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Date : 20010620

Dossier : IMM-3546-00

Référence neutre : 2001 CFPI 680

ENTRE :

KOSZEGI ELEMER et KOSZEGI ELEMER LAJOSNE

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L' IMMIGRATION

défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section du statut de réfugié (SSR), refusant aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention tel que ce terme est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l' Immigration.[1] La décision du SSR est datée du 10 mai 2000.


[2]                 Les demandeurs sont mari et femme, lui au début de la cinquantaine et elle dans la quarantaine avancée. Ce sont des citoyens hongrois d'origine ethnique rome. Leur demande de statut de réfugiés au sens de la Convention est fondée sur la crainte, qu'ils allèguent être fondée, d'être persécutés en raison de leur origine ethnique rome s'ils doivent retourner en Hongrie.

[3]                 Dans la portion récit de son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur fait brièvement état d'une vie marquée par l'intimidation, la discrimination, et l'humiliation et ayant comme point culminant trois attaques violentes perpétrées à l'intérieur d'une période relativement courte. La première attaque a été commise au printemps de 1997 et visait les deux demandeurs. Le demandeur a été battu, jeté par terre a reçu des coups de pied. La demanderesse a été saisie par les cheveux et poussée par terre. La deuxième attaque s'est produite au mois d'août 1998. Le demandeur a reçu des coups de poing, a été jeté par terre et a encore une fois reçu des coups de pied. Lors de cet incident, le demandeur a eu le nez et une côte cassés. Le troisième incident s'est produit en janvier 1999 lorsque le demandeur a été attaqué de nouveau. Cette fois, il a eu une cheville cassée.


[4]                 Les demandeurs ont tenté de rapporter le premier incident à la police mais ils ont été repoussés sans formalités. En ce qui concerne la deuxième attaque, lorsque le demandeur a fait appel à la police, il a été accusé d'être en état d'ébriété et a été repoussé encore une fois. Le médecin traitant qui a soigné les blessures du demandeur a soumis un rapport concernant l'incident à la police. Il semble qu'une certaine enquête ait été faite. Environ un mois après l'incident, le demandeur a été appelé au poste de police et on lui a demandé d'identifier ses agresseurs à même un groupe de personnes présentes. Les agresseurs du demandeur ne se trouvaient pas parmi ce groupe de personnes.

[5]                 Le troisième incident n'a pas été rapporté à la police. Le demandeur, lors de son témoignage, a affirmé avoir perdu espoir d'obtenir satisfaction de la part de la police ou d'obtenir sa protection.

[6]                 La demanderesse a fait sienne la portion récit du Formulaire de renseignements personnels du demandeur.

[7]                 Dans ses motifs, la SSR n'a soulevé aucune inquiétude quant à la crédibilité en ce qui a trait à la portion récit du Formulaire de renseignements personnels et au témoignage oral qui lui a été présenté. La SSR n'a tiré aucune conclusion concernant la crainte subjective des demandeurs mais a conclu, de façon implicite, que leur crainte n'avait pas de fondement objectif puisque l'on peut présumer qu'il existe en Hongrie une protection effective de l'État.

[8]                 Dans une analyse très brève, la SSR s'exprime comme suit :


Ce serait négligence de ma part de ne pas reconnaître que la discrimination sociale contre les Roms s'exerce toujours de toutes parts en Hongrie; toutefois, dans les circonstances de la présente revendication, je suis d'avis que les revendicateurs n'ont pas présenté une preuve évidente et convaincante de l'incapacité de l'État de les protéger, s'ils devaient retourner en Hongrie.

J'en arrive à la conclusion que les revendicateurs ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve pour établir qu'ils avaient cherché la protection de l'État par l'intermédiaire de la police ou de toute autre institution de l'État en Hongrie, et que cette protection leur avait été refusée, exception faite de l'incident de 1997, lorsque la police a mis les revendicateurs à la porte de façon cynique. La documentation donne la preuve manifeste que l'État n'entend plus tolérer le traitement discriminatoire infligé aux minorités par les agents des forces de l'ordre- à savoir la police- et que l'État prend des mesures efficaces pour punir et tenir responsables les personnes qui font de la discrimination contre la minorité rome.

En ce qui concerne l'agent de persécution, et le plaçant dans son propre contexte en Hongrie, les trois incidents concerneraient des agressions commises par des skinheads. La preuve documentaire révèle que l'activité des skinheads a connu une baisse spectaculaire. On pense généralement qu'elle ne représenterait plus que 2 ou 3 p. 100 de ce qu'elle était au début des années 1990.

La preuve documentaire révèle également, à la satisfaction du tribunal, que le gouvernement de Hongrie a démontré, à la fois dans la loi et dans la pratique, sa capacité de fournir une protection adéquate à la minorité rome. Le gouvernement de Hongrie n'ignore pas les problèmes qui touchent les Roms et les autres minorités ethniques. Au contraire, il a adopté des lois et créé des structures et des programmes visant à remédier à la situation. Les documents démontrent clairement, bien que la situation ne soit pas parfaite, que l'État consent des efforts importants pour protéger les minorités ethniques et améliorer leurs conditions de vie.

[9]    L'allusion faite par la SSR à « ...une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection... » est tirée de l'arrêt de la Cour Suprême du Canada Canada (Procureur général) c. Ward[2] où le juge La Forest, au nom de la Cour, s'exprime comme suit aux pages 724 et 725 :

... il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[non souligné dans l'original]

[10]                         Dans la présente affaire, la preuve tend à démontrer un manque de volonté ou une incapacité de la part de l'État, par l'intermédiaire de sa police, d'offrir une protection effective aux demandeurs. La crédibilité de cette preuve n'a pas été remise en question. Néanmoins, comme le démontre l'extrait précité des motifs de la SSR, celle-ci a cru bon de prévilégier une preuve documentaire en sens contraire à laquelle elle n'a renvoyé qu'en des termes plus généraux, sans notes en bas de page qui auraient permis au lecteur des motifs de la SSR de vérifier les références et sans référence aucune à des preuves documentaires compatibles avec les expériences des demandeurs, à l'exception d'une référence à la « discrimination » sociale envers les Roms en Hongrie.


[11]            La SSR a admis que la réaction de la police suite au premier incident de violence impliquant les demandeurs était « absolument dégoûtante et témoigne, selon moi, de leur insensibilité et de leur intolérance raciale » . Le traitement accordé au demandeur lorsqu'il a rapporté le deuxième incident n'était guère mieux. Comme nous l'avons déjà mentionné, la police l'a accusé d'être en état d'ébriété. Il semble que ce soit uniquement après réception d'un certificat médical faisant état des blessures du demandeur que la police ait entrepris une enquête. Cette enquête s'est avérée inutile.

[12]            En ce qui concerne le troisième incident, la SSR a commenté de manière négative l'omission du demandeur de le rapporter à la police. Elle mentionne : « Les revendicateurs avaient une obligation de demander protection ou réparation » . Lors de deux incidents précédents, ils avaient été humiliés par la police. Lors du premier incident, aucun rapport n'a été fait. Lors du deuxième incident, il semble que la police ait pris la plainte du demandeur au sérieux uniquement lorsqu'une preuve médicale a été fournie. La question de savoir combien de fois les demandeurs devaient être agressés et ensuite subir des affronts de la part de la police n'a pas été examinée. Les demandeurs ont choisi de prendre l'affaire en main, et, peu de temps après le troisième incident, ils sont partis pour le Canada.

[13]            Bien que la SSR ait bien pu avoir la lattitude voulue pour arriver à cette décision définitive, je suis d'avis que l'analyse qu'elle fournit à l'appui de sa conclusion est nettement insuffisante; à défaut d'une analyse plus convaincante, il en résulte une mauvaise conclusion, et, bien que cette conclusion soit fondée sur l'ensemble de la preuve, la SSR a choisi d'en ignorer une grande partie ou elle l'a simplement mal interprétée.


[14]            En définitive, cette demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SSR sous examen sera annulée et la demande de statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin d'être entendue et jugée à nouveau par un tribunal différemment constitué.

[15]            Ni l'un ni l'autre des avocats n'a demandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

                                                                                                      J.C.F.C.                       

Le 20 juin 2001

Toronto (Ontario)

Traduction certifiée conforme,

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                              IMM-3546-00

INTITULÉ :                                             KOSZEGI ELEMER et KOSZEGI ELEMER LAJOSNE

demandeurs

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                              L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE LUNDI 18 JUIN 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :              LE MERCREDI 20 JUIN 2001

COMPARUTIONS :              Mme Elizabeth Jaszi

pour les demandeurs

M. Jamie Todd

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU

DOSSIER :                                           Barrister & Solicitor

1267 A avenue St. Clair Ouest

Unité #1

Toronto (Ontario)

M6E 1B8

                         pour les demandeurs                               

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                             Date : 20010620

                                                                                              Dossier : IMM-3546-00

Entre :

KOSZEGI ELEMER et KOSZEGI ELEMER LAJOSNE

demandeurs

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L' IMMIGRATION

défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                   


Date : 20010620

                      Dossier : IMM-3546-00

Toronto (Ontario), le mercredi 20 juin 2001

EN PRÉSENCE DE : M. le juge Gibson

ENTRE :

KOSZEGI ELEMER et KOSZEGI ELEMER LAJOSNE

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L' IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

Cette demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié refusant aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention est accueillie. La décision sous examen est annulée et la demande de statut de réfugié au sens de la convention des demandeurs est renvoyée à la


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Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin d'être entendue et jugée à nouveau par un tribunal différemment constitué.

Il n'y a pas de question certifiée.

« Frederick E. Gibson »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.



[1]            L.R..C. (1985), ch. I-2.

[2]              [1993] 2 RC.S. 689.

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