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Date : 20210503

Dossier : T‑1517‑18

Référence : 2021 CF 394

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2021

En présence de monsieur le juge Lafrenière

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

DORA BERENGUER

demanderesse

et

SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Deux requêtes sont présentées à la Cour. Dans la première, Dora Berenguer [la demanderesse] demande, conformément au paragraphe 334.12(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], d’autoriser l’action sous‑jacente, visant à obtenir une indemnisation pour des vols retardés, contre SATA Internacional – Azores Airlines, SA [la défenderesse ou SATA], en tant que recours collectif et pour la nommer comme représentante des passagers touchés. La deuxième requête est présentée par la défenderesse en vue d’obtenir une ordonnance radiant la déclaration modifiée, sans autorisation de la modifier, et rejetant la procédure au motif que les actes de procédure ne révèlent pas une cause d’action valable.

I. Aperçu

[2] Je donne ci‑dessous un aperçu du présent litige afin de mettre en contexte l’analyse qui suit.

[3] La demanderesse est une résidente de l’Alberta. Elle a entamé le recours collectif envisagé au moyen d’une déclaration déposée le 14 août 2018.

[4] La défenderesse est une société constituée en vertu des lois du Portugal, dont l’établissement principal est situé au Portugal. Elle fonctionne comme une compagnie aérienne commerciale qui offre des vols à destination et en provenance de diverses villes canadiennes.

[5] La demande d’indemnisation a d’abord été déposée contre une deuxième compagnie aérienne commerciale, WOW Air ehf, mais elle a été abandonnée après que l’entreprise a cessé ses activités en mars 2019.

[6] La réclamation de la demanderesse, modifiée le 14 janvier 2019, porte sur le défaut de la défenderesse de verser une indemnité, conformément au règlement de l’Union européenne (CE) no 261/2004 [règlement UE 261], aux passagers qui ont subi des retards sur des vols exploités par la défenderesse à destination ou en provenance du Canada et qui sont arrivés à destination plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue. Le règlement UE 261 est une mesure de protection des consommateurs adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne en 2004 qui établit des règles communes sur l’indemnisation et l’assistance aux passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de longs retards de vols.

[7] La demanderesse sollicite un jugement déclaratoire portant que la défenderesse a enfreint les modalités expresses ou implicites de son contrat de transport qui l’obligent à verser une indemnité en espèces conformément au règlement UE 261 ainsi qu’une ordonnance enjoignant à la défenderesse de verser une indemnité à chaque membre du recours collectif.

[8] La demanderesse définit le groupe envisagé comme suit :

[traduction]

La présente action est intentée au nom des membres d’un groupe composé de la demanderesse et de quiconque, partout dans le monde, qui, à partir du 14 août 2012, a voyagé à bord d’un aéronef (ou de deux aéronefs, dans le cas de vols avec correspondances) exploité par la défenderesse (y compris les aéronefs dont la défenderesse conserve le contrôle commercial) à destination ou en provenance du Canada et arrivé à la destination finale plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue, mais à l’exclusion de quiconque a déjà reçu une indemnisation totale en espèces de la défenderesse respective conformément au règlement UE 261/2004.

II. Contexte factuel

[9] Les requêtes des parties ont été débattues ensemble, car bon nombre des questions se chevauchaient et étaient en grande partie interreliées : Berenguer c WOW Air ehf, 2019 CF 407.

[10] La requête de la défenderesse soulève une question de compétence. La défenderesse soutient que la Cour n’a pas compétence pour instruire l’action, qu’elle soit considérée comme une demande de réparation directement en vertu du règlement UE 261 ou une demande de réparation fondée sur un manquement à une obligation contractuelle, puisqu’il est évident que la réparation sollicitée n’est pas demandée « sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit » comme l’exige l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [LCF].

[11] Pour sa part, la demanderesse soutient que l’objection au sujet de la compétence repose sur une interprétation erronée du fondement de sa demande. Selon elle, il existe un solide argument selon lequel la demande est reconnue, créée ou déterminée dans une certaine mesure par le droit fédéral et, par conséquent, l’objection au sujet de la compétence devrait être rejetée à cette étape préliminaire. La demanderesse ajoute que le critère énoncé à l’alinéa 334.16(1)a) des Règles a été respecté. Elle affirme qu’à la lecture simple de la déclaration modifiée, il existe une cause d’action défendable selon laquelle la défenderesse a, expressément ou implicitement, convenu contractuellement d’appliquer le règlement UE 261.

[12] Pour décider si une cause d’action valable est divulguée, la Cour doit présumer que les faits allégués sont avérés, sauf s’il est manifestement impossible de les prouver : Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441 à la p 455.

[13] Les allégations simples et les déclarations juridiques catégoriques fondées sur des suppositions ne sont pas des faits substantiels; il est impossible de les prouver et, par conséquent, elles ne sont pas présumées être véridiques aux fins d’une requête fondée sur l’alinéa 221(1)a) ou l’alinéa 334.16(1)a) des Règles.

[14] L’article 174 des Règles exige que tout acte de procédure contienne « un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde ». Toutefois, les actes de procédure de la demanderesse sont truffés de déclarations catégoriques par lesquelles elle allègue l’existence d’une cause d’action comme s’il s’agissait d’un fait substantiel ou elle fournit des opinions et des hypothèques comme s’il s’agissait de faits substantiels prouvés. Sa déclaration ressemble davantage à un mémoire.

[15] Voici des exemples d’allégations catégoriques et argumentatives contenues dans la déclaration modifiée :

[TRADUCTION]

18. Chacune des défenderesses a incorporé le règlement UE 261/2004 dans ses contrats de transport respectifs pour les vols de passagers à destination et en provenance du Canada et a convenu contractuellement d’appliquer le règlement UE 261/2004 en cas de longs retards de vol.

21. L’application du règlement UE 261/2004 ne peut être levée, limitée ou annulée par contrat, comme le prévoit l’article 15 – Irrecevabilité des dérogations au règlement UE 261/2004 :

1. Les obligations envers les passagers aux termes du présent règlement ne peuvent être limitées ou levées, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport.

2. Si toutefois une telle dérogation ou une telle clause restrictive est appliquée à l’égard d’un passager, ou si un passager n’est pas dûment informé de ses droits et accepte, par conséquent, une indemnisation inférieure à celle prévue par le présent règlement, ce passager a le droit d’entreprendre les démarches nécessaires auprès des tribunaux ou des organismes compétents en vue d’obtenir une indemnisation complémentaire.

22.1 Le règlement UE 261/2004, même sans recourir aux principes de constitution en personne morale en vertu du droit contractuel, s’applique à chacune des défenderesses étant donné que le règlement UE 261/2004 a été adopté (ou étendu) dans les lois de chacun des pays respectifs des défenderesses.

22.2. Étant donné que le règlement UE 261/2004 s’applique à chacune des défenderesses (pour tous les vols, quel que soit le point de départ de leurs vols), et que le règlement UE 261/2004 prévoit expressément que, selon la loi, les droits prévus au règlement UE 261/2004 ne peuvent être exclus ou limités, toute tentative faite par une défenderesse (comme WOW Air) en vue d’exclure dans son contrat de transport certaines parties de la protection du règlement UE 261/2004 est nulle ou autrement inapplicable […].

III. La Convention de Montréal renforce l’application contractuelle du règlement UE 261/2004

23. La Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (aussi connue sous le nom de Convention de Montréal) est un traité international portant sur la responsabilité des compagnies aériennes à l’égard du transport aérien international qui est incorporé au droit canadien en vertu de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C‑26.

24. L’article 27 de la Convention de Montréal réitère le principe de la liberté contractuelle et prévoit que les compagnies aériennes peuvent conclure un contrat de transport qui dépasse les exigences minimales de la Convention de Montréal.

25. En incorporant volontairement le règlement UE 261/2004 dans leurs propres contrats de transport, les défenderesses ont convenu contractuellement d’appliquer le règlement UE 261/2004, comme le permet l’article 27 de la Convention de Montréal.

IV. Interprétation du règlement UE 261/2004

26. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le plus haut tribunal de l’Union européenne pour toutes les questions relevant du droit de cette union, y compris le règlement UE 261/2004, a donné des précisions sur l’interprétation du règlement UE 261/2004 dans un certain nombre de décisions. Les décisions de la CJUE sont des interprétations contraignantes du droit de l’UE.

27. Le montant de l’indemnité pécuniaire que chaque passager doit recevoir en vertu de l’article 7 du règlement UE 261/2004 est mesuré par le délai entre l’heure d’arrivée prévue du passager à la « destination finale » et le moment où la porte de l’aéronef en question est ouverte pour le débarquement à la « destination finale » :

a. Retard de trois à quatre heures : 300 euros à chaque membre du recours collectif.

b. Retard de plus de quatre heures : 600 euros à chaque membre du recours collectif.

28. La CJUE a confirmé que l’heure d’arrivée pour les besoins du règlement UE 261/2004 n’était pas le moment où l’avion s’est posé, mais plutôt le moment où la première porte de l’avion a été ouverte (Germanwings GmbH c Ronny Henning [C‑452/13]).

29. Dans le cas de deux vols avec correspondances, la « destination finale » d’un passager est la destination du dernier vol, conformément à l’alinéa 2h) du règlement UE 261/2004 (Air France c Folkerts [C‑11/11]), interprétation récemment reconfirmée par la Cour d’appel de l’Angleterre et du Pays de Galles (Gahan v Emirates [2017] EWCA Civ 1530).

30. La CJUE a confirmé que l’indemnité pécuniaire normalisée prévue à l’article 7 du règlement UE 261/2004 s’applique aux vols qui sont retardés de plus de trois heures parce que de longs retards de plus de trois heures équivalent à une « annulation » :

Sturgeon c Condor, et Bock c Air France (C‑402/07 et C‑432/07) – 19 novembre 2009

2. Les articles 5, 6 et 7 du règlement n° 261/2004 doivent être interprétés comme indiquant que les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l’application du droit à une indemnisation et qu’ils peuvent donc invoquer le droit à une indemnisation prévu à l’article 7 de ce règlement lorsqu’ils subissent, en raison d’un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est‑à‑dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien. Cependant, un tel retard ne donne pas aux passagers le droit de recevoir une indemnisation si le transporteur aérien est en mesure de prouver que le retard important est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, à savoir des circonstances hors de son contrôle.

Nelson c Deutsche Lufthansa AG et R (TUI Travel, British Airways, easyJet et IATA) c Civil Aviation Authority (2012) C‑581/10 et C‑629/10

1. Les articles 5 à 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, doivent être interprétés comme indiquant que les passagers de vols retardés disposent du droit à une indemnisation en vertu de ce règlement lorsqu’ils subissent, en raison de tels vols, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c’est‑à‑dire lorsqu’ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l’heure d’arrivée initialement prévue par le transporteur aérien. Cependant, un tel retard ne donne pas aux passagers le droit de recevoir une indemnisation si le transporteur aérien est en mesure de prouver que le retard important est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, à savoir des circonstances hors de son contrôle.

31. Les compagnies aériennes défenderesses peuvent éviter de verser une indemnisation seulement si les défenderesses elles‑mêmes peuvent établir que le retard du vol en question était attribuable à des « circonstances extraordinaires ». Il incombe aux défenderesses de prouver les « circonstances extraordinaires », comme le prévoit le paragraphe 5(3) du règlement UE 261/2004 :

3. Le transporteur aérien n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

32. Les « circonstances extraordinaires » ne comprennent pas les problèmes techniques qui sont mis au jour lors de la maintenance d’un aéronef ou en raison d’un défaut d’effectuer cette maintenance (Wallentin‑Hermann c. Alitalia‑Linee Aeree ltaliane SpA [Affaire C‑549/07]).

32.1. De plus, une interruption de travail (c.‑à‑d. une grève) ne constitue pas automatiquement une « circonstance extraordinaire », et la compagnie aérienne demeure responsable d’établir l’existence de telles circonstances au cas par cas (Krüsemann c. TUlfly GmbH [Affaire C‑195/17]).

33. Les dispositions expresses du règlement UE 261/2004 n’exigent pas qu’un membre du recours collectif fasse une demande directement auprès d’une compagnie aérienne défenderesse ou dépose une plainte auprès des organismes de réglementation de l’aviation avant d’avoir droit à une indemnisation en espèces.

[…]

49. L’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale a compétence.

50. Les membres du recours collectif relèvent de la compétence territoriale de la Cour, car les vols respectifs sont en provenance du Canada ou ont pour destination le Canada, et il existe un « lien réel et substantiel » avec le Canada.

[16] L’article 175 des Règles prévoit qu’une partie peut soulever des points de droit dans ses arguments, mais ils ne lient jamais la Cour sur ces questions : Harmony Consulting Ltd. c G.A. Foss Transport Ltd., 2012 CAF 226 au para 41. Aux fins des présentes requêtes, la Cour n’est donc pas tenue d’accepter comme fait substantiel avéré la conclusion qu’il existe une cause d’action. La Cour doit plutôt examiner si les véritables faits substantiels, qui ne sont pas des arguments ou des déclarations catégoriques, révèlent une cause d’action valable. J’ai exposé ces faits ci‑dessous.

[17] Il est indiqué, au paragraphe 17 de la déclaration modifiée, que le règlement UE 261 est [traduction] « une mesure de protection des consommateurs qui prévoit des niveaux normalisés d’indemnisation en espèces pour diverses situations, y compris les retards de vol ou le refus d’embarquement ».

[18] Au paragraphe 19, la demanderesse énonce la règle 16 du contrat de transport de la défenderesse intitulé [traduction] « Responsabilité relativement aux horaires et à l’exploitation » :

[traduction]

Pour les vols en provenance ou à destination du Canada, le transporteur se conforme entièrement au règlement CE 261/2004 du 11 février 2004, publié le 17 février 2005, en ce qui concerne les règles d’indemnisation et d’assistance aux passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retards de vol importants.

[19] Aux paragraphes 23 et 24, la demanderesse renvoie à la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, constituant l’annexe VI de la Loi sur le transport aérien, LRC 1985, c C‑26, art 27 [Convention de Montréal]. La demanderesse s’appuie sur l’article 27 de la Convention de Montréal, qui prévoit que les compagnies aériennes peuvent conclure un contrat de transport qui dépasse les exigences minimales de la Convention.

[20] Aux paragraphes 35 à 39 de la déclaration modifiée, la demanderesse expose sa situation personnelle qui a donné lieu à sa demande d’indemnisation. Elle allègue qu’elle avait une réservation confirmée et une carte d’embarquement pour un vol exploité par la défenderesse qui partait de Toronto (Ontario) le 1er septembre 2017 à destination de Ponta Delgada, aux Açores (Portugal). Le vol de la demanderesse devait décoller à 21 h, mais il a été retardé et reporté au lendemain, le 2 septembre 2017, à 7 h 30. La demanderesse a finalement été transportée jusqu’à sa destination finale, arrivant plus de quatre heures après l’heure d’arrivée initialement prévue. La demanderesse allègue que le retard n’était pas attribuable à des circonstances exceptionnelles. Elle a écrit à la défenderesse pour demander une indemnisation de 600 euros en raison du retard conformément au règlement UE 261. La défenderesse a refusé de verser une indemnité.

[21] La demanderesse allègue en outre, aux paragraphes 40 à 46 de la déclaration modifiée, que d’autres personnes ont subi des retards de vol de plus de trois heures sur des vols exploités à destination ou en provenance du Canada par la défenderesse et n’ont pas reçu l’indemnisation pécuniaire normalisée qu’ils ont le droit de recevoir.

[22] Le paragraphe 51 énonce la réparation demandée au nom de la demanderesse et des autres membres du recours collectif envisagé. La demande vise essentiellement l’obtention : a) d’un jugement déclaratoire portant que la défenderesse a contrevenu aux conditions expresses ou implicites de son contrat de transport qui l’obligent à payer une indemnité en espèces conformément au règlement UE 261, et b) d’une ordonnance enjoignant à la défenderesse de verser une indemnité à chaque membre du recours collectif sous forme de dommages‑intérêts normalisés ou extrajudiciaires.

[23] Enfin, la déclaration modifiée établit le fondement de la compétence de la Cour fédérale aux paragraphes 48 à 50 :

[traduction]

48. La présente action concerne l’aéronautique avec un ensemble de règles de droit fédérales en vigueur, notamment :

a. la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A‑2

b. la Loi sur le transport aérien, LRC1985, c C‑26

c. la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10

d. le Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58

e. la common law fédérale, y compris le droit relatif à la rupture de contrat

III. Questions à trancher

[24] D’une part, la demanderesse cherche à obtenir l’autorisation de l’instance comme recours collectif conformément à la partie 5.1 des Règles. Dans le cas d’une requête en autorisation, la Cour doit déterminer si les conditions d’autorisation prévues au paragraphe 334.16(1) des Règles ont été remplies. La première condition consiste à déterminer si « les actes de procédure révèlent une cause d’action valable » : alinéa 334.16 (1)a).

[25] D’autre part, la défenderesse demande une ordonnance radiant la déclaration modifiée et rejetant l’action en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles. Le critère de radiation d’une déclaration pour défaut de divulguer une cause d’action valable consiste à déterminer s’il est « manifeste et évident » que la demande doit échouer.

[26] Le critère à appliquer au titre de l’alinéa 334.16(1)a) des Règles est le même que pour une requête en radiation présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a). Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Brake c Canada (Procureur général), 2019 CAF 274, au paragraphe 54 : « la partie qui demande l’autorisation n’a qu’à démontrer que la cause d’action n’est pas vouée à l’échec. En d’autres termes, il ne doit pas être “manifeste et évident” que la cause d’action invoquée échouera […] ». La seule différence est que, dans une requête en autorisation, le fardeau incombe au demandeur, tandis que dans une requête en radiation, le fardeau incombe au défendeur : Momi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 738 au para 34.

[27] Étant donné que la requête en autorisation et la requête en radiation exigent que la Cour détermine si une cause d’action valable est divulguée dans l’acte de procédure de la demanderesse, et que cette question particulière est essentielle à la décision finale dans les deux requêtes, je propose d’examiner cette question avant de traiter plus à fond les quatre autres questions sur l’autorisation qui sont énoncées à l’article 334.16 des Règles.

[28] Les questions que je dois trancher peuvent donc être énoncées simplement comme suit :

A. Est-il manifeste et évident que la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d’action valable?

  1. Dans l’éventualité où la Cour répond par la négative à la première question, le recours collectif devrait-il être autorisé sur le fondement des autres facteurs énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles?

IV. Analyse

A. Est-il est manifeste et évident que la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d’action valable?

[29] Contrairement aux requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire, les requêtes en radiation d’actes de procédure fondées sur l’alinéa 221(1)a) des Règles ne peuvent s’appuyer sur aucun élément de preuve, sauf lorsqu’elles sont fondées sur un défaut de compétence : Mil Davie Inc. c Société d’exploitation et de développement d’Hibernia Ltée, [1998] ACF no 614 (CA).

[30] La défenderesse a présenté l’affidavit de Rodrigo Vasconcelos de Oliveira en réponse à la requête en autorisation. M. de Oliveira est un avocat autorisé à exercer le droit au Portugal qui a présenté une preuve d’opinion d’expert quant au droit de l’UE et du Portugal et à la façon dont le règlement UE 261 est appliqué dans cette union et ce pays.

[31] La demanderesse s’oppose à l’admissibilité de la preuve d’expert pour divers motifs. Toutefois, la défenderesse concède que l’affidavit n’est pas pertinent ni nécessaire pour déterminer si la demanderesse a fait valoir une cause d’action valable. Je ne traiterai donc pas de l’objection de la demanderesse pour l’instant.

(1) Critère à appliquer à une requête en radiation

[32] Il incombe à la défenderesse de prouver qu’il est manifeste et évident, si on admet les faits tels qu’ils ont été présentés, que la Cour fédérale n’a pas compétence pour instruire la présente affaire. Le fardeau de la preuve qui incombe à la défenderesse est lourd, car la Cour doit être convaincue au‑delà de tout doute que l’allégation ne peut être soutenue et qu’elle est vouée à l’échec à l’instruction parce qu’elle comporte un vice fondamental (Hunt c Carey Canada Ltd., [1990] 2 RCS 959 aux para 32 à 34).

[33] Une demande ne doit pas être radiée simplement parce qu’elle est complexe ou parce que la demanderesse présente une nouvelle cause d’action. L’accent est plutôt mis sur la question de savoir si les allégations au sujet des faits substantiels qui sont contenues dans la demande, interprétées généreusement, donnent lieu à une cause d’action : Conohan c Cooperators, 2002 CAF 60 au para 15.

(2) Compétence

[34] Les requêtes présentées par les parties soulèvent la question toujours délicate et épineuse de la compétence de la Cour. Il faut garder à l’esprit d’entrée de jeu que la Cour fédérale est un tribunal créé par une loi et qu’elle ne peut exercer sa compétence qu’en vertu d’un pouvoir conféré par une loi.

[35] La Cour suprême du Canada a énoncé, dans l’arrêt ITO–International Terminal Operators Ltd. c Miida Electronics Inc., [1986] 1 RCS 752 [ITO], le critère fondamental établissant les exigences essentielles qui permettent de conclure à la compétence de la Cour fédérale. Pour que la Cour ait compétence afin d’instruire une affaire, trois conditions doivent être remplies :

  1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;

  2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence;

  3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (ITO, au para 11).

(i) Nature essentielle de la réclamation de la demanderesse

[36] Au paragraphe 31 de l’arrêt 744185 Ontario Inc. c Canada, 2020 CAF 1 [Air Muskoka], la Cour d’appel fédérale a déclaré que, pour analyser si une demande d’asile relève de la compétence de la Cour fédérale, il est d’abord nécessaire de la caractériser pour en déterminer la nature essentielle, ou pour établir « le caractère véritable » de la demande, en renvoyant aux paragraphes 26 à 27 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Windsor (Ville) c Canadian Transit Co., 2016 CSC 54 [Windsor] :

[26] Il faut dégager la nature essentielle de la demande selon « une appréciation réaliste du résultat concret visé par le demandeur » (Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, par. 28 (CanLII), la juge Sharlow). La « déclaration [du demandeur] ne doit pas être prise au pied de la lettre » (Roitman c. Canada, 2006 CAF 266, par. 16 (CanLII), le juge Décary). Le tribunal doit plutôt « aller au‑delà des termes employés, des faits allégués et de la réparation demandée, et il doit s’assurer que la déclaration ne constitue pas une tentative déguisée visant à obtenir devant la Cour fédérale un résultat qui ne peut par ailleurs pas être obtenu de cette cour » (ibid., voir aussi Canadian Pacific Railway c. R., 2013 CF 161, [2014] 1 C.T.C. 223, par. 36; Verdicchio c. Canada, 2010 CF 117, par. 24 (Can LII).

[27] Par ailleurs, de véritables choix stratégiques ne devraient pas être dénigrés sous prétexte qu’ils constituent d’astucieux arguments. La question consiste à se demander si la cour a compétence à l’égard de la demande précise que le demandeur a choisi d’introduire, et non pas à l’égard d’une demande similaire que, de l’avis du défendeur, le demandeur aurait plutôt dû présenter, pour une raison ou une autre.

[37] La demanderesse a formulé ses actes de procédure sous la forme d’une action pour rupture de contrat. Elle allègue que la défenderesse, dans le cadre de son propre contrat de transport, a adopté les règles sur les retards et annulations de vols du règlement UE 261 et a accepté de s’y conformer. L’action vise à faire respecter l’obligation contractuelle de la défenderesse de verser une indemnité. La défenderesse partage ce point de vue.

[38] Bien que les deux parties conviennent qu’un différend contractuel est au cœur de la présente instance, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si la réparation est sollicitée « sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit » comme l’exige l’article 23 de la LCF et l’interprétation de cette disposition par la Cour suprême du Canada.

[39] Avant d’entreprendre une analyse des arguments des parties, il est important de noter que ma tâche n’est pas de décider si la Cour a compétence pour instruire la demande. À cette étape préliminaire, je dois plutôt simplement déterminer s’il est manifeste et évident qu’elle n’a pas compétence.

(ii) Le critère de l’arrêt ITO

[40] En ce qui concerne la première partie du critère de l’arrêt ITO (attribution légale de compétence), la demanderesse s’appuie principalement sur les alinéas 23b) et 23c) de la LCF :

23. Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas — opposant notamment des administrés — de demande de réparation ou d’autre recours exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière :

a) […]

b) d’aéronautique;

c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au‑delà des limites d’une province.

23. Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects:

(a) […]

(b) aeronautics; and

(c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.

[41] Aux fins des deux requêtes, je suis convaincu que la réclamation de la demanderesse relève sans doute du domaine de l’aéronautique ou des ouvrages au sens de l’article 23 de la LCF. De plus, on n’a pas avancé que la compétence à l’égard de la demande de réparation a par ailleurs été spécialement attribuée à un autre tribunal.

[42] Le différend relatif à la compétence porte plutôt sur la question de savoir si les deuxième et troisième éléments du critère de l’arrêt ITO, qui ont trait à l’existence d’un « ensemble de règles de droit fédérales » et d’une « loi du Canada » et à la question de savoir si l’exigence de l’article 23 de la LCF selon laquelle la demande de réparation doit être présentée ou une réparation doit être demandée « sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit », ont été respectés.

[43] La défenderesse reconnaît que la Convention de Montréal fait partie du droit fédéral canadien en vertu de la Loi sur le transport aérien et que la Cour a compétence pour instruire et trancher les différends relatifs au transport aérien. Cette position est conforme à la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Prudential Assurance Co. c Canada, [1993] 2 CF 293 (CA) [Prudential Assurance], qui a été reconnue dans l’arrêt Windsor, au paragraphe 44.

[44] Toutefois, la compétence de la Cour en matière de litiges sur le transport aérien est assujettie à la condition que la demande doit être fondée sur la Convention de Montréal : Donaldson c Swoop, 2020 CF 1089 au para 30 [Donaldson]; Bensol Customs Brokers Ltd c Air Canada, [1979] ACF no 73, [1979] 2 CF 575 (CA) [Bensol] au para 10.

[45] Aux paragraphes 37 et 38 de l’arrêt Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 [Thibodeau], la Cour suprême du Canada a expliqué que la Convention de Montréal codifie la portée et la nature des diverses obligations civiles découlant du transport aérien international :

[37] Il ressort clairement de la Convention de Montréal qu’elle offre le seul recours pouvant être intenté contre les transporteurs aériens pour différents types de dommages subis lors d’un transport aérien international. La Convention prévoit que toute « action en dommages‑intérêts » découlant du transport de passagers, de bagages et de marchandises est assujettie aux conditions et limites de responsabilité qui y sont prévues. La disposition pourrait difficilement être rédigée en des termes plus larges; elle s’applique à « toute action en dommages‑intérêts, à quelque titre que ce soit ». Cette large portée se retrouve aussi dans la version anglaise : « . . . any action for damages, however founded . . . »

[38] Ce principe d’exclusivité est exprimé encore plus clairement dans la Convention de Montréal qu’il ne l’était dans la Convention de Varsovie. L’article 24 de la Convention de Varsovie — la disposition qui exclut les autres recours —commence par les termes « [d]ans les cas prévus aux » articles 17 à 19. L’article 29 de la Convention de Montréal, en revanche, commence par les termes « [d]ans le transport de passagers, de bagages et de marchandises ». Le recours à un libellé aussi général fait ressortir encore plus nettement l’intention des États signataires d’exclure toute action non expressément prévue aux articles 17 à 19. […]

[46] La défenderesse soutient que la réclamation de la demanderesse est vouée à l’échec, car qu’elle ne respecte pas le principe d’exclusivité énoncé dans la Convention de Montréal. L’article 29 de la Convention de Montréal, qui prévoit ce qui suit, est au cœur de cet argument :

Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages‑intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.

In the carriage of passengers, baggage and cargo, any action for damages, however founded, whether under this Convention or in contract or in tort or otherwise, can only be brought subject to the conditions and such limits of liability as are set out in this Convention without prejudice to the question as to who are the persons who have the right to bring suit and what are their respective rights. In any such action, punitive, exemplary or any other non‑compensatory damages shall not be recoverable.

[47] Selon la défenderesse, il est manifeste que la demanderesse a sciemment fondé sa demande sur le droit contractuel, le règlement UE 261 et l’interprétation du règlement UE 261 de la Cour de justice de l’Union européenne. La défenderesse soutient que, dans la mesure où une loi fédérale serait pertinente quant à la réclamation de la demanderesse, elle jouerait au mieux un rôle secondaire et ne serait certainement pas essentielle. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’accord.

[48] Dans l’arrêt Apotex Inc. c Allergan, Inc., 2016 CAF 155, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une question contractuelle peut être réglée par la Cour fédérale lorsqu’elle « s’inscrit dans une question sur laquelle la Cour fédérale a compétence légale ». Au paragraphe 13, le juge Stratas a expliqué ce qui suit :

[13] Concernant la question de la compétence, j’abonde dans le sens de la Cour fédérale et je retiens en substance son analyse. Je voudrais ajouter ce qui suit. Le droit des contrats, lorsqu’il est fait abstraction du contexte, relève normalement de la compétence provinciale. Toutefois, la Cour fédérale a compétence lorsque la question du droit des contrats dont la Cour est saisie s’inscrit dans une question sur laquelle la Cour fédérale a compétence légale, il existe des règles de droit fédérales essentielles pour se prononcer sur l’affaire qui sont valides aux termes du partage constitutionnel des pouvoirs : ITO‑Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, 1986 CanLII 91 (CSC), [1986] 1 RCS 752, 28 D.L.R. (4th) 641; Canadian Transit Company c. Windsor (Corporation de la ville), 2015 CAF 88, 384 D.L.R. (4th) 547.

[49] Toutefois, au paragraphe 41 de l’arrêt Windsor, la Cour suprême du Canada a prévenu que le deuxième élément de l’article 23 de la LCF exige que la cause d’action soit « créée ou reconnue » en vertu des lois fédérales:

[41] Il ressort clairement de l’arrêt Quebec North Shore que l’art. 23 attribue compétence à la Cour fédérale seulement lorsque le demandeur sollicite une réparation sous le régime du droit fédéral. Selon mon interprétation de cet arrêt, il en découle que la cause d’action du demandeur ou le droit de solliciter une réparation doit être créé ou reconnu par une loi fédérale, un règlement fédéral ou une règle de common law traitant d’un sujet relevant du pouvoir de légiférer du fédéral. C’est ce que signifie, à l’art. 23, demander une réparation « sous le régime » du droit fédéral.

[50] La demanderesse n’a pas fait valoir une cause d’action pour solliciter des dommages‑intérêts en vertu de l’article 19 en raison d’un retard. Elle sollicite plutôt des dommages‑intérêts pour rupture de contrat au motif que la défenderesse a violé son tarif canadien en ne payant pas l’indemnité qui lui était due en vertu du règlement UE 261.

[51] Apparemment consciente de l’effet préventif de la Convention de Montréal au Canada et du fait que les dommages‑intérêts qu’elle réclame ne peuvent être recouvrés en vertu de l’article 19 de cette convention, la demanderesse allègue dans ses actes de procédure que l’article 27 de la Convention « permet » sa cause d’action pour rupture de contrat. L’article 27 est ainsi rédigé :

27. Rien dans la présente convention ne peut empêcher un transporteur de refuser la conclusion d’un contrat de transport, de renoncer aux moyens de défense qui lui sont donnés en vertu de la présente convention ou d’établir des conditions qui ne sont pas en contradiction avec les dispositions de la présente convention.

27. Nothing contained in this Convention shall prevent the carrier from refusing to enter into any contract of carriage, from waiving any defences available under the Convention, or from laying down conditions which do not conflict with the provisions of this Convention.

[52] La demanderesse soutient que l’article 27 de la Convention de Montréal reconnaît expressément le principe de la liberté contractuelle, permettant aux transporteurs aériens et aux passagers de s’entendre sur d’autres recours contractuels qui n’entrent pas en conflit avec la Convention de Montréal.

[53] Le recours collectif envisagé par la demanderesse se fonde sur la thèse selon laquelle la défenderesse a volontairement incorporé le règlement UE 261 dans son contrat de transport applicable à ses services aériens commerciaux internationaux à destination et en provenance du Canada, comme le permet l’article 27 de la Convention de Montréal. La demanderesse a l’intention de faire valoir au procès que la Convention de Montréal est simplement une loi fédérale qui est superposée à un ensemble de règles de common law en lien avec les transporteurs publics, y compris en matière de contrats.

[54] C’est au mieux un argument tautologique dénué de fondement. La réalité toute simple est que la Cour n’a compétence que si le droit de demander réparation est créé ou reconnu par le droit fédéral canadien. Peu importe la façon dont la demanderesse formule, étiquette ou habille sa demande, il reste que le régime d’indemnisation sur lequel elle s’appuie pour fonder sa demande est créé en vertu du droit européen.

[55] À première vue, les paramètres et la signification de l’article 27 sont clairs : il permet au transporteur de refuser de conclure un contrat, de renoncer à tout moyen de défense prévu par la Convention, ou d’imposer des conditions ou des exigences aux passagers ou aux expéditeurs dans la mesure où ces conditions n’entrent pas en conflit avec une règle de la Convention de Montréal. Il ne dit rien sur la question de savoir si un transporteur peut s’entendre contractuellement pour appliquer les dispositions d’un instrument comme le règlement UE 261, ni ne permet aux parties de se soustraire par contrat aux préceptes fondamentaux de la Convention de Montréal, comme les articles 19 et 29.

[56] Même si l’on tient pour acquis que le supposé accord contractuel visant l’application du règlement UE 261/2004 est autorisé par l’article 27, cela ne signifie pas que la source de la réclamation de la demanderesse est le droit canadien. Quoi que l’on puisse dire à son sujet, l’article 27 ne crée pas un droit d’action.

[57] Cette conclusion est appuyée selon moi par le jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire C‑344/04, R (IATA et ELFAA) c Department for Transport, [2006] ECR I‑403 [IATA]. La CJUE a jugé que l’indemnisation que les transporteurs assujettis au règlement UE 261 sont tenus de verser aux passagers en vertu de ses modalités n’est pas régie par la Convention de Montréal. La Cour a conclu que l’indemnisation à laquelle s’applique l’article 19 est un dommage individuel nécessitant une preuve de perte causée par le retard, alors que celui payable en vertu du règlement UE 261 est une somme normalisée pour chaque passager ne nécessitant pas de preuve de perte. Les parties pertinentes de la décision IATA qui sont au cœur du raisonnement du CJUE sont reproduites ci‑dessous.

37 L’article 6 du règlement nº 261/2004 dispose que, en cas de retard important d’un vol, le transporteur aérien effectif doit proposer une assistance et une prise en charge aux passagers concernés. Il ne prévoit pas que ce transporteur puisse se libérer de telles obligations en cas de circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

38 L’IATA et l’ELFAA ont soutenu dans leur demande présentée à la juridiction de renvoi et soutiennent devant la Cour que cet article 6 est dès lors incompatible avec les dispositions de la convention de Montréal qui contient, à ses articles 19 et 22, paragraphe 1, des clauses exonératoires et limitatives de responsabilité du transporteur aérien en cas de retard dans le transport des passagers, et qui dispose, à son article 29, que toute action en dommages‑intérêts, à quelque titre que ce soit, ne peut être exercée que dans les conditions et limites prévues par ladite convention.

39 À cet égard, il convient de constater que les articles 19, 22 et 29 de la convention de Montréal figurent parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la validité des actes des institutions communautaires, dès lors que, d’une part, ni la nature ni l’économie de ladite convention ne s’y opposent et que, d’autre part, les dispositions de ces trois articles apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises.

40 S’agissant de l’interprétation desdits articles, il importe de souligner que, conformément à une jurisprudence constante, un traité international doit être interprété en fonction des termes dans lesquels il est rédigé ainsi qu’à la lumière de ses objectifs. Les articles 31 des conventions de Vienne, du 23 mai 1969, sur le droit des traités, et du 21 mars 1986, sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, qui expriment en ce sens le droit international général coutumier, précisent, à cet égard, qu’un traité doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte, et à la lumière de son objet et de son but (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2001, Jany e.a., C‑268/99, Rec. p. I‑8615, point 35).

41 Il résulte du préambule de la convention de Montréal que les États parties ont reconnu « l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation ». C’est donc au regard de cet objectif que doit être appréciée la portée que les auteurs de ladite convention ont voulu conférer aux dispositions des articles 19, 22 et 29.

42 Il résulte desdites dispositions de la convention de Montréal, comprises dans son chapitre III intitulé « Responsabilité du transporteur et étendue de l’indemnisation du préjudice », qu’elles fixent les conditions dans lesquelles peuvent être exercées les actions en dommages‑intérêts susceptibles d’être engagées contre les transporteurs aériens par les passagers qui se prévalent d’un dommage subi en raison d’un retard. Elles limitent la responsabilité du transporteur à la somme de 4 150 droits de tirage spéciaux par passager.

43 Il importe de constater que tout retard dans le transport aérien des passagers, et en particulier s’il est important, peut causer sur un plan général deux types de préjudice. D’une part, un retard trop important va causer des préjudices, quasiment identiques pour tous les passagers, dont la réparation peut prendre la forme d’une assistance ou d’une prise en charge, standardisées et immédiates, pour tous les intéressés par la fourniture, par exemple, de rafraîchissements, de repas, d’hébergements et d’appels téléphoniques. D’autre part, les passagers sont susceptibles de subir des préjudices individuels, inhérents au motif de leur déplacement, dont la réparation exige une appréciation au cas par cas de l’ampleur des dommages causés et ne peut, en conséquence, que faire l’objet d’une indemnisation a posteriori et individualisée.

44 Or, il ressort clairement des dispositions des articles 19, 22 et 29 de la convention de Montréal qu’elles se bornent à régir les conditions dans lesquelles, postérieurement au retard d’un vol, peuvent être engagées par les passagers concernés les actions visant à obtenir, à titre de réparation individualisée, des dommages‑intérêts, c’est‑à‑dire une indemnisation, de la part des transporteurs responsables d’un dommage résultant de ce retard.

45 Il ne résulte ni de ces dispositions, ni d’aucune autre disposition de la convention de Montréal que les auteurs de cette dernière aient entendu soustraire lesdits transporteurs à toute autre forme d’interventions, notamment à celles qui pourraient être envisagées par les autorités publiques pour réparer, d’une manière standardisée et immédiate, les préjudices que constituent les désagréments dus aux retards dans le transport aérien des passagers, sans que ceux‑ci aient à supporter les inconvénients inhérents à la mise en œuvre d’actions en dommages‑intérêts devant les juridictions.

46 La convention de Montréal ne pouvait dès lors faire obstacle à l’intervention du législateur communautaire pour fixer, dans le cadre des compétences attribuées à la Communauté en matière de transports et de protection des consommateurs, les conditions dans lesquelles il convenait de réparer les préjudices liés aux désagréments susmentionnés. Dès lors que l’assistance et la prise en charge des passagers visées à l’article 6 du règlement nº 261/2004 en cas de retard important d’un vol constituent de telles mesures réparatrices standardisées et immédiates, elles ne sont pas au nombre de celles dont ladite convention fixe les conditions d’exercice. Le dispositif prévu audit article 6 se place ainsi simplement en amont de celui qui résulte de la convention de Montréal.

47 Les mesures d’assistance et de prise en charge standardisées et immédiates ne font pas elles‑mêmes obstacle à ce que les passagers concernés, au cas où le même retard leur causerait en outre des dommages ouvrant droit à indemnisation, puissent intenter, par ailleurs, les actions en réparation desdits dommages dans les conditions prévues par la convention de Montréal.

[Non souligné dans l’original.]

[58] Selon le cadre établi par la CJUE, un passager qui subit des retards dans le transport aérien international dispose de deux voies distinctes pour demander une indemnisation : (1) des dommages‑intérêts normalisés en vertu du règlement UE 261, et (2) des dommages‑intérêts individuels exigeant une preuve de perte causée par un retard en vertu de l’article 19 de la Convention de Montréal. Les deux sources d’indemnisation possibles ne se chevauchent pas; elles sont totalement distinctes l’une de l’autre – un passager peut réclamer les deux, selon les règles régissant chaque forme d’indemnisation.

[59] La logique de la décision IATA est conforme à l’approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thibodeau, au paragraphe 4, selon laquelle le Canada a le devoir de se conformer à son engagement international d’établir et de mettre en œuvre des limites de responsabilité pour les transporteurs aériens internationaux. En concluant que l’octroi de dommages‑intérêts pour violation des droits linguistiques pendant le transport aérien international n’était pas permis par la Convention de Montréal, la Cour suprême a déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :

[6] [… ]Tirer la conclusion contraire dénaturerait le libellé et l’objet de la Convention de Montréal, irait à l’encontre des obligations internationales que celle‑ci impose au Canada et exclurait le Canada du solide consensus international qui existe sur sa portée et ses effets [Thibodeau, au para 6].

[60] Outre les dispositions de l’article 27 de la Convention de Montréal, la demanderesse entend faire valoir que sa cause d’action est reconnue en vertu du Règlement sur les transports aériens, DORS/88‑58 [RTA]. Elle soutient que le tarif de la défenderesse est un contrat envisagé et reconnu en vertu de l’article 110 du RTA, qui fait partie d’un cadre légal détaillé. Toutefois, les mêmes arguments ont été rejetés par le juge Michael Manson dans la décision Donaldson, aux paragraphes 42 à 52. Même si je ne suis pas lié par la décision Donaldson, des motifs de courtoisie judiciaire m’invitent à suivre cette décision étant donné qu’on ne peut établir de distinction sur aucun fait important et que la demanderesse n’a pas démontré que cette décision est manifestement erronée.

[61] En fin de compte, c’est la source de la réclamation qui compte dans la présente affaire. Il est évident que la source de l’éventuelle responsabilité de la défenderesse en l’espèce n’est pas la Loi sur le transport aérien ou toute autre loi canadienne. La demanderesse a choisi de présenter une demande fondée sur le droit contractuel et le règlement UE 261/2004, et non sur le droit fédéral.

[62] Le critère de la cause défendable pour établir la compétence est un seuil peu élevé à respecter, mais il s’agit néanmoins d’un seuil. À mon avis, il s’agit en l’espèce de l’une de ces affaires où la demanderesse n’a pas atteint le seuil. Le simple fait d’affirmer qu’on peut prouver que la Cour a compétence pour instruire la réclamation de la demanderesse ne fait pas de cette affirmation une réalité.

[63] L’affirmation de la demanderesse selon laquelle la Cour fédérale a compétence pour entendre sa demande ne passe pas la première étape de l’analyse effectuée au regard de l’article 23 de la LCF et du critère de l’arrêt ITO. Elle n’est pas suffisante si la Cour fédérale peut devoir examiner certaines lois fédérales en vue du règlement de la cause de la demanderesse. Étant donné qu’aucun ensemble de règles de droit fédérales « essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence » n’a été invoqué, il est manifeste et évident qu’aucune cause d’action valable n’est possible. Comme il n’y a aucune raison de supposer que la demanderesse pourrait améliorer sa cause en modifiant les actes de procédure, j’accueillerais la requête en radiation de la défenderesse.

(3) Doctrine de l’exclusivité

[64] Il convient d’ajouter que, même si cette conclusion est erronée, je suis néanmoins d’avis qu’il est manifeste et évident que la réclamation n’a aucune chance de succès.

[65] Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Thibodeau, la disposition clé au cœur de l’ensemble exclusif de règles en matière de responsabilité de la Convention de Montréal est l’article 29. Cette disposition précise clairement que la Convention de Montréal prévoit un recours exclusif contre les compagnies aériennes pour divers types de réclamations découlant du transport aérien international. L’article 29 établit, en ce qui concerne les réclamations relevant de la portée de la Convention de Montréal, que « toute action en dommages‑intérêts, à quelque titre que ce soit » ne peut être exercée « que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention ».

[66] L’article 19 de la Convention de Montréal indique que le transporteur est responsable des dommages découlant d’un retard. La demanderesse n’a pas allégué qu’elle a subi des dommages, et encore moins des dommages causés par un retard. Vu l’article 29, aux termes duquel les dommages non compensatoires ne peuvent être recouvrés, les seuls recours possibles en vertu de la Convention de Montréal sont les dommages qui ont été effectivement subis. À mon avis, l’article 27 ne permet pas aux parties de se soustraire par contrat aux préceptes fondamentaux de la Convention, y compris des articles 19 et 29, qui obligeraient la demanderesse à prouver les dommages qu’elle a subis.

[67] Pour les motifs qui précèdent, j’accueille la requête en radiation de l’instance présentée par la défenderesse en raison de la non-divulgation d’une cause d’action valable.

B. Dans l’éventualité où la Cour répond par la négative à la première question, le recours collectif devrait-il être autorisé sur le fondement des autres facteurs énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles?

[68] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demanderesse n’a pas de cause d’action juridiquement valable devant la Cour. Il s’ensuit qu’elle ne satisfait pas au critère de la cause d’action aux fins de l’autorisation et, par conséquent, l’action ne peut être autorisée comme recours collectif sur ce seul fondement.

[69] Bien que ce ne soit pas strictement nécessaire, par souci d’exhaustivité, je présumerai que mes conclusions exposées ci‑dessus sont incorrectes et je partirai du principe que la Cour a compétence pour instruire la demande.

[70] L’analyse d’une requête en autorisation en vertu du paragraphe 334.16(1) des Règles est principalement de nature procédurale. Le représentant du recours collectif doit démontrer un certain fondement factuel pour chaque élément, sans s’attarder au fond de l’action (Pro Sys Consultants Ltd. c Microsoft Corp., 2013 CSC 57 aux para 102‑104 [Pro Sys]). Cela n’exige pas une preuve selon la prépondérance des probabilités ou des décisions à l’égard des faits et des éléments de preuve contradictoires (L’Oratoire Saint‑Joseph du Mont‑Royal c J.J., 2019 CSC 35 aux para 58‑59).

(1) Les actes de procédure de la demanderesse révèlent-ils une cause d’action valable?

[71] L’alinéa 334.16(1)a) des Règles exige simplement que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable ou, autrement dit, une cause défendable. Le seuil est relativement peu élevé.

[72] À l’étape de la cause d’action valable de l’analyse, tout comme lors de l’analyse de la compétence, les faits sont tenus pour avérés.

[73] La défenderesse soutient que la demanderesse n’a fait valoir aucune cause d’action valable. Une allégation concernant une entente contractuelle visant simplement le respect des obligations légales ou réglementaires préexistantes ne peut être considérée comme le fondement d’une demande d’indemnisation pour rupture de contrat. De plus, la demanderesse ne soutient rien de plus que le fait que la défenderesse a accepté de se conformer à une règle de droit européenne exécutoire et n’a donc pas fait valoir une cause d’action valable.

[74] La défenderesse souligne un certain nombre de décisions qui ont précisé que le règlement UE 261 n’est pas juridiquement exécutoire en dehors des tribunaux des États membres de l’Union européenne. À titre d’exemple, dans une décision non publiée rendue le 11 juillet 2019, Barcelos c Azores Airlines [Barcelos], le juge suppléant Prattas de la Cour des petites créances de Toronto, Cour supérieure de justice de l’Ontario, a conclu que la demande d’indemnisation présentée en vertu du règlement UE 261 par le demandeur, Marco Barcelos, pour un vol retardé ne pouvait pas être accueillie par un tribunal canadien.

[75] Comme la demanderesse, M. Barcelos a présenté son action sous la forme d’une réclamation pour rupture de contrat. Il a prétendu que, parce que le tarif de la défenderesse indiquait que cette dernière « se conforme entièrement » au règlement UE 261, l’ensemble du règlement et de la jurisprudence connexe, qui ont été interprétés par les tribunaux européens, ont été intégrés au contrat et pouvaient être appliqués par un tribunal de l’Ontario en cas de rupture de contrat. La défenderesse a soutenu que la réclamation de M. Barcelos ne révélait aucune cause d’action valable pour rupture de contrat parce que le libellé du tarif n’incorporait pas par renvoi le texte du règlement UE 261 ou la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier la décision Sturgeon c Condor Flugdienst GmbH, visant les affaires conjointes C‑402/07 et C‑432/07, [2009] ECR I‑10923 [Sturgeon]. Étant donné que la réclamation a été présentée comme une demande fondée sur une rupture de contrat, le juge suppléant Prattas a examiné le libellé du tarif de la défenderesse et a conclu [traduction] « [que] selon le sens ordinaire des mots utilisés, aucune indemnisation pécuniaire pour retard n’est prévue » dans le tarif de la défenderesse. Il a également convenu avec la défenderesse que les mots « se conforme entièrement » dans le tarif n’incorporaient pas le règlement UE 261 et la décision Sturgeon par renvoi de manière à ce que l’obligation d’indemniser les passagers pour les longs retards devienne une promesse exécutoire contractuelle à l’extérieur de l’Europe. Le juge suppléant Prattas a également conclu que le règlement UE 261 ne pouvait pas être appliqué directement par les tribunaux canadiens, car le libellé du règlement UE 261 n’appuyait pas l’argument selon lequel les tribunaux canadiens étaient des « tribunaux ou organismes compétents » au sens du paragraphe 15(2) du règlement UE 261.

[76] Dans la décision Dochak c Polskie Linie Lotnicze LOT S.A., 189 F.Supp. 3d 798 (2016), la Cour de district des États‑Unis en Illinois a statué que le libellé contractuel prévoyant que [traduction] « les passagers ont droit aux droits prévus dans le règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen » était assimilable à un avis et n’indiquait pas une intention d’incorporer ce règlement.

[77] Ces décisions sont bien raisonnées et constituent certainement un obstacle important à la réussite de la demanderesse. Toutefois, je remarque qu’elles traitent en profondeur du tarif et appliquent les principes d’interprétation contractuelle. De plus, on peut établir une distinction entre ces affaires et celle qui nous occupe, en ce sens qu’aucun argument ne semble avoir été présenté concernant l’interaction entre les articles 19, 25, 27 et 29 de la Convention de Montréal.

[78] La cause d’action de la demanderesse repose sur l’hypothèse que le tarif de la défenderesse incorpore le règlement UE 261 et que les modalités du contrat sont exécutoires en vertu du régime de la Convention de Montréal ou d’une autre loi canadienne.

[79] La question de savoir si une disposition sur la nécessité de se conformer à une obligation législative ou réglementaire préexistante peut être considérée comme une disposition exécutoire est matière à débat (Canada c M. Untel, 2016 CAF 191 [M. Untel]; Broutzas c Rouge Valley Health Systems, 2018 ONSC 6315 [Broutzas]; Condon c Canada, 2014 CF 250 [Condon], Tucci c Peoples Trust Company, 2017 BCSC 1525 [Tucci], Kaplan c Casino Rama, 2019 ONSC 2025 [Kaplan]).

[80] Dans la décision Condon, la Cour a conclu qu’il n’était pas manifeste et évident que l’incorporation de politiques et de lois ne pouvait pas donner lieu à une réclamation pour rupture de contrat (Condon, aux para 35‑51). En revanche, dans l’arrêt M. Untel, la Cour a conclu que les promesses qui ne vont pas au‑delà des obligations légales préexistantes ne peuvent pas créer de contrats; toutefois, elles peuvent être exécutoires pour d’autres motifs, par exemple en raison d’actes ultérieurs (M. Untel, aux para 46‑48).

[81] Au paragraphe 217 de la décision Broutzas, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que les obligations légales ne peuvent constituer le fondement des modalités implicites du contrat. De plus, aux paragraphes 25 à 28 de la décision Kaplan, la Cour a conclu que la violation allait au‑delà de ce qui était dicté par les exigences légales en faisant référence à sa propre politique et aux [traduction] « normes de l’industrie ». Toutefois, dans la décision Tucci, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a déclaré ce qui suit au paragraphe 73 : [traduction] « il est toujours loisible aux parties d’intégrer des exigences législatives à leurs contrats, sous réserve bien sûr d’un moyen de défense comme l’illégalité ».

[82] En ce qui a trait à l’application de la norme du caractère évident et manifeste, la Cour suprême du Canada a rappelé que l’approche adoptée par la cour doit être généreuse et qu’elle doit permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable, et ne pas nuire à l’évolution du droit : R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42 aux para 19‑21.

[83] Le fait que la demanderesse ait une importante pente à remonter pour établir sa cause ne devrait pas la priver de la possibilité de le faire. Les questions complexes de fait et de droit ne peuvent être examinées que dans le contexte d’une requête en jugement sommaire, d’une requête en procès sommaire ou au procès.

[84] Ce n’est pas le rôle de la Cour, à l’étape de l’autorisation, de rendre une décision définitive sur cette question. À mon avis, il n’est pas manifeste et évident qu’en renvoyant au règlement UE 261 dans le tarif, la défenderesse n’avait pas l’intention d’incorporer ce règlement au contrat. Cette question est nouvelle et nécessite un dossier de preuve complet pour que la Cour rende une décision appropriée sur le fond.

[85] Par conséquent, en supposant que la Cour a compétence et qu’une cause d’action valable a été plaidée, je dois déterminer si la demanderesse a satisfait aux autres facteurs énoncés au paragraphe 334.16(1) des Règles, exposés ci‑après :

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui : (i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe, (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement, (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs, (iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who (i) would fairly and adequately represent the interests of the class, (ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing, (iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and (iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record

[86] Avant d’aborder les conditions d’autorisation, je dois, à titre préliminaire, examiner la question du témoignage d’expert de M. de Oliviera en ce qui a trait à la requête en autorisation.

[87] L’objection de la demanderesse à la preuve d’expert de la défenderesse comporte deux volets. Premièrement, la demanderesse soutient que le témoignage d’opinion de M. de Oliveira est inadmissible parce que cet expert n’est pas qualifié, car il n’est ni impartial ni indépendant. Deuxièmement, elle soutient que la preuve d’expert proposée n’est pas pertinente ni nécessaire à l’autorisation.

[88] M. de Oliveira affirme dans son affidavit qu’il agit au nom de la défenderesse dans une affaire devant être entendue par la Cour de Ponta Delgada au sujet d’une demande d’indemnisation en vertu du règlement UE 261. Il est également membre du conseil d’administration d’une fondation créée par décret du gouvernement portugais en vue de créer une institution privée sans but lucratif pour la promotion des relations entre le Portugal et les États‑Unis.

[89] M. de Oliveira affirme qu’en raison de son expertise en tant qu’avocat et de son expérience en tant que membre du gouvernement régional des Açores, il connaît bien le règlement UE 261 en ce qui concerne les droits des passagers dans le transport aérien et la façon dont il a été interprété et appliqué au Portugal et, de façon plus générale, dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

[90] La demanderesse soutient que l’obligation de loyauté de l’expert proposé envers son client serait en conflit direct avec la présentation d’une opinion impartiale et indépendante à la Cour. De plus, son rôle au sein même du gouvernement, qui est entièrement propriétaire de la compagnie aérienne défenderesse, jette un doute supplémentaire sur la question de savoir s’il peut agir de façon impartiale.

[91] L’admission de la preuve d’expert est assujettie à des exigences rigoureuses de fond et de procédure et repose sur l’application des critères suivants : a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion; d) la qualification suffisante de l’expert : R. c Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 RCS 9.

[92] Je me demande pourquoi la défenderesse a choisi de retenir ce déposant en particulier plutôt qu’un autre avocat du Portugal pour fournir des renseignements généraux en l’espèce. Toutefois, le simple fait que M. de Oliveira ait été retenu par la défenderesse pour demander un renvoi à la CJUE dans une affaire relative au règlement UE 261 et qu’il soit membre d’un conseil d’administration d’une fondation gouvernementale n’est pas disqualifiant.

[93] Cela dit, je ne suis pas d’accord avec la défenderesse pour dire que la preuve d’expert proposée ne porte que sur des concepts et des aspects de base non controversés du règlement UE 261. Les sujets suivants sont traités en détail dans l’affidavit de M. de Oliveira :

  • a) Le droit de l’UE et le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne;

  • b) Le droit à une indemnisation pour les vols retardés prévu dans le règlement UE 261;

  • c) Les organismes de traitement des réclamations prévus dans le règlement UE 261;

  • d) La question de savoir si le passager doit faire valoir une réclamation pour avoir droit à une indemnisation en vertu du règlement UE 261;

  • e) La jurisprudence relative au règlement UE 261 des tribunaux nationaux des États membres de l’UE;

  • f) La reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers au Portugal.

[94] Une grande partie de la preuve d’opinion proposée qui a été fournie par M. de Oliviera est constituée d’arguments juridiques. De plus, M. de Oliviera s’engage dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position lorsqu’il aborde certains sujets, notamment aux paragraphes 32 à 37, 56 à 66, 71 à 73, 76 et 81 à 85 de son affidavit, dans lesquels il remet directement en question le bien‑fondé de l’action de la demanderesse. En outre, M. de Oliviera présente des éléments de preuve d’un seul point de vue, en faisant abstraction des éléments de preuve qui pourraient appuyer une conclusion différente.

[95] Dans les circonstances, je conclus que l’affidavit ne satisfait pas aux critères d’admissibilité et ne devrait pas être pris en compte.

(2) Groupe identifiable

[96] Pour conclure à l’existence d’un groupe identifiable, la Cour doit juger que les trois critères suivants sont respectés : (1) le groupe doit être défini en recourant à des critères objectifs; (2) le groupe doit être défini sans se référer au fond de l’action; (3) il doit exister un lien rationnel entre la définition proposée du groupe et les questions communes énoncées (Paradis Honey Ltd. c Canada, 2017 CF 199 au para 23 [Paradis Honey Ltd.]). Le représentant demandeur proposé doit démontrer que la définition du groupe est suffisamment étroite pour répondre à ces critères.

[97] Le groupe envisagé par la demanderesse est le suivant :

[traduction]

Toutes les personnes, où qu’elles se trouvent dans le monde, qui, à partir du 14 août 2012, ont voyagé à bord d’un aéronef (ou de deux aéronefs dans le cas de vols avec correspondances) exploité par la défenderesse (y compris les aéronefs dont la défenderesse conserve le contrôle commercial) à destination ou en provenance du Canada et arrivé à la destination finale plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue, mais à l’exclusion des personnes physiques qui ont déjà reçu une indemnisation totale en espèces de la défenderesse respective conformément au règlement UE 261/2004.

[98] La défenderesse conteste les critères objectifs au motif que la définition du groupe manque de clarté parce qu’elle intègre les concepts de « destination finale » et de « vol avec correspondances ». Selon la défenderesse, il n’y a pas de preuve quant aux paramètres que la demanderesse propose d’utiliser, le cas échéant, pour trancher cette question sur une base individuelle.

[99] À mon avis, les observations de la demanderesse aux paragraphes 74 à 79 de son mémoire constituent une réponse complète à l’objection de la défenderesse.

[traduction]
74. […] Il convient de noter que « destination finale » est défini à l’alinéa 2h) du règlement UE 261 et que cette définition renvoie aux « vols avec correspondances », ce que SATA reconnaît.

75. Soit dit en tout respect, nous estimons que l’argument de SATA échoue pour trois raisons. Tout d’abord, une définition de groupe correspondant au libellé de la loi est préférable et répond aux préoccupations quant à une portée excessive, crée un lien direct entre le groupe et les questions communes, et précise les critères clairs à appliquer (par renvoi à la loi). Deuxièmement, et c’est le plus important, SATA a intégré exactement ce libellé dans ses tarifs. SATA ne dit pas que les mots figurant dans son propre tarif ne sont pas clairs. Enfin, comme il est indiqué ci‑dessous, SATA et les membres eux‑mêmes savent s’il y a eu un « vol avec correspondances ».

76. Les éléments de preuve de SATA donnent à penser que les membres du recours collectif ayant des « vols avec correspondances » peuvent simplement être tirés des itinéraires de ces membres du recours collectif, qui seraient en possession de SATA (comme le démontre la preuve de SATA). Le bon sens donne à penser que de nombreux membres du recours collectif auraient également des dossiers sur leurs propres itinéraires. Les itinéraires permettront de déterminer les membres du recours collectif ont un « vol avec correspondances » et ceux qui n’en ont pas, ce qui, de toute façon, ne doit pas être résolu à l’étape de l’autorisation.

77. SATA fournit des exemples de passagers qui « sembleraient appartenir » à ce groupe. Soit dit en tout respect, nous sommes d’avis que certains de ces exemples sont fondés sur une mauvaise interprétation des propres modalités tarifaires de SATA. SATA semble faire état de certains cas « limites » au sein du groupe qui pourraient nécessiter une enquête individuelle à une étape ultérieure. Quoi qu’il en soit, les exceptions ne dictent pas la règle et n’enlèvent rien au fait que la demanderesse a déjà défini un groupe approprié, comme il se doit.

78. SATA confirme que la grande majorité des passagers des vols de SATA (ou contrôlés par SATA) qui ont été retardés de plus de trois heures, soit environ 86 % des passagers, n’ont pas de « vol avec correspondances ». Pour ces passagers, il ne sera pas nécessaire de procéder à un examen individuel pour déterminer si un « vol avec correspondances » a causé une arrivée tardive.

79. Pour les 14 % des passagers restants qui ont un « vol avec correspondances » après le vol de SATA (ou le vol contrôlé par SATA), la demanderesse ne conteste pas le fait que l’arrivée tardive doit être attribuée au vol de SATA (ou au vol contrôlé par SATA) pour que des dommages‑intérêts puissent être payables. Nous estimons, soit dit en tout respect, que toute possibilité d’enquête individuelle et la question de savoir si une personne peut, en fait, se conformer à la définition du groupe ne sont pas des considérations pertinentes aux fins de l’alinéa 334.16(1)b) des Règles, mais plutôt aux fins de savoir s’il s’agit du meilleur moyen de régler la réclamation (alinéa 334.16(1)d) des Règles). Il convient de noter que, dans certaines de ces situations, la détermination sera probablement simple, car le vol de SATA pourrait être arrivé après le départ du « vol avec correspondances ». Quoi qu’il en soit, il reviendrait à la Cour de déterminer si cet aspect du recours collectif pourrait être modifié ou retranché après l’interrogatoire préalable. Ce n’est certainement pas une raison pour refuser l’autorisation à l’ensemble du groupe.

[100] Je conviens avec la demanderesse que les termes en question peuvent être définis et que le juge des faits pourra utiliser ces éléments pour identifier le groupe. Le groupe envisagé est défini par des critères clairement objectifs qui permettront aux membres du groupe de s’auto‑identifier. Les membres du recours collectif eux‑mêmes sauraient s’ils ont voyagé à bord d’un vol exploité par la défenderesse, ou par un sous‑traitant de celle‑ci, à destination ou en provenance du Canada et s’ils sont arrivés à leur « destination finale » avec plus de trois heures de retard, qu’il y ait ou non un « vol avec correspondances ». Quoi qu’il en soit, la défenderesse possède des dossiers détaillés sur les vols qui ont été retardés de plus de trois heures et elle serait en mesure de vérifier si un passager en particulier avait un vol avec correspondances.

[101] La défenderesse soutient en outre que la définition proposée est inutilement large, car elle comprend toutes les personnes dans le monde qui ont à la fois : (1) pris un vol à destination ou en provenance du Canada pendant la période visée par le recours collectif et (2) sont arrivées à leur « destination finale » plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue. La défenderesse affirme qu’à première vue, la définition actuelle comprend les personnes envers qui elle n’a aucune obligation en vertu du règlement UE 261 ou de la thèse de la responsabilité contractuelle de la demanderesse.

[102] Toutefois, pour répondre à la question de savoir si les demandeurs font partie du groupe envisagé, il faut essentiellement chercher à déterminer les droits prévus par le règlement UE 261, à savoir s’intéresser au fond de la réclamation de la demanderesse. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de résoudre cette question à l’étape de l’autorisation. Il en va de même de l’argument de la défenderesse selon lequel l’article 35 de la Convention de Montréal met fin à toutes les actions en dommages‑intérêts qui n’ont pas été intentées dans un délai de deux ans.

[103] Tous les membres du recours collectif font valoir une rupture de contrat et demandent une indemnisation normalisée en vertu du règlement UE 261. Le groupe n’est pas inutilement vaste. Tous les membres du recours collectif partagent le même intérêt dans la résolution de la question de savoir si un contrat a été formé, si la défenderesse a violé le contrat et si une indemnisation est donc payable.

(3) Questions communes

[104] Au paragraphe 108 de l’arrêt Pro Sys, la Cour suprême du Canada a énuméré une série de facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’on analyse le caractère commun des questions :

(1) Il faut aborder le sujet de la communauté en fonction de l’objet.

(2) Une question n’est « commune » que lorsque son règlement est nécessaire au règlement des demandes de chacun des membres du groupe.

(3) Il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient tous dans la même situation par rapport à la partie adverse.

(4) Il n’est pas nécessaire que les questions communes l’emportent sur les questions non communes. Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif. Le tribunal évalue l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles.

(5) Le succès d’un membre du groupe emporte nécessairement celui de tous. Tous les membres du groupe doivent profiter du dénouement favorable de l’action, mais pas nécessairement dans la même proportion.

[105] De plus, une question commune peut exister même si la réponse donnée peut varier d’un membre du groupe à un autre (Vivendi Canada Inc. c Dell’Aniello, 2014 CSC 1 aux para 45‑46 [Vivendi]).

[106] La demanderesse a demandé l’autorisation de soulever les questions suivantes :

[traduction]

Applicabilité du règlement UE 261/2004

1. La défenderesse a‑t‑elle explicitement intégré le règlement UE 261/2004 dans ses contrats de transport avec chaque membre du recours collectif?

2. Si la réponse à la question 1 est négative, le contrat de transport de la défenderesse avec chaque membre du recours collectif prévoit‑il de façon implicite que la défenderesse se conformera au règlement UE 261/2004?

3. En raison de l’incorporation contractuelle (ou d’une condition implicite du contrat de transport), la défenderesse est‑elle tenue de se conformer à toutes les mesures de protection prévues au règlement UE 261/2004, y compris à toute interprétation exécutoire de celles‑ci?

4. Dans la mesure où la défenderesse a tenté de limiter contractuellement la portée du règlement UE 261/2004, cette limitation est‑elle valide en vertu du règlement UE 261/2004 ou des principes ordinaires du droit contractuel (notamment l’illégalité, l’inapplicabilité ou la séparation)?

Période visée par le recours collectif

5. Le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique‑t‑il en l’espèce?

6. Si la réponse à la question 5 est négative, quel est le délai de prescription applicable?

Vols retardés pendant la période visée par le recours collectif

7. Au cours de la période visée par le recours collectif (voir les questions 5 et 6 ci‑dessus), combien de vols (visés par la définition du groupe) ont entraîné l’arrivée de passagers à leur destination finale plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue?

8. Pour chacun des vols retardés visés par la question 7, la défenderesse a‑t‑elle l’intention de faire valoir en défense que le vol a été retardé en raison de « circonstances extraordinaires » (telles qu’elles sont définies par la jurisprudence exécutoire de la Cour de justice de l’Union européenne)?

9. Pour chacun des vols retardés relevés par la défenderesse à la question 7, chaque retard correspond‑il à des « circonstances extraordinaires »?

10. Dans le cas où la Cour conclut que l’affirmation de la défenderesse selon laquelle il y avait des « circonstances extraordinaires » visées à la question 9 ci‑dessus n’était pas fondée, la défenderesse devrait‑elle payer les dépens à l’égard d’une partie ou de la totalité de l’arbitrage de cette défense, conformément au paragraphe 334.39(1) des Règles des Cours fédérales?

Paiement de dommages‑intérêts

11. Pour tout vol retardé visé par la question 7 (moins ceux qui ont été relevés en vertu de la question 8) et tous les vols visés par la question 9 qui ne correspondent pas au critère des « circonstances extraordinaires », la défenderesse devrait‑elle verser une indemnité de 300 euros ou de 600 euros à chaque membre du recours collectif, selon la durée du retard?

12. Quel montant, en devises canadiennes équivalentes, la défenderesse devrait‑elle payer au titre de la question 11 ci‑dessus?

13. La défenderesse peut‑elle être tenue de payer des intérêts imposés par le tribunal?

14. Une évaluation globale des dommages‑intérêts peut‑elle être effectuée conformément au paragraphe 334.28(1) des Règles des Cours fédérales?

[107] Je suis convaincu que la demanderesse a satisfait à l’exigence du caractère commun en ce qui concerne les questions 1 à 6. Bien qu’il puisse y avoir une certaine évaluation individuelle de l’admissibilité d’un membre d’un groupe à demander une indemnisation, aucune personne ne peut réussir à obtenir une indemnisation sans établir l’existence d’un contrat, la violation de ce contrat et la force exécutoire du règlement UE 261 au Canada.

[108] La question 7 n’est pas une question commune; elle ne sert pas à faire progresser le règlement de la réclamation de chaque membre du recours collectif. En effet, la détermination du nombre de vols qui ont été retardés de plus de trois heures n’est pas un élément nécessaire pour régler une réclamation d’un membre du groupe ou un élément de celle‑ci. Les questions 8, 9 et 10 ne sont pas non plus communes au sens requis. Un membre du groupe du vol X n’a aucun intérêt à savoir si le vol Y a été retardé en raison de « circonstances extraordinaires » ou de toute question factuelle ou juridique qui pourrait être en cause dans la prise de cette décision. La prétention de la demanderesse selon laquelle les vols pourraient être regroupés [traduction] « dans diverses catégories aux fins d’obtention d’une décision collective » est une admission que ces questions ne sont pas communes à l’ensemble du groupe. Il s’ensuit que les questions 11 et 12 ne sont pas des questions communes.

[109] De plus, les questions 10 et 13 ne sont pas des questions communes appropriées. Toute partie peut faire valoir que des dépens ou des intérêts devraient être adjugés en vertu de l’article 334.39 des Règles si elle estime que les circonstances le justifient.

[110] Enfin, la question 14 n’est manifestement pas en litige en l’espèce, car la demanderesse demande une indemnisation normalisée et non des dommages‑intérêts.

(4) Le meilleur moyen de régler la réclamation

[111] Lors de l’analyse du critère du meilleur moyen, la question consiste en définitive à savoir si d’autres moyens possibles sont préférables, et non si un recours collectif permettrait d’atteindre pleinement les objectifs (AIC Ltd c Fischer, 2013 CSC 69 au para 16 [AIC]). La Cour suprême a décrit le fardeau de la preuve dans l’évaluation de la procédure à privilégier :

Il incombe à la partie qui cherche à faire certifier un recours collectif d’établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions de certification (Hollick, par. 25). S’agissant du critère du meilleur moyen, le représentant des demandeurs doit démontrer (1) que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et (2) qu’il serait préférable à tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe (Hollick, par. 28 et 31). Le défendeur peut présenter des éléments afin de [traduction] « réfuter l’existence du certain fondement factuel pouvant s’inférer de la preuve présentée par le demandeur » (M. Cullity, « Certification in Class Proceedings — The Curious Requirement of “Some Basis in Fact” » (2011), 51 Rev. can. dr. comm. 407, p. 417).

Pour ce qui est du deuxième aspect du critère du meilleur moyen — c’est‑à‑dire l’analyse comparative — le représentant des demandeurs devra nécessairement établir un certain fondement factuel permettant de conclure que le recours collectif serait préférable aux autres voies judiciaires. On ne saurait toutefois exiger qu’il passe en revue toutes les voies de droit extrajudiciaires possibles pour faire cette preuve. Le défendeur qui invoque l’existence d’une solution extrajudiciaire est tenu d’étayer son affirmation. Pour reprendre les propos du juge Winkler (plus tard juge en chef) dans Caputo c. Imperial Tobacco Ltd. (2004), 236 D.L.R. (4th) 348 (C.S.J. Ont.) : [traduction] « . . . les défenderesses ne peuvent se contenter d’affirmer que d’autres moyens sont préférables sans fondement probatoire [. . .] Leur affirmation doit être appuyée par des éléments de preuve » (par. 67). Toutefois, dès lors que la preuve relative à un autre moyen est produite, le fardeau de prouver qu’il est satisfait au critère du meilleur moyen repose à nouveau sur le demandeur
[AIC, au para 48 et 49)

[112] Il s’ensuit qu’il incombe à la demanderesse de s’acquitter du fardeau de démontrer : (1) que le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance et (2) que le recours collectif serait préférable à tous les autres moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe. La demanderesse n’est toutefois pas tenue de démontrer que le recours envisagé est préférable à toute procédure, seulement à celles qui sont raisonnables.

[113] La demanderesse affirme qu’un recours collectif en l’espèce permettrait d’atteindre les objectifs des recours collectifs, soit l’accès à la justice, l’économie judiciaire et la modification des comportements (AIC, paragraphe 22). Selon la demanderesse, en l’absence d’un recours collectif, il est peu probable que les réclamations des membres du recours collectif soient présentées en raison du coût des litiges individuels comparativement à la valeur des réclamations.

[114] La demanderesse soutient que les deux procédures de rechange proposées par la défenderesse (dépôt d’une plainte auprès de l’organisme national d’application de la loi du Portugal [ANAC] ou dépôt d’une plainte auprès de l’Office des transports du Canada [OTC]) ne sont pas des solutions de rechange valables pour les réclamations.

[115] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que le fait qu’une plainte puisse être déposée auprès de l’ANAC n’appuie pas la proposition selon laquelle cet organisme d’application de la loi doit être privilégié. Premièrement, je remarque que les opinions de l’ANAC ne sont pas définitives ou exécutoires comme le serait une ordonnance d’un tribunal portugais. Deuxièmement, la Cour a déjà rejeté de telles procédures non contraignantes qui donnent lieu à des dommages‑intérêts non pécuniaires comme solutions de rechange valables à un recours collectif : Condon, aux para 108 et 111‑115.

[116] En ce qui concerne la procédure de l’OTC, la demanderesse soutient ce qui suit :

[TRADUCTION]

121. En ce qui concerne l’affirmation de SATA concernant la présentation d’une plainte à l’OTC, rien n’indique non plus que l’OTC examinera les 176 vols en question, ce qui soulève encore une fois des préoccupations quant à la possibilité d’une modification des comportements efficace. Il n’y a pas non plus de preuve qu’il se prononcera sur les réclamations de tous les passagers d’un même vol, et il n’y aura pas d’accès à la justice. De plus, l’OTC n’est pas en mesure de traiter 28 000 plaintes individuelles déposées par le groupe, et il serait débordé.

122. De plus, l’OTC est simplement un tribunal constitué en vertu d’une loi dont le mandat est limité par l’application de sa loi habilitante (c.‑à‑d. la Loi sur les transports au Canada) et son règlement connexe. L’OTC lui‑même a confirmé qu’il pourrait ne pas être en mesure de statuer directement ou indirectement sur les demandes d’indemnisation présentées en vertu du règlement UE 261.131. En revanche, la Cour a compétence plénière pour trancher toute question découlant de sa compétence initiale.

[117] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu qu’un recours collectif serait préférable au processus informel de facilitation et au processus officiel d’arbitrage offerts par l’OTC.

[118] Premièrement, il incombe à la demanderesse d’étayer par un certain fondement factuel sa position selon laquelle l’OTC ne donnera pas suite aux plaintes. Elle ne peut pas se fonder sur l’absence de preuve pour prouver un fait; les faits sans preuve sont de simples affirmations. La demanderesse se livre à des conjectures lorsqu’elle prétend que l’OTC sera débordé et n’est pas en mesure de traiter un nombre important de plaintes.

[119] Deuxièmement, la demanderesse n’a fourni aucun élément pour appuyer sa thèse selon laquelle la Cour est en quelque sorte plus compétente que l’OTC pour trancher les différends relatifs au transport aérien.

[120] L’OTC est un tribunal quasi judiciaire indépendant. Il rend des décisions sur un vaste éventail de questions touchant les modes de transport aérien, ferroviaire et maritime relevant de l’autorité du Parlement. L’OTC dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable sur les transporteurs, y compris le pouvoir d’examiner et d’interpréter le tarif de la défenderesse. Lorsqu’il détermine qu’un transporteur n’a pas correctement appliqué ses conditions de transport, l’OTC a de vastes pouvoirs pour ordonner au transporteur de prendre les mesures correctives que l’Office juge appropriées; il peut aussi ordonner le paiement d’une indemnité aux passagers lésés.

[121] Je conviens avec la défenderesse qu’une demande à l’OTC lui demandant explicitement de déterminer si le règlement UE 261 est incorporé dans le tarif de la défenderesse et donc applicable au Canada serait un moyen efficace de résoudre la question sur laquelle l’instance envisagée par la demanderesse est fondée et servir de précédent pour d’autres demandes semblables.

(5) Représentant demandeur

[122] Le cinquième et dernier critère pour l’autorisation d’un recours collectif est la présence d’un représentant demandeur qui représenterait adéquatement les intérêts du groupe sans conflit d’intérêts et qui a produit un plan efficace de litige.

[123] La capacité du représentant demandeur d’assurer une représentation adéquate dépend de facteurs comme sa motivation à donner suite à la réclamation, sa capacité d’assumer les coûts du litige et la compétence de son avocat à donner suite à la réclamation.

[124] En ce qui concerne ce dernier critère, je peux être bref et dire simplement que la demanderesse satisfait à tous les aspects du critère lié à la désignation du représentant demandeur. J’estime que toutes les objections soulevées par la défenderesse sont sans importance et peuvent facilement être traitées dans le cadre de la gestion de l’instance.

V. Conclusion

[125] Pour ces motifs, la requête en radiation pour défaut de compétence est accueillie et l’action est rejetée. La requête en autorisation est rejetée, car la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de satisfaire aux cinq critères d’autorisation.

VI. Dépens

[126] La défenderesse a demandé les dépens liés à sa requête. Toutefois, elle n’a pas réussi à établir une conduite de la demanderesse qui prolongeait inutilement la durée de l’instance, une mesure prise par la demanderesse qui était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou toute autre circonstance exceptionnelle justifiant l’adjudication des dépens en sa faveur comme l’exige l’article 334.39 des Règles. La disposition sur la non‑adjudication de dépens s’applique par défaut à tout processus d’autorisation devant la Cour. Dans les présentes circonstances, chaque partie assumera ses propres dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1517‑18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête en autorisation du recours collectif envisagé présentée par la demanderesse à l’encontre de la défenderesse, SATA Internacional – Azores Airlines, SA, est rejetée.

  2. La requête en radiation de la déclaration modifiée présentée par la défenderesse est accueillie, sans autorisation de modification.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger R. Lafreniѐre »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1517‑18

INTITULÉ :

DORA BERENGUER c SATA INTERNACIONAL –AZORES AIRLINES, S.A.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montrÉal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

AUTRES OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

LES 21, 22 ET 23 OCTOBRE 2019

LE 19 FÉVRIER 2021

LE 1ER MARS 2021

LE 2 MARS 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

le juge LAFRENIÈRE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Jérémie John Martin

Me Sébastien A. Paquette

M. Simon Lin

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Calos P. Martins

M. Andrew MacDonald

Mme Emma Romano

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Champlain Avocats

Montréal (Québec)

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

 

WeirFoulds LLP
Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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