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                                                                                                                               Date :    20050530

                                                                                                                  Dossier :    IMM-8473-04

                                                                                                                Référence :    2005 CF 767

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2005

PRESENT :     MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                XUE JUN CHEN

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉÀ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE & ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                La présente porte sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié « la Commission » rendue le 21 septembre 2004 par le commissaire Me Michael Hamelin. Par opération de cette décision, la demande d'asile du demandeur a été rejetée au motif qu'il n'avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger.


[2]                Le demandeur, Xue Jun Chen, demande que cette Cour casse la décision contestée et renvoie l'affaire devant un commissaire différent de la Section de la protection des réfugiés.

CONTEXTE FACTUEL

[3]                Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine. En 1996, il se met à la pratique du Falun Gong, plus particulièrement le cinquième exercice, afin d'enrichir ses connaissances et sa pratique d'arts martiaux. Il développe une relation personnelle avec Lin Li, la fille de son professeur.

[4]                En juillet 1999, le gouvernement chinois banit la pratique du Falun Gong. Lin Li est arrêtée et détenue par la police à deux reprises. Bien que le demandeur n'ait pour sa part aucun ennui avec la police, il commence à amasser clandestinement de l'information sur le traitement réservé au adeptes du Falun Gong par le gouvernement chinois. Malgré le fait que Lin Li informe le demandeur, en mars 2001, du meurtre de son ancien directeur et membre du Falun Gong, perpétré par les autorités, le demandeur poursuit ses recherches, entre autres, par l'entremise de sites web interdits en Chine.

[5]                En juillet 2002, le père de Lin Li se rend au domicile du demandeur et le somme de cesser de fournir ce type d'information à sa fille, ce que fait le demandeur. Toutefois, apprenant que le demandeur devait se rendre au Canada en décembre 2003 pour visiter le Collège LaSalle de Montréal avec son employeur, Lin Li lui demande de lui faire parvenir, du Canada, de l'information sur le Falun Gong. Le demandeur arrive donc au Canada le 5 décembre 2003 et s'exécute.


[6]                Le 10 avril 2004, le demandeur apprend que la police a arrêté, la semaine précédente, Lin Li et son père et que son propre domicile a été fouillé par les autorités. Une citation à comparaître a été émise à l'endroit du demandeur qui, craignant pour sa vie, dépose, le 21 avril 2004, une demande pour obtenir le statut de réfugié. Cette demande est rejetée par la Commission.

[7]                L'autorisation pour introduire une demande de contrôle judiciaire est accordée le 21 janvier 2005.

DÉCISION CONTESTÉE

[8]                La demande d'asile en l'espèce était fondée sur les opinions politiques imputées et l'appartenance à un groupe social déterminé, en l'occurrence, le Falun Gong. Le demandeur réclame également la protection du Canada en raison d'un risque à sa vie, un risque de traitement ou peine cruels ou inusités ou d'un risque de torture.

[9]                Outre le témoignage du demandeur, la preuve présentée devant la Commission est constituée des documents suivants : le formulaire de renseignements personnels du demandeur « FRP » , la carte d'identification nationale, des certificats, la citation à comparaître, un diplôme, des documents sur les conditions existant en Chine.


[10]            La Commission s'est tout d'abord dite satisfaite que le demandeur a su établir son identité et sa citoyenneté chinoise. La détermination de la Commission quant à la demande d'asile tourne plutôt en l'espèce sur la question de crédibilité; la Commission a jugé que la preuve présentée par le demandeur n'était ni crédible ni plausible.

[11]            Dans un premier temps, la Commission estime que le demandeur s'est montré vague et évasif dans son témoignage. Il n'a pas été en mesure de démontrer son implication dans le mouvement Falun Gong ni sa compréhension des préceptes de base de la philosophie le sous-tendant, et ce, malgré le fait qu'il allègue avoir recueilli, depuis des années, de la documentation sur le traitement réservé aux membres et s'être lié d'amitié à une adepte.

[12]            La Commission souligne également l'absence de mention de l'association du demandeur avec le mouvement Falun Gong dans la documentation se trouvant à son dossier. Ce fait contredit particulièrement la déclaration faite par le demandeur dans son FRP et lors de son témoignage. La Commission n'accepte pas l'explication fournie par le demandeur qu'il aurait omis de mentionner son association avec ce mouvement puisqu'elle constitue le fondement de sa crainte de persécution.

[13]            En outre, la Commission juge non crédible l'allégation du demandeur qu'il emploie des moyens clandestins durant des années pour faire circuler de l'information sur le Falun Gong alors qu'il était en Chine, mais, qu'une fois arrivé au Canada, il fait usage de courriels et du téléphone sans prendre aucune précaution face au risque découlant de telles activités.


[14]            De plus, la Commission estime non crédibles les raisons données par le demandeur pour expliquer son voyage au Canada. Ce dernier ne fournit aucune preuve supportant son histoire qu'il est venu au Canada avec son employeur et un collègue afin d'étudier le fonctionnement des technologies de réseautage et d'information du Collège LaSalle. Il n'a aucune idée de la location du Collège, il est incapable de fournir la preuve qu'il a effectivement rencontré des représentants du Collège, il ne peut expliquer, de façon à satisfaire la Commission, pourquoi il était en possession de 4 000 $ à son arrivée au Canada.

[15]            Enfin, la Commission se penche sur la citation à comparaître, l'élément déclencheur qui aurait poussé le demandeur à réclamer la protection du Canada. La Commission est d'avis que la citation à comparaître est très vague et ne fournit aucune indication de l'accusation qui pèserait contre le demandeur. Aucune valeur probante n'est accordée à ce document.

[16]            Pour toutes ces raisons, la Commission conclut que le demandeur n'a ni qualité de réfugié au sens de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27, « la LIPR » ni qualité de personne à protéger en vertu de l'article 97 de la même Loi.

QUESTION EN LITIGE

[17]            Cette demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante à savoir si la Commission a rendu une décision fondée sur des conclusions de droit erronées ou des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?


ANALYSE

[18]            Il ressort clairement du présent dossier que le point litigieux est rattaché à des questions de crédibilité, d'évaluation des faits et d'appréciation de la preuve. Toutes ces questions relèvent de la discrétion de la Commission et cette Cour ne pourra intervenir, dans le contexte d'un contrôle judiciaire, que si elle constate une erreur manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732, en ligne : QL; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no. 162, en ligne : QL.

[19]            Tout d'abord, le demandeur fait valoir que la Commission s'est méprise en concluant qu'il n'avait pas su établir avec crédibilité son lien avec le Falun Gong, alors qu'il dit être en danger du fait de son appartenance avec ce mouvement. Selon le demandeur, les questions de l'agent d'immigration ne se prêtaient pas à ce qu'il mentionne le mouvement Falun Gong. Il soutient ne pas avoir fourni d'information détaillées lors de cette entrevue compte tenu des questions fermées et dirigées posées par l'agent d'immigration.

[20]            En second lieu, le demandeur soutient qu'il est capricieux pour la Commission d'exiger de la preuve documentaire concernant son implication dans le mouvement Falun Gong. Le demandeur souligne que plusieurs documents généraux sur le mouvement ont été produits à l'audience, mais il a toujours soutenu qu'il n'était pas membre de l'organisation mais plutôt qu'il entretenaient des liens d'amitié serrés avec une pratiquante emprisonnée par les autorités chinoises et à qui il a transmis de l'information sur le traitement des membres par le gouvernement.


[21]            Enfin, selon le demandeur, une erreur aurait également été commise par la Commission quand elle a conclu qu'il n'était pas plausible ou crédible que le demandeur ait communiqué, du Canada, de l'information sur le Falun Gong par courriel ou téléphone à des gens se trouvant toujours en Chine, alors qu'il utilisait des moyens clandestins dans son pays pour ce faire. Le demandeur fait valoir que la Commission aurait dû le confronter sur ce point. La conclusion de la Commission sur les motifs sous-tendant le voyage du demandeur au Canada est également déraisonnable selon ce dernier. Il réitère la même version des faits qu'il a soumise à la Commission.

[22]            Le défendeur répond à ces arguments que le demandeur n'a fait aucune mention de son implication dans le mouvement Falun Gong alors qu'il s'agit de la raison d'être de sa demande d'asile. Les deux explications offertes par le demandeur lors de l'audience, soit qu'il n'est pas membre en tant que tel du Falun Gong et qu'il n'a pas été spécifiquement interrogé sur le mouvement, ont été considérées par la Commission, mais l'omission d'un tel élément fondamental ne pouvait être ignoré par la Commission et elle n'a pas erré en doutant de sa crédibilité sur ce point.

[23]            La jurisprudence indique que des divergences entre la déclaration au point d'entrée et le témoignage d'un demandeur sont suffisantes pour justifier une conclusion de non-crédibilité lorsqu'elles portent sur des éléments centraux d'une demande : Nsombo c. Canada (M.C.I.), IMM-5147-03; Shahota c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1540; Neame c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 378.


[24]            En effet, dans l'affaire Hosseini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 509, en ligne : QL, je me suis penché sur une question similaire pour conclure que cette Cour ne peut, sur des questions touchant la crédibilité, substituer son opinion à celle de la Commission à moins d'erreur manifestement déraisonnable. Le demandeur ne peut pas se contenter de réitérer en contrôle judiciaire une explication ayant déjà été présentée à la Commission, un tribunal spécialisé, et que celle-ci a rejeté : Muthuthevar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 207, en ligne : QL.

[25]            À ce titre, je partage l'avis du défendeur qu'il est raisonnable que la Commission ait refusé l'asile au demandeur puisqu'elle l'a jugé non crédible sur les explications qu'il a fournies quant à sa relation avec le Falun Gong, qui constitue le noyau de sa demande. Tel que l'a décidé le juge Lemieux dans l'affaire Neame, supra, la Commission n'erre aucunement en tirant une conclusion défavorable sur un point essentiel de la revendication du demandeur, pour aboutir, une fois le dossier considéré, au rejet de sa demande d'asile.

[26]            Je ne peux non plus accepter la prétention du demandeur selon laquelle il n'a pas mentionné spécifiquement le Falun Gong aux agents d'immigration parce qu'ils n'y ont pas fait allusion ou référence. Les transcriptions de l'audience devant la Commission démontrent clairement que le demandeur avait compris que l'agent lui demandait s'il avait une association avec de groupes quelconques. Il a omis d'indiquer le Falun Gong. Il est donc raisonnable que la Commission ait tiré une inférence négative du témoignage du demandeur sur une question essentielle à sa demande d'asile.


Q.            Now, as I read your Personal Information Form and hear your testimony today it seems to be that your problems that you have back in China have to do with some relationship you have with the Falun Gong movement. Not that you were a member of this group, but you practised one of the exercises, and that you were an information gatherer and you imparted information even from Canada bout what was going on with people involved in Falun Gong. Is that correct?

A.            Yes.

Q.            Now, when you were interviewed by Immigration Canada, you were asked information about your association with groups, societies or organizations. You make reference here it seems to kung fu and to karate, but no specific reference to Falun Gong. Is there a reason?

A.            Because at the time immigration officer didn't ask my why.

CONCLUSION

[27]            En somme, j'accepte la prétention du défendeur à l'effet qu'aucune erreur déterminante ne vicie la décision de la Commission et justifie l'intervention de cette Cour. La conclusion d'absence de crédibilité, tirée par la Commissione et constituant le coeur de sa décision, porte sur des éléments si fondamentaux à la demande d'asile qu'elle était suffisante en soi pour justifier son rejet.

[28]            Puisque je n'ai été en mesure de détecter d'erreurs manifestement déraisonnables entachant la décision de la Commission dans le présent dossier, je ne peux intervenir par le biais du contrôle judiciaire tel que le souhaite le demandeur. La demande est conséquemment rejetée.

[29]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale telle qu'envisagée à l'article 74(d) de la LIPR. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                  « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                      juge                           


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-8473-04

INTITULÉ :                                        Xue Jun Chen c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 21 avril 2005

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : L'honorable Edmond P. Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 30 mai 2005

COMPARUTIONS:

Me Luciano Mascaro                                                    POUR LE DEMANDEUR

Me Marie-Claude Paquette                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Luciano Mascaro                                                    POUR LE DEMANDEUR

514-289-9611

John J. Sims, c.r.                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

514-283-3389


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