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Date : 20210504

Dossier : T‑985‑19

Référence : 2021 CF 397

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 4 mai 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

demanderesse

 

et

 

BEZAN CATTLE CORPORATION,

BARBARA BEZAN ET LAYTON BEZAN

 

défendeurs

 

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse en vertu des articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, en vue de recouvrer la somme de 399 305,54 $, plus les intérêts et les dépens, auprès de la société défenderesse, Bezan Cattle Corporation (BCC), et des personnes physiques défenderesses, Barbara Bezan et Layton Bezan.

[2] Les défendeurs ont invité la Cour à rejeter intégralement la requête et l’action engagée contre eux ou, subsidiairement, à renvoyer l’affaire pour instruction.

[3] Les défendeurs élèvent du bétail en Saskatchewan. Chacune des personnes physiques défenderesses est actionnaire à 50 % de BCC. Chacune est également actionnaire à 50 % d’une autre société appelée Bezan Feeders Inc. (BFI). Comme décrit en détail ci‑après, les deux sociétés ont présenté des demandes de paiements anticipés pour produits agricoles en vertu de la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LRC 1997, c 20 (la LPCA). Deux paiements anticipés ont été effectués. La demanderesse voudrait maintenant recouvrer l’ensemble du montant versé, majoré des intérêts courus.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Un jugement sommaire est rendu contre BCC. Les affidavits produits par les défendeurs faisaient état de modifications apportées aux formulaires de demande liés aux prêts, mais la preuve non contredite montre que les sommes réclamées ont été avancées et que BCC s’est clairement et sans équivoque engagée à les rembourser. Elle ne l’a pas fait, et la demanderesse obtient gain de cause.

[5] L’action engagée contre les défendeurs Barbara Bezan et Layton Bezan est rejetée. Les garanties conjointes et solidaires qu’ils ont souscrites ne sont pas exécutoires par application du paragraphe 31(2) de la Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, c. S‑17.1.


I. Faits à l’origine de la requête

[6] L’action de la demanderesse fait suite à deux paiements effectués en 2008 en vertu de la LPCA. La société Manitoba Livestock Cash Advance Inc. (MLCA) faisait office d’agent d’exécution des paiements anticipés consentis aux producteurs agricoles en vertu de la LPCA. Le programme de paiements anticipés permettait aux éleveurs de bétail de recevoir un paiement anticipé pour leurs animaux avant leur vente. La somme avancée dépendait des stocks de bétail durant la campagne agricole en cause et devait être remboursée dans un délai de 12 à 18 mois quand le bétail était vendu.

[7] Le ministre fédéral de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire se portait caution des avances. Si le producteur ne remboursait pas, MLCA pouvait mettre le ministre en demeure de le faire à sa place. Une fois MLCA désintéressée, le ministre devient, en vertu de la LPCA, subrogé dans les droits de MLCA et peut demander le remboursement directement à l’emprunteur (para 23(2) de la LPCA).

[8] En 2008, les activités d’élevage des défendeurs ont été durement touchées par des rumeurs d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) parmi les troupeaux — ce que l’on appelait la maladie de la « vache folle ». Par l’entremise du couple Bezan, leurs sociétés ont demandé deux paiements anticipés. Les avances n’ont pas été remboursées. Le ministre a désintéressé MLCA et demande maintenant aux défendeurs de payer.

[9] Il convient d’exposer en détail les faits relatifs aux deux avances pour être en mesure de trancher les questions soulevées dans la présente requête en jugement sommaire. Les faits sont tirés pour l’essentiel de l’affidavit de Jo‑anne Schell, chargée de programme pour MLCA, souscrit le 7 juillet 2020, et des affidavits de Barbara Bezan et Layton Bezan, tous deux souscrits le 14 septembre 2020. Jim Juacalla, l’agent d’exécution de MLCA, ne s’est pas exprimé sur la requête.

[10] Aucune des parties n’a contre‑interrogé les déposants.

Le paiement anticipé d’urgence

[11] Le 9 avril 2009, les défendeurs Layton et Barbara Bezan ont présenté à MLCA, au nom de BCC, une demande écrite de paiement anticipé d’urgence (l’avance d’urgence) d’une somme de 45 938,88 $. À cette demande était annexé un accord de remboursement stipulant que BCC devait rembourser l’avance d’urgence dans un délai de 12 mois après son versement. La demande obligeait aussi le couple Bezan à souscrire, en marge de l’avance, une [traduction] « garantie conjointe et solidaire », ce qu’ils ont fait le 9 avril 2008 à Regina (Saskatchewan).

[12] Le 23 avril 2008, MLCA a signé la demande d’avance d’urgence. Le signataire était Jim Juacalla, qui a paraphé, au nom de MLCA, la portion [traduction] « Attestation de l’agent d’exécution » de la demande d’avance d’urgence.

[13] Le 24 avril 2008, MLCA a versé une avance d’urgence au montant de 100 000 $, moins une retenue, des frais divers et des frais de dossier. MLCA a déposé la somme au compte bancaire de BCC à la Banque de Montréal.

[14] M. Bezan et Mme Bezan ont tous deux affirmé, à propos de la requête, que BCC [traduction] « ne souhaitait pas demander » 100 000 $, mais seulement 45 938,88 $. Cependant, Mme Bezan a déclaré que leur autre société, BFI, avait [traduction] « désespérément besoin » de fonds à cause de l’instabilité du marché des viandes bovines et des conséquences de l’épidémie d’ESB. Elle a témoigné que Jim Juacalla, l’agent d’exécution de MLCA, lui avait dit qu’il les aiderait financièrement autant qu’il le pourrait; cependant, [traduction] « comme BFI était une nouvelle société, il pourrait être difficile d’obtenir rapidement une avance ». Mme Bezan a indiqué avoir dit à M. Juacalla que BCC ne pouvait pas prendre à sa charge plus que la somme demandée de 45 938,88 $, de sorte que c’était à BFI qu’il appartiendrait de demander une avance additionnelle (c.‑à‑d. une somme additionnelle jusqu’à un maximum de 100 000 $).

[15] Mme Schell a témoigné que BCC pouvait recevoir jusqu’à 100 000 $, compte tenu de l’information figurant dans la demande à propos du volume attendu de la production de bétail. L’affidavit de Mme Schell indiquait aussi que, selon son expérience, il n’était pas inhabituel pour les représentants de MLCA de communiquer avec des producteurs en quête d’une avance s’il leur semblait que le producteur pouvait obtenir une avance supérieure à celle qu’il avait demandée. Elle ne savait pas personnellement si M. Juacalla avait communiqué avec M. Bezan ou Mme Bezan pour obtenir leur aval, mais, à son avis, M. Juacalla n’avait aucune raison de modifier leur demande sans d’abord leur en parler.

[16] Mme Bezan et M. Bezan ont tous deux témoigné ne pas avoir autorisé de changements au formulaire de demande relatif à l’avance d’urgence ni n’avoir autorisé l’avance supérieure demandée. Cependant, ils n’ont pas nié que la somme avait été avancée, reçue et employée. Aucun d’eux n’a témoigné avoir formulé, à l’époque, en avril 2008, une quelconque objection auprès de MLCA à propos du montant de l’avance ou à propos du virement des fonds au compte de BCC à la Banque de Montréal (plutôt qu’à celui de BFI).

[17] Mme Bezan a témoigné avoir remarqué que, lorsque les fonds de l’avance d’urgence ont été versés à BCC, la somme atteignait presque 100 000 $. Elle a indiqué que [traduction] « sachant que les fonds additionnels étaient destinés à BFI, BCC a effectué des paiements au nom de BFI, notamment un paiement immédiat au titre d’une créance de BFI ». En outre, [traduction] « en l’espace de quelques mois, BCC a transféré à BFI l’excédent du montant de l’avance ».

[18] Par lettre adressée à BCC en date du 21 mai 2008, MLCA a confirmé le paiement anticipé d’urgence au montant de 100 000 $ (98 513,50 $ après la retenue, les frais de dossier et les frais divers), en y joignant une copie de la demande modifiée d’avance d’urgence. La lettre précisait que l’avance était un prêt de 12 mois et qu’elle viendrait à échéance le 24 avril 2009. Dans leur témoignage, les défendeurs n’ont pas nié avoir reçu cette lettre.

Le versement de l’avance d’exploitation en cycle continu

[19] Aux environs du 29 avril 2008, les Bezan ont présenté une demande visant à obtenir une autre avance de MLCA, cette fois au nom de BFI, plus précisément une avance d’exploitation en cycle continu (l’avance ECC), chiffrée à 200 521,64 $. Tout comme la demande d’avance d’urgence, la demande d’avance ECC était accompagnée d’un accord de remboursement stipulant que BFI devait rembourser l’avance ECC dans un délai de 12 mois. La demande obligeait aussi les Bezan à souscrire, pour l’avance, une [traduction] « garantie conjointe et solidaire », ce qu’ils ont fait le 29 avril 2008, à Regina (Saskatchewan).

[20] Le 21 mai 2008, MLCA (Jim Juacalla) a signé la portion [traduction] « Attestation de l’agent d’exécution » de la demande d’avance ECC.

[21] Éventuellement, quelqu’un a modifié la demande d’avance ECC pour faire de BCC, plutôt que BFI, le producteur demandant l’avance. La demande atteste que du liquide correcteur a été utilisé. La date précise de ce changement n’apparaît pas dans la preuve.

[22] Les Bezan affirment tous deux ne pas avoir autorisé de changements dans les documents de la demande, ni n’avoir autorisé quiconque, chez MLCA, à remplacer BFI par BCC comme emprunteur. Leurs affidavits respectifs faisaient état d’un appel téléphonique entre Mme Bezan et M. Juacalla, de MLCA, à propos du fait que le montant de l’avance ECC était limité à 200 000 $, parce que BFI était une [traduction] « nouvelle entité ».

[23] Les dossiers de MLCA contenaient aussi des notes manuscrites, qui ont été l’objet de témoignages de Mme Schell et de Jeff Rockburne, un chargé de programme d’Agriculture et Agroalimentaire Canada pour le Programme des paiements anticipés dans les provinces de l’Ouest canadien. Je reviendrai sur ces témoignages plus loin.

[24] Le 27 mai 2008, MLCA a déposé l’avance ECC au montant de 200 000 $, moins une retenue et des frais de dossier, dans le compte bancaire de BFI à TD Canada Trust. Aucun témoin ne s’est exprimé précisément sur la raison pour laquelle le paiement avait été viré au compte de BFI plutôt qu’à celui de BCC. Mme Bezan ne s’est pas exprimée sur l’emploi de cet argent par BCC ou BFI, ou d’une autre manière dans les activités des défendeurs.

[25] Par lettre adressée à BCC en date du 25 août 2008, MLCA a confirmé l’avance ECC de 200 000 $ (197 200 $ après soustraction des frais de dossier et des frais divers) en y annexant une copie de la demande révisée d’avance ECC. La lettre mentionnait que l’avance était un prêt de 12 mois qui viendrait à échéance le 27 mai 2009. Les défendeurs n’ont pas contesté avoir reçu cette lettre et son annexe, ni n’ont contesté que l’annexe était la demande révisée.

Les sursis à la mise en défaut et la demande de refinancement

[26] Aucun remboursement n’avait été effectué sur les avances en date de mai 2009. Les prêts étaient en souffrance.

[27] Le 19 mai 2009, BCC a souscrit un accord de sursis à la mise en défaut, qui prévoyait un sursis à la mise en défaut pour l’avance de 2008. Ce document a été signé par M et Mme Bezan au nom du producteur, BCC.

[28] Par lettre datée du 30 novembre 2010, MLCA a informé BCC avoir constaté que BCC avait une avance portant sur la campagne agricole de 2008. MLCA indiquait aussi que le ministre avait consenti, à compter du 1er octobre 2010, un nouveau sursis à la mise en défaut. La lettre exposait les conditions de remboursement et les détails de l’avance de 2008 :

  • Solde de l’avance : 300 000,00 $

  • Intérêts courus à ce jour sur la portion portant intérêt : 10 509,47 $

[29] La lettre de MLCA priait les Bezan de lire et signer le document annexé d’accusé de réception. Elle les informait que, si le producteur était une personne morale, seul le signataire autorisé devait le signer. Le document d’accusé de réception devait être retourné, accompagné d’une taxe administrative de 500 $, au plus tard le 31 décembre 2010.

[30] Le 20 décembre 2010, M. Bezan, au nom de « Layton et Barbara Bezan, BEZAN CATTLE CORP », a signé le document d’accusé de réception conférant un deuxième sursis à la mise en défaut. Un chèque de 500 $ de BCC à l’ordre de MLCA, daté du 20 décembre 2010 et signé par Mme Bezan, se trouve dans le dossier.

[31] Le 6 mai 2011, MLCA a envoyé à BCC une lettre lui proposant d’arrêter un échéancier de remboursement ou de soumettre une demande de refinancement.

[32] Le 30 mai 2011, BCC a présenté un formulaire de demande de refinancement signé par M. Bezan et Mme Bezan, demandant la reconduction de l’avance de 197 200 $ sur la campagne agricole en cours. Cependant, BCC n’a pas présenté tous les documents requis pour officialiser le refinancement.

[33] Après des avis écrits à BCC par lettres datées du 25 août 2011 et du 9 septembre 2011 la priant de produire les documents requis, MLCA a informé BCC par lettre datée du 1er novembre 2011 qu’elle était en défaut relativement à l’avance d’urgence et l’avance ECC.

[34] Dans sa lettre du 1er novembre 2011, MLCA écrivait aussi que [traduction] « à l’heure actuelle, vous devez 300 000 $, plus les intérêts courus de 17 977,12 $ ». BCC était priée de remplir l’accord annexé de règlement pour le remboursement, sur une période de cinq ans, de l’avance en souffrance.

L’accord de règlement

[35] Le 1er novembre 2011, BCC a signé un [traduction] « Accord au titre du Programme de paiements anticipés (PPA) entre producteur en défaut et MLCA » (l’accord de règlement). M. Bezan et Mme Bezan l’ont tous deux signé au nom de BCC.

[36] L’accord de règlement confirmait que BCC devait à MLCA 300 000 $ plus les intérêts au taux précisés pour des périodes déterminées. Le remboursement devait être effectué à raison de 500 $ par mois le 15e jour de chaque mois à compter du 15 août 2012, outre des paiements forfaitaires de 60 000 $ par an durant cinq ans, une fois les veaux vendus.

[37] Le 29 août 2012, MLCA a reçu de BCC l’accord de règlement dûment signé accompagné de douze chèques mensuels. Mme Schell a signé l’accord de règlement au nom de MLCA.

[38] D’août 2012 à juillet 2013, BCC a effectué les paiements mensuels de 500 $ à MLCA, conformément aux modalités de l’accord de règlement. Elle n’a pas effectué d’autres paiements à MLCA.

[39] Onze des chèques mensuels sont reproduits dans le dossier de cette requête. Chacun porte le nom « Bezan Cattle Corporation ». Chacun est signé par M. Bezan au nom de BCC.

Mesures d’exécution

[40] Par lettre datée du 30 mai 2014, MLCA a informé BCC qu’elle avait demandé au ministre d’honorer sa garantie des avances de 2008 et que les avances étaient maintenant une créance de la Couronne.

[41] Le 13 août 2014, à la suite d’une demande de MLCA, le ministre a honoré sa garantie envers MLCA en vertu du paragraphe 23(2) de la LPCA.

[42] Le 18 juin 2019, le ministre a introduit sa demande contre les défendeurs pour la somme de 419 036,12 $, plus les intérêts et les dépens.

II. Le jugement sommaire selon les Règles des Cours fédérales

Principes juridiques

[43] Si la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, elle rend un jugement sommaire (para 215(1) des Règles des Cours fédérales). Il n’y a pas de question litigieuse si la demande est dénuée de fondement juridique ou si le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige (Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 (le juge Stratas) para 15; Burns Bog Conservation Society c Canada (Procureur général), 2014 CAF 170 (la juge Gauthier) para 35‑36; Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87 para 66).

[44] C’est à la partie qui demande un jugement sommaire qu’il appartient d’établir qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse. La partie qui répond à une requête en jugement sommaire doit [traduction] « présenter ses meilleurs arguments » dans sa réponse (Gupta c Canada, 2021 CAF 31 (le juge Boivin) para 29; Milano Pizza Ltd. c 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112 (la juge Mactavish) para 34, 112 et 148). Ce fardeau repose effectivement sur les deux parties (Canmar Foods Ltd. c TA Foods Ltd., 2021 CAF 7 (le juge de Montigny) para 27; Miller c Canada, 2019 CAF 61 (le juge Laskin) para 17 et 40). Dans l’arrêt Canmar, le juge de Montigny faisait observer que la partie intimée ne saurait se reposer sur ses actes de procédure et qu’elle [traduction] « doit énoncer des faits précis montrant l’existence d’une véritable question litigieuse » (para 27). La Cour « est justifiée de tenir pour acquis que les parties à la requête ont présenté leurs meilleurs arguments et que, si l’affaire était instruite, aucune preuve additionnelle ne serait déposée » (Milano Pizza, para 105 (citant Rude Native Inc. c Tyrone T. Resto Lounge, 2010 CF 1278 (le juge Russell) para 16)). Cela suppose que les parties se doivent de produire la totalité de leur preuve au soutien de la requête ou en réponse à la requête.

[45] Dans la décision Milano Pizza, la juge Mactavish énonçait aussi les principes suivants en matière de jugements sommaires, aux paragraphes 36‑40 (renvois omis) :

[36] Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, pour être « juste et équitable », le dossier dont est saisi le juge des requêtes doit lui permettre de dégager les faits nécessaires au règlement du litige : [...] Un jugement sommaire ne sera pas rendu lorsque le juge n’est pas en mesure de dégager les faits essentiels ou lorsqu’il serait injuste de le faire.

[37] Il est en effet de jurisprudence constante que le tribunal saisi d’une requête en jugement sommaire ne doit pas se prononcer sur les questions de crédibilité. En règle générale, le juge qui entend et observe le témoignage principal et le contre‑interrogatoire des témoins est mieux à même d’apprécier leur crédibilité et de tirer des inférences que le juge qui doit uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve documentaires : [...]

[38] En l’absence de témoignages de vive voix, le juge des requêtes qui est saisi d’une véritable question litigieuse ne peut pas apprécier la crédibilité de la façon appropriée ou encore examiner à fond la preuve et la soupeser : [...] Par conséquent, les litiges devraient faire l’objet d’un procès lorsqu’il existe des questions sérieuses quant à la crédibilité des témoins : [...]

[39] Cela étant dit, « l’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire ». Les juges doivent « se pencher de près » sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : [...]

[40] Lorsqu’il statue sur ce point, le juge des requêtes doit faire preuve de prudence puisque le prononcé d’un jugement sommaire fera en sorte que la partie ne pourra pas présenter de preuve à l’instruction au sujet de la question litigieuse. Autrement dit, la partie qui répond à une requête et qui n’a pas gain de cause perdra « la possibilité de se faire entendre en cour » : [...]

Voir aussi Rallysport Direct LLC c 2424508 Ontario Ltd., 2019 CF 1524 (la juge Fuhrer) para 42.

[46] Comme on peut le lire au paragraphe 39 de la décision Milano Pizza, la Cour doit « se pencher de près » sur la preuve accompagnant une requête en jugement sommaire (voir aussi Manitoba c Canada, para 26). Dans l’arrêt Suntec Environmental Inc. c Trojan Technologies Inc., 2004 CAF 140 (le juge Pelletier), la Cour d’appel fédérale a confirmé la nécessité d’« examiner de près » le fond et, si possible, tirer des conclusions de fait et de droit si les documents le permettent (para 10).

[47] Lorsqu’il y a d’importantes divergences d’ordre factuel qui ne peuvent être résolues sans avoir d’abord tranché les questions de crédibilité des témoins et tirer des déductions des preuves contradictoires, un procès est le moyen à privilégier pour une bonne résolution du différend, plutôt qu’un jugement sommaire (TPG Technology Consulting Ltd c Canada, 2013 CAF 183 (la juge Sharlow), para 3). Ainsi, s’il y a une question de crédibilité à trancher, elle ne devrait pas l’être dans le cadre d’une requête en jugement sommaire (Newman c Canada, 2016 CAF 213, para 57; Succession MacNeil c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, [2004] 3 RCF 3 (la juge Sharlow) para 32; Suntec Environmental, para 20 et 28‑29). Une question de crédibilité se pose si l’on doit la résoudre en faisant primer le témoignage de l’un des témoins sur celui d’un autre (Suntec Environmental, para 23 et 27‑28) ou si la crédibilité d’un témoin est mise en doute au cours d’un contre‑interrogatoire et que l’on doit écarter son témoignage pour arriver à une conclusion (para 25‑26).

La requête de la demanderesse en jugement sommaire

[48] La demanderesse a fait valoir qu’il n’existe pas de véritables questions litigieuses et qu’un jugement devrait être rendu contre les défendeurs. À l’appui de sa prétention, elle s’est référée aux principes fondamentaux du droit des obligations, à savoir l’offre, l’acceptation et la contrepartie, pour affirmer que les ententes conclues entre MLCA et les défendeurs sont valides et exécutoires. Selon la demanderesse, les défendeurs ont sollicité les avances, c’est‑à‑dire qu’ils ont fait une offre. Les modifications apportées aux demandes de prêt (essentiellement, l’augmentation de 45 938,88 $ à 100 000 $ dans la demande d’avance d’urgence, et le remplacement de BFI par BCC dans la demande d’avance ECC) constituaient une contre‑offre de MLCA aux défendeurs, adossée aux avances à titre de contrepartie. De ce point de vue, les défendeurs ont accepté la contre‑offre par leur comportement ultérieur, à savoir la signature de plusieurs documents dans lesquels ils reconnaissaient être redevables à MLCA des avances reçues, à savoir l’accord de sursis à la mise en défaut, le document d’accusé de réception, l’accord de règlement, sans oublier les paiements effectués par BCC aux termes de l’accord de règlement.

[49] Les défendeurs rétorquent que la Cour devrait repousser la demande de jugement sommaire et rejeter sommairement la réclamation dans son intégralité. Subsidiairement, ils plaident que l’affaire présente de véritables questions litigieuses. Sur le fond, les défendeurs font valoir que les accords se rapportant aux paiements anticipés sont nuls parce que MLCA leur a apporté des modifications unilatérales et importantes, auxquelles les défendeurs n’ont pas consenti. Ces modifications étaient le montant de l’avance d’urgence et le remplacement de BFI par BCC en tant que producteur (emprunteur) dans les documents relatifs à l’avance ECC. Dans leurs observations écrites sur la requête, les défendeurs ont qualifié ces modifications de frauduleuses.

Existe‑t‑il une véritable question litigieuse?

[50] Les observations écrites des défendeurs n’ont pas fait état de questions de crédibilité pouvant faire obstacle à un jugement sommaire dans la présente affaire. Affirmant qu’un jugement sommaire ne se justifiait pas, les défendeurs ont énuméré plusieurs [traduction] « difficultés concernant la preuve » qui, selon eux, devraient [traduction] « ébranler la confiance de la Cour » :

  • ni M. Juacalla ni un autre employé d’Agriculture et Agroalimentaire Canada n’ont produit d’affidavit. M. Juacalla est facilement accessible, bien qu’il ne travaille plus pour MLCA. Des déductions défavorables devraient être tirées contre la demanderesse pour non‑production de tels affidavits;

  • la demanderesse a prétendu que les notes manuscrites des dossiers de MLCA de mai 2008 avaient censément été rédigées par M. Jim Juacalla, mais les notes mentionnent également « Jim », et il est peu plausible que l’auteur parlerait de lui‑même à la troisième personne;

  • Mme Schell s’est référée aux notes manuscrites dans son affidavit, mais elle ne s’est pas exprimée sur ses propres souvenirs, alors qu’elle semble avoir participé à l’un des appels téléphoniques évoqués dans les notes;

  • M. Rockburne n’a pas témoigné sur un point important qu’il semblait souligner (selon les notes) à propos du versement à BCC de toute l’avance ECC;

  • il y avait une divergence inexpliquée entre la somme due (environ 342 000 $) et la somme demandée par MLCA au ministre (environ 320 000 $);

  • les défendeurs ont donné à entendre qu’il était possible que des éléments de preuve additionnels n’aient pas été communiqués parce que la demanderesse a omis de présenter une preuve montrant que l’avance ECC avait été versée à BCC (plutôt qu’à BFI).

[51] Selon moi, aucun de ces points n’empêche la Cour de rendre un jugement sommaire. Aucun d’eux ne soulève des questions de crédibilité ni ne présente une question de fait ou de droit qui ne puisse être tranchée nettement dans cette requête. Je souligne ce qui suit :

  • les défendeurs n’ont pas explicité la conclusion défavorable à la demanderesse que la Cour devrait tirer en raison de l’absence de certains témoignages;

  • la divergence inexpliquée concernant la somme due n’est pas pertinente ni déterminante. Comme l’a indiqué la demanderesse dans sa réponse, cette divergence serait le résultat de taux d’intérêt différents arrêtés entre différentes parties prenantes;

  • l’argument des défendeurs sur la non‑communication d’une preuve n’est qu’une supposition.

[52] Les [traduction] « difficultés concernant la preuve » qui, selon les défendeurs, découlent des notes manuscrites de mai 2008 peuvent être résolues simultanément. Les notes manuscrites sont les suivantes :

[traduction]

23 mai 2008

Ai parlé à Jeff à propos de Bezan Feeders Inc. et Bezan Cattle Corporation. Les deux entreprises demandent une avance, et elles ont toutes les deux les deux mêmes actionnaires. Jeff a dit qu’il faut lier les deux entreprises et qu’elles ne devraient pas obtenir plus qu’un maximum combiné de 400 000 $. Jeff a suggéré de consentir une avance à Bezan Cattle Corp afin que cette entreprise n’ait pas à être liée.

26 mai 2008

Jim et Jo‑anne ont parlé à Jeff concernant les attributions avec l’entreprise. Jeff a dit qu’elles ne peuvent obtenir que 200 000 $ portant intérêt. Le producteur doit 100 000 $ au titre du PPA.

26 mai 2008

Ai parlé au producteur à propos d’une avance de 200 000 $. Le producteur est d’accord avec ce montant.

[53] Ces notes semblent donner à penser que MLCA considérait BFI et BCC comme une seule et même entité à la fin de mai 2008 et que l’idée de faire de BCC l’emprunteur de l’avance ECC était sans doute celle de MLCA, et non celle des Bezan. La deuxième note manuscrite, datée du 26 mai 2008, semble confirmer le témoignage des Bezan à propos d’un appel entre Mme Bezan et M. Juacalla concernant le montant de l’avance ECC juste avant le virement des fonds le 27 mai 2008.

[54] Les défendeurs ne se sont pas opposés à ce que les notes manuscrites soient déclarées admissibles, mais les notes n’ont pas été authentifiées par leur auteur. À première vue, elles semblent avoir été consignées à la fin de mai 2008, dans le cours normal des activités. Je suis également conscient de la difficulté que peut avoir un témoin à conserver la mémoire des notes d’une autre personne, et je sais que la prise de notes a pour fonction de faciliter le souvenir d’actions passées.

[55] Ni Mme Schell ni M. Rockburne n’ont rédigé les notes, mais tous deux se sont exprimés sur leur contenu, Mme Schell pour désigner leur auteur probable (M. Juacalla) et donner son interprétation à leur sujet en se fondant sur sa propre expérience des producteurs et des paiements anticipés, et M. Rockburne pour dire qu’il n’avait pas souvenir des conversations, mais que ce qui était consigné dans les notes s’accordait avec ce qu’il avait l’habitude de dire.

[56] Je n’estime pas que la preuve constituée par les notes soit marquante, compte tenu en particulier de la teneur des affidavits de M. Rockburne et de Mme Schell. Par conséquent, toute preuve additionnelle possible que la demanderesse aurait censément pu ou dû produire par suite des notes, ou des témoignages les concernant, n’aurait que peu d’intérêt. Dans leur liste des [traduction] « difficultés concernant la preuve », les défendeurs font cas de l’absence de cette possible preuve, mais je donne quand même créance aux autres preuves versées dans le dossier de la requête.

[57] Pour en revenir à la notion générale d’existence d’une véritable question litigieuse, les défendeurs n’ont pas prétendu qu’il faille départager la crédibilité respective des deux témoins ou qu’il existe une autre véritable et légitime question à trancher. Considérant aussi le dossier de la requête et les observations des parties, ce serait faire un usage abusif du temps et des ressources des parties, comme de la Cour, que de renvoyer la présente affaire pour instruction. Vu l’obligation légale de chacune des parties de présenter sa cause sous son meilleur jour, et vu la teneur des dossiers déposés par les parties, la Cour dispose de la preuve requise pour trancher justement et équitablement le litige au vu du dossier.

III. Un jugement sommaire devrait‑il être rendu au fond contre BCC?

[58] La demanderesse affirme qu’après que les défendeurs eurent rempli les formulaires de demande portant sur l’avance ECC, MLCA a fait une contre‑offre qui précisait le montant de l’avance et indiquait que le remboursement incomberait à BCC, ce à quoi ont consenti les demandeurs. Selon les défendeurs, les accords sont nuls parce que MLCA a unilatéralement et frauduleusement apporté des modifications importantes aux conditions des deux accords de remboursement. Ils invoquent en outre une contrainte économique et un marché inacceptable. Je développerai successivement chacune de ces questions.

Existait‑il un accord exécutoire entre BCC et MLCA?

(i) La conduite de BCC atteste‑t‑elle l’existence d’un accord avec MLCA?

[59] La demanderesse cite l’arrêt Saint John Tug Boat Co. c Irving Refining Ltd., [1964] RCS 614, pour affirmer que la conduite de BCC valait acceptation de la contre‑offre de MLCA. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu qu’une approche objective est requise pour déterminer si une attitude donnée vaut acceptation d’une offre. Un contrat avait été formé en conséquence de l’acquiescement d’un exploitant de raffinerie de pétrole, Irving Refining Ltd., au maintien de la fourniture de services de bateaux‑remorqueurs, malgré l’expiration d’un accord explicite conclu entre l’exploitant de la raffinerie et le fournisseur des services (selon le résumé qu’en faisait récemment la Cour suprême dans l’arrêt Owners, Strata Plan LMS 3905 c Crystal Square Parking Corp., 2020 CSC 29 (la juge Côté, s’exprimant pour les juges majoritaires) para 30).

[60] Dans l’arrêt Strata Plan, la Cour suprême, après avoir évoqué l’espèce Saint John Tug Boat, a déclaré que les attentes raisonnables des parties sont généralement protégées dans le droit des obligations en common law, ce qui signifie qu’« un consentement mutuel subjectif n’est ni nécessaire ni suffisant pour la formation d’un contrat ayant force obligatoire », et qu’« une personne peut être liée par des obligations contractuelles qu’elle n’avait pas (subjectivement) l’intention d’assumer » (Strata Plan, para 31 , citant Waddams, The Law of Contract (7e éd, 2017), §§92 et 146). La Cour suprême a fait observer qu’en common law, le risque qu’une partie se fonde raisonnablement sur l’existence d’un accord est assumé par la partie dont la conduite a fait naître, dans l’esprit de la première, l’impression légitime qu’un contrat passé entre elles serait juridiquement contraignant (para 31).

[61] Dans l’affaire Saint John Tug Boat, les parties avaient conclu un accord de fourniture de services permanents de bateaux‑remorqueurs pour les mois de juin et juillet 1961, selon les modalités arrêtées dans des lettres échangées en mars de cette année‑là. Irving n’avait pas accepté les modalités proposées, mais avait réglé les factures de la compagnie de remorquage au fur et à mesure des services rendus. Du 31 juillet 1961 au 28 février 1962, la compagnie de remorquage avait fourni d’autres services de ce genre et délivré les factures s’y rapportant. Irving n’a pas payé ces factures. Le juge de première instance avait conclu à l’existence de demandes de paiements venant de la compagnie de remorquage, et à l’absence de notification écrite ou orale de Irving indiquant le refus de celle‑ci d’acquitter les services fournis durant ladite période. Selon le juge de première instance, Irving avait acquiescé à la fourniture des services de bateaux‑remorqueurs selon les modalités contenues dans l’accord antérieur, afin de s’éviter le paiement de frais de surestarie sur ses pétroliers.

[62] Devant la Cour suprême, le point à décider était de savoir si la conduite d’Irving à partir de la fin de juillet jusqu’à février de l’année suivante valait acceptation continue de l’offre au point de donner lieu, pour Irving, à un contrat exécutoire l’obligeant à payer les services de remorquage selon le tarif indiqué dans les factures. Aux pages 621‑622, le juge Ritchie a conclu que Irving [traduction] « devait à l’évidence savoir » que le remorqueur avait été gardé à sa disposition jusqu’à la fin de février 1962 et que la compagnie de remorquage comptait être payée selon ce qu’indiquaient les factures mensuelles. Eu égard à sa conduite, il était raisonnable de conclure que Irving avait ratifié le maintien des services selon les modalités proposées dans la correspondance de mars 1961. La compagnie de remorquage était fondée à recouvrer les sommes indiquées dans les factures à titre de [traduction] « sommes dues en vertu d’un contrat qui a été conclu de par le propre acquiescement de Irving ».

[63] Les principes du droit des obligations énoncés dans l’arrêt Saint John Tug Boat ont été appliqués ou cités par la Cour fédérale dans plusieurs de ses décisions : Ehler Marine & Industrial Service Co. c M/V Pacific Yellowfin (Navire), 2015 CF 324 (la juge Simpson) para 26; Blais c Canada (Procureur général), 2004 CF 1638 (le juge Harrington) para 26; et Trans Tec Services Inc. c LYUBOV ORLOVA (Le), 2001 CFPI 958 (le juge Mackay) para 14‑18.

[64] En l’espèce, la preuve atteste bien davantage que l’acquiescement qui avait donné naissance à des obligations contractuelles dans l’affaire Saint John Tug Boat. Les Bezan ont agi de leur propre chef — ils ont pris des mesures concrètes —, d’une manière qui confirmait qu’il incombait à BCC de rembourser la totalité des sommes dues à la demanderesse au titre de l’avance d’urgence et de l’avance ECC. Le constat est clairement établi, de longue date et de manière répétitive, que les deux parties s’attendaient raisonnablement, et que BCC s’engageait en substance, à ce que BCC soit légalement tenue au remboursement (comme cela sera analysé en détail plus loin). Les défendeurs n’ont pas non plus, avant l’introduction de la présente instance, et bien qu’ils aient été plusieurs fois à même de le faire, élevé d’objections contre la somme due, ou prétendu que BCC n’était pas le bon emprunteur. Le témoignage du couple Bezan dans le cadre de la requête n’a pas non plus jeté le doute sur le fait que MLCA a bien avancé les sommes selon le montant demandé pour remboursement.

[65] Je ne répéterai pas la chronologie des faits, précédemment relatée. Je ferai plutôt ressortir ce qui suit.

[66] À la fin d’avril 2008, le couple Bezan avait demandé à BCC de réclamer un financement d’urgence, et MLCA avait transféré à BCC l’avance d’urgence de près de 100 000 $. Au moins une partie de cette somme avait « immédiatement » servi à régler une créance de BFI. Du point de vue des Bezan, l’argent avancé à l’une de leurs sociétés (BCC) pouvait être employé par une autre société (BFI) alors même que la première était contractuellement responsable du remboursement.

[67] À partir de mai 2008, MLCA a envoyé à BCC (à l’attention des Bezan) une correspondance qui confirmait la responsabilité de BCC quant au remboursement des deux avances. La correspondance a commencé par des lettres de confirmation de MLCA datées du 21 mai et du 25 août 2008, avec pièces annexées. Au total, il y a huit lettres adressées à BCC par MLCA concernant l’obligation de BCC de rembourser les sommes avancées.

[68] En outre, les Bezan ont fait en sorte de lier BCC par la signature de documents juridiques, à savoir les mises en défaut, l’accord d’accusé de réception et l’accord de règlement. Ces documents confirment non seulement les sommes dues, mais également que BCC est tenue au remboursement de ces sommes. Au total, quatre documents ont été signés par M. Bezan et Mme Bezan, ou l’un des deux, qui confirmaient que BCC était responsable du remboursement des avances, sans compter les demandes signées portant sur l’avance d’urgence et l’avance ECC en avril‑mai 2008. Ces quatre documents sont datés de mai 2009, décembre 2010, mai 2011 et novembre 2011.

[69] Les modalités de l’accord de règlement, signé par les Bezan au nom de BCC, comprenaient les dispositions suivantes, claires et formelles, confirmant les engagements respectifs des parties :

[traduction]

Entre (Nom du producteur) : Bezan Cattle Corporation

et (Nom de l’agent d’exécution) : Manitoba Livestock Cash Advance, Inc.

Accord de règlement

Attendu que le producteur a fait défaut sur l’avance qui lui a été consentie par l’agent d’exécution, au montant de 300 000 $, pour le produit agricole de la campagne agricole 2008…

Attendu que le producteur doit à l’agent d’exécution la somme de 300 000 $, y compris les intérêts sur les avances à taux zéro, à compter de la date de l’avance (26 mai 2008) jusqu’à la date du défaut (1er juillet 2011)…

[…]

Le remboursement de la dette se fera de la manière suivante :

500 $ le 15e jour de chaque mois à compter du 15 AOÛT 2012 + PAIEMENTS FORFAITAIRES DE 60 000 $ PAR AN DURANT CINQ ANS, QUAND LES VEAUX SERONT VENDUS (EN GÉNÉRAL DURANT LA PÉRIODE ALLANT DE DÉCEMBRE À FÉVRIER, NORMALEMENT DÉCEMBRE OU JANVIER)

[…]

Si le producteur contrevient à l’une des conditions du présent accord de règlement, alors il consentira à ce que l’agent d’exécution obtienne jugement contre lui pour la somme de 300 000 $, qui représente le principal dû sur l’avance, plus l’intérêt couru jusqu’au jour de la contravention, plus l’intérêt au taux de…

[Souligné dans le texte.]

Les mots en lettres majuscules dans cet extrait et la mention de la somme de 500 $ ont été ajoutés à la main.

[70] Comme indiqué plus haut, BCC a d’abord respecté les modalités de l’accord de règlement. Elle a effectué des paiements mensuels de 500 $, par chèques à l’ordre de MLCA, pour une année, d’août 2012 à juillet 2013. Onze des 12 chèques mensuels ont été reproduits dans le dossier de la requête. Chacun des chèques porte la dénomination pré‑imprimée « Bezan Cattle Corporation ». Chacun d’eux est rédigé à la main et signé par M. Bezan, au nom de BCC.

[71] Ainsi, à treize reprises, BCC a payé MLCA par chèque soit pour réduire l’encours des avances, soit pour payer des frais de dossier. (Le 13e chèque concernait les frais d’administration précités.)

[72] En dépit de toutes ces mises en relation avec MLCA au fil des ans, toutes avec BCC, et en plus de la signature de documents qui obligeaient BCC au remboursement, les défendeurs n’ont produit aucune preuve montrant qu’ils aient jamais contesté le montant de la somme due ou le fait que BCC était le débiteur principal tenu au remboursement des deux avances.

[73] Il n’est pas non plus établi que l’une ou l’autre des parties ait considéré BFI comme responsable du remboursement des deux avances. Il n’y a pas de lettres adressées par MLCA à BFI, ni de lettres ou de chèques adressés par BFI à MLCA, ni encore de lettres adressées par M. Bezan ou Mme Bezan à MLCA, qui indiquent BFI comme emprunteur après mai 2008.

[74] Il n’y a aucune preuve documentaire — antérieure à la présente affaire — indiquant que M. Bezan ou Mme Bezan aient jamais informé MLCA ou le ministre qu’eux‑mêmes, ou BCC, croyaient que BFI était le bon interlocuteur de MLCA pour l’un ou l’autre des accords de remboursement.

[75] Appliquant les principes du droit des obligations exposés dans les arrêts Saint John Tug Boat et Strata Plan, je suis d’avis que BCC, par sa conduite, s’est engagée envers MLCA à rembourser l’avance d’urgence et l’avance ECC conformément aux modalités de l’accord de remboursement.

(ii) La fraude alléguée par les défendeurs

[76] Selon les défendeurs, les modifications apportées par MLCA aux formulaires de demande constituaient une fraude, et l’accord était donc nul. Ils citent la décision Collins c Melfort Credit Union (1995), 133 Sask R 166 (QB), conf. par (1996), 144 Sask R 67 (CA).

[77] L’espèce Collins se distingue nettement de la présente affaire. Dans ce précédent, une coopérative de crédit avait modifié des documents après avoir découvert qu’une emprunteuse/mère de famille se trouvait en difficulté financière ou après avoir reçu signification de documents concernant l’insolvabilité de la mère. La coopérative avait agi ainsi pour être en mesure de saisir des sommes en fiducie revenant aux enfants de l’emprunteuse/mère et ainsi se rembourser l’emprunt de cette dernière. La coopérative de crédit s’est adressée à la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan pour qu’elle rectifie les documents en equity, ce que le tribunal a refusé de faire parce que les documents avaient été modifiés après le fait dans le but de soustraire les fonds aux biens de la faillite. Le tribunal a aussi déclaré que les documents étaient nuls, et les sommes saisies ont alors été réintégrées dans le compte des enfants.

[78] Au contraire, dans la présente affaire, les défendeurs ont reçu l’avance d’urgence et l’avance ECC qu’ils avaient demandées au titre d’un programme conçu pour aider les exploitants agricoles en difficulté financière. Comme l’a confirmé l’affidavit de Mme Bezan, la pandémie d’ESB avait rendu sans issue leur situation financière. Il est hors de doute que MLCA a avancé les sommes aujourd’hui réclamées. Il n’est pas établi que MLCA a apporté des modifications aux documents pour obtenir un avantage financier pour elle‑même ou pour quiconque. La question de savoir si l’une ou l’autre des sociétés remplissait les conditions pour obtenir les avances en vertu des programmes applicables est une question dont la réponse appartient à MLCA et au ministre, ou à MLCA et ses employés. Il m’est impossible de conclure que la présente espèce fait apparaître une fraude comme c’était le cas dans l’affaire Collins.

[79] Les défendeurs ont cité aussi l’arrêt CIBC c Skender (1985), 67 BCLR 126 (CA), une décision qui concernait la force exécutoire d’une garantie après qu’un employé de banque eut rempli les espaces blancs d’un document de garantie. La question précise et les circonstances elles‑mêmes de ce précédent constituaient un cas particulier, mais la conclusion à laquelle j’arrive en l’espèce s’accorde avec le raisonnement du juge Lambert (para 10‑15).

(iii) La preuve de modifications apportées aux formulaires de demande

[80] Je prends acte du témoignage du couple Bezan selon lequel ils n’ont pas autorisé les changements apportés aux formulaires de demande concernant les deux avances. J’admets qu’ils n’ont pas « autorisé » ces changements. Si une unique lettre de confirmation, postérieure aux avances, adressée par MLCA à BCC, était la seule preuve d’un prétendu engagement de BCC de rembourser les fonds, et s’il n’existait aucun document signé par les Bezan au nom de BCC, ni aucun paiement effectué par BCC, ni aucune lettre adressée à BCC portant sur son obligation de rembourser, ni aucune preuve que BFI était l’emprunteur, la situation pourrait être différente, et la preuve de pourparlers entre les Bezan et les représentants de MLCA en mai 2008 pourrait sans doute infléchir l’issue de la présente instance.

[81] Mais telle n’est pas la preuve dont dispose la Cour dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. La Cour se doit d’examiner de près la totalité de la preuve et doit présumer que les deux parties ont présenté toute la preuve possible pour faire valoir leurs points de vue. Les Bezan n’ont pas fait état d’échanges qu’ils auraient eus en mai avec des représentants de MLCA (sauf une exception, notée plus haut). La preuve qu’ils offrent à propos de modifications non autorisées apportées aux formulaires de demande ne réduit en rien le poids écrasant de la preuve documentaire selon laquelle, par leurs propres actions après mai 2008, ils ont admis que BCC était l’entité juridiquement tenue au remboursement. Bref, les modifications qu’ils allèguent dans la requête ne changent pas la substance de l’accord juridique conclu entre les parties, qu’il s’agisse de la somme à rembourser ou de l’entité juridique tenue de la rembourser.

[82] Je constate par ailleurs que, selon la preuve, les Bezan savaient de quelles entités juridiques ils se servaient. Ils s’adonnaient à leurs activités agricoles par l’entremise d’au moins trois différentes entités juridiques, dont BCC et BFI (voir la lettre de Mme Bezan datée du 29 avril 2008). Ils ne donnent pas à entendre, dans leurs observations ou leurs témoignages, qu’ils ne saisissaient pas les différentes obligations contractées par les différentes entités; c’est précisément sur cette distinction que repose leur argument selon lequel ils n’ont pas autorisé de changements dans les formulaires de demande.

[83] Un autre point reste à souligner avant de conclure cette section. M. Bezan et Mme Bezan ont tous deux témoigné ne pas avoir autorisé de changements aux formulaires, que ce soit pour augmenter le montant de l’avance d’urgence, pour remplacer BFI par BCC concernant l’avance ECC, ou pour apporter d’autres modifications aux formulaires intéressant ces deux changements. Je me suis interrogé si, pour arriver à des conclusions fondées sur les motifs qui viennent d’être exposés, il était nécessaire de mettre en doute le témoignage des Bezan. Était‑il nécessaire de tirer, à propos de leur crédibilité, une conclusion défavorable qu’il appartiendrait au juge du procès de tirer après audition des témoignages?

[84] Je ne le crois pas. Selon moi, la preuve produite par les Bezan peut, en l’état, être acceptée (et elle l’est). Il n’est pas contradictoire d’accepter leur témoignage selon lequel ils n’ont pas autorisé les modifications apportées aux documents en avril‑mai 2008, et de conclure simultanément que leurs propres actions ultérieures ont eu pour résultat que BCC a accepté la responsabilité juridique du remboursement des deux avances. En toute objectivité, et considérant les attentes raisonnables des deux parties comme elles peuvent l’être eu égard à la preuve, force est de reconnaître que BCC est contractuellement responsable du remboursement. Il ressort nettement de la chaîne des transactions que MLCA et les Bezan étaient convenus qu’il incombait à BCC de rembourser toutes les sommes avancées. MLCA n’aurait pu avoir aucune autre attente raisonnable au vu de la conduite de BCC et de celle des Bezan.

La position des défendeurs sur l’iniquité du marché et sur la contrainte économique

[85] Selon les défendeurs, les accords conclus avec MLCA étaient [traduction] « nuls pour des raisons d’intérêt public ». Ils ont fait des observations sur le déséquilibre des forces dans les négociations contractuelles, sur la modification des documents (point déjà examiné) et sur la manière dont le texte des accords de MLCA, s’il est reconnu comme échappant à la protection conférée par la Saskatchewan Farm Security Act, pourrait acculer à la ruine financière des exploitants agricoles. J’examinerai plus loin la Saskatchewan Farm Security Act. Dans cette section, j’aborderai les deux notions du droit des obligations évoquées par les défendeurs, à savoir l’iniquité et la contrainte.

[86] D’abord, s’agissant de la notion d’iniquité, les défendeurs ont cité l’arrêt Uber Technologies Inc. c Heller, 2020 CSC 16. La Cour suprême a jugé que l’iniquité comporte deux volets : une inégalité du pouvoir de négociation, découlant d’une quelconque faiblesse ou vulnérabilité du demandeur; et une transaction imprudente (Uber, para 62, 65 et 79). Il existe une inégalité du pouvoir de négociation lorsqu’une partie ne peut pas adéquatement protéger ses intérêts durant le processus de formation d’un contrat (Uber, para 66 et suivants). Un marché est imprudent s’il avantage indûment la partie la plus forte ou désavantage indûment la plus vulnérable (Uber, para 74 et suivants). S’agissant de la notion de marché imprudent, la Cour suprême s’est exprimée ainsi, au paragraphe 76 :

Pour une personne qui se retrouve dans des circonstances désespérées, par exemple, pratiquement n’importe quelle entente représentera une amélioration par rapport au statu quo. Dans ces circonstances, au moment d’évaluer l’imprudence, il faut se demander avant tout si la partie la plus forte a été indûment enrichie. Cela peut survenir lorsque le prix de biens ou de services s’écarte considérablement du prix habituel du marché.

[Italique dans l’original.]

[87] Ensuite, les défendeurs ont évoqué dans leur défense la notion de contrainte économique. Anticipant la position des défendeurs concernant sa requête, la demanderesse s’est référée à un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, Gordon c Roebuck (1992), 9 OR (3d) 1 (CA), qui adopte le critère de la contrainte exposé dans l’arrêt Pao On c Lau Yiu, [1979] 3 All ER 65 (CP).

[88] La contrainte s’entend de la coercition exercée sur une personne au moyen d’une pression illégitime, l’une des parties dominant la volonté de l’autre au moment de la signature d’un contrat (Ramdial c Davis, 2015 ONCA 726 para 42). Trois éléments doivent être établis avant qu’un contrat soit annulé pour contrainte :

  • 1) la pression doit constituer une coercition exercée sur la volonté;

  • 2) la pression doit être illégitime;

  • 3) la partie qui demande réparation doit avoir pris des mesures pour éviter l’acte dont elle se plaint.

Voir Westshore Terminal LP c Leo Ocean SA, 2014 CF 136 (la juge Heneghan) para 41, 54 et 61 (jugement confirmé sans que cet aspect soit commenté : 2014 CAF 231, [2015] 3 RCF 712); McNeil c Canada (Secrétariat d’État) (2000), 193 FTR 88, [2000] ACF no 1477 (CFPI) (la juge Heneghan) para 38; Stott c Merit Insurance Corporation (1988), 63 OR (2d) 545; Dairy Queen Canada Inc. c MY Sundae Inc., 2017 BCCA 442 para 48‑51 (autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, CSC no 38060 (15 novembre 2018)). Ces éléments ont aussi été reconnus dans la décision ontarienne Gordon c Roebuck, para 3.

[89] Dans l’arrêt Pao On, lord Scarman a énuméré quatre facteurs à prendre à compte pour déterminer si une partie s’est engagée sous la contrainte : (i) la partie a‑t‑elle protesté? (ii) disposait‑elle d’une autre solution? (iii) a‑t‑elle reçu des conseils impartiaux? (iv) après la conclusion du contrat, a‑t‑elle pris des mesures pour s’y soustraire? (Pao On, p 78.) (voir aussi Gordon c Roebuck, para 3 et suivants).

[90] En l’espèce, la preuve ne permet pas de conclure à la contrainte économique ni d’affirmer que les accords passés entre les Bezan, BCC et MLCA ne devraient pas être respectés pour cause d’iniquité.

[91] Mme Bezan a témoigné qu’au printemps 2008, BFI [traduction] « avait désespérément besoin d’une avance » compte tenu des répercussions de l’ESB sur le marché des viandes bovines. Cependant, il n’est pas établi que MLCA a exercé une pression illégitime sur les Bezan ou que des pressions ont été exercées sur eux quand ils ont présenté les demandes portant sur les deux avances au titre du programme administré par MLCA. Les conditions de l’accord de remboursement et les garanties conjointes et solidaires apparaissent sur les formulaires types utilisés pour les programmes administrés par MLCA. Les Bezan n’ont pas, dans leurs affidavits, donné à entendre que MLCA a exercé sur eux une pression indue ou leur a forcé la main, et il n’est pas établi non plus qu’ils ont protesté (avant l’introduction de la présente instance) contre la conclusion, l’existence ou les modalités des accords de remboursement ou des garanties conjointes et solidaires.

[92] C’est également par les Bezan que BCC a conclu l’accord de règlement et BCC a effectué en vertu de cet accord une année de paiements, s’engageant à rembourser la somme due par versements forfaitaires annuels, sur le produit tiré de la vente de bétail. Il n’y a pas eu non plus de protestation à ce moment‑là, et rien ne montre qu’il y a eu incitation, par des moyens illégitimes ou illicites, à conclure l’accord de règlement. Au total, les Bezan ont eu plusieurs années pour exprimer des doutes à propos des accords. Ils ne l’ont pas fait durant tout ce temps et n’ont signalé durant la période en cause aucun élément qui justifierait une conclusion en leur faveur.

[93] Finalement, il m’est impossible de dire que le marché passé par les Bezan a été imprudent, selon le critère de l’iniquité exposé dans l’arrêt Uber. Il ressort de l’ensemble de la preuve que les deux avances procuraient en partie le soulagement financier dont avaient besoin les Bezan pour leurs activités d’élevage, même si elles n’ont pas résolu toutes leurs difficultés. Il n’est pas établi que MLCA a été indûment avantagée ou s’est injustement enrichie, que les sommes avancées étaient excessives ou que les taux d’intérêt ou les frais d’administration étaient trop élevés.

[94] Mme Bezan a indiqué qu’en décembre 2010, elle et son mari avaient reçu, aux alentours de Noël, les documents concernant le sursis à la mise en défaut. Vu la période des fêtes, ils n’avaient guère eu le temps de les parcourir. Ils avaient l’impression d’être [traduction] « au bord de la ruine financière ». En outre, Mme Bezan et M. Bezan ont tous deux témoigné dans leurs affidavits (en utilisant presque les mêmes mots) qu’en mai 2011, MLCA les avait informés qu’ils devaient effectuer des paiements ou demander un refinancement. Ils [traduction] « se demandaient pourquoi il devrait revenir à BCC plutôt qu’à BFI » de conclure les accords, mais [traduction] « n’ont jamais obtenu de réponses satisfaisantes ». Ils avaient [traduction] « d’énormes difficultés financières ». MLCA était [traduction] « acharnée ». Les Bezan avaient le sentiment de subir [traduction] « une pression énorme et des intimidations » et [traduction] « c’est comme si nous n’avions pas d’autre choix, ce qui rétrospectivement nous semble idiot, car nous aurions pu tout simplement effectuer des paiements mensuels de 100 $ pour ne pas être en défaut ».

[95] Il m’est impossible d’affirmer, suivant la prépondérance de la preuve, que leurs affidavits suffisent à rendre non exécutoires, ou nuls en droit, les accords de remboursement ou les garanties conjointes et solidaires, voire à rendre nuls les documents signés en décembre 2010 et mai 2011. Les affidavits ne donnent pas de détails ni d’explications, sur l’affirmation selon laquelle MLCA s’est montrée [traduction] « acharnée » au point que l’on puisse dire que MLCA a exercé sur eux une pression illégitime. La preuve n’offre pas non plus de détails sur la situation financière des Bezan ou celle de leurs sociétés à un moment quelconque (au printemps 2008, en décembre 2010 ou en mai 2011). Les défendeurs n’ont pas donné à entendre que la reconduction de l’obligation de remboursement sur une nouvelle campagne agricole, à défaut d’un report du remboursement, ne leur apportait rien ou était une mesure imprudente. Je ne doute nullement que les Bezan ressentaient la pression financière qu’ils décrivent, mais la preuve versée dans le dossier ne permet pas de conclure en droit que les accords ne devraient pas être exécutés pour cause de contrainte économique au sens de la jurisprudence, ou pour cause d’iniquité selon les deux éléments définis par la Cour suprême dans l’arrêt Uber.

Les arguments des défendeurs concernant la subrogation

[96] Selon les défendeurs, la demanderesse ne pouvait validement être subrogée dans les droits de MLCA et ne pouvait donc les poursuivre, MLCA n’ayant pas de droits juridiques à transférer à la demanderesse puisque les accords étaient nuls pour cause de modification frauduleuse des documents.

[97] Ayant déjà conclu que l’argument des défendeurs concernant la fraude ne saurait prospérer, je suis d’avis que leurs arguments concernant la subrogation doivent également être rejetés.

Dispositif sur le prononcé d’un jugement sommaire contre BCC

[98] Je suis d’avis que BCC s’est engagée envers MLCA à rembourser les sommes réclamées et qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse portant sur la somme à rembourser, ou sur la question de savoir si BCC était la bonne entité contre laquelle un jugement sommaire pouvait être prononcé. BCC n’a pas remboursé l’avance d’urgence ni l’avance ECC, plus les intérêts, comme le prévoit l’accord de remboursement (et comme le confirment des documents ultérieurs signés au nom de BCC).

[99] Un jugement sommaire sera donc rendu contre BCC. Le montant du jugement sera examiné plus loin.

IV. Un jugement sommaire devrait‑il être rendu contre Layton et Barbara Bezan personnellement?

[100] L’autre question d’importance que pose la requête est de savoir si un jugement sommaire devrait être rendu contre les Bezan personnellement en vertu des garanties conjointes et solidaires qu’ils ont souscrites pour l’avance d’urgence et l’avance ECC.

[101] La demanderesse a fait valoir que M. Bezan et Mme Bezan sont personnellement responsables parce qu’ils se sont portés garants, en tant que débiteurs principaux, du remboursement des avances, au même titre que BCC. Dans cette optique, les clauses contractuelles des garanties conjointes et solidaires ne constituent pas des sûretés subordonnées à un cas de défaut, et la Saskatchewan Farm Security Act ne s’applique pas. M. Bezan et Mme Bezan ont prétendu, quant à eux, ne pas être personnellement responsables parce que chacune des garanties conjointes et solidaires constitue une [traduction] « sûreté » au sens de l’article 31 de la Saskatchewan Farm Security Act, mais une sûreté qui n’est d’aucun effet pour cause de non‑conformité aux exigences des paragraphes 31(2) et (3). De l’avis des défendeurs, toute tentative de restreindre l’application de cette loi provinciale constitue une dérogation proscrite par le paragraphe 105(2).

[102] Les dispositions applicables de la Saskatchewan Farm Security Act sont formulées ainsi :

[traduction]

Limites et reconnaissances de sûretés

31(1) Les définitions suivantes s’appliquent au présent article :

[…]

b) « sûreté » Acte notarié ou accord écrit par lequel une personne s’engage à répondre de l’action, du défaut, de l’omission ou de la dette d’un exploitant agricole à propos d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles, mais à l’exclusion des sûretés conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

(2) Nulle sûreté n’a d’effet à moins que la personne qui prend l’engagement :

a) ne comparaisse devant un avocat ou un notaire public;

b) ne reconnaisse devant l’avocat ou le notaire public qu’elle a souscrit la sûreté;

c) ne signe, par devant l’avocat ou le notaire public, le certificat en la forme réglementaire.

(3) L’avocat ou le notaire public, une fois persuadé, après avoir interrogé la personne qui prend l’engagement, que cette personne connaît la teneur de la sûreté et comprend celle‑ci, délivre un certificat en la forme réglementaire.

[…]

Absence de renonciation

105(2) Sauf disposition contraire de la présente loi, tout accord ou marché, oral ou écrit, exprès ou tacite, conclu après le 24 mai 1988, qui :

a) stipule que la présente loi ou l’une quelconque de ses dispositions ne s’appliquera pas, ou que tout avantage ou recours prévu par la présente loi ne sera pas accessible; ou

b) de quelque façon, restreint, modifie ou supprime tout avantage ou recours visé à l’alinéa a);

est nul et dépourvu d’effet.

[103] Il n’est pas contesté que les exigences des paragraphes 31(2) et (3) n’ont pas été remplies. La question est de savoir si les garanties conjointes et solidaires constituent des [traduction] « sûretés » au sens de l’alinéa 31(1)b) et, dans l’affirmative, si les documents signés par les Bezan sont exécutoires.

Les garanties conjointes et solidaires sont‑elles des « sûretés » au sens de la définition?

[104] Les modalités applicables des accords signés par M. Bezan et Mme Bezan sont ainsi formulées (dans leur partie pertinente) :

[traduction]

GARANTIE CONJOINTE ET SOLIDAIRE (dans le cas d’une personne morale comptant plusieurs actionnaires, d’une coopérative ou d’une société de personnes)

Par les présentes, nous acceptons — en tant qu’actionnaires […] de la personne morale […] mentionnée à la partie 1.2 du présent formulaire de demande d’avance, en contrepartie d’une avance consentie à la personne morale […] par l’agent d’exécution pour la campagne agricole PPA 2008 – 2009, dont le montant est inscrit à la partie 2 du présent formulaire de demande d’avance, et dont le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada garantit le remboursement, ainsi que les intérêts afférents — d’être responsables conjointement et solidairement envers l’agent d’exécution et le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada de toute somme due par la personne morale […] au titre du PPA.

En signant le présent document, je comprends et j’accepte qu’une poursuite peut être intentée contre moi personnellement afin de m’obliger à rembourser, conformément à la section 5.0 des modalités de l’accord de remboursement, la totalité de toute avance en souffrance.

[Italique dans le texte; non souligné dans l’original.]

[105] La section 5.0 des modalités de l’accord de remboursement concerne le [traduction] « défaut » d’un producteur dans le remboursement de l’avance. La sous‑section 5.1 stipule que le producteur (terme défini) est considéré en défaut s’il ne s’est pas acquitté de toutes les obligations que lui impose l’accord de remboursement à la date à laquelle se termine la campagne agricole. Une fois en défaut, le producteur est redevable à l’agent d’exécution du solde impayé de l’avance garantie, ainsi que des intérêts courus sur ce solde (al 5.3a) et 5.3b)). La section 5.5 stipule :

[traduction]

Si le producteur est déclaré en défaut et que le ministre effectue un paiement au titre de la garantie, le ministre est subrogé dans tous les droits que possède l’agent d’exécution à l’endroit du producteur déclaré en défaut et à l’endroit de toute autre personne responsable au titre du présent accord de remboursement. Outre les montants énoncés à la sous‑section 5.3 des présentes Modalités et conditions, le producteur est redevable au ministre pour les intérêts au taux spécifié à la sous‑section 6.2, sur le montant dont le producteur est responsable comme stipulé à la sous‑section 5.3 et ainsi que pour les dépenses engagées par le ministre pour recouvrer ce montant, incluant les frais juridiques.

[106] La section 5.0 ne dit rien sur la responsabilité de celui qui souscrit une garantie conjointe et solidaire.

[107] Le mot [traduction] « sûreté » à l’alinéa 31(1)b) de la Saskatchewan Farm Security Act, s’entend de l’accord écrit par lequel une personne [traduction] « s’engage à répondre de l’action, du défaut, de l’omission ou de la dette d’un exploitant agricole à propos d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles ». Selon moi, les garanties conjointes et solidaires entrent dans cette définition.

[108] L’analyse requiert l’examen de trois éléments :

  • un engagement à répondre de l’action, du défaut, de l’omission ou de la dette d’un exploitant agricole;

  • la définition de l’expression [traduction] « exploitant agricole »;

  • l’engagement se rapporte‑t‑il à [traduction] « un autre bien utilisé dans des activités agricoles »?

Les deux derniers éléments sont liés et seront examinés ensemble.

[109] Les garanties conjointes et solidaires créent‑elles un engagement à répondre d’une action, d’un défaut, d’une omission ou d’une dette? Effectivement. D’abord, les termes explicites des garanties conjointes et solidaires créent un engagement à répondre d’un producteur en défaut dans ses obligations de remboursement. Ils se réfèrent explicitement à une responsabilité aux termes de la clause d’inexécution, à savoir la section 5.0 des modalités de l’accord de remboursement. Ils mentionnent tout aussi explicitement que l’obligation de remboursement porte sur [traduction] « la totalité de toute avance en souffrance » (italique ajouté).

[110] Deuxièmement, les garanties conjointes et solidaires s’inscrivent dans le cadre d’un règlement. La LPCA, en son sous‑alinéa 10(1)d)(ii), exige que tous les actionnaires s’engagent conjointement et solidairement par écrit envers l’agent d’exécution pour les sommes visées à l’article 22 de la LPCA. L’article 22 dispose que le producteur « en défaut » relativement à l’accord de remboursement est redevable à l’agent d’exécution du montant non remboursé de l’avance garantie, des intérêts et des frais visés à l’article. Les garanties conjointes et solidaires concrétisent l’obligation réglementaire des actionnaires de répondre du défaut du débiteur principal (le producteur) quand le producteur est une personne morale.

[111] Troisièmement, la sous‑section 5.5 signifie que la demanderesse sera subrogée dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur en défaut [traduction] « et à l’endroit de toute autre personne responsable » au titre de l’accord de remboursement. Ce libellé ne parle pas d’un défaut imputable à cette [traduction] « autre personne » — toute personne autre que le producteur — avant la prise de mesures d’exécution. Cela s’accorde avec l’idée que cette personne n’est pas le débiteur principal aux termes de l’accord de remboursement.

[112] Quatrièmement, je note que les garanties conjointes et solidaires sont souscrites séparément, et séparées physiquement, des modalités de l’accord de remboursement dans les formulaires de demande du Programme de paiements anticipés. Si les garanties conjointes et solidaires étaient censées créer des obligations principales, plutôt que des obligations prenant naissance après un défaut, il est vraisemblable qu’elles figureraient dans l’accord de remboursement et que les personnes concernées signeraient l’accord de remboursement aux côtés de la société productrice par l’entremise de laquelle elles exercent leurs activités.

[113] Finalement, le libellé employé dans l’accord de remboursement et dans les garanties conjointes et solidaires ne fait pas non plus reposer les obligations d’un débiteur principal sur M. Bezan ou Mme Bezan à titre personnel. Plus précisément, c’est le producteur qui assume des obligations de remboursement aux termes de la section 3 des modalités de l’accord de remboursement. Les Bezan n’ont pas à rembourser les avances sauf défaut de la part du producteur. L’emploi du mot [traduction] « conjoint et solidaire » vise la nature de leur responsabilité, mais ne produit pas en soi une obligation principale de rembourser. Chacune des garanties conjointes et solidaires est vraisemblablement une sûreté (comme son nom l’indique) plutôt qu’une obligation principale pour les Bezan de rembourser (voir l’arrêt Fonds de développement économique local c Canadian Pickles Corp., [1991] 3 RCS 388, p 413‑414).

[114] La question suivante est celle de savoir si les deux garanties conjointes et solidaires signées par les Bezan les obligent à répondre de l’action, du défaut, de l’omission ou de la dette [traduction] « d’un exploitant agricole » à propos [traduction] « d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles ». Selon moi, la réponse est affirmative. Pour arriver à cette conclusion, il faut considérer avec circonspection les définitions figurant dans la loi provinciale. Heureusement la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a déjà examiné la question.

[115] La Saskatchewan Farm Security Act dit que l’expression [traduction] « exploitant agricole », pour l’application de la partie II (qui comprend l’article 31), désigne, sauf dans deux articles qui n’intéressent pas la requête, [traduction] « un débiteur hypothécaire ». Selon l’alinéa 2(1)q) de la loi provinciale, sont assimilés au [traduction] « débiteur hypothécaire », i) l’acheteur dans un contrat de vente d’une terre agricole, ii) le représentant personnel, l’ayant droit ou le cessionnaire d’un tel acheteur, ou d’un débiteur hypothécaire, et iii) la personne revendiquant un droit par l’entremise d’un tel acheteur, ou d’un débiteur hypothécaire.

[116] Ces trois catégories de débiteurs hypothécaires concernent toutes des biens immeubles, mais la définition donnée dans l’alinéa 2(1)q) n’est pas exhaustive — c’est une définition non limitative de l’expression [traduction] « débiteur hypothécaire ». Un [traduction] « exploitant agricole », expression employée dans l’article 31, pourrait donc signifier davantage que les trois types possibles de [traduction] « débiteur hypothécaire » selon l’alinéa 2(1)q).

[117] Dans la décision Prairie Centre Credit Union Ltd. c River Ridge Cattle Corp., 2010 SKQB 135, le juge Keene, examinant cette question, a conclu que l’expression [traduction] « exploitant agricole », à l’article 31, peut effectivement se rapporter à davantage que des biens immeubles et que l’expression [traduction] « activités agricoles » comprend l’élevage de bétail. Après avoir énoncé les définitions susmentionnées, il s’est exprimé ainsi, aux paragraphes 23‑29, à propos de la Saskatchewan Farm Security Act :

[traduction]

[…] l’expression la plus claire de l’intention du législateur provincial se trouve dans le texte de l’alinéa 31(1)b) lui‑même :

31(1)b) [...] à propos d’une terre agricole ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles, mais à l’exclusion des sûretés conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi;

[Non souligné dans l’original.]

[24] Selon moi, le texte de l’article vise manifestement à élargir la portée des sûretés au‑delà des cas intéressant les terres agricoles, pour englober les sûretés se rapportant à des biens autres que des biens immeubles. Il ne saurait y avoir d’autre raison logique d’inclure les mots « ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles », immédiatement après l’expression « terre agricole ».

[25] Par conséquent, synthétisant tout ce qui précède, je suis d’avis qu’un exploitant agricole est un genre de débiteur hypothécaire (pas forcément un débiteur hypothécaire dans le domaine immobilier) qui consent une sûreté sur un autre bien utilisé dans des activités agricoles (encore une fois, un bien autre qu’une terre agricole, ou en sus d’une terre agricole).

[26] En l’espèce, le débiteur hypothécaire ou exploitant agricole est une personne morale. Cependant, qu’il soit une personne physique ou une personne morale, cela est en l’occurrence sans importance.

[27] Cependant, la question ne s’arrête pas là. Je dois achever l’exercice en analysant maintenant la partie finale de la disposition pertinente de l’alinéa 31(1)b), à savoir :

31(1)b) [...] ou d’un autre bien utilisé dans des activités agricoles, mais à l’exclusion des sûretés conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

[Non souligné dans l’original.]

[28] L’expression « activités agricoles » n’est pas définie dans la partie II, mais elle l’est à l’alinéa 2(1)g) de la Loi :

2(1)g) « activités agricoles » comprend l’élevage de bétail […] ou toute autre activité entreprise pour générer des produits agricoles primaires et des animaux;

[Non souligné dans l’original]

[29] Selon moi, avant que l’on puisse dire que la sûreté en question relève de l’article 31, je dois déterminer si la défenderesse […] se livrait effectivement à des activités agricoles au sens de la Loi. Je dis cela parce que, si l’« exploitant agricole » est défini comme un débiteur hypothécaire, cela n’est pas suffisant en soi pour correspondre au libellé de cet article. Autrement dit, cela voudrait dire que toute personne qui grève un bien ou le donne en sûreté pour obtenir un crédit serait un exploitant agricole (c’est‑à‑dire un débiteur hypothécaire), or le groupe de mots « utilisé dans des activités agricoles » doit être pris en compte.

[118] Je partage et adopte ce raisonnement. Pour résumer, selon l’article 31 de la Saskatchewan Farm Security Act, un [traduction] « exploitant agricole » est un genre de débiteur hypothécaire (pas forcément un débiteur hypothécaire dans le domaine immobilier) qui consent une sûreté sur un bien (autre qu’un bien immeuble) utilisé dans des [traduction] « activités agricoles », expression qui comprend l’élevage de bétail.

[119] Pour revenir à la présente affaire, BCC se livrait à l’élevage du bétail. Les déclarations du couple Bezan au moment de présenter leurs demandes d’avances confirmaient qu’ils se consacraient principalement aux activités agricoles. En outre, BCC a consenti à MLCA, dans les accords de remboursement, une sûreté sur son bétail. Dans la sous‑section 4.1 de cet accord, le producteur (ici BCC) s’engageait à accorder, à titre de nantissement en faveur de l’agent d’exécution (ici MLCA), une sûreté sur son produit agricole, pour le montant de l’avance admissible (ici l’avance d’urgence et l’avance ECC), plus les intérêts et les frais. La même disposition prévoyait que le producteur acceptait que, advenant son défaut, l’agent d’exécution avait le droit de saisir son produit agricole et tout produit agricole ultérieur généré par le producteur, jusqu’à remboursement intégral de la dette du producteur selon les modalités de l’accord. Dans la LPCA, l’expression « produit agricole » signifie « animal ou plante, ainsi que les aliments, les boissons et les autres produits qui en proviennent en tout ou en partie ».

[120] J’arrive donc à la conclusion que les garanties conjointes et solidaires signées par les Bezan constituent une [traduction] « sûreté » au sens de l’alinéa 31(1)b) de la Saskatchewan Farm Security Act.

Les garanties conjointes et solidaires sont‑elles opposables aux Bezan?

[121] Rien ne permet de penser que l’un ou l’autre du couple Bezan a comparu devant un avocat ou un notaire public, qu’il a reconnu avoir souscrit les garanties conjointes et solidaires ou qu’il a signé des certificats selon la forme réglementaire, trois exigences énoncées au paragraphe 31(2) de la loi provinciale. Nul certificat d’un avocat ou d’un notaire, selon les termes du paragraphe 31(3), n’atteste non plus que les conditions du paragraphe 31(2) avaient été observées. Puisque ces conditions n’ont pas été remplies, les garanties conjointes et solidaires ne sont pas exécutoires selon le paragraphe 31(2) (Prairie Centre Credit Union, para 38 et 40(iii)).

[122] Les défendeurs ont également cité l’article 105 de la Saskatchewan Farm Security Act. Comme indiqué ci‑dessus, le paragraphe 105(2) dispose (dans sa partie pertinente) que tout accord qui [traduction] « de quelque façon, restreint, modifie ou supprime tout avantage ou recours décrit » dans ce texte, ou dans l’une quelconque de ses dispositions, [traduction] « est nul et dépourvu d’effet ». Le choix de la loi applicable, dans la sous‑section 7.8 des deux accords de remboursement, qui stipule que l’accord sera régi par la loi manitobaine, ne fait donc pas obstacle à l’application de la Saskatchewan Farm Security Act.

[123] Les garanties conjointes et solidaires se rapportant à l’avance d’urgence et à l’avance ECC ne peuvent donc pas être opposées à Layton Bezan et à Barbara Bezan.

[124] Vu ma conclusion, je me dispenserai d’examiner les autres arguments des défendeurs selon lesquels les Bezan n’avaient pas d’obligations de garantie, compte tenu de l’arrêt Bank of Montreal c Aitken (1990), 52 BCLR (2d) 211 (CACB).

V. Autres questions

[125] Les défendeurs ont soulevé plusieurs autres questions dans leur défense, notamment l’expiration de délais de prescription. Ces questions n’ont pas été soulevées dans les actes de procédure relatifs à la requête, et je ne les examinerai donc pas.

VI. Montant du jugement et intérêts

[126] La demanderesse a produit l’affidavit de Shelley Warner, parajuriste à Justice Canada, pour chiffrer ses réclamations. Cet affidavit arrive à une réclamation de 399 305,54 $, ainsi composée : le principal impayé et les intérêts au 1er juillet 2011, à savoir 313 422,25 $, moins les paiements de 62 387,87 $, plus les intérêts courus depuis le 11 juillet 2011 jusqu’à la date de la déclaration, à savoir 148 271,16 $. La demanderesse a aussi requis des intérêts selon un taux journalier de 43,09 $, allant du 7 juillet 2020 jusqu’à la date du jugement. Les défendeurs n’ont pas contesté ces calculs par des preuves ou des observations en réponse. Par conséquent, je les accepte. À ce taux journalier, le montant des intérêts avant jugement jusqu’au 4 mai 2021 est de 12 970,09 $, somme qui sera ajoutée au montant net réclamé, pour un jugement total de 412 275,63 $.

[127] La demanderesse a réclamé des intérêts après jugement au taux forfaitaire de 5 % l’an, conformément à la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I‑15. L’article 3 de cette loi dispose que « (c)haque fois que de l’intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu’il n’est pas fixé de taux en vertu de cette convention ou par la loi, le taux de l’intérêt est de 5 % par an ». Les défendeurs n’ont pas répondu à cette observation. Les intérêts après jugement qui sont demandés seront donc accordés.

VII. Dispositif

[128] Jugement sera rendu contre BCC selon le montant précité. Les réclamations formulées contre Barbara Bezan et Layton Bezan en leur qualité personnelle seront rejetées.

[129] La demanderesse a invité la Cour à fixer des dépens et a fait de brèves observations sur le montant des honoraires et débours. Les défendeurs ont souhaité que la question des dépens soit réglée après décision sur la requête.

[130] Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens de la requête et de l’action, elles pourront présenter des observations écrites dans un délai de 30 jours après communication des présents motifs. Telles observations ne devront pas dépasser cinq (5) pages et devraient permettre à la Cour de fixer des dépens selon le paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales.


JUGEMENT dans le dossier T‑985‑19

LA COUR :

  1. CONDAMNE la société Bezan Cattle Corporation à payer à la demanderesse la somme de 412 275,63 $;

  2. ORDONNE que les intérêts après jugement soient calculés à compter de la date du présent jugement, conformément à l’article 3 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I‑15;

  3. REJETTE les prétentions de la demanderesse contre Layton Bezan et Barbara Bezan;

  4. SE RÉSERVE, jusqu’à réception d’observations des parties, de fixer les dépens de la requête et de l’action.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑985‑19

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et BEZAN CATTLE CORPORATION, BARBARA BEZAN ET LAYTON BEZAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

requête INSTRUITE SUR DOSSIER CONFORMÉMENT À l’article 369 des règles

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE little

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MAI 2021

 

COMPARUTIONS :

Don Klaassen

POUR La demanderesse

 

Shawn Patenaude

POUR les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Don Klaassen

Procureur général du Canada

POUR La demanderesse

 

Shawn Patenaude

Cabinet Shawn Patenaude

POUR les défendeurs

 

 

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