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Date : 20050224

Dossier : T-451-04

Référence : 2005 CF 273

ENTRE :

                                              VR INTERACTIVE CORPORATION

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                          L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                De toute évidence, la société VR Interactive Corporation est une bonne citoyenne. Elle ne fait de mal à personne. Elle fait sans doute du bien et, surtout, elle paie ses impôts.


[2]                Elle oeuvre dans le domaine de la recherche et du développement. À la suite de la restructuration de son entreprise, elle a déposé en retard, pendant deux années d'imposition, sa demande de crédits pour la recherche scientifique et le développement expérimental. Elle a demandé au ministre de traiter quand même ses demandes comme si elles avaient été présentées à temps en invoquant ce qu'on appelle communément « les dispositions de remise » de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministre a refusé. La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

LES FAITS

[3]         Les faits sont assez simples. VR Interactive est une société privée fondée par un professeur du Nova Scotia College of Art and Design. Pour obtenir davantage de capitaux, la société a est devenue une compagnie publique. Malheureusement, comme il arrive parfois dans ce genre de situation, le fondateur et les nouveaux investisseurs ne s'entendaient pas. Ils se sont séparés sur une note plutôt acrimonieuse. Le fondateur est parti avec, entre autres, son savoir en matière de recherche scientifique et de développement expérimental et ses connaissances sur la façon de réclamer des crédits à ce titre conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, dans sa version modifiée. Le nouveau président-directeur général, Francis Mackenzie, était vaguement au courant de la possibilité d'obtenir des crédits d'impôt pour la recherche scientifique, mais il ne savait pas comment faire pour les réclamer. On trouvait sur le site Web de l'administration fiscale les coordonnées d'un service d'assistance que VR Interactive qualifie de service [TRADUCTION] « d'accompagnement pas à pas » . M. MacKenzie a téléphoné aux bureaux de la défenderesse à Halifax, où on lui a dit que la personne à qui il devait parler était M. Hayman. M. MacKenzie a d'abord tenté de joindre M. Hayman à l'automne 2002, il a fini par lui parler en janvier 2003 et une rencontre a été fixée pour mars 2003.

[4]                J'ouvre ici une parenthèse pour préciser que, dans le cas de la société, les deux années d'imposition en question sont celle se terminant en mars 2001 et l'autre en octobre 2001. Cette dernière année était plus courte en raison de la restructuration de l'entreprise. Les échéances pour le dépôt des demandes de crédits étaient donc octobre 2002 et avril 2003.

[5]                La rencontre avec M. Hayman a eu lieu le 12 mars 2003. On y a surtout abordé des questions d'ordre technique. M. Hayman se rappelle cependant avoir informé VR Interactive que le délai prévu pour le dépôt de la demande de crédits pour la première année d'imposition était déjà expiré et que la date limite pour la seconde année approchait rapidement. Les représentants de VR Interactive qui étaient présents à cette rencontre ne se souviennent pas d'avoir discuté d'échéances.


[6]                M. Hayman a offert des conseils sur le type de renseignements qui devaient être communiqués. La cueillette de ces renseignements s'est toutefois avérée plus difficile que ce que VR Interactive avait cru et, à la fin d'avril 2003, elle n'avait encore rien soumis. Elle a alors parlé à ses vérificateurs qui possédaient certaines connaissances spécialisées en la matière. Ils se sont empressés de faire observer que le délai prescrit pour le dépôt des demandes de crédits était déjà expiré et qu'il faudrait demander une remise en vertu du paragraphe 220(2.1) de la Loi. Les demandes ont finalement été produites le 2 octobre 2003. VR a expliqué les difficultés découlant de sa restructuration et a relaté la rencontre utile qu'elle avait eue avec M. Hayman. Elle a toutefois précisé que M. Hayman ne lui avait pas signalé que le délai était sur le point d'expirer. À la suite de sa rencontre avec M. Hayman, elle a commencé à préparer sa demande et, après s'être rendu compte qu'elle ne possédait pas les connaissances requises, elle a fait appel à ses vérificateurs.

[7]                Les demandes ont été examinées par un agent de recherche et de technologie du Bureau des services fiscaux de Halifax qui a pris acte de la demande formulée par VR Interactive pour que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire en acceptant le dépôt tardif des demandes. Par la suite, un comité de révision s'est penché sur la question et a recommandé que la demande de renonciation aux dates limites de dépôt soit rejetée. Même si le départ du scientifique et fondateur de la compagnie a pu jouer dans le retard du dépôt de la demande, ce facteur n'était pas indépendant de la volonté de la compagnie au point de retarder le dépôt de février 2002 à octobre 2003. De plus, six mois se sont écoulés entre la rencontre avec M. Hayman et le dépôt des demandes.

[8]                Dans son affidavit, le directeur du Bureau des services fiscaux de Halifax, M. Don Gibson, affirme qu'il a examiné le dossier et qu'il était d'accord avec la recommandation. Il a écrit une lettre en ce sens à VR Interactive pour l'informer de sa décision de ne pas la dispenser de l'obligation de respecter les délais prescrits.


[9]                Au début de l'instance, VR Interactive a obtenu l'autorisation de se faire représenter par l'un de ses dirigeants plutôt que par un avocat, ce qui est la pratique normale. La défenderesse ne s'est pas opposée à cette demande. Nous avons par conséquent eu droit à un exposé introductif sur le droit administratif. Bon nombre des points soulevés étaient intéressants, mais ils étaient étrangers à l'affaire qui nous occupe.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]       Le débat tourne autour du rôle joué par le directeur du bureau de Halifax de la défenderesse, M. Don Gibson. C'est lui qui a refusé de dispenser VR Interactive des conséquences de son dépôt tardif.

[11]            VR Interactive affirme que, bien qu'il ait déjà été autorisé à exercer le pouvoir discrétionnaire du ministre en matière de « remise » , M. Gibson n'était plus habilité à le faire lorsqu'il a rendu sa décision défavorable. À titre subsidiaire, en supposant qu'il était habilité à rendre cette décision, il n'a pas exercé son pouvoir car il s'en est remis à des subalternes qui ont rendu la décision à sa place et qui se sont fondés en partie sur une conclusion de fait manifestement déraisonnable. On a également fait allusion à des questions de justice naturelle et de bonne foi.

M. GIBSON ÉTAIT-IL AUTORISÉ?


[12]       Le ministre peut, en vertu du paragraphe 220(2.01) de la Loi, déléguer à un fonctionnaire ou à une catégorie de fonctionnaires, son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux exigences de la Loi. Un certain nombre de personnes qui exerçaient des fonctions à l'administration centrale ou sur le terrain ont ainsi été autorisées à renoncer à exiger qu'une personne produise un formulaire prescrit, un reçu ou un autre document. Le poste de directeur du Bureau des services fiscaux faisait partie des postes sur le terrain. Au moment des faits, M. Gibson était directeur du Bureau des services fiscaux de Halifax et il était donc autorisé, en vertu du document RC991221K Délégation des pouvoirs et fonctions du ministre du Revenu national - Loi de l'impôt sur le revenu.

[13]            VR Interactive soutient que cette autorisation a été révoquée ou qu'elle est devenue caduque par suite de la publication par le ministre, en 1999, d'un document intitulé : Une nouvelle norme : Stratégie en sept points pour l'équité. On trouve dans ce document la mention suivante : « Nous transférerons l'autorité fonctionnelle pour les dispositions en matière d'équité à la Direction générale des appels » . De plus, dans son rapport sur le rendement intitulé Rapport annuel au Parlement 2001-2002, qui est également publié sur son site Web, la défenderesse explique : « Notre engagement à l'égard de l'équité est appuyé par la Stratégie en sept points pour l'équité, qui est maintenant complètement mise en oeuvre. »

[14]            Indépendamment de ce qui a été fait ou non pour mettre en oeuvre la stratégie en sept points, il n'en demeure pas moins que l'autorisation accordée à M. Gibson n'a jamais été révoquée. Seul le ministre pouvait révoquer cette autorisation et il ne l'a pas fait.

LA DÉCISION EST-ELLE ENTACHÉE DE MAUVAISE FOI?


[15]            Le seul fait qui pourrait peut-être permettre de conclure à de la mauvaise foi est le présumé défaut de M. Hayman d'avertir la demanderesse qu'elle n'avait pas respecté une première échéance et que la seconde approchait à grands pas. M. Hayman se souvient d'avoir discuté des échéances. Toutefois, en supposant qu'on lui accorde le bénéfice du doute, VR Interactive dit seulement que M. Hayman est demeuré muet. Il n'a rien dit qui pourrait de près ou de loin être considéré comme une acceptation de proroger les délais. Nul n'est censé ignorer la loi et M. Hayman n'était certainement pas tenu d'avertir la demanderesse.

[16]            Il est de jurisprudence constante que la portée du contrôle judiciaire des décisions discrétionnaires rendues en vertu des articles de la Loi communément appelés « dispositions d'équité » se limite à l'examen de la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, en tenant compte des facteurs pertinents et sans égard à des facteurs étrangers et, au besoin, en conformité avec les principes de justice naturelle (Hindle c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 625; Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 932; Barron c. Ministre du Revenu national, [1997] 2 C.T.C. 198 (C.A.F.), au paragraphe 5.)

NORME DE CONTRÔLE


[17]       Il est également de jurisprudence constante que la décision de refuser une dispense en vertu des « dispositions d'équité » ne peut être annulée que si elle est manifestement déraisonnable. Parmi les précédents qui existent sur la question, mentionnons les décisions Métro-Can Construction Ltd. c. Canada (2002), 225 FTR 154 (le juge Teitelbaum), et Case c. Canada (Procureur général), 2004 CF 825 (le juge O'Keefe).

[18]            VR Interactive conteste la conclusion du comité de révision - conclusion qui a été confirmée par M. Gibson - selon laquelle il y a eu un retard entre février 2002 et octobre 2003. Elle souligne que le premier dépôt n'était dû qu'en avril 2003. Mais, tout ce que le comité de révision a fait, c'est de retenir le point de départ de l'exposé de VR Interactive, dans laquelle elle affirmait que ses problèmes avaient commencé avec le départ du fondateur de la compagnie en février 2002. Compte tenu du temps d'exécution requis pour préparer la documentation, cette conclusion n'était pas manifestement déraisonnable; au contraire, elle était bien fondée.

DÉFAUT D'EXERCER LA COMPÉTENCE

[19]       Ce qui nous amène au véritable noeud du litige. VR Interactive affirme que M. Gibson n'a en fait rendu aucune décision et qu'il a délégué ses pouvoirs au comité de révision dont il s'est contenté d'entériner la recommandation. Cet argument est tiré de l'ancienne maxime delegatus non potest delegare (le délégué ne peut pas déléguer).


[20]            Il est vrai que M. Gibson s'en est remis au comité de révision, d'autant plus qu'il ne possédait aucune connaissance spécialisée dans le domaine scientifique. Mais il a lu le document soumis par VR Interactive et il s'est assuré de l'exactitude du fondement factuel de la recommandation. Son pouvoir discrétionnaire n'a pas été entravé parce qu'il a choisi de signer la lettre qui avait déjà été rédigée à son intention. Il n'a pas non plus entravé son pouvoir discrétionnaire en ne tenant compte que des lignes directrices générales publiées au sujet de la remise sans « s'aventurer hors des sentiers battus » . Pour reprendre une parole célèbre du président américain Truman : [TRADUCTION] « Le patron, c'est moi » . En l'espèce, c'est M. Gibson qui était le patron.

[21]            On ne saurait reprocher à M. Gibson de ne pas avoir exercé ses fonctions parce qu'il s'en est remis au comité de révision. C'était lui qui, en fait et en droit, a rendu la décision finale. Ainsi que le juge Evans l'a expliqué dans la décision Gerle Gold Ltd. c. Golden Rule Resources Limited (1999), 163 F.T.R 185, au paragraphe 50 (infirmé en partie mais sur un autre point à (2000), 261 N.R. 361) :

Deuxièmement, dans le contexte institutionnel où s'inscrit cette décision, à savoir celui d'un ministère, il est sûrement raisonnable d'interpréter l'obligation incombant au ministre, ou à un délégué, de « réviser la question » comme autorisant implicitement la formation d'une opinion provisoire qui sera vraisemblablement éclairée par l'analyse que fourniront les fonctionnaires du ministère.

MANQUEMENT AUX RÈGLES DE JUSTICE NATURELLE


[22]       On a avancé l'idée qu'on aurait dû tenir une audience en raison des divergences d'opinion qui existaient entre les dirigeants de VR Interactive et M. Hayman sur la teneur des discussions lors de la rencontre de mars 2003. Je ne vois pas la nécessité d'une telle audience. En tout état de cause, ainsi que je l'ai déjà expliqué, comme nul ne prétend que M. Hayman aurait formulé au sujet du dépôt tardif des observations dont il aurait été tenu compte au détriment de VR Interactive, la question ne se pose tout simplement pas.

[23]            Pour ces motifs, la demande sera rejetée avec dépens.

                                                                              « Sean Harrington »                     

                                                                                                     Juge                                 

Ottawa (Ontario)

Le 24 février 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       T-451-04

INTITULÉ :                      VR INTERACTIVE CORPORATION

c.

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU

DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 8 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :     LE 24 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Mark Pettigrew                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Caitlin Ward                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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