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Date : 20210430


Dossier : IMM‑3003‑20

Référence : 2021 CF 376

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2021

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ALMA VASQUEZ ANGARA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Alma Vasquez Angara, est une citoyenne des Philippines qui est devenue résidente permanente du Canada en décembre 2017. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue en juillet 2020 [la décision] par la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAI confirmait alors une décision antérieure dans laquelle un agent de l’immigration [l’agent] avait refusé la demande présentée par Mme Angara en vue de parrainer la demande de résidence permanente de son fils adulte, au motif que ce dernier n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial définie à l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR ou le Règlement].

[2] Mme Angara affirme qu’en rendant sa décision, la SAI a contrevenu aux principes fondamentaux de justice naturelle et a violé son droit à l’équité procédurale, car on ne lui a pas transmis le dossier d’appel qui devait lui être fourni aux termes de l’article 4 des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 [Règles de la SAI], l’empêchant ainsi de connaître la preuve qu’elle devait réfuter. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et d’ordonner à la SAI de faire réexaminer son appel par un tribunal différemment constitué. En réponse, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] soutient que la décision est raisonnable à tous égards et qu’aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

[3] La seule question en litige est celle de savoir si la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale lorsqu’elle a rendu la décision et rejeté l’appel de Mme Angara, compte tenu du fait que le dossier d’appel n’a pas été transmis à Mme Angara conformément à l’article 4 des Règles de la SAI et que la SAI ne disposait pas de ce dossier d’appel. Pour les motifs qui suivent, je vais accueillir la demande de contrôle judiciaire de Mme Angara.

II. Le contexte

A. Les faits

[4] Née aux Philippines, Mme Angara obtient son statut de résidente permanente du Canada le 22 décembre 2017.

[5] La mère de Mme Angara, âgée de 90 ans, vit toujours et habite aux Philippines.

[6] En février 2019, Mme Angara entreprend, en vertu de l’alinéa 117(1)h) du RIPR, les démarches pour parrainer la demande de résidence permanente de son fils adulte, Aldwyn Vasquez Angara, un ressortissant des Philippines.

[7] Le 3 octobre 2019, une lettre relative à l’équité procédurale est envoyée à M. Angara pour l’informer qu’il semble, selon les renseignements contenus au dossier, que sa répondante, Mme Angara, ait encore un membre de sa famille qu’elle peut parrainer au Canada — en l’occurrence, sa mère — et que, par conséquent, son fils ne semble pas répondre à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(1)h) du RIPR. La jurisprudence interprète l’alinéa 117(1)h) comme une disposition de dernier recours qui ne peut être invoquée que lorsque le demandeur n’a plus aucun membre vivant de sa famille visé à l’alinéa 117(1)h) à parrainer (Sendwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 314 aux para 19‑23).

[8] Mme Angara répond à la lettre relative à l’équité procédurale en affirmant que, même si sa mère est toujours vivante et peut théoriquement être parrainée pour venir au Canada, elle serait refusée pour des motifs d’ordre médical. Mme Angara produit un certificat médical indiquant que sa mère est inapte à voyager et qu’elle nécessite la présence constante de quelqu’un pour lui prodiguer des soins. Mme Angara explique également qu’elle fonde sa demande de parrainage de son fils adulte sur des motifs d’ordre humanitaire, étant donné qu’elle est seule au Canada et n’a pas de famille ici.

[9] Par lettre datée du 8 janvier 2020, l’agent informe Mme Angara que la demande de résidence permanente de son fils est refusée parce qu’il ne satisfait pas aux exigences du RIPR. L’agent joint à cette lettre la lettre de refus, également datée du 8 janvier 2020, qu’il a envoyée à son fils et dans laquelle il explique comme suit les motifs de son refus [la lettre de refus] :

[traduction]

À la lumière des renseignements dont je dispose, je constate que la mère de votre répondante est toujours vivante, qu’elle vit aux Philippines et qu’elle peut donc être parrainée pour venir au Canada en tant que résidente permanente. Par conséquent, j’estime que vous ne répondez pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(1)h) du Règlement.

J’ai tenu compte de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par votre répondante. J’estime toutefois qu’il n’y a pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise d’une mesure spéciale qui permettrait de faire abstraction du fait que vous ne répondez pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial dans l’une ou l’autre des catégories susmentionnées.

[10] Aucun autre document n’est envoyé à Mme Angara ou à son fils avec la lettre de refus.

B. La décision

[11] Le 4 février 2020, Mme Angara produit un avis d’appel à la SAI à l’encontre du refus de sa demande de parrainage prononcé par l’agent.

[12] Le 18 février 2020, la SAI écrit à Mme Angara [la lettre de la SAI] pour lui demander de fournir par écrit, au plus tard le 10 mars 2020, des renseignements ou des arguments à l’appui de sa position voulant que son fils soit une personne visée à l’alinéa 117(1)h) du RIPR. La lettre de la SAI contient les informations suivantes :

[traduction]

Pourquoi le visa a‑t‑il été refusé?

L’enfant que vous voulez parrainer ne semble pas appartenir à la catégorie du regroupement familial parce qu’il s’agit d’une personne majeure. Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés du Canada (le Règlement) définit les personnes qui appartiennent à la catégorie du regroupement familial. Il s’agit le plus souvent des personnes suivantes :

le conjoint du répondant,

les enfants à charge du répondant,

la mère ou le père du répondant,

les grands‑parents du répondant.

[…]

Pouvez‑vous démontrer que la personne que vous souhaitez parrainer appartient à la catégorie du regroupement familial?

Si vous avez des documents à produire ou si vous voulez soumettre des arguments par écrit pour démontrer que la personne que vous voulez parrainer appartient à la catégorie du regroupement familial en tant que personne visée au paragraphe 117(1) du Règlement, veuillez nous les faire parvenir. Ces renseignements nous seront utiles pour évaluer votre dossier.

[...]

Qu’arrive‑t‑il si vous ne répondez pas à la présente lettre?

À défaut de recevoir une réponse de votre part au plus tard à la date limite, la SAI peut rejeter votre appel ou prononcer le « désistement ». Cela signifie que la SAI a mis fin à votre appel et que la décision initiale est maintenue. Dans un tel cas, vous recevrez un avis de décision de la SAI.

Qu’arrive‑t‑il si nous recevons vos documents?

[…]

La SAI utilisera tous ces renseignements pour décider de tenir ou non une audience sur votre appel. Elle fixera une date d’audience si elle a besoin de plus de renseignements. En pareil cas, la SAI vous enverra une lettre intitulée « Avis de convocation ». Ce document vous indiquera le lieu et la date de l’audience. Toutefois, dans de nombreux cas, les renseignements au dossier suffisent pour permettre à la SAI de juger l’appel sur dossier.

Et ensuite?

Si la SAI conclut que la personne que vous souhaitez parrainer appartient à la catégorie du regroupement familial, elle peut faire droit à votre appel.

Si la SAI décide que la personne que vous souhaitez parrainer n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, elle peut rejeter votre appel. Autrement dit, la SAI peut conclure que le refus de votre demande de parrainage était valide si vous n’arrivez pas à démontrer que la personne que vous parrainez appartient à la catégorie du regroupement familial. Si la SAI rend cette décision, elle ne peut pas faire droit à votre appel sur la base de motifs d’ordre humanitaire que vous avez invoqués, ce qui mettra fin au processus d’appel.

[13] Ni Mme Angara ni son avocat ne répondent à la lettre de la SAI.

[14] Il ressort également du dossier certifié du tribunal qu’aucun dossier d’appel n’a été transmis à la SAI dans le cadre de son processus d’appel.

[15] Le 2 juillet 2020, la SAI rend la décision par laquelle elle rejette l’appel interjeté par Mme Angara de sa demande de parrainage. Dans la décision, la SAI indique qu’« après avoir effectué un examen », elle conclut que Mme Angara ne s’est pas acquittée « du fardeau qui lui incombait d’établir que [son fils] appartient à la catégorie du regroupement familial conformément à l’alinéa 117(1)h) du Règlement ».

C. Les dispositions applicables

[16] Les dispositions applicables se trouvent dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], le RIPR et les Règles de la SAI.

[17] Le paragraphe 162(2) de la LIPR énonce que chacune des sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, y compris la SAI, « fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ». En vertu du paragraphe 168(1) de la LIPR, chacune des sections « peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication ». Enfin, les articles 174 et 175 de la LIPR s’appliquent expressément à la SAI et indiquent notamment que la SAI est une « cour d’archives ».

[18] Pour ce qui est du RIPR, ses articles 116 et 117 énoncent les exigences détaillées auxquelles doivent satisfaire les personnes appartenant à la catégorie du regroupement familial pour pouvoir devenir résidents permanents du Canada.

[19] Quant aux Règles de la SAI, elles prévoient les règles de procédure qui s’appliquent aux audiences de la SAI. Les articles 3 et 4 s’appliquent aux appels interjetés par un répondant. Les exigences concernant la production d’un dossier d’appel devant la SAI, qui sont au cœur de la demande contrôle judiciaire de Mme Angara, sont énoncées en détail à l’article 4 des Règles de la SAI, qui se lit comme suit :

Dossier d’appel

Appeal record

4 (1) Le ministre prépare un dossier d’appel comportant :

4 (1) The Minister must prepare an appeal record that contains

a) une table des matières;

(a) a table of contents;

b) la demande de visa qui a été refusée;

(b) the application for a permanent resident visa that was refused;

c) la demande de parrainage et l’engagement du répondant;

(c) the application for sponsorship and the sponsor’s undertaking;

d) tout document en la possession du ministre qui a trait aux demandes, aux motifs du refus ou à toute question en litige;

(d) any document that the Minister has that is relevant to the applications, to the reasons for the refusal or to any issue in the appeal; and

e) les motifs écrits du refus.

(e) the written reasons for the refusal.

Transmission du dossier d’appel

Providing the appeal record

(2) Le ministre transmet le dossier d’appel à l’appelant et à la Section.

(2) The Minister must provide the appeal record to the appellant and the Division.

Preuve de transmission

Proof that record was provided

(3) En même temps qu’il transmet le dossier d’appel à la Section, le ministre lui transmet une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon il a transmis le dossier d’appel à l’appelant.

(3) The Minister must provide to the Division, together with the appeal record, a written statement of how and when the appeal record was provided to the appellant.

Délai

Time limit

(4) Les documents transmis selon la présente règle doivent être reçus par leurs destinataires au plus tard cent vingt jours suivant la date à laquelle le ministre reçoit l’avis d’appel.

(4) Documents provided under this rule must be received by their recipients no later than 120 days after the Minister received the notice of appeal.

Retard de transmission

Late appeal record

(5) Si la Section ne reçoit pas le dossier d’appel dans le délai prévu au paragraphe (4), elle peut :

(5) If the Division does not receive the appeal record within the time limit set out in subrule (4), the Division may

a) soit demander au ministre d’expliquer, oralement ou par écrit, son retard et de justifier pourquoi le dossier en retard devrait être accepté;

(a) ask the Minister to explain, orally or in writing, why the appeal record was not provided on time and to give reasons why the appeal record should be accepted late; or

b) soit fixer une date d’audience et commencer sans le dossier ou avec seulement une partie de celui‑ci.

(b) schedule and start the hearing without the appeal record or with only part of the appeal record.

[20] L’article 4 des Règles de la SAI prévoit donc expressément, en termes clairs et stricts, que le ministre prépare un dossier d’appel et le transmet à l’appelant et à la SAI dans les 120 jours suivant la date à laquelle il a reçu l’avis d’appel. Comme le ministre l’a souligné dans ses observations, il est loisible à la SAI, en vertu de l’alinéa 4(5)b) des Règles de la SAI, de fixer une date d’audience et de commencer sans le dossier d’appel ou avec seulement une partie de celui‑ci, si elle n’a pas reçu le dossier d’appel du ministre dans le délai prescrit. Je signale toutefois que, selon les Règles de la SAI, la SAI ne peut que « commencer » sans le dossier d’appel. Les Règles de la SAI n’indiquent nulle part que la SAI est autorisée à mener à terme le processus d’appel, à tirer une conclusion ou à rendre une décision sans le dossier d’appel.

D. La norme de contrôle

[21] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada [CSC] a proposé un cadre d’analyse révisé pour déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative (Vavilov au para 10). Dans cet arrêt, la CSC a défini une nouvelle approche pour déterminer la norme de contrôle applicable, selon laquelle l’analyse des décisions administratives a comme point de départ une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable, à moins que l’intention du législateur ou la primauté du droit ne commandent l’application de la norme de la décision correcte (Vavilov aux para 10, 17).

[22] L’arrêt Vavilov ne traite pas directement de questions d’équité procédurale, et la démarche à adopter à cet égard n’a donc pas été modifiée (Vavilov au para 23). Il est généralement reconnu que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique pour savoir si un décideur administratif a respecté son devoir d’équité procédurale et les principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd v Atlantic Towing Limited, 2021 FCA 26 au para 107).

[23] La Cour d’appel fédérale a toutefois affirmé que les questions d’équité procédurale ne sont pas véritablement tranchées en fonction d’une norme de contrôle particulière. Il s’agit plutôt d’une question de droit qui relève des cours de révision, qui doivent être convaincues que l’équité procédurale a été respectée. Lorsque l’obligation d’un décideur administratif d’agir équitablement est remise en question ou lorsqu’on invoque un manquement à un principe de justice fondamentale, la cour de révision doit vérifier si la procédure était équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24‑25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPR] au para 54). Cette analyse comporte l’examen des cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés par la CSC dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (Vavilov au para 77), à savoir : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; (3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; (5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même et la nature du respect dû à l’organisme (Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 au para 5; Baker aux para 23‑28).

[24] Il appartient à la cour de révision de se prononcer sur la question et, dans le cadre de cette analyse, de se demander « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CPR au para 54). Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et sur des manquements aux principes de justice fondamentale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et s’il a permis aux parties de se faire entendre, d’avoir pleinement l’occasion de prendre connaissance de la preuve à réfuter et d’y répondre (CPR au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51‑54). Il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’endroit du décideur administratif sur des questions ayant trait à l’équité procédurale.

III. Analyse

[25] Le ministre fait valoir que rien n’empêchait la SAI de donner suite à l’appel interjeté par Mme Angara de sa demande de parrainage et de le rejeter sans dossier d’appel, puisque le libellé du paragraphe 4(5) des Règles de la SAI confirme effectivement que la SAI peut y donner suite sans dossier d’appel. Le ministre soutient également que, dans sa lettre, la SAI indiquait clairement quels renseignements Mme Angara devait fournir et que la SAI pouvait rejeter l’appel ou prononcer le désistement si Mme Angara ne donnait pas suite à cette lettre. Mme Angara n’y a effectivement pas répondu. Le ministre ajoute que Mme Angara n’a pas expliqué pourquoi elle avait besoin du dossier d’appel pour répondre à la lettre de la SAI, et qu’elle n’a notamment pas informé la SAI des raisons pour lesquelles elle estimait avoir besoin du dossier d’appel pour être en mesure de bien présenter ses arguments en appel. De plus, selon le ministre, Mme Angara était au courant de la preuve qu’elle devait réfuter et était donc en mesure de fournir une réponse, étant donné que ce n’était pas la première fois qu’elle était appelée à expliquer pourquoi son fils adulte devait être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(1)h) des Règles du RIPR. Le ministre soutient que, pour toutes ces raisons, aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

[26] Je ne suis pas de cet avis. J’estime plutôt qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, la procédure suivie par la SAI n’était pas équitable et qu’elle n’a pas permis à Mme Angara d’avoir pleinement l’occasion de prendre connaissance de la preuve qu’elle devait réfuter et d’y répondre.

A. L’étendue de l’obligation d’équité procédurale de la SAI

[27] L’obligation d’agir équitablement comporte deux volets : (1) le droit d’être entendu et la possibilité de répondre aux éléments de preuve à réfuter; et (2) le droit à une audience impartiale devant un tribunal indépendant (Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Le cas de Mme Angara ne concerne que le premier volet.

[28] Il est de jurisprudence constante que l’obligation d’équité procédurale est « éminemment variable », intrinsèquement souple et tributaire du contexte (Vavilov au para 77; Baker au para 21; CPR au para 40; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au para 113; Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce International), 2020 FC 656 aux para 43‑52). Elle « ne réside pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20 au para 53). La nature et l’étendue de l’obligation fluctuent en fonction du contexte particulier et des diverses situations factuelles examinées par le décideur administratif, ainsi que de la nature des différends qu’il est appelé à trancher (Baker aux para 25‑26). Dans tous les cas, la nature et la portée exactes de l’obligation d’équité procédurale varient selon les attributs du tribunal administratif et sa loi habilitante (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 aux para 39‑42). Autrement dit, la question de savoir si une décision respecte les principes d’équité procédurale doit être tranchée au cas par cas.

[29] L’obligation d’équité procédurale vise à garantir que les décisions administratives sont rendues à l’issue d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, et qu’elles accordent aux personnes visées la possibilité de présenter leur point de vue et des éléments de preuve qui seront dûment pris en considération par le décideur administratif avant de rendre sa décision (Baker aux para 21‑22; Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 au para 18). Les questions d’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement ne concernent pas le bien‑fondé de la décision rendue, mais plutôt le processus suivi par le décideur. De même, l’équité procédurale ne crée pas de droits substantiels et elle n’accorde pas à l’intéressé un droit à un certain résultat quant à l’issue de l’examen de sa cause. Mme Angara ne peut donc prétendre avoir le droit d’exiger que la SAI lui donne raison dans le cadre de son appel en matière de parrainage.

[30] Dans l’arrêt Baker, la CSC a énoncé cinq facteurs non exhaustifs qui doivent être pris en considération pour définir l’obligation d’équité procédurale dans une situation donnée. Après avoir appliqué les facteurs de l’arrêt Baker à la présente affaire, je conclus qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le degré d’équité procédurale auquel avait droit Mme Angara de la part de la SAI se situe à l’extrémité supérieure de l’échelle. Le premier facteur de l’arrêt Baker porte sur la nature de la décision recherchée et sur le processus suivi pour y parvenir. Plus le processus administratif — et la décision — ressemble à une prise de décision de nature judiciaire, plus élevé devra être le degré de protection procédurale (Baker au para 23). Dans le cas qui nous occupe, l’article 174 de la LIPR prévoit que la SAI est une cour d’archives qui possède les attributs d’une cour supérieure sur toute question relevant de sa compétence. Bien que le processus suivi pour parvenir à sa décision soit plus informel et diffère du processus judiciaire habituel, la SAI est chargée de rendre une décision de nature adjudicative basée sur son appréciation de la preuve et sur l’application de facteurs stricts en ce qui concerne les membres de la famille pouvant être parrainés au Canada en vertu de l’article 117 du RIPR. Comme je l’ai déjà mentionné, la LIPR et les Règles de la SAI énoncent un ensemble détaillé de règles pour les appels interjetés par les répondants. Il ne s’agit pas d’une décision purement discrétionnaire prise du point de vue du ministre, ce qui suggère qu’une telle décision commande un degré plus élevé d’équité procédurale.

[31] Le deuxième facteur se rapporte au rôle que joue la décision dans la cadre statutaire qui la régit, au libellé de la loi elle‑même et au contexte institutionnel et social. Tous ces éléments influencent la nature des protections procédurales auxquelles une partie a droit (Baker aux para 22, 28). On ne devrait pas interpréter une loi en y ajoutant des mesures procédurales qui n’existent pas ou qui n’y sont pas envisagées. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, la LIPR, le RIPR et les Règles de la SAI prévoient des étapes procédurales spécifiques pour l’examen des appels de demandes de parrainage. Par exemple, les Règles de la SAI renferment des dispositions régissant les différents types d’appels que peut entendre le décideur adminstratif, ainsi que les formalités à remplir pour obtenir le dossier, soumettre des documents, témoigner à l’audience et rendre des décisions. Le processus prévu à l’article 117 du RIPR et dans les Règles de la SAI vise à s’assurer que les demandeurs fassent valoir leur position dans leurs observations initiales et présentent leurs meilleurs arguments dans les documents accompagnant leur demande, mais il prévoit également que les demandeurs ont le droit de recevoir un dossier d’appel. Comme la LIPR ne contient pas d’autre mécanisme d’appel des décisions rendues par la SAI, celles‑ci tranchent en dernier ressort les questions faisant l’objet de l’appel (sous réserve du contrôle judiciaire de notre Cour). Par conséquent, ce deuxième facteur joue également en faveur de la reconnaissance de solides protections procédurales (Baker au para 24).

[32] Le troisième facteur énoncé dans l’arrêt Baker concerne l’importance de la décision pour les personnes visées. De façon générale, plus la décision est importante pour la vie des personnes concernées, plus le degré d’équité procédurale requis sera élevé. Mme Angara affirme que la décision est d’une importance capitale pour elle, car le parrainage de son fils adulte est la seule option dont elle dispose pour s’assurer de la présence d’un membre de sa famille au Canada. Dans le cas qui nous occupe, je suis convaincu que la décision est loin d’être négligeable pour Mme Angara. J’estime donc que ce troisième facteur justifie également un degré élevé d’équité procédurale.

[33] Le facteur suivant mentionné dans l’arrêt Baker est celui des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision administrative. Essentiellement, la reconnaissance de l’existence d’une attente légitime en ce qui concerne la procédure à suivre a une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision (Baker au para 26). En l’espèce, les dispositions des Règles de la SAI qui traitent explicitement de la possibilité de consulter le dossier d’appel établissent certainement une pratique et un processus particulier auxquels Mme Angara avait droit et dont elle pouvait légitimement s’attendre à bénéficier. En outre, comme l’a mentionné Mme Angara dans ses observations, les dispositions des Règles de la SAI applicables au dossier d’appel sont reprises dans l’un des bulletins opérationnels de la SAI. Plus précisément, le Bulletin opérationnel ENF 19 — Appels à la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) [Bulletin] renferme des instructions et des directives à l’intention de ses agents concernant la préparation du dossier d’appel. Ces dispositions correspondant à celles prévues par les Règles de la SAI. Dans le chapitre portant sur la procédure à suivre pour les appels en matière de parrainage de membres de la catégorie du regroupement familial, le Bulletin indique notamment, à l’article 8.6, que « [le bureau des audiences de l’Agence des services frontaliers du Canada] doit d’abord transmettre le dossier d’appel à l’appelant ou à son conseil, puis en fournir une copie à la SAI » et que le dossier transmis à la SAI « doit être accompagn[é] d’une déclaration écrite indiquant quand et comment le ministre a fait parvenir le dossier d’appel à l’appelant ». Dans ces conditions, je suis d’accord que Mme Angara pouvait légitimement s’attendre à ce que la SAI suive la procédure précise prévue par les Règles de la SAI et par ses propres lignes directrices administratives. Là encore, la situation commande un degré plus élevé d’équité procédurale.

[34] Le dernier des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker concerne le processus suivi par le décideur administratif et le choix de procédure dans une affaire donnée. Lorsque, comme en l’espèce, la loi n’est pas muette sur les mécanismes procéduraux applicables et que le législateur a effectivement précisé en détail la procédure à suivre par le décideur, la situation milite en faveur d’un degré d’équité procédurale se situant près de l’extrémité supérieure de l’échelle. Dans le cas de Mme Angara, il était nécessaire de suivre une procédure particulière, à savoir la préparation d’un dossier d’appel qui devait être mis à la disposition de Mme Angara et que le ministre devait transmettre à la SAI.

[35] Vu ce qui précède et après avoir soupesé les divers facteurs de l’arrêt Baker à la lumière des circonstances particulières entourant l’appel en matière de parrainage de Mme Angara, je conclus que le degré d’équité procédurale auquel avait droit Mme Angara dans le contexte de son appel se situe à l’extrémité supérieure de l’échelle.

B. L’application à la présente affaire

[36] Dans le cas qui nous occupe, la combinaison de trois éléments m’amène à conclure que la SAI a manqué à son devoir d’équité procédurale envers Mme Angara en rendant sa décision.

(1) L’article 4 des Règles de la SAI

[37] Premièrement, comme je l’ai déjà mentionné, l’article 4 des Règles de la SAI dispose en termes clairs que le ministre doit préparer un dossier d’appel et le fournir tant à l’appelant qu’à la SAI, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.

[38] Le ministre affirme qu’aucune disposition législative n’oblige la SAI à attendre que le ministre lui ait fourni le dossier d’appel avant d’entendre l’appel en matière de parrainage, de sorte qu’il était loisible à la SAI d’agir comme elle l’a fait. Je ne suis pas convaincu par cet argument, car il déborde largement le cadre du libellé permissif de l’article 4 des Règles de la SAI. Certes, l’alinéa 4(5)b) des Règles de la SAI permet à la SAI de fixer la date de l’audience et de commencer l’audience sans dossier d’appel. Mais il ne dit rien de plus. Les Règles de la SAI n’indiquent nulle part que la SAI peut rendre une décision sur le fond d’un appel sans disposer du dossier d’appel que le ministre est par ailleurs tenu de lui fournir, ou qu’elle peut statuer sur le fond de l’affaire lorsque l’appelant n’a pas reçu le dossier d’appel. Autrement dit, on ne trouve dans les Règles de la SAI aucune disposition conférant à la SAI le pouvoir de rejeter un appel sans dossier d’appel, ou de priver indirectement l’appelant de son droit légal incontestable d’obtenir le dossier d’appel. Comme l’affirme à juste titre Mme Angara, il n’existe aucun précédent ou source permettant à la SAI de contourner l’article 4 des Règles de la SAI ou de rendre une décision sans s’assurer que l’appelant ait d’abord reçu le dossier d’appel.

[39] Dans un contexte dans lequel elle était tenue de faire preuve d’un degré élevé d’équité procédurale envers Mme Angara, la SAI a donc manqué à son obligation d’agir équitablement en agissant comme elle l’a fait et en rejetant l’appel de Mme Angara avant que cette dernière n’ait reçu le dossier d’appel.

[40] J’ouvre ici une parenthèse pour souligner qu’aux termes du paragraphe 4(1) des Règles de la SAI, le dossier d’appel que prépare le ministre doit comporter « tout document en la possession du ministre qui a trait aux demandes, aux motifs du refus ou à toute question en litige », ainsi que « les motifs écrits du refus ».

[41] Les principes de justice naturelle exigent qu’un appelant soit mis au courant des preuves qu’il doit fournir avant que le décideur administratif ne rende sa décision. En l’espèce, je suis convaincu que, sans le dossier d’appel, Mme Angara ne pouvait pas avoir pleinement l’occasion d’être au courant de la preuve à réfuter, étant donné qu’elle n’a pas été informée de tous les motifs écrits justifiant le refus de sa demande de parrainage par l’agent. L’article 4 des Règles de la SAI est une importante protection procédurale relative au droit de se faire entendre et, eu égard aux circonstances de l’espèce, le défaut de s’assurer de fournir le dossier d’appel à Mme Angara et de le transmettre à la SAI avant qu’elle ne rejette l’appel constituait un manquement à l’équité procédurale.

[42] J’ajoute une autre observation. Dans sa décision, la SAI a finalement estimé, « après avoir effectué un examen », que Mme Angara ne s’était pas acquittée du fardeau que lui incombait l’alinéa 117(1)h) du RIPR, et elle a « rejeté » son appel. Je ne peux m’empêcher de me demander ce que la SAI a bien pu « examiner » avant de se prononcer sur l’appel en matière de parrainage de Mme Angara, étant donné que la SAI n’avait pas en main le dossier d’appel du ministre lorsqu’elle a rendu la décision. Dans un certain sens, cette façon de procéder témoigne non seulement de l’iniquité de la procédure suivie, mais permet également de s’interroger sur le caractère raisonnable de la décision, étant donné qu’une conclusion tirée sans dossier peut difficilement être considérée comme une décision intelligible « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » ou comme étant « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov aux para 83, 85).

(2) La décision et les notes de l’agent

[43] Deuxièmement, eu égard aux circonstances de l’espèce, le défaut d’agir équitablement est aggravé par le fait que Mme Angara n’a jamais reçu l’intégralité de la décision de l’agent qu’elle a portée en appel devant la SAI.

[44] Le 8 janvier 2020, l’agent a envoyé la lettre de refus à Mme Angara et à son fils. Aucun autre élément n’a toutefois été communiqué à Mme Angara à ce moment‑là. En particulier, les notes versées au Système mondial de gestion des cas [SMGC] à l’appui de la décision de l’agent n’ont pas été communiquées à Mme Angara. Ces notes versées au SMGC, qui étaient jointes à l’affidavit souscrit par Hélène Jarry que le ministre a soumis en réponse à la demande contrôle judiciaire de Mme Angara, sont les suivantes :

[traduction]

J’ai examiné la réponse de la répondante à la lettre relative à l’équité procédurale. La répondante a soumis une lettre dans laquelle elle affirme que, bien que sa mère soit encore en vie et qu’elle puisse être parrainée en vue de venir au Canada, sa demande serait de toute façon refusée pour des motifs d’ordre médical. La répondante a produit un certificat médical délivré à sa mère, qui est actuellement âgée de 90 ans. Le certificat médical indique que la mère du demandeur principal a reçu un diagnostic de «  fracture du grand trochanter faisant suite à une chute ». Le certificat médical indique également qu’un examen médical a révélé une fonte musculaire aux deux extrémités inférieures et constaté l’incapacité de la patiente de parcourir de courtes ou de longues distances. La patiente nécessite la présence constante de quelqu’un pour s’occuper d’elle. La répondante a demandé que la demande soit examinée sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire, au motif qu’elle est seule au Canada et n’a pas de famille sur place. Bien que je comprenne le souhait de la répondante d’avoir un membre de sa famille auprès d’elle au Canada, le demandeur principal ne peut être considéré comme un membre de la famille admissible, étant donné que la répondante a un membre de sa famille qui peut être parrainé. Outre le fait qu’il n’appartient pas à la répondante de décider si la demande de sa mère serait refusée au Canada pour des motifs d’ordre médical, j’estime que rien n’empêche la répondante de retourner aux Philippines pour retrouver son fils. J’ai tenu compte de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. J’estime toutefois qu’il n’y a pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise d’une mesure spéciale permettant de faire abstraction du fait que le demandeur principal ne répond pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial qu’il invoque au soutien de sa demande. Je suis convaincu que le demandeur principal n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial par rapport à la répondante au sens du sous‑alinéa 117(1)h)(ii) du Règlement. La demande est par conséquent refusée.

[45] Il est de jurisprudence constante que les notes de l’agent qui sont versées au SMGC font partie des motifs de sa décision (Song c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 72 au para 18), et que la cour de révision saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative doit tenir compte de ces notes. S’agissant de Mme Angara, les notes inscrites au SMGC par l’agent renferment des renseignements plus détaillés qui permettent de comprendre le raisonnement que l’agent a suivi pour refuser la demande de parrainage, ainsi que les conclusions qu’il a tirées en réponse aux allégations formulées par Mme Angara au sujet de l’état de santé de sa mère et de son incapacité à voyager.

[46] En l’espèce, ces notes versées au SMGC n’ont pas été transmises à Mme Angara avec la décision de l’agent et, lorsqu’elle a interjeté appel à la SAI, Mme Angara n’était pas au courant de toutes les raisons pour lesquelles sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent avait été jugée insuffisante pour répondre aux préoccupations de l’agent. La première occasion qui lui a été fournie de prendre connaissance des notes versées par l’agent au SMGC s’est présentée lorsqu’elle a reçu la réponse du ministre dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Je suis d’accord avec Mme Angara pour dire que ces notes inscrites au SMGC auraient normalement été versées au dossier d’appel que les Règles de la SAI obligeaient le ministre à préparer (puisqu’elles font partie des motifs écrits du refus) et que, comme ces notes n’ont pas été fournies à Mme Angara avec la lettre de refus, ce n’est que par le biais du dossier d’appel que Mme Angara pouvait en prendre connaissance et être pleinement informée de la preuve qu’elle devait réfuter. En d’autres termes, comme les notes versées au SMGC n’accompagnaient pas la lettre de refus que l’agent a adressée à Mme Angara en janvier 2020, seul le dossier d’appel aurait permis à Mme Angara d’être informée de toutes les raisons du refus, en plus de lui donner accès aux notes de l’agent.

[47] La demande présentée par Mme Angara en vue de parrainer un membre de sa famille a été refusée par l’agent malgré les affirmations faites par Mme Angara au sujet de l’état médical et de l’incapacité de voyager de sa mère, et la lettre de refus ne permettait pas à Mme Angara de prendre connaissance de l’intégralité de l’analyse effectuée par l’agent. J’admets que, si les notes versées par l’agent au SMGC avaient été fournies à Mme Angara avec la lettre de refus, il lui aurait été plus difficile de prétendre que le fait qu’elle n’avait pas reçu le dossier d’appel l’empêchait de connaître la preuve qu’elle devait réfuter dans le cadre de son appel devant la SAI. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, les notes versées au SMGC n’accompagnaient tout simplement pas la lettre de refus, et c’est précisément la raison pour laquelle Mme Angara réclamait le dossier d’appel afin d’être mise au courant des éléments de preuve auxquels elle aurait à répondre dans le cadre de son appel en matière de parrainage.

[48] Compte tenu du degré plus élevé d’équité procédurale auquel Mme Angara avait droit, je suis convaincu qu’eu égard aux faits de l’espèce, Mme Angara n’a pas suffisamment été mise au courant de la preuve qu’elle devait réfuter, qu’elle n’a pas reçu tous les documents pertinents et qu’elle n’a pas bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations du décideur administratif. Je suis conscient du fait que les notes versées au SMGC sont succinctes et que le seul renseignement complémentaire qu’elles contiennent est le fait que, selon l’agent, même s’[traduction] « il n’appartient pas à la répondante de décider si la demande de sa mère serait refusée au Canada pour des motifs d’ordre médical […] rien n’empêche la répondante de retourner aux Philippines pour retrouver son fils ». Or, Mme Angara n’a pas été informée de ces motifs fournis par l’agent pour refuser sa demande, et elle avait le droit de les connaître dans le cadre de son appel. Elle avait le droit d’obtenir la possibilité de formuler des arguments au sujet des motifs fournis par l’agent et d’expliquer, dans son appel, les raisons pour lesquelles elle estimait que sa mère ne pouvait pas voyager et être parrainée. Le défaut de fournir le dossier d’appel — ou d’inclure les notes versées au SMGC dans la lettre de refus de l’agent — a fait en sorte que Mme Angara s’est vu nier son droit à l’équité procédurale.

(3) La lettre de la SAI

[49] Troisièmement, je ne retiens pas l’argument du ministre suivant lequel, en tout état de cause, le défaut de Mme Angara de répondre à la lettre de la SAI constituait une raison suffisante pour rejeter son appel en matière de parrainage. Je partage plutôt l’avis de Mme Angara lorsqu’elle affirme qu’elle n’était pas tenue de démontrer que son défaut de répondre à la lettre de la SAI était raisonnable dans les circonstances.

[50] Le ministre fait valoir que Mme Angara ne peut s’en prendre qu’à elle‑même en ce qui concerne le fait qu’elle n’a pas reçu le dossier d’appel, car elle n’a pas répondu à la demande de renseignements et d’observations que lui avait adressée la SAI dans sa lettre, et elle n’a jamais précisé qu’elle avait besoin du dossier d’appel pour préparer sa cause. En d’autres termes, le ministre affirme qu’en ne répondant pas à la lettre de la SAI, Mme Angara aurait renoncé indirectement à son droit au dossier d’appel. Cet argument ne me convainc pas. Je reconnais qu’il aurait peut‑être été préférable que Mme Angara fasse preuve de plus d’initiative et qu’elle dise à la SAI qu’elle avait besoin du dossier d’appel ou souhaitait en prendre connaissance avant de répondre à la lettre de la SAI. Si Mme Angara avait envoyé une lettre à la SAI pour l’informer qu’elle avait besoin du dossier de l’agent avant de présenter ses arguments à l’appui de son appel, la situation dans laquelle Mme Angara se retrouve maintenant ne se serait probablement pas produite. Cependant, je ne suis pas d’accord pour dire que le défaut de Mme Angara de prendre ces mesures emporte déchéance du droit prévu par la loi de prendre connaissance du dossier d’appel — un droit consacré par les Règles de la SAI — ou que son inaction pourrait être interprétée comme une renonciation de sa part à son droit à l’équité procédurale.

[51] L’accès au dossier d’appel et à l’intégralité des motifs du refus de l’agent est une mesure différente de la demande de renseignements et d’arguments formulée par la SAI dans sa lettre. Il ne faut pas confondre les deux mesures. Le défaut de Mme Angara de répondre à la lettre de la SAI n’emporte pas et ne saurait emporter renonciation au droit distinct de Mme Angara de recevoir le dossier d’appel. Rien dans les Règles de la SAI n’habilite la SAI à juger sur le fond un appel en matière de parrainage et de le rejeter sans dossier d’appel, et le fait que Mme Angara n’ait pas répondu à la lettre de la SAI n’y change rien.

[52] Je tiens par ailleurs à souligner que, dans sa décision, la SAI indique qu’« après avoir effectué un examen », elle estime que Mme Angara ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait aux termes de l’alinéa 117(1)h) du RIPR et qu’en conséquence, elle « reje[tte] » son appel. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle la SAI aurait, en vertu du paragraphe 168(1) de la LIPR, prononcé le « désistement » dans l’affaire dont elle était saisie par suite du défaut de l’intéressé de fournir les renseignements demandés. Si la SAI avait l’intention de sanctionner Mme Angara en raison de son défaut de répondre à la lettre de la SAI et de fournir les renseignements et arguments demandés, la SAI aurait plutôt dû prononcer le désistement de l’appel en vertu du paragraphe 168(1) de la LIPR. En pareil cas, le défaut de transmettre le dossier d’appel à Mme Angara et le fait que la SAI ne disposait pas de ce dossier n’aurait probablement pas constitué un manquement à l’équité procédurale qui aurait vicié la décision de la SAI, puisque cette dernière aurait prononcé le désistement de l’appel en raison du défaut de Mme Angara de répondre. Toutefois, en l’espèce, ce n’est pas ce que la SAI a fait et décidé, puisqu’elle a choisi de rejeter l’appel de Mme Angara sans dossier d’appel.

IV. Conclusion

[53] Pour tous les motifs que je viens d’exposer, je conclus qu’il y a eu manquement aux principes d’équité procédurale dans le processus décisionnel suivi par la SAI. Je suis convaincu que, sans dossier d’appel, et compte tenu du fait que les notes versées au SMGC n’ont pas été jointes à la lettre de refus de l’agent, Mme Angara était dans l’impossibilité d’être au courant des éléments essentiels de la preuve produite contre elle et qu’elle n’a pas eu pleinement l’occasion de se faire entendre, de répondre à la preuve présentée contre elle et de comprendre les preuves et les arguments auxquels elle devait répondre. J’estime que le processus administratif suivi par la SAI ne respectait pas le degré élevé d’équité procédurale que commandaient les faits de la présente affaire et que le processus suivi était inéquitable sur le plan procédural. Je dois par conséquent faire droit à la demande de contrôle judiciaire de Mme Angara et renvoyer l’affaire à la SAI pour qu’elle soit remise à un tribunal différemment constitué afin qu’il rende une nouvelle décision sur l’appel en matière de parrainage de Mme Angara, conformément aux motifs de la Cour.

[54] Mme Angara a demandé à la Cour de lui adjuger les dépens partie-partie conformément au paragraphe 420(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, au motif que, le 29 janvier 2021, elle a présenté une offre de règlement — qui a été rejetée par le ministre — afin d’éviter d’autres dépenses, des retards inutiles et le gaspillage des ressources judiciaires. Je ne puis donner raison à Mme Angara sur ce point.

[55] Il n’est pas contesté que, selon l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, aucuns dépens ne sont en principe adjugé dans les affaires d’immigration, sauf s’il existe des raisons spéciales. Le critère minimal à respecter pour démontrer l’existence de « raisons spéciales » est rigoureux et doit être apprécié en fonction des circonstances particulières de chaque espèce (Taghiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1262 aux para 17‑22; Singh Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 201 aux para 29‑30). Je ne pense pas que les circonstances de la présente affaire soient semblables ou analogues aux rares situations ayant justifié une adjudication des dépens en matière d’immigration, et je refuse par conséquent de condamner le ministre aux dépens. Je ne suis pas convaincu que le fait pour le ministre ou son avocat d’avoir contesté la demande de contrôle judiciaire de Mme Angara signifie qu’ils ont agi de manière à ce point injuste, oppressive ou abusive pour justifier une condamnation aux dépens. On ne peut conclure à l’existence de raisons spéciales du simple fait qu’une partie a choisi de se prévaloir d’une option que lui offre la loi et n’a pas obtenu gain de cause.

[56] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM‑3003‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.

  2. La décision du 2 juillet 2020 par laquelle la Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel en matière de parrainage de la demanderesse est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision au fond, conformément aux motifs de la Cour.

  4. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3003‑20

 

INTITULÉ :

ALMA VASQUEZ ANGARA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MONTRÉAL (QUÉBEC) et OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Mark Gruszczynski

POUR LA Demanderesse

 

Suzanne Trudel

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

POUR LA Demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE défendeur

 

 

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