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Date : 20210430


Dossier : IMM-6566-19

Référence : 2021 CF 386

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

DAN XIAO, JIAHUI LIANG, JIE SUN ET RUOWEN SUN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Dan Xiao et Jie Sun ont chacun une fille née d’un mariage précédent et ont ensemble deux autres filles, l’une née en Chine et l’autre née en 2019 au Canada. Mme Xiao et M. Sun allèguent qu’ils risquent d’être persécutés par les autorités chinoises responsables de la planification familiale pour avoir violé la politique des deux enfants de la Chine. Ils demandent l’asile au Canada, affirmant que, s’ils retournent en Chine, ils risquent la stérilisation forcée, l’avortement forcé, l’utilisation forcée d’un dispositif intra-utérin ou l’imposition d’amendes et de frais importants.

[2] La Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté la demande d’asile de la famille. Elle a conclu que les éléments de preuve objectifs montraient que les amendes sont l’instrument de politique le plus couramment utilisé, en particulier dans la province d’origine de la famille, soit la province du Liaoning, et que l’imposition d’amendes n’équivaut pas à de la persécution. Elle a également conclu que les éléments de preuve démontraient seulement une « simple possibilité » et non une « possibilité sérieuse » que Mme Xiao et M. Sun soient persécutés par le biais d’un avortement forcé ou d’une stérilisation forcée. La SAR a donc conclu que Mme Xiao et M. Sun n’avaient pas établi le fondement objectif de leur crainte d’être persécutés et n’avaient donc pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[3] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en appliquant une norme trop élevée pour évaluer la probabilité de persécution, en concluant que les avortements forcés sont rares et en concluant que l’imposition de lourdes amendes n’équivaut pas à de la persécution. Ils soutiennent en particulier que la SAR n’a pas adéquatement tenu compte de leurs expériences passées avec les responsables de la planification familiale du Liaoning, argument qu’ils n’ont pas soulevé en appel devant la SAR.

[4] J’estime que les motifs de la SAR étaient justifiés, transparents et intelligibles à la lumière des observations que les demandeurs ont présentées à la SAR et qui portaient uniquement sur les éléments de preuve sur la situation dans le pays contenus dans le cartable national de documentation (CND) sur la Chine de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Selon les observations qu’ils ont présentées dans le cadre de la présente demande, les demandeurs demandent essentiellement à la Cour d’examiner de nouveaux arguments et de soupeser à nouveau la preuve pour parvenir à une conclusion différente. Or, tel n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire.

[5] La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] La principale question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si la SAR a commis une erreur en concluant que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Les demandeurs soulèvent deux sous-questions :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas exposés à une « possibilité sérieuse » de persécution par le biais d’une stérilisation forcée ou d’un avortement forcé?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que l’imposition d’amendes n’équivaudrait pas à de la persécution?

[7] Je conviens avec les demandeurs que ces deux questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit être convaincue que la décision de la SAR était justifiée, transparente et intelligible compte tenu des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur la décision, tout en s’abstenant d’apprécier à nouveau la preuve ou de compléter les motifs exposés par le décideur : Vavilov, aux para 15, 96-97, 125-128.

[8] Le ministre soutient qu’une norme différente devrait s’appliquer aux inférences factuelles de la SAR. S’appuyant sur la décision Aldarwish, rendue par le juge Annis avant l’arrêt Vavilov, le ministre soutient que les conclusions de fait de la SAR devraient être soumises à la norme d’appel de l’« erreur manifeste et dominante » : Aldarwish c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1265 aux para 21-30; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 3-6, 10-25, 36. À mon avis, les préoccupations et les principes soulevés dans l’affaire Aldarwish sont inclus dans l’analyse de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, qui a confirmé que la norme applicable aux conclusions de fait d’un décideur administratif est celle de la décision raisonnable : Vavilov, aux para 125-126; Sivalingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1078 aux para 24-25.

[9] En particulier, le juge Annis a insisté sur l’importance de s’en remettre à l’évaluation par un décideur administratif du poids à accorder à la preuve : Aldarwish, aux para 22-30. Ce principe est repris dans le concept de contrôle selon la norme de la décision raisonnable expliqué dans l’arrêt Vavilov, selon lequel la Cour doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov, au para 125. Le juge Annis a également conclu que les allégations d’« erreur dans la procédure de recherche des faits », comme le fait d’omettre de considérer des éléments de preuve pertinents, devraient faire l’objet d’une retenue moins élevée : Aldarwish, aux para 21, 33, 42. La Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, de même, a clarifié qu’il s’agit d’un élément du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, reconnaissant qu’une décision peut être déraisonnable s’il y a eu méprise sur la preuve pertinente ou qu’il n’en a pas été tenu compte : Vavilov, aux para 125-126.

[10] J’adopterai donc la norme de la décision raisonnable en ce qui a trait aux deux questions soulevées.

III. Analyse

A. La conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle les demandeurs n’étaient pas exposés à une « possibilité sérieuse » de persécution par le biais d’une stérilisation forcée ou d’un avortement forcé était raisonnable

(1) La décision de la Section d’appel des réfugiés

[11] La SAR a indiqué que la question soulevée par les demandeurs en appel était de savoir si la Section de la protection des réfugiés (la SPR) avait « commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve accessibles sur le pays concernant la politique des deux enfants et dans sa conclusion subséquente selon laquelle [Mme Xiao and M. Sun] ne risquent pas sérieusement d’être persécutés s’ils retournent en Chine ». La décision de la SAR portait sur cette question soulevée en appel.

[12] La SAR a convenu avec les demandeurs que la SPR avait commis une erreur dans l’un de ses renvois à la preuve. La SPR a soutenu que les éléments de preuve montraient que les amendes étaient la mesure d’application la plus fréquente et que les avortements forcés étaient illégaux en Chine. À l’appui de cette déclaration, la SPR a fait référence, dans une note en bas de page, au point 5.14 du CND, soit une réponse à une demande d’information (RDI) intitulée « Chine : information indiquant si la Commission nationale de la population et de la planification familiale (National Population and Family Planning Commission) a publié, en 2012, une directive interdisant les avortements et les stérilisations forcés et si celle-ci a été mise en œuvre (2012–janvier 2015) » (CHN105051.EF). La SAR a convenu que c’était une erreur de la part de la SPR de se référer à ce document pour étayer sa déclaration au sujet des amendes puisque le document ne porte pas sur les amendes.

[13] Cependant, la SAR a conclu dans sa propre analyse que, même si la SPR s’est référée au mauvais document, sa conclusion selon laquelle la preuve documentaire montrait que des amendes sont le plus souvent imposées n’était pas erronée. La SAR a d’abord invoqué le point 5.1 du CND, soit une RDI intitulée « Chine : information sur les infractions à la politique en matière de planification familiale dans la province du Liaoning; information indiquant si des renseignements sur une personne recherchée par les autorités responsables de la planification familiale dans la province du Liaoning sont saisis dans les bases de données du Bouclier d’or et de Policenet » (CHN105145.EF). Dans ce document, il est écrit que, en général, les infractions au règlement sur la planification familiale ne sont pas considérées comme un crime et que « les personnes qui enfreignent la politique en matière de planification familiale dans la province du Liaoning sont tenues de payer des [traduction] “frais d’assistance [ou de compensation] sociale” ».

[14] La SAR a ensuite examiné un rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, intitulé « Country Policy and Information Note, China: Contravention of national population and family-planning laws » [renseignements stratégiques et information sur la Chine : contravention aux lois nationales sur la population et la planification familiale] (point 1.9 du CND sur la Chine). Le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni faisait référence à des rapports de 2016 et 2017 de Freedom House selon lesquels « les avortements et les stérilisations [forcés] étaient moins fréquents ». Il faisait également référence à un rapport de la British Broadcasting Corporation (BBC), daté d’octobre 2016, qui indiquait que la BBC « n’était parvenue à trouver aucun élément de preuve démontrant qu’un avortement forcé avait eu lieu depuis la mise en place de la politique des deux enfants, mais ces deux sources ont reconnu que la menace existe toujours » [les citations ci-dessus sont tirées de la décision de la SAR; la version du document au point 1.9 mentionnée par la SAR ne figurait pas dans le dossier certifié du tribunal ni dans le dossier des demandeurs].

[15] En se fondant sur son examen de ces documents, la SAR a conclu que « en principe, la stérilisation peut être une sanction en cas de manquement à la politique des deux enfants », mais elle a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle « les amendes sont des instruments de politique beaucoup plus fréquents ». La SAR a souligné qu’elle considérait le risque prospectif de stérilisation et a conclu que la tendance générale au cours des dernières années était à la réduction de l’utilisation de la stérilisation à titre d’instrument d’application.

[16] La SAR était d’avis que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son analyse des éléments de preuve documentaire et dans sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas établi un fondement objectif suffisant quant à leur crainte d’être persécutés. La SAR a conclu que, au mieux, « le risque de persécution auquel ils sont exposés n’est qu’une simple possibilité plutôt qu’une possibilité sérieuse ». Elle a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

(2) Les arguments des demandeurs

[17] Les demandeurs soulèvent deux arguments principaux relativement à la conclusion de la SAR selon laquelle ils ne risquent pas sérieusement d’être persécutés par le biais d’une stérilisation forcée ou d’un avortement forcé. Premièrement, ils soutiennent que la SAR a mal appliqué le critère permettant d’établir une crainte fondée de persécution en les soumettant à une norme plus élevée que celle qui était applicable. Deuxièmement, ils soutiennent que la SAR a mal interprété les éléments de preuve concernant le recours à ces pratiques de persécution en Chine, y compris la preuve de leurs propres expériences au Liaoning. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les demandeurs n’ont pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable.

a) La Section d’appel des réfugiés n’a pas mal appliqué le critère relatif à la crainte fondée de persécution

[18] A qualité de réfugié au sens de la Convention la personne « qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques[,] ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection » du pays dont elle a la nationalité : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], art 96. Pour établir qu’il craint avec raison d’être persécuté, un demandeur d’asile doit démontrer qu’il craint subjectivement et objectivement, avec raison, d’être exposé à une « possibilité sérieuse » de persécution s’il retourne dans le pays dont il a la nationalité : Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CA) à la p 682; Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4 au para 8.

[19] La norme de la « possibilité sérieuse » équivaut à une « possibilité raisonnable ». C’est plus qu’une simple possibilité de persécution, mais cela n’oblige pas le demandeur à démontrer que la persécution est probable. Ainsi, bien que les faits doivent être établis selon la norme civile de la prépondérance des probabilités, il suffit que ces faits montrent que la persécution est une possibilité sérieuse, non pas qu’elle est probable : Alam, au para 8. L’évaluation est faite de façon prospective, car l’octroi de l’asile est un mécanisme destiné à protéger les personnes contre des préjudices futurs, et non à réparer les préjudices passés : Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 75; Pour-Shariati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1994 CanLII 3542, [1995] 1 CF 767 (1re inst) aux p 775-776; LIPR, art 96, 97.

[20] Comme il a été mentionné ci-dessus, la SAR a cité la norme de la « possibilité sérieuse » et a conclu que « le risque de persécution auquel [les demandeurs] sont exposés n’est qu’une simple possibilité plutôt qu’une possibilité sérieuse ». Néanmoins, les demandeurs affirment que, compte tenu des éléments de preuve relatifs à la pratique courante de stérilisation forcée, il ressort implicitement de la conclusion de la SAR qu’elle a appliqué une norme plus élevée et qu’elle n’a pas considéré la stérilisation forcée comme une forme de persécution. Ils affirment que le fait que la SAR se fonde sur la réduction de la stérilisation forcée et sur une « tendance générale » à la réduction de la stérilisation pour l’application des politiques de planification familiale met à tort l’accent sur des termes relatifs plutôt que sur le risque réel de persécution.

[21] À mon avis, la SAR n’a pas appliqué la mauvaise norme. La SAR n’a pas mis en doute le fait que subir une stérilisation ou un avortement forcé constituerait une conduite assimilable à de la persécution. Elle a mis en doute le fait qu’il n’y avait pas de « fondement objectif suffisant à [la] crainte [des demandeurs] d’être persécutés » et a conclu que, au mieux, le risque de persécution n’était « qu’une simple possibilité plutôt qu’une possibilité sérieuse ». Cela ne signifie pas que, selon la SAR, les demandeurs devaient établir que la persécution était probable.

[22] La SAR n’a pas non plus renvoyé exclusivement aux tendances relatives à l’évaluation des éléments de preuve objectifs liés à la probabilité d’être exposé à une telle persécution. En plus de noter que les éléments de preuve montraient que les avortements et la stérilisation forcés sont moins courants qu’auparavant, la SAR a conclu que la preuve montrait que les amendes « sont des instruments de politique beaucoup plus fréquents » et que des amendes sont imposées dans la province du Liaoning. Les renvois de la SAR au rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni tenaient également compte du risque d’avortement forcé depuis la mise en place de la politique des deux enfants, au lieu de s’en tenir aux tendances.

[23] Contrairement aux observations des demandeurs, le fait que la pratique de la stérilisation forcée « existe toujours » n’établit pas en soi que le risque d’une telle persécution est plus qu’une simple possibilité. Cela ne signifie pas non plus que la SAR a appliqué une norme plus élevée au moment de conclure que les demandeurs n’avaient pas établi un fondement objectif suffisant quant à leur crainte. Je ne peux donc pas conclure que la SAR a appliqué la mauvaise norme dans son analyse.

b) La conclusion de la Section d’appel des réfugiés était raisonnable à la lumière de la preuve et des observations

[24] Au bout du compte, les arguments des demandeurs reviennent à une contestation de l’appréciation par la SAR de la preuve relative aux conditions dans le pays et de leur preuve personnelle. Ils soutiennent que les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays montrent que les avortements et la stérilisation forcés continuent de se produire et représentent un risque important. Ils soulignent également en particulier le témoignage de Mme Xiao selon lequel elle a été forcée de se faire avorter après la naissance de la première fille du couple, et que Mme Xiao et M. Sun ont été menacés de stérilisation forcée et/ou d’une amende si Mme Xiao tombait de nouveau enceinte, ce qui est arrivé peu de temps avant qu’ils quittent la Chine. Ils soutiennent qu’il était déraisonnable pour la SAR de privilégier la preuve relative aux conditions dans le pays, en particulier le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni, par rapport à leur propre preuve selon laquelle Mme Xiao a été forcée de subir un avortement.

[25] Après avoir soigneusement examiné l’analyse de la SAR, la preuve et les arguments qui ont été soumis à la SAR, ainsi que les arguments des demandeurs devant la Cour, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que l’appréciation de la preuve par la SAR était déraisonnable.

[26] De façon significative, je considère que les motifs de la SAR doivent être interprétés à la lumière des observations que les demandeurs ont présentées à la SAR dans le cadre de leur appel. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, « [l]es principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » [non souligné dans l’original] : Vavilov, au para 127. Cette exigence est particulièrement importante dans le contexte de la SAR, qui siège en tant qu’organisme d’appel qui examine les décisions de la SPR : LIPR, art 110-111. Les règles de procédure de la SAR exigent que le demandeur expose dans ses observations « les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel » : Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, art 3(3)g)(i); Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 aux para 30-35. La SAR peut dans certaines circonstances soulever de nouvelles questions si un avis approprié est fourni : Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725l aux para 65-76; Kwakwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 600 aux para 24-26. Cependant, je suis d’accord avec le ministre pour dire que, en règle générale, c’est le demandeur d’asile qui définit la portée de l’appel devant la SAR au moyen de ses observations.

[27] Devant la SAR, les demandeurs ont relevé deux questions : la SPR [traduction] « n’a pas examiné la question centrale de l’avortement forcé » et la SPR [traduction] « a mal compris la preuve concernant le traitement des enfants nés à l’étranger ». À l’égard de la première question, les demandeurs ont critiqué le fait que la SPR a fait référence au point 5.14 du CND et ont soutenu que la SPR n’avait pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents, à savoir le point 1.9. Aucun autre élément de preuve n’a été mentionné dans les observations à la SAR, et aucun autre argument concernant la décision de la SPR n’a été avancé.

[28] Comme il ressort du résumé des paragraphes [11] à [16] ci-dessus, et comme le souligne le ministre, les motifs de la SAR étaient formulés de manière à répondre aux deux arguments et aux éléments de preuve soumis par les demandeurs concernant la question de l’avortement forcé. La SAR a reconnu que la stérilisation et l’avortement forcés étaient possibles et que la menace existait toujours. Cependant, elle a conclu, en se fondant sur les éléments de preuve, que le risque de telles sanctions pour les demandeurs au Liaoning ne dépassait pas « la simple possibilité ».

[29] Devant la Cour, les demandeurs ont souligné d’autres passages du CND à l’appui de leur argument selon lequel la stérilisation et l’avortement forcés continuaient de se produire en Chine et que le risque équivalait à une possibilité sérieuse de persécution. Je ne peux admettre cet argument pour deux raisons.

[30] Premièrement, je conclus qu’on ne peut reprocher à la SAR de ne pas avoir fait expressément référence à des points du CND qui n’ont pas été mentionnés ou invoqués par les demandeurs. La SPR avait examiné un certain nombre d’autres documents versés au dossier, et les seules questions que les demandeurs ont soulevées auprès de la SAR concernaient le traitement des points 5.14 et 1.9 du CND. La SAR est présumée avoir examiné la preuve et n’a pas besoin de faire référence à tous les éléments de preuve, même s’il sont pertinents : Kandha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 430 au para 16, citant Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA). Les demandeurs demandent à la Cour d’examiner des éléments de preuve différents de ceux soumis à la SAR et de tirer une conclusion différente sur la probabilité de persécution. En l’absence d’une appréciation déraisonnable de la preuve, la Cour ne devrait pas apprécier à nouveau la preuve : Vavilov, au para 125.

[31] Deuxièmement, je ne suis pas convaincu que les conclusions de la SAR fondées sur la preuve étaient déraisonnables. La SAR n’a pas conclu que la stérilisation ou des avortements forcés n’ont jamais été pratiqués en Chine. Elle a fait référence au rapport de la BBC selon lequel il n’y avait aucune preuve d’avortement forcé depuis la mise en place de la politique des deux enfants; toutefois, ses principales conclusions concernaient la probabilité qu’un avortement ou la stérilisation soit imposé. Bien que différents éléments du CND traitent de cette question, l’évaluation de la preuve par la SAR et son traitement des motifs d’appel des demandeurs ont satisfait aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[32] Les demandeurs soutiennent également que la conclusion de la SAR était déraisonnable parce qu’elle était contredite par leur preuve personnelle, selon laquelle Mme Xiao avait été forcée de subir un avortement et que le couple avait été menacé de stérilisation et d’amendes. Encore une fois, cet argument n’a pas été soulevé devant la SAR. La décision de la SPR, comme celle de la SAR, mentionne l’expérience personnelle des demandeurs, mais la SPR est parvenue à sa conclusion sur le risque prospectif en se fondant sur la preuve documentaire. Pourtant, les demandeurs n’ont pas soutenu devant la SAR que la SPR avait commis une erreur en tirant ses conclusions malgré la preuve personnelle ou sans tenir compte de celle-ci. Ils n’ont soulevé que des erreurs dans le traitement par la SPR des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays. À mon avis, les demandeurs ne peuvent pas maintenant affirmer qu’il était déraisonnable que la SAR n’ait pas davantage tenu compte de leurs expériences personnelles pour parvenir à sa conclusion sur le bien-fondé objectif de leur crainte : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22-26; Dahal, au para 35; Oluwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 760 au para 43.

[33] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont soulevé cette question de manière implicite puisque leur appel était axé sur le risque d’avortement forcé, qui était particulièrement pertinent puisque Mme Xiao était enceinte au moment de l’audience de la SPR. Je ne peux pas convenir que ces références soulèvent la question que les demandeurs soulèvent maintenant, à savoir l’incidence de la preuve personnelle des demandeurs sur l’évaluation du risque objectif de persécution. Au contraire, la seule préoccupation des demandeurs, comme elle a été soulevée auprès de la SAR, était que la SPR [traduction] « aurait dû tenir compte des éléments de preuve susmentionnés » (les points 5.14 et 1.9 du CND) au moment d’évaluer le risque d’avortement forcé. Leurs observations à la SAR ne faisaient aucunement référence à leur preuve personnelle de persécution passée, hormis une allusion rapide et indirecte aux [traduction] « faits comme ils sont exposés dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile ».

[34] Si les demandeurs avaient soutenu devant la SAR que la SPR n’avait pas adéquatement tenu compte de leur preuve personnelle pour évaluer le risque d’avortement forcé, je conviens que la SAR aurait été obligée d’examiner cette question. Je ne peux pas convenir, cependant, que cela aurait forcément changé l’évaluation du risque prospectif menée par la SAR. Je note que les demandeurs ne soutiennent pas que, parce que Mme Xiao a subi un avortement forcé dans le passé, cela augmentait la probabilité qu’elle soit personnellement ciblée pour un autre avortement forcé. La preuve des demandeurs n’a pas non plus contredit la preuve relative aux conditions dans le pays sur laquelle la SAR s’est appuyée, laquelle reconnaissait l’existence et la possibilité d’avortements forcés et de menaces de stérilisation. Au bout du compte, cependant, il est hypothétique de tenter d’évaluer ce sur quoi la décision de la SAR aurait pu être fondée à partir d’arguments qui ne lui ont pas été présentés. C’est en partie la raison pour laquelle la Cour n’admet généralement pas de nouveaux arguments dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ni ne considère qu’une décision administrative est déraisonnable du fait que le tribunal a omis de traiter un argument qui n’a pas été présenté au décideur.

[35] À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle la preuve n’établissait rien de plus qu’une « simple possibilité » de persécution était raisonnable compte tenu de la preuve et des observations qui lui ont été présentées. Les demandeurs ont eu la possibilité de contester l’évaluation de la preuve menée par la SPR lorsqu’elle a conclu qu’ils ne risquaient pas sérieusement d’être persécutés. Ils ont choisi de limiter cette contestation au traitement par la SPR des éléments de preuve figurant dans le CND, plutôt qu’à l’absence d’analyse de leur preuve personnelle. Dans de telles circonstances, je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable que la SAR n’ait pas davantage tenu compte de leur expérience passée dans cette analyse.

B. La conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle l’imposition d’amendes n’équivaudrait pas à de la persécution était raisonnable

[36] Comme le reconnaissent les demandeurs, la Cour a conclu à plusieurs reprises que les amendes imposées à l’égard de la violation de la politique matière de planification familiale de la Chine ne revêtent généralement pas un caractère de persécution : Lin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 809 (1re inst.); Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 610 aux para 17-19; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 443 au para 8; Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 486 au para 28; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 61 au para 17.

[37] Les demandeurs soutiennent que l’imposition d’une lourde amende peut néanmoins équivaloir à de la persécution dans certaines circonstances, puisque même les lois d’application générale peuvent avoir un effet assimilable à de la persécution : Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 327 au para 13. Les demandeurs font ressortir la preuve selon laquelle les amendes imposées dans la province du Liaoning peuvent atteindre jusqu’à dix fois le revenu moyen dans la région. Ils soutiennent que, pour établir si cela équivalait à une possibilité sérieuse de persécution, la SAR devait tenir compte de la capacité des demandeurs de payer de telles amendes et de ce qui se passerait s’ils ne les payaient pas.

[38] Encore une fois, cependant, les demandeurs n’ont pas soutenu devant la SAR que la SPR avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’imposition d’amendes ne constituait pas un acte de persécution. Ils n’ont également présenté aucun élément de preuve ni aucun argument devant la SAR indiquant qu’ils ne seraient pas en mesure de payer une amende ou des « frais de compensation sociale », que ce soit pour avoir enfreint le règlement sur la planification familiale ou pour faire enregistrer leur fille née à l’étranger dans le hukou. Dans leurs observations devant la SAR, les demandeurs ont plutôt soutenu que la SPR avait mal interprété la preuve concernant le traitement des enfants nés à l’étranger. Ils ont fait valoir que la preuve montrait que, dans certaines parties de la Chine, il n’était pas possible de payer les frais pour faire enregistrer les enfants nés à l’étranger dans le hukou et que ces enfants se voyaient donc refuser l’accès à l’éducation et aux soins de santé. La SAR a rejeté cet argument au motif que la seule enfant née à l’étranger en l’espèce était la fille née au Canada de Mme Xiao et de M. Sun, qui n’était pas incluse dans leur demande d’asile.

[39] Encore une fois, je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable pour la SAR de ne pas aborder l’incapacité des demandeurs de payer une amende alors que cet argument n’a pas été avancé : Dahal, aux para 30-31, 35-40.

[40] Les demandeurs s’appuient sur l’arrêt Ward, rendu par la Cour suprême, pour soutenir qu’il incombe à la SAR, comme à la SPR, d’examiner tous les motifs potentiels de persécution, qu’ils aient été soulevés ou non par les demandeurs eux-mêmes, et « de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies » : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 aux p 745-746. À mon avis, il n’est pas clair si le principe cité dans l’arrêt Ward s’applique également à la SAR, qui est un organisme d’appel plutôt qu’un organisme d’enquête, bien qu’il soit doté de vastes pouvoirs en matière de recherche des faits : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 56; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ahmed, 2015 CF 1288 au para 11. Les demandeurs n’ont relevé aucune décision dans laquelle la Cour aurait jugé qu’une décision de la SAR était déraisonnable parce que celle-ci aurait omis de tenir compte d’un motif de persécution non invoqué par l’appelant. À l’inverse, dans la décision Idris, le juge Brown a conclu que, en dépit du principe établi dans l’arrêt Ward, le principe général demeurait que le défaut de soulever une question devant la SAR « porte un coup fatal » à l’argument d’un demandeur : Idris c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 24 aux para 21-28.

[41] Quoi qu’il en soit, alors que le principe établi dans l’arrêt Ward exige d’évaluer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies, y compris pour des motifs non invoqués, l’évaluation doit être faite en fonction des faits allégués par les demandeurs : Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445 au para 37. Il y avait peu d’éléments de preuve pour étayer ou corroborer les allégations de Mme Xiao et de M. Sun concernant leur incapacité à payer une amende ou des frais ou les conséquences escomptées d’un tel manquement. Il en va de même des arguments fondés sur la preuve concernant l’imposition d’autres sanctions discriminatoires en matière d’emploi, qui ont été soulevés pour la première fois devant la Cour. Dans ce contexte, je ne peux pas conclure que l’arrêt Ward impose à la SAR l’obligation d’envisager la possibilité qu’une amende puisse équivaloir à de la persécution en raison de l’incapacité des demandeurs à la payer.

[42] Par conséquent, j’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion selon laquelle l’imposition d’amendes pour violation du règlement sur la planification familiale n’équivaudrait pas à de la persécution en l’espèce.

IV. Conclusion

[43] La SAR a raisonnablement conclu que Mme Xiao et M. Sun n’ont pas établi le fondement objectif de leur crainte, ni qu’ils étaient exposés à une « possibilité sérieuse » de persécution pour avoir enfreint le règlement sur la planification familiale dans la province du Liaoning. Au moyen de leurs arguments, les demandeurs demandent essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve concernant les risques auxquels ils sont exposés et d’examiner de nouveaux arguments qui n’ont pas été soulevés devant la SAR. Ce n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[44] La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6566-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6566-19

 

INTITULÉ :

DAN XIAO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 13 JANVIER 2021 DEPUIS OTTAWA (ONTARIO) (COUR) ET TORONTO (ONTARIO) (PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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