvent une question justiciable sérieuse, soit le défaut du ministre d’élaborer et de mettre dans le registre un projet de programme de rétablissement conformément aux exigences et dans les délais prescrits par l’article 37 et le paragraphe 42(1) de la LEP.

[90] Le caractère sérieux de la question est démontré dans la décision WCWC dans laquelle, plus de sept ans plus tôt, notre Cour a formulé les observations suivantes dans le cadre de l’octroi d’un jugement déclaratoire au titre de la LEP :

[92] Il n’est simplement pas acceptable que les ministres compétents continuent de ne pas respecter les délais impératifs que le législateur a établis. Dans les circonstances des présentes affaires, il est donc nécessaire et approprié d’accorder aux demandeurs le jugement déclaratoire qu’ils sollicitent, tant pour exprimer la désapprobation judiciaire de la situation actuelle que pour encourager les ministres compétents à se conformer à la loi à l’avenir.

[93] En fait, les questions soulevées à l’origine par les présentes demandes sont [traduction] « véritables, non pas théoriques ou hypothétiques », dans la mesure où il y a encore de nombreuses espèces en péril pour lesquelles la mise dans le registre de projets de programme de rétablissement est en retard depuis longtemps : Danada Enterprises Ltd c. Canada (Procureur général), 2012 CF 403, 407 FTR 268, au paragraphe 67. En outre, je suis convaincue qu’un jugement déclaratoire sera utile et réglera, « de façon pratique », les problèmes posés par les présentes affaires : voir l’arrêt Solosky, précité, aux pages 832 et 833.

[91] Dans la décision WCWC, notre Cour a déclaré que le ministre des Pêches et des Océans et le ministre de l’Environnement, les ministres compétents dans cette affaire‑là, avaient agi illégalement en omettant de mettre dans le registre des projets de programme de rétablissement dans les délais prévus par la LEP pour quatre espèces. De toute évidence, les demandeurs ont soulevé une question justiciable sérieuse dans la présente affaire.

[92] Cependant, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont établi dans leur demande qu’ils un intérêt véritable. Les demandeurs affirment qu’ils ont un intérêt véritable, parce que leur propriété pourrait être touchée par la définition de l’habitat essentiel et qu’ils s’intéressent à l’hirondelle de rivage.

[93] Les défendeurs répondent que l’intérêt des demandeurs à l’égard de l’hirondelle de rivage est simplement une ruse et ne vise qu’à étayer leur opposition au projet d’aménagement d’une piste de course. À mon avis, les demandeurs peuvent fort bien s’opposer à ce projet, mais cela ne signifie pas que leur intérêt à l’égard de l’hirondelle de rivage menacée n’est pas authentique. Les deux possibilités ne sont pas mutuellement exclusives. La mesure de réparation qu’ils sollicitent dans la présente demande ne vise pas Badlands. Le recours en mandamus vise à obliger le ministre à se conformer aux obligations légales d’agir à caractère public qui lui incombent aux termes de la LEP (Chetwynd Environmental Society c Dawson Creek Forest District (District Manager), 1995 CanLII 3352).

[94] Les défendeurs ajoutent que les demandeurs ne sont préoccupés que par une petite partie de la population d’hirondelles de rivage. Il est vrai que les demandeurs présentent leur demande de mandamus à l’égard des colonies d’hirondelles de rivage qui nichent dans la vallée de la rivière Rosebud. Cependant, c’est là que les demandeurs habitent. En contre‑interrogatoire, M. Skibsted a déclaré qu’il a pratiqué l’agriculture pendant plus de 40 ans à cet endroit jusqu’à sa retraite. De plus, selon la preuve des défendeurs, la population qui reste d’hirondelles de rivage possède un territoire de reproduction étendu un peu partout au Canada, de sorte qu’il est nécessaire d’en définir l’habitat essentiel dans l’ensemble du pays. Il est peu probable qu’une personne ou même une organisation non gouvernementale puisse démontrer un intérêt véritable à l’égard de chaque colonie d’hirondelles de rivage du pays. Cela ne devrait pas empêcher la personne ou l’organisation de tenter de contraindre le ministre à se conformer à son obligation de mettre dans le registre un programme de rétablissement à l’égard de l’espèce. Même si je comprends que la plupart de ces contestations concernant la protection de la faune proviennent d’organisations (p. ex. Environmental Defence Canada c Canada (Pêches et Océans), 2009 CF 878; WCWC; Alberta Wilderness Association c Canada (Environnement) 2009 CF 710; Canada (Pêches et Océans) c Fondation David Suzuki, 2012 CAF 40), cela s’explique peut‑être en partie par le coût lié à la présentation de demandes. Cependant, cela ne signifie pas que seuls les groupes d’intérêt public ou les organisations à but non lucratif se verront reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[95] La question qui se pose est de savoir si les demandeurs ont un intérêt réel dans les procédures ou sont engagés quant aux questions qu’elles soulèvent (DESW au para 43, renvoyant à Finlay et Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342). Compte tenu de la preuve limitée qu’ils ont présentée, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont prouvé, simplement parce que des colonies d’hirondelles de rivage se nichent sur leurs propriétés ou à proximité de celles‑ci ou parce qu’ils ont soulevé des préoccupations au sujet des répercussions du projet de piste de course sur ces colonies — ainsi qu’au sujet d’autres répercussions — que leur engagement est assez solide pour établir un intérêt véritable. Contrairement aux cas dans lesquels des personnes (ainsi que des organisations) se sont vu reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public, les demandeurs n’ont pas établi en l’espèce un engagement continu à l’égard de la préservation de l’espèce ou de la faune de manière plus générale.

[96] Cela étant dit, la présente demande constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour. Dans l’arrêt DESW, la Cour suprême a décidé que cette approche correspond à l’interprétation souple, discrétionnaire et téléologique de la qualité pour agir dans l’intérêt public (DESW au para 44). Ce facteur est étroitement lié au principe de la légalité, puisque les tribunaux doivent déterminer s’il est souhaitable de reconnaître la qualité pour agir en fonction de la nécessité d’assurer la légalité des mesures prises par les acteurs gouvernementaux (DESW au para 49). Dans le cadre de l’approche téléologique, un des facteurs à prendre en compte est la question de savoir si la cause est d’intérêt public en ce sens qu’elle transcende les intérêts des parties qui sont le plus directement touchées par les mesures contestées (ou par l’inaction en l’espèce). De plus, « l’existence d’autres demandeurs potentiels, notamment ceux qui possèdent de plein droit la qualité pour agir, est pertinente, mais les chances en pratique qu’ils soumettent la question aux tribunaux ou que des manières aussi ou plus raisonnables et efficaces soient utilisées pour le faire devraient être prises en compte en fonction des réalités pratiques et non des possibilités théoriques » (DESW au para 51).

[97] Par ailleurs, dans la décision Bancroft, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a tiré la conclusion suivante :

[traduction]
[152] En ce qui a trait au troisième facteur, personne ne soutient que les espèces elles‑mêmes peuvent présenter une demande et l’ESA ne prévoit aucune pénalité ou autre conséquence à l’encontre du ministre lorsque les délais ne sont pas respectés. Il n’y a aucun autre moyen de contraindre le ministre à se conformer à ses obligations découlant de l’ESA. Les espèces ont besoin de personnes comme M. Bancroft et d’organisations comme les autres demandeurs et l’intervenante pour prendre cette mesure et agir en leur nom. Il serait absurde qu’aucune personne ou entité intéressée ne puisse solliciter cet examen au titre de l’ESA afin d’obliger le gouvernement à rendre des comptes. Comment l’orignal de la partie continentale, le cypripède tête‑de‑bélier, la paruline du Canada, le frêne noir, la tortue des bois ou le pioui de l’Est pourraient‑ils être protégés autrement lorsqu’un gouvernement ne s’est pas acquitté raisonnablement de ses obligations et responsabilités?

[98] Dans la présente affaire, il est tout aussi évident que l’hirondelle de rivage ne peut présenter une demande pour exiger l’application de la LEP. En qualité d’espèce menacée, elle a un intérêt direct, mais elle ne peut parler pour elle‑même. À l’exception des demandeurs, aucune partie n’invoque la qualité pour exercer un recours en mandamus. Comme c’était le cas dans l’affaire Bancroft en ce qui concerne la loi provinciale relative à la protection de l’espèce en cause, la LEP ne comporte aucune pénalité qui s’applique en cas de manquement aux délais et obligations prévues par la loi. En conséquence, ce n’est qu’en présentant une demande et en invoquant leur qualité pour agir dans l’intérêt public que les membres du public peuvent solliciter le respect de la LEP. De plus, le fait de demander au ministre de se conformer aux dispositions impératives de la LEP transcende les intérêts des demandeurs et la préservation d’une espèce menacée sert les intérêts actuels et futurs de tous les Canadiens et, bien entendu, ceux de l’espèce menacée elle‑même. Qui plus est, la mesure de réparation que sollicitent les demandeurs se limite à une ordonnance de mandamus : les demandeurs veulent obliger le ministre à se conformer à son obligation d’agir à caractère public. Il est donc souhaitable de reconnaître la qualité pour agir, puisque la reconnaissance vise à obliger le ministre à agir dans le respect de la loi.

[99] Après avoir examiné les facteurs de manière cumulative, je suis d’avis que, étant donné que les demandeurs ont satisfait aux exigences relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public, mais n’ont pas démontré un intérêt véritable, ils n’ont pas prouvé que le ministre avait une obligation envers eux. En conséquence, cet élément du critère de l’arrêt Apotex n’a pas été établi.

iii. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation

La position des demandeurs

[100] Les demandeurs soutiennent que le critère est peu rigoureux en ce qui concerne la question de savoir ce qui constitue une demande (Bancroft au para 155). De plus, disent‑ils, il n’est pas nécessaire que la demande soit formulée expressément lorsqu’un long délai s’est écoulé (Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 315 au para 4 [Bhatnager]). Dans la présente affaire, un long délai de près de quatre ans s’est écoulé avant l’inscription de l’hirondelle de rivage sur la liste des espèces menacées et, alors que le programme de rétablissement devait être mis dans le registre au plus tard le 2 novembre 2019, il ne l’a pas encore été. Les demandeurs ajoutent que l’avis de demande peut constituer une demande expresse, comme le prévoient les principes du droit régissant les relations entre débiteurs et créanciers. Ils mentionnent également la décision Orr c Alook, 2012 CF 590 [Orr] à titre d’exemple de situation dans laquelle la Cour a considéré une demande, déposée l’année précédente, comme une demande expresse satisfaisant au critère de l’arrêt Apotex. Selon les demandeurs, l’avis de demande déposé en l’espèce constitue une forme de demande. De plus, bien que les défendeurs affirment qu’ECCC travaille activement à l’élaboration d’un programme de rétablissement, il est insuffisant de dire que les travaux sont en cours dans les cas où existe une obligation légale claire d’agir à caractère public (Bancroft au para 161).

La position des défendeurs

[101] Les défendeurs soutiennent qu’il convient de faire droit à une demande de mandamus uniquement en cas de preuve de refus de donner suite à une demande régulière. Les demandeurs n’ont pas fait une demande régulière et le ministre n’a pas refusé de se conformer à la LEP. Selon les défendeurs, le document introductif d’instance ne peut servir de demande. Même si les règles de droit appuient l’application d’un critère peu rigoureux à l’égard de ce qui constitue une demande, cette demande doit néanmoins être faite. Les défendeurs rejettent également l’argument des demandeurs selon lequel les principes du droit régissant les relations entre débiteurs et créanciers s’appliquent. Il en est ainsi parce que la procédure visant à recouvrer une créance découlant d’un contrat est bien différente du recours discrétionnaire extraordinaire que constitue le recours en mandamus.

[102] Les défendeurs font valoir que le délai relatif à la publication d’un programme de rétablissement en l’espèce est raisonnable et que la mise du projet de plan dans le registre est imminente. L’inobservation du délai de la part du ministre ne l’empêche pas de poursuivre l’élaboration d’un programme de rétablissement. De l’avis des défendeurs, le caractère raisonnable du délai est une question de contexte et ne dépend pas uniquement de la durée elle‑même. Pour qu’un délai soit jugé déraisonnable, trois conditions doivent être réunies : le délai doit avoir été plus long que le délai nécessaire normalement exigé par la nature du processus; le demandeur et son conseiller juridique ne doivent pas en être responsables et l’autorité ne doit pas avoir justifié le délai de façon satisfaisante (Coderre c Canada (Commissaire à l’information), 2015 CF 776 au para 26 [Coderre]). Les défendeurs affirment que l’élaboration d’un programme de rétablissement est un processus complexe dans le cadre duquel il est nécessaire de concilier des exigences légales et des priorités ministérielles opposées et de consulter de nombreux intervenants et d’autres paliers de gouvernement (renvoyant à WCWC). Dans la présente affaire, ECCC a travaillé avec diligence à l’élaboration d’un programme de rétablissement.

Analyse

[103] Dans l’arrêt Apotex, la Cour d’appel fédérale a décidé que, pour prouver l’existence d’un droit clair d’obtenir l’exécution d’une obligation, il est nécessaire d’établir qu’« il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) [qu’] un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ, et (iii) [qu’] il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable ».

[104] Il est vrai que la jurisprudence concernant ce qui constitue une « demande » donne à penser que le critère employé pour trancher cette question est relativement peu rigoureux. Tel qu’il est mentionné dans la décision Bancroft, il a déjà été conclu que des lettres sollicitant la prise de mesures satisfaisaient à l’exigence relative à la demande (Bancroft au para 155). Cependant, dans la présente affaire, les demandeurs admettent qu’ils n’ont pas présenté de demande expresse avant de déposer l’avis de demande de contrôle judiciaire. En conséquence, la question est de savoir si leur avis de demande peut satisfaire à l’exigence relative à une demande. Si la réponse à cette question est affirmative, il faudra aussi trancher la question de savoir si le délai en l’espèce était déraisonnable au point de constituer un refus implicite.

[105] À mon avis, l’avis de demande de contrôle judiciaire n’est rien d’autre qu’un avis d’introduction de l’instance. Il est difficile de voir en quoi cet avis peut être considéré comme un document demandant préalablement au ministre de se conformer à ses obligations et lui donnant la possibilité d’accéder à la demande.

[106] Je prends acte du point de vue des demandeurs selon lequel la situation est différente lorsque le délai relatif à l’exécution d’une obligation à caractère public est prévu dans la loi et qu’une demande ne devrait pas être nécessaire en pareil cas. De plus, disent les demandeurs, la preuve des défendeurs établit que, même si une demande avait été faite, le ministre n’y aurait pas accédé, car le programme de rétablissement n’est toujours pas déposé même neuf mois après l’introduction de la présente demande. Cependant, je ne suis pas convaincue que cet argument l’emporte sur l’obligation d’une partie qui exerce un recours en mandamus de faire une demande préalable.

[107] Je conviens également avec les défendeurs que le recours visant à obtenir le bref de prérogative de mandamus est différent de la présentation d’une demande régie par le droit applicable aux relations entre débiteurs et créanciers. Au soutien de leur argument selon lequel un document introductif d’instance peut constituer une demande, les demandeurs invoquent l’arrêt Canada Trustco Mortgage Company c 1122 93 Holdings Ltd., 1984 ABCA 102 au para 7 [Canada Trustco]. Cependant, dans cet arrêt, la question était de savoir si une demande était nécessaire pour que la dette devienne exigible. La Cour d’appel de l’Alberta s’est fondée sur des décisions dans lesquelles il avait été conclu qu’une dette exigible sur demande doit être payée à la date de signature de l’acte sans qu’une demande formelle soit présentée et qu’une demande formelle ne constituait pas une condition préalable à l’introduction d’une action en recouvrement de la créance. La Cour d’appel de l’Alberta a conclu qu’aucune demande n’était nécessaire pour que la dette soit exigible et que, même dans le cas contraire, [traduction] « la délivrance d’une déclaration représente la façon la plus emphatique de la présenter » (au para 7). Il convient également de souligner que, dans cette affaire, des demandes de paiement préalables avaient été faites avant la délivrance de la déclaration (au para 3). À mon avis, l’arrêt Canada Trustco ne s’applique pas en l’espèce.

[108] Je ne souscris pas non plus à l’argument des demandeurs selon lequel la décision Orr permet d’affirmer que l’avis de demande de contrôle judiciaire peut constituer une demande au ministre en l’espèce. Dans l’affaire Orr, le Conseil des Premières Nations avait reçu des plaintes et a donc entrepris un processus d’une audience publique sur la question de savoir si le chef était en situation de conflit d’intérêts. Au cours de la deuxième audience publique, le Conseil a annoncé qu’il attendrait deux semaines avant de rendre sa décision. Le demandeur a déposé un avis de demande pendant cette période de deux semaines, mais s’est désisté de la demande. Il a ensuite déposé une nouvelle demande après l’expiration de la période de deux semaines, alors qu’aucune décision n’avait encore été prise. La Cour fédérale a formulé les observations suivantes au sujet de la demande préalable :

[30] Pour ce qui est de la troisième condition, l’avocat des défendeurs rappelle que ce n’est que dans son mémoire des faits et du droit en date du 28 septembre 2011 que M. Orr précise, pour la première fois, que l’affidavit qu’il a déposé dans le cadre de la demande T‑959‑11, dont il s’est depuis désisté, constitue les renseignements supplémentaires que le Conseil avait sollicités lors de la réunion du 2 juin 2011. L’avocat des défendeurs soutient par ailleurs que même si le mémoire des faits et du droit du demandeur peut‑être considéré, de la part de M. Orr, comme une demande qu’il aurait précédemment adressée au Conseil pour obtenir que celui‑ci satisfasse à l’obligation qui lui incombe, cette demande n’avait pas encore été présentée lorsque le demandeur a, le 22 août 2011, déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Cela étant, on ne saurait reprocher au Conseil d’avoir déraisonnablement tardé.

[31] L’argument ne me paraît pas fondé. Selon l’affidavit de M. Pitcairn, le Conseil, à la fin de la réunion du 2 juin 2011, a annoncé qu’il attendrait deux semaines de plus avant de rendre sa décision et que dans ces deux semaines, il accueillerait tout autre élément de preuve présenté à l’appui des allégations de conflit d’intérêts. Il n’était donc pas nécessaire de demander à nouveau au Conseil de se prononcer, comme il était tenu de le faire, sur l’allégation formulée à l’encontre du chef Alook. Le demandeur et tous les autres membres de la PNPT étaient en droit d’obtenir une décision sur ce point, et la seule question qui se pose est par conséquent celle de savoir si un délai raisonnable a été laissé au Conseil pour accéder à la demande qui lui était présentée.

[109] En conséquence, dans la décision Orr, l’avis de demande introductif d’instance a servi de demande préalable envoyée au Conseil avant la délivrance du deuxième avis de demande. Notre Cour a conclu qu’aucune autre demande n’était nécessaire pour que ce volet du critère applicable au recours en mandamus soit établi dans ces circonstances. C’est là une situation factuelle différente de celle dont je suis saisie en l’espèce, où aucun élément de preuve n’indique qu’une demande préalable, sous quelque forme que ce soit, a été présentée au ministre.

[110] Dans ces circonstances, le dépôt de l’avis de demande de contrôle judiciaire ne constitue pas une demande préalable et, par conséquent, ce facteur du critère relatif à la délivrance d’une ordonnance de mandamus n’a pas été établi.

[111] De plus, même si une demande avait été faite, encore faut‑il savoir s’il y a eu refus. Un refus peut être exprès ou implicite. Un refus implicite peut découler, par exemple, d’un délai déraisonnable (Apotex). Dans la présente affaire, aucun élément de preuve n’indique qu’il y a eu un refus exprès et la question est donc de savoir si le délai est déraisonnable.

[112] Notre Cour a déjà conclu qu’un délai déraisonnable peut justifier une ordonnance de mandamus. Dans la décision Bhatnager, qui concernait une affaire d’immigration, notre Cour en est arrivée à la conclusion suivante :

4 La décision que doit rendre un agent des visas en vertu de l’article 6 du Règlement relativement à la délivrance d’un visa d’immigrant à un membre parrainé de la catégorie de la famille est de nature administrative, et la Cour ne saurait ordonner ce que cette décision devrait être. Mais un bref de mandamus peut être délivré pour exiger qu’une décision soit rendue. Normalement, il en est ainsi lorsqu’il y a eu refus exprès de rendre une décision, mais ce peut être également le cas lorsqu’on tarde beaucoup à rendre une décision sans donner d’explication suffisante. J’estime que telle est la situation en l’espèce. Les intimés ont, dans la preuve soumise en leur nom, mentionné des problèmes d’ordre général qu’ils rencontrent dans le traitement de ces demandes, particulièrement à New Delhi, mais ils n’ont donné aucune explication précise des délais considérables survenus dans cette affaire.

(Voir également Thomas c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 164 aux para 25‑27; Coderre au para 42, renvoyant à Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33 au para 23).

[113] En conséquence, les deux questions pertinentes sont celles de savoir si le délai est plus long que le délai normalement exigé et si le ministre a donné une explication satisfaisante au sujet du délai.

[114] À mon avis, lorsqu’une loi prescrit des délais à l’égard d’une mesure à prendre, le « délai nécessaire normalement exigé par la nature du processus » est déterminé par cette loi. Ainsi que l’a fait remarquer notre Cour dans la décision WCWC :

[101] Il est évident que Loi sur les espèces en péril fut édictée en raison du fait que certaines espèces sauvages au Canada étaient en péril. Comme le font remarquer les demandeurs, de nombreuses espèces sont dans une course contre la montre, puisque leur habitat essentiel subit une pression croissante, et, ultimement, c’est peut‑être leur survie qui est en jeu.

[102] Les délais fixés par la Loi reflètent la volonté clairement exprimée par le législateur que des programmes de rétablissement soient élaborés en temps opportun pour les espèces en péril, ce qui fait que l’on reconnaît qu’il y a effectivement urgence à cet égard. Le respect des délais prévus par la loi est essentiel à la mise en œuvre appropriée du plan conçu par le législateur pour la protection des espèces en péril.

[115] Dans la présente affaire, le législateur a décidé que le ministre compétent est tenu, au titre de l’article 37 et du paragraphe 42(1) de la LEP, de publier le projet de programme de rétablissement dans les deux ans suivant l’inscription d’une espèce sur la liste des espèces menacées. Le législateur estimait donc qu’une période de deux ans était suffisante pour la prise de cette mesure de protection. Comme l’a expliqué notre Cour dans la décision WCWC :

[67] Un examen du dossier dans les présentes affaires soulève un certain nombre de préoccupations. L’élaboration d’un projet de programme de rétablissement pour une espèce en péril est indubitablement un processus complexe impliquant la nécessité de réconcilier des exigences prévues par la loi et des priorités ministérielles qui sont contradictoires, ainsi que de consulter de multiples intervenants, d’autres niveaux de gouvernement et les Premières Nations. Le processus comporte également, pour les ministres, divers défis sur le plan administratif et implique une base de connaissances scientifiques qui évolue. On doit présumer, toutefois, que le législateur savait ce qu’il faisait lorsqu’il a créé les délais pour l’élaboration de projets de programme de rétablissement aux articles 42 et 132 de la LEP.

[...]

[102] Les délais fixés par la Loi reflètent la volonté clairement exprimée par le législateur que des programmes de rétablissement soient élaborés en temps opportun pour les espèces en péril, ce qui fait que l’on reconnaît qu’il y a effectivement urgence à cet égard. Le respect des délais prévus par la loi est essentiel à la mise en œuvre appropriée du plan conçu par le législateur pour la protection des espèces en péril.

[116] Dans la présente affaire, la période de deux ans a expiré le 2 novembre 2019. En conséquence, elle est plus longue que le délai normalement nécessaire.

[117] En ce qui a trait à une explication au sujet du délai, les défendeurs n’invoquent aucun élément de preuve expliquant pourquoi il a fallu près de quatre ans pour inscrire l’hirondelle de rivage sur la liste des espèces menacées. Lorsqu’elles ont comparu devant moi, les avocates des défendeurs ont soutenu que les défendeurs ne croyaient pas que cet élément était pertinent quant à la demande.

[118] Il ne fait aucun doute que c’est l’inscription de l’hirondelle de rivage sur la liste le 2 novembre 2017 – plutôt que la publication en 2013 de l’évaluation par le COSEPAC de l’hirondelle de rivage la désignant en tant qu’espèce menacée – qui a déclenché le compte à rebours de la période de deux ans pour la publication du programme de rétablissement proposé. Au titre de la LEP, une espèce menacée est une espèce sauvage susceptible de devenir une espèce en voie de disparition si rien n’est fait pour contrer les facteurs menaçant de la faire disparaître. L’objectif déclaré de la LEP est de prévenir la disparition, de la planète ou du Canada seulement, des espèces sauvages (c’est‑à‑dire une espèce sauvage qui n’existe plus à l’état sauvage au Canada, mais qui existe ailleurs à l’état sauvage), et d’assurer le rétablissement des espèces sauvages qui sont disparues du pays, en voie de disparition ou menacées par suite de l’activité humaine. Le fait d’avoir retardé de près de quatre ans l’inscription de l’hirondelle de rivage sur la Liste a eu pour effet de retarder le déclenchement de la période de deux ans pour la publication du programme de rétablissement. Étant donné que le COSEPAC a constaté que la population d’hirondelles de rivage a diminué de 98 % entre 1970 et 2011 et que les données de la période de 10 ans la plus récente (2002‑2011) montrent un taux de déclin annuel qui équivaut à une perte de 31 % de la population au cours des 10 dernières années, je conviens avec les demandeurs que ce délai de quatre ans fournit un contexte permettant d’évaluer le caractère raisonnable du délai de deux ans pour la publication du programme de rétablissement proposé.

[119] Les défendeurs soutiennent que le retard dans la publication d’un programme de rétablissement est justifié étant donné que le processus d’élaboration d’un programme de rétablissement est complexe et entraîne la consultation de multiples intervenants, y compris les provinces et les Premières Nations. Les défendeurs font remarquer que l’élaboration d’un programme de rétablissement pour l’hirondelle de rivage constitue un défi unique en raison de la vaste répartition de l’espèce et des difficultés scientifiques liées à la désignation de l’habitat essentiel. Par exemple, l’affidavit de M. Cyr indique qu’il existe une incertitude liée à l’établissement d’un objectif en matière de population pour l’hirondelle de rivage étant donné la taille de la population reproductrice présumément gonflée en raison de la disponibilité fortuite d’un habitat de nidification créé par l’humain. De plus, l’évaluation de l’habitat essentiel par rapport aux objectifs en matière de population à long terme présente d’autres difficultés. Cependant, en mars 2020, M. Cyr a mis au point une méthode permettant de prédire la taille d’une population reproductrice d’hirondelles de rivage sur la base d’une estimation de l’habitat de nidification constaté dans l’habitat essentiel. M. Cyr affirme que, selon lui, les données recueillies d’octobre 2017 à janvier 2020 ainsi que les renseignements supplémentaires fournis par le ministère de l’Environnement et des Parcs de l’Alberta en juillet 2020 constituent les meilleures données accessibles pour éclairer l’ébauche d’un programme de rétablissement par le SCF.

[120] L’affidavit de Mme Savoie décrit les mesures prises en vue de l’élaboration du programme de rétablissement depuis 2016, y compris diverses demandes de données, la création du groupe de travail plurigouvernemental sur le rétablissement des hirondelles et des téléconférences de ce groupe. Elle fait référence au travail de M. Cyr et mentionne les mêmes difficultés liées à l’élaboration du programme de rétablissement de l’hirondelle de rivage, indiquant que la définition de l’habitat essentiel a été le principal facteur limitatif dans l’élaboration du programme de rétablissement. Entre 2018 et 2020, diverses itérations de stratégies à l’égard de l’habitat essentiel ont été mises à l’essai, et des réponses à certaines questions devront être obtenues dans le cadre de discussions tenues avec des experts et au sein du SCF. Elle affirme que la consultation sur l’ébauche du programme de rétablissement devrait commencer pendant le premier trimestre de 2021 et que la version provisoire pourrait être publiée pour la période de commentaires publics de 60 jours au début du deuxième trimestre de 2021. Dans un deuxième affidavit, confirmé le 20 janvier 2021 [le deuxième affidavit de Mme Savoie], Mme Savoie fait « le point » sur les progrès réalisés par ECCC. Elle indique que le programme de rétablissement proposé devrait être publié dans le Registre public de la LEP au début de juin 2021 et, en supposant une période de consultation de 60 jours, que la version finale du programme de rétablissement devrait être publiée vers novembre 2021.

[121] Les défendeurs soulignent qu’étant donné que l’aire de répartition de l’hirondelle de rivage s’étend dans l’ensemble du Canada, il est nécessaire de recueillir une grande quantité de données et de mener des consultations auprès d’autres administrations et parties intéressées. Ce point a été abordé dans l’affaire WCWC, où la Cour s’est penchée sur la question de savoir si une certitude ou un consensus scientifique pouvait justifier le retard et a conclu, dans cette affaire, qu’il n’en était rien :

[68] Il semble que la mise dans le registre de projets de programme de rétablissement ait été retardée dans les présentes affaires, en partie, par suite d’un désir d’atteindre un consensus parmi les intervenants. C’est particulièrement le cas pour les espèces aquatiques relevant du ministre des Pêches et des Océans.

[69] Bien qu’il puisse être souhaitable d’en arriver à un consensus, il ne s’agit pas d’une exigence législative pour un programme de rétablissement. En réalité, l’article 39 de la LEP n’envisage qu’une collaboration avec les autres « [d]ans la mesure du possible ». Sous réserve des obligations constitutionnelles des ministres de consulter les Premières Nations, je conviens avec les demandeurs qu’il ne faudrait pas rechercher le consensus aux dépens des obligations légales imposées aux ministres.

[...]

[71] Dans la mesure où le fondement scientifique des projets de programme de rétablissement est concerné, je conviens avec les demandeurs que [traduction] « la perfection ne devrait pas devenir l’ennemie du bien » dans les présentes affaires. L’article 38 de la LEP (qui incorpore le « principe de précaution » dans la Loi) est très clair : « le manque de certitude scientifique ne doit pas être prétexte à retarder » l’élaboration d’un programme de rétablissement pour une espèce en péril.

[122] En conséquence, la possibilité qu’ECCC se heurte à certains problèmes dans l’examen de ces considérations — ce qui ne semblerait pas être une situation unique — ne suffit pas à justifier l’inobservation des délais prévus par la loi, surtout lorsque le programme de rétablissement peut être modifié (WCWC aux para 53, 74).

[123] Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 :

122 La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.

[124] Le délai en l’espèce n’est pas aussi extrême que le délai de six ans en cause dans la décision WCWC. Cependant, à mon avis, étant donné que le législateur a fixé un délai de deux ans pour la mise dans le registre de projets de programme de rétablissement à l’égard des espèces menacées, un retard de deux ans à s’exécuter demeure déraisonnable, d’autant plus qu’ECCC était au courant de la désignation de l’espèce menacée en 2013 et que l’objet de la LEP est de prévenir la disparition ou l’extinction des espèces menacées et de permettre le rétablissement des espèces en voie de disparition ou menacées.

[125] En ce qui a trait aux autres facteurs énoncés dans l’arrêt Apotex, il n’est pas contesté que l’obligation du ministre n’est pas discrétionnaire et que, par conséquent, ce facteur ne s’applique pas. Comme les demandeurs l’ont fait valoir à juste titre, aucun autre recours n’existe pour veiller à ce que le projet de programme de rétablissement relatif à l’hirondelle de rivage soit élaboré et mis dans le registre, et rien n’empêche l’obtention de la réparation demandée sur le plan de l’équité. Les défendeurs ne contestent pas ces arguments.

[126] Quant à la question de savoir si l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique, aucune des parties ne traite de ce facteur. Je souligne que le recours des demandeurs porte essentiellement sur la population d’hirondelles de rivage de la vallée de la rivière Rosebud. En fin de compte, le projet de programme de rétablissement ne définira peut‑être pas l’habitat essentiel dans ce secteur. Cependant, une ordonnance de mandamus aurait quand même une incidence sur le plan pratique, car elle obligerait le ministre à élaborer et à publier le programme de rétablissement – qui concerne l’ensemble de la population d’hirondelles de rivage et de l’habitat essentiel. À mon avis, la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

Conclusion

[127] Une ordonnance de mandamus peut obliger l’autorité publique à s’acquitter d’une obligation légale affirmative claire, mais seulement lorsque toutes les conditions énoncées dans l’arrêt Apotex sont respectées (Première Nation de Ahousaht c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2019 CF 1116 au para 73; voir également Humber Environmental Action Group c Canada, 2002 CFPI 421 au para 31).

[128] J’ai conclu ci‑haut que les demandeurs ne sont pas directement touchés par le défaut du ministre de mettre dans le registre un projet de programme de rétablissement dans le délai prescrit par la loi et qu’ils n’ont pas établi un intérêt véritable dans l’affaire. En conséquence, étant donné que les demandeurs n’ont pas satisfait aux principes applicables relatifs à la qualité pour agir, ils n’ont pas établi que le ministre avait une obligation envers eux. De plus, ils n’ont pas présenté de demande préalable au ministre. En conséquence, ils n’ont pas satisfait à ces deux éléments exigés du critère de l’arrêt Apotex et leur demande d’ordonnance de mandamus ne peut être accueillie.

[129] Je soulignerais toutefois que, même si les demandeurs avaient satisfait au critère, selon la preuve produite par les défendeurs, les travaux relatifs au projet de programme de rétablissement se poursuivent et le projet devrait être publié en juin 2021. En conséquence, j’aurais restreint l’ordonnance de mandamus de façon que le ministre soit tenu de mettre le projet de programme de rétablissement dans le registre avant le 30 juin 2021. On présume que le ministre veillera maintenant à ce que le projet de programme de rétablissement à l’égard de l’hirondelle de rivage soit mis dans le registre au plus tard le 30 juin 2021 et à ce que les autres mesures du processus que la loi prévoit pour protéger cette espèce menacée soient prises sans délai supplémentaire.

Les dépens

[130] Bien que les demandeurs n’aient pas obtenu la réparation qu’ils ont sollicitée, étant donné que le ministre a tardé déraisonnablement à publier le projet de programme de rétablissement, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales et je refuse d’accorder des dépens à l’une ou l’autre des parties.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑716‑20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune ordonnance n’est rendue au sujet des dépens.

«  Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes
ANNEXE A

Loi sur les espèces en péril

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

plan d’action Plan d’action mis dans le registre en application du paragraphe 50(3), y compris ses modifications qui sont mises dans celui‑ci en application de l’article 52. (action plan)

[...]

habitat essentiel L’habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement d’une espèce sauvage inscrite, qui est désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d’action élaboré à l’égard de l’espèce. (critical habitat)

[...]

programme de rétablissement Programme de rétablissement mis dans le registre en application du paragraphe 43(2), y compris ses modifications qui sont mises dans celui‑ci en application de l’article 45. (recovery strategy)

[...]

espèce en péril Espèce sauvage disparue du pays, en voie de disparition, menacée ou préoccupante. (species at risk)

 

[...]

espèce menacée Espèce sauvage susceptible de devenir une espèce en voie de disparition si rien n’est fait pour contrer les facteurs menaçant de la faire disparaître. (threatened species)

[...]

Objet

6 La présente loi vise à prévenir la disparition — de la planète ou du Canada seulement — des espèces sauvages, à permettre le rétablissement de celles qui, par suite de l’activité humaine, sont devenues des espèces disparues du pays, en voie de disparition ou menacées et à favoriser la gestion des espèces préoccupantes pour éviter qu’elles ne deviennent des espèces en voie de disparition ou menacées.

Modification de la liste

27 (1) Sur recommandation du ministre, le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier la liste conformément aux paragraphes (1.1) et (1.2) soit par l’inscription d’une espèce sauvage, soit par la reclassification ou la radiation d’une espèce sauvage inscrite et le ministre peut, par arrêté, modifier la liste conformément au paragraphe (3) de la même façon.

Gouverneur en conseil

(1.1) Sous réserve du paragraphe (3), dans les neuf mois suivant la réception de l’évaluation de la situation d’une espèce faite par le COSEPAC, le gouverneur en conseil peut examiner l’évaluation et, sur recommandation du ministre :

a) confirmer l’évaluation et inscrire l’espèce sur la liste;

b) décider de ne pas inscrire l’espèce sur la liste;

c) renvoyer la question au COSEPAC pour renseignements supplémentaires ou pour réexamen.

Ministre

(1.2) Si le gouverneur en conseil prend des mesures en application des alinéas (1.1)b) ou c), le ministre est tenu, avec l’agrément du gouverneur en conseil, de mettre dans le registre une déclaration énonçant les motifs de la prise des mesures.

Conditions préalables à la recommandation

(2) Avant de faire une recommandation à l’égard d’une espèce sauvage ou d’une espèce en péril, le ministre :

a) prend en compte l’évaluation de la situation de l’espèce faite par le COSEPAC;

b) consulte tout ministre compétent;

c) si l’espèce se trouve dans une aire à l’égard de laquelle un conseil de gestion des ressources fauniques est habilité par un accord sur des revendications territoriales à exercer des attributions à l’égard d’espèces sauvages, consulte le conseil.

Modification de la liste

(3) Si, dans les neuf mois après avoir reçu l’évaluation de la situation de l’espèce faite par le COSEPAC, le gouverneur en conseil n’a pas pris de mesures aux termes du paragraphe (1.1), le ministre modifie, par arrêté, la liste en conformité avec cette évaluation.

Programme de rétablissement

Élaboration

37 (1) Si une espèce sauvage est inscrite comme espèce disparue du pays, en voie de disparition ou menacée, le ministre compétent est tenu d’élaborer un programme de rétablissement à son égard.

Rétablissement réalisable

41 (1) Si le ministre compétent conclut que le rétablissement de l’espèce sauvage inscrite est réalisable, le programme de rétablissement doit traiter des menaces à la survie de l’espèce — notamment de toute perte de son habitat — précisées par le COSEPAC et doit comporter notamment :

a) une description de l’espèce et de ses besoins qui soit compatible avec les renseignements fournis par le COSEPAC;

b) une désignation des menaces à la survie de l’espèce et des menaces à son habitat qui soit compatible avec les renseignements fournis par le COSEPAC, et des grandes lignes du plan à suivre pour y faire face;

c) la désignation de l’habitat essentiel de l’espèce dans la mesure du possible, en se fondant sur la meilleure information accessible, notamment les informations fournies par le COSEPAC, et des exemples d’activités susceptibles d’entraîner sa destruction;

c.1) un calendrier des études visant à désigner l’habitat essentiel lorsque l’information accessible est insuffisante;

d) un énoncé des objectifs en matière de population et de dissémination visant à favoriser la survie et le rétablissement de l’espèce, ainsi qu’une description générale des activités de recherche et de gestion nécessaires à l’atteinte de ces objectifs;

e) tout autre élément prévu par règlement;

f) un énoncé sur l’opportunité de fournir des renseignements supplémentaires concernant l’espèce;

g) un exposé de l’échéancier prévu pour l’élaboration d’un ou de plusieurs plans d’action relatifs au programme de rétablissement.

Projet de programme de rétablissement

42 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre compétent met le projet de programme de rétablissement dans le registre dans l’année suivant l’inscription de l’espèce sauvage comme espèce en voie de disparition ou dans les deux ans suivant l’inscription de telle espèce comme espèce menacée ou disparue du pays.

Liste des espèces en péril originale

(2) En ce qui concerne les espèces sauvages inscrites à l’annexe 1 à l’entrée en vigueur de l’article 27, le ministre compétent met le projet de programme de rétablissement dans le registre dans les trois ans suivant cette date dans le cas de l’espèce sauvage inscrite comme espèce en voie de disparition ou dans les quatre ans suivant cette date dans le cas de l’espèce sauvage inscrite comme espèce menacée ou disparue du pays.

Observations

43 (1) Dans les soixante jours suivant la mise du projet dans le registre, toute personne peut déposer par écrit auprès du ministre compétent des observations relativement au projet.

Texte définitif du programme de rétablissement

(2) Dans les trente jours suivant la fin du délai prévu au paragraphe (1), le ministre compétent étudie les observations qui lui ont été présentées, apporte au projet les modifications qu’il estime indiquées et met le texte définitif du programme de rétablissement dans le registre.

Plans existants

44 (1) Si le ministre compétent estime qu’un plan existant s’applique à l’égard d’une espèce sauvage et est conforme aux exigences des paragraphes 41(1) ou (2), et qu’il l’adopte à titre de projet de programme de rétablissement, il en met une copie dans le registre pour tenir lieu de projet de programme de rétablissement de l’espèce.

Plan d’action

Élaboration

47 Le ministre compétent responsable d’un programme de rétablissement est tenu d’élaborer un ou plusieurs plans d’action sur le fondement de celui‑ci. Si plusieurs ministres compétents sont responsables du programme, les plans d’action peuvent être élaborés conjointement par eux.

Contenu du plan d’action

49 (1) Le plan d’action comporte notamment, en ce qui concerne l’aire à laquelle il s’applique :

a) la désignation de l’habitat essentiel de l’espèce dans la mesure du possible, en se fondant sur la meilleure information accessible et d’une façon compatible avec le programme de rétablissement, et des exemples d’activités susceptibles d’entraîner sa destruction;

b) un exposé des mesures envisagées pour protéger l’habitat essentiel de l’espèce, notamment la conclusion d’accords en application de l’article 11;

c) la désignation de toute partie de l’habitat essentiel de l’espèce qui n’est pas protégée;

d) un exposé des mesures à prendre pour mettre en œuvre le programme de rétablissement, notamment celles qui traitent des menaces à la survie de l’espèce et celles qui aident à atteindre les objectifs en matière de population et de dissémination, ainsi qu’une indication du moment prévu pour leur exécution;

d.1) les méthodes à utiliser pour surveiller le rétablissement de l’espèce et sa viabilité à long terme;

e) l’évaluation des répercussions socioéconomiques de sa mise en œuvre et des avantages en découlant;

f) tout autre élément prévu par règlement.

Projet de plan d’action

50 (1) Le ministre compétent met le projet de plan d’action dans le registre.

Observations

(2) Dans les soixante jours suivant la mise du projet dans le registre, toute personne peut déposer par écrit auprès du ministre compétent des observations relativement au projet.

Texte définitif du plan d’action

(3) Dans les trente jours suivant la fin du délai prévu au paragraphe (2), le ministre compétent étudie les observations qui lui ont été présentées, apporte au projet les modifications qu’il estime indiquées et met le texte définitif du plan d’action dans le registre.

Sommaire en cas de retard

(4) Si le plan d’action n’est pas terminé dans le délai prévu par le programme de rétablissement, le ministre compétent est tenu de mettre dans le registre un sommaire des éléments du plan qui sont élaborés.

Objet

57 L’article 58 a pour objet de faire en sorte que, dans les cent quatre‑vingts jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel visé au paragraphe 58(1), tout l’habitat essentiel soit protégé :

a) soit par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11;

b) soit par l’application du paragraphe 58(1).

Destruction de l’habitat essentiel

58 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, il est interdit de détruire un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite comme espèce en voie de disparition ou menacée — ou comme espèce disparue du pays dont un programme de rétablissement a recommandé la réinsertion à l’état sauvage au Canada :

a) si l’habitat essentiel se trouve soit sur le territoire domanial, soit dans la zone économique exclusive ou sur le plateau continental du Canada;

b) si l’espèce inscrite est une espèce aquatique;

c) si l’espèce inscrite est une espèce d’oiseau migrateur protégée par la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.

Zone de protection

(2) Si l’habitat essentiel ou une partie de celui‑ci se trouve dans un parc national du Canada dénommé et décrit à l’annexe 1 de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, le parc urbain national de la Rouge, créé par la Loi sur le parc urbain national de la Rouge, une zone de protection marine sous le régime de la Loi sur les océans, un refuge d’oiseaux migrateurs sous le régime de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs ou une réserve nationale de la faune sous le régime de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, le ministre compétent est tenu, dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel, de publier dans la Gazette du Canada une description de l’habitat essentiel ou de la partie de celui‑ci qui se trouve dans le parc, la zone, le refuge ou la réserve.

Application

(3) Le paragraphe (1) s’applique à l’habitat essentiel ou à la partie de celui‑ci visés au paragraphe (2) après les quatre‑vingt‑dix jours suivant la publication de sa description dans la Gazette du Canada en application de ce paragraphe.

Application

(4) Le paragraphe (1) s’applique à l’habitat essentiel ou à la partie de celui‑ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2), selon ce que précise un arrêté pris par le ministre compétent.

Obligation : arrêté ou déclaration

(5) Dans les cent quatre‑vingts jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel, le ministre compétent est tenu, après consultation de tout autre ministre compétent, à l’égard de l’habitat essentiel ou de la partie de celui‑ci qui ne se trouve pas dans un lieu visé au paragraphe (2) :

a) de prendre l’arrêté visé au paragraphe (4), si l’habitat essentiel ou la partie de celui‑ci ne sont pas protégés légalement par des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ou une mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11;

b) s’il ne prend pas l’arrêté, de mettre dans le registre une déclaration énonçant comment l’habitat essentiel ou la partie de celui‑ci sont protégés légalement.

Habitat d’oiseaux migrateurs

(5.1) Par dérogation au paragraphe (4), en ce qui concerne l’habitat essentiel d’une espèce d’oiseaux migrateurs protégée par la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs situé hors du territoire domanial, de la zone économique exclusive ou du plateau continental du Canada ou d’un refuge d’oiseaux migrateurs visé au paragraphe (2), le paragraphe (1) ne s’applique qu’aux parties de cet habitat essentiel — constituées de tout ou partie de l’habitat auquel cette loi s’applique — précisées par le gouverneur en conseil par décret pris sur recommandation du ministre compétent.

Obligation : recommandation ou déclaration

(5.2) Dans les cent quatre‑vingts jours suivant la mise dans le registre du programme de rétablissement ou du plan d’action ayant défini l’habitat essentiel qui comporte tout ou partie de l’habitat auquel la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs s’applique, le ministre compétent est tenu, après consultation de tout autre ministre compétent :

a) de faire la recommandation si, à son avis, aucune disposition de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, ni aucune mesure prise sous leur régime, notamment les accords conclus au titre de l’article 11, ne protège légalement toute partie de l’habitat auquel cette loi s’applique;

b) s’il ne fait pas la recommandation, de mettre dans le registre une déclaration énonçant comment est protégé légalement tout ou partie de l’habitat essentiel constitué de tout ou partie de l’habitat auquel cette loi s’applique.

Consultation

(6) Si le ministre compétent estime que l’arrêté visé au paragraphe (4) ou le décret visé au paragraphe (5.1) touchera des terres dans un territoire qui ne relèvent pas du ministre ou de l’Agence Parcs Canada, il est tenu de consulter le ministre territorial avant de prendre l’arrêté au titre du paragraphe (4) ou de faire la recommandation au titre du paragraphe (5.2).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑716‑20

 

INTITULÉ :

LINDA SKIBSTED, RICK SKIBSTED, SPRUCE COULEE FARMS LTD., RICHARD CLARK, WENDY CLARK, HALF‑DIAMOND HC LIMITED, SAMANTHA ANDERSEN et H&A ANDERSEN FARMS LTD. c CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE) ET CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) ET BADLANDS RECREATION DEVELOPMENT CORP.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À L’AIDE DE Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE Le 26 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

MADAME LA juge STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Richard E. Harrison

pour les demandeurs

 

Cynthia J. Dickins

Deborah Babiuk‑Gibson

pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilson Laycraft

Avocats

Calgary (Alberta)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

 

pour les défendeurs

 

Brander Law

Calgary (Alberta)

pour l’intervenante

 

 

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