Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210429


Dossier : T-91-21

Référence : 2021 CF 372

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 29 avril 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

WENXIAN LOU

demanderesse

(requérante)

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

(intimée)

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête écrite présentée conformément au paragraphe 369(1) des Règles des Cours fédérales (les Règles) par la demanderesse, Wenxian Lou, qui agit pour son propre compte.

[2] Dans sa requête fondée sur le paragraphe 51(1) des Règles, la demanderesse porte en appel l’ordonnance du 18 mars 2021 par laquelle la protonotaire Molgat a radié la déclaration de la demanderesse sans autorisation de la modifier. En outre, la demanderesse s’est vu enjoindre de payer les dépens.

[3] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté. La protonotaire n’a pas commis d’erreur dans l’application des règles de droit à son examen de la déclaration. Eu égard à la norme de contrôle énoncée dans la décision Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], rien ne justifie l’intervention de la Cour.

Faits pertinents

[4] Le 11 janvier 2021, la demanderesse a déposé une déclaration contre « Sa Majesté la Reine » dans laquelle elle affirme avoir subi divers torts et traitements inusités. Elle formule des allégations générales et variées selon lesquelles elle a été victime de diverses [traduction] « fraudes financières » mettant en cause notamment des banques, des compagnies d’assurance, des écoles, des entreprises et le gouvernement. Elle affirme également qu’elle a été suivie et surveillée illégalement, qu’on est entré illégalement dans sa résidence personnelle, qu’elle a été victime de viol ou d’agression ou de violence sexuelle et qu’on a diffusé des drogues illicites chez elle.

[5] À titre de réparation, elle demande dans sa déclaration [TRADUCTION] « la cessation de tous les comportements illégaux » et des dommages-intérêts s’élevant à 70 millions de dollars canadiens [TRADUCTION] « pour l’argent qui [lui] a été dérobé, pour les sommes qui [lui] ont été facturées illégalement, à titre d’indemnité ainsi que pour le préjudice moral [qu’elle a] subi ».

[6] La défenderesse a déposé une requête en radiation de la déclaration au titre de l’article 221 des Règles. La demanderesse a déposé des documents en réponse.

Ordonnance de la protonotaire datée du 18 mars 2021

[7] Après avoir examiné les documents relatifs à la requête qui ont été déposés, la protonotaire a déclaré ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné minutieusement la déclaration et lu celle-ci en adoptant une approche généreuse pour déterminer si les faits allégués, interprétés de manière généreuse, donnent naissance à une cause d’action contre la défenderesse. Je conclus que ce n’est pas le cas et que la déclaration doit être radiée.

Les allégations contenues dans la déclaration ne sont pas concises, car il s’agit essentiellement de simples affirmations et de déclarations catégoriques. Même s’il est évident que la requête de la demanderesse est fondée sur ses expériences négatives avec (notamment) des consultants en immigration, des institutions financières, des compagnies d’assurance, des écoles, des propriétaires et des gestionnaires immobiliers qui, selon elle, ont causé les difficultés financières qu’elle éprouve actuellement, il est difficile de savoir quelle est la cause d’action alléguée.

Les allégations de suivi et de surveillance illégaux, d’accès illégal à sa résidence personnelle, de viol, d’agression sexuelle et de traite de personnes organisée par le gouvernement, ainsi que les allégations relatives aux drogues, sont de simples affirmations catégoriques. La déclaration comprend beaucoup de moyens de preuve et est dépourvue de faits substantiels expliquant comment et de quelle façon la responsabilité alléguée de la défenderesse est engagée.

Il ressort clairement des allégations répétées de « fraude » dans la déclaration que la demanderesse estime qu’on s’est servi d’elle et qu’elle se sent trahie et lésée en conséquence. Cependant, l’acte de procédure consiste en un récit décousu dénué de faits substantiels qui pourraient fonder une cause d’action pour fraude civile ou toute autre cause d’action connue en droit.

[…] J’en conclus qu’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable. Elle est donc radiée dans son intégralité.

Compte tenu de la nature des lacunes soulignées, je conclus que les vices dans la déclaration ne peuvent être corrigés par la modification de celle-ci. Par conséquent, l’autorisation de modifier la déclaration est refusée.

[8] Par ordonnance datée du 18 mars 2021, la protonotaire Molgat a radié la déclaration dans son intégralité sans autorisation de la modifier (l’ordonnance de mars).

[9] Le 23 mars 2021, la demanderesse a déposé une requête en réexamen visant l’ordonnance de mars en vertu de l’article 397 des Règles.

Ordonnance de la protonotaire datée du 7 avril 2021

[10] Le 7 avril 2021, la protonotaire Molgat a rejeté la requête en réexamen (l’ordonnance d’avril) et a déclaré notamment ce qui suit :

[traduction]

Étant donné que l’article 397 des Règles ne peut être invoqué pour faire infirmer une décision déjà rendue et qu’il n’est pas un instrument permettant à la partie qui échoue de bonifier ou de compléter son plaidoyer ou de débattre une seconde fois une question dans l’espoir que la Cour change d’avis (renvois omis);

Étant donné que la demanderesse n’a pas déposé d’affidavit à l’appui de sa requête; qu’elle n’a démontré ni que l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui ont été donnés pour la justifier, ni qu’une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement; et que la Cour estime que les observations écrites de la demanderesse consistent simplement en un exposé des « moyens de preuve » que celle-ci persiste à considérer comme le fondement de ses diverses allégations;

Étant donné que la Cour conclut que la demanderesse cherche à débattre une seconde fois le fond de la requête en radiation et que la demanderesse veut attirer l’attention de la Cour sur des faits et des conclusions qu’elle l’exhorte de nouveau à accepter, et que pour ces motifs la requête doit être rejetée;

Requête en appel

[11] Le 7 avril 2021, la demanderesse a déposé la présente requête fondée sur le paragraphe 51(1) des Règles portant en appel l’ordonnance par laquelle la protonotaire Molgat a radié la déclaration (l’ordonnance de mars). Dans ses observations écrites à l’appui de sa requête en appel, la demanderesse a souligné les questions suivantes :

[traduction]

13. Ma déclaration a été radiée en entier parce qu’elle ne présente pas de cause d’action. J’agis pour mon propre compte. La déclaration n’est pas une déclaration professionnelle pour fonder la cause d’action, mais tous les faits substantiels sont véridiques. Le recours à des banques et à des compagnies d’assurance pour dérober mon argent ne doit pas être négligé. Si les forces de l’ordre peuvent être réduites au silence à l’égard de ces comportements illégaux, il s’agit d’un complot du gouvernement et il n’y a pas de justice.

14. L’ordonnance de la protonotaire n’a pas tenu compte des faits substantiels relatifs aux fraudes et aux drogues, n’a pas précisé les règles justifiant ces fraudes, et n’a pas mentionné la diffusion de drogue par le plancher et le fait qu’on m’a refusé un test de dépistage de drogues.

15. Si les fautes commises ne peuvent pas être justifiées et que les faits substantiels s’y rapportant n’ont pas été abordés comme il faut, ma déclaration ne doit pas être rejetée.

[12] En réponse, la défenderesse a fait valoir que l’avis d’appel de la demanderesse n’a pas été déposé dans les 10 jours suivant la date de l’ordonnance de mars, comme l’exige le paragraphe 51(2) des Règles. De toute façon, selon la défenderesse, la demanderesse n’a relevé aucune erreur dans l’ordonnance de mars de la protonotaire.

[13] En réponse aux observations de la défenderesse, la demanderesse a présenté une réplique écrite, ainsi libellée en partie :

[traduction]

1. Le problème avec l’ordonnance de la protonotaire, c’est qu’elle ne reconnaît pas le complot en vue de dérober mon argent et organiser un viol avec drogue auquel ont participé le gouvernement du Canada et les entités et personnes visées par la présente affaire, soit des institutions réglementées par le gouvernement comme un collège public, la régie du logement de Hamilton, deux banques, trois compagnies d’assurance et les forces de l’ordre; d’autres entreprises telles qu’une école privée et une entreprise de gestion immobilière; et un consultant en immigration.

[…]

4a. J’ai déposé une requête en réexamen de l’ordonnance de la protonotaire dans les 10 jours après que l’ordonnance a été rendue parce que la protonotaire Sylvie M. Molgat n’a pas lu les observations écrites que j’ai présentées le 17 février et par lesquelles je me suis opposée à ce que la requête soit tranchée sur dossier.

[14] Dans sa requête en appel, la demanderesse sollicite une ordonnance lui permettant de poursuivre son action et sollicite les dépens afférents à la requête.

Analyse

La requête en appel a-t-elle été déposée en retard?

[15] Il est évident que, par la présente requête, la demanderesse porte en appel l’ordonnance datée du 18 mars 2021. Comme l’exige le paragraphe 51(2) des Règles, la requête en appel aurait dû être déposée dans les 10 jours suivant la date de l’ordonnance de mars.

[16] Cependant, la demanderesse a déposé une requête en réexamen en vertu de l’article 397 des Règles, qui a donné lieu à l’ordonnance d’avril. À mon avis, la demanderesse n’a pas compris qu’une requête en réexamen n’est pas une requête en appel et ne prolonge pas le délai pour déposer une requête en appel.

[17] Puisque je reconnais que la demanderesse a peut-être mal compris l’objectif des procédures de réexamen, je suis prête à accepter que la demanderesse a démontré l’existence de circonstances spéciales aux termes de l’article 55 des Règles, et la Cour peut procéder à l’examen de la requête en appel sur le fond.

Norme de contrôle

[18] La décision de la protonotaire de radier la déclaration relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 221(1) des Règles.

[19] Selon la norme de contrôle applicable, « les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit, ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira, au para 64).

[20] Une erreur manifeste et dominante est une erreur qui est à la fois évidente et apparente, « dont l’effet est de vicier l’intégrité des motifs » (Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230 au para 5).

La défenderesse a-t-elle établi l’existence d’une erreur dans l’ordonnance?

[21] Dans l’arrêt Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227 [Mancuso], la Cour d’appel fédérale a statué au paragraphe 16 que « [l]’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée ». Même si un acte de procédure doit faire l’objet d’une interprétation juste et généreuse, la simple assertion d’une conclusion dans un acte de procédure n’est pas appropriée et ne constitue pas un fait matériel (Mancuso, aux para 17-18).

[22] La protonotaire a correctement examiné et appliqué la jurisprudence pertinente lorsqu’elle a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Aux termes de l’article 174 des Règles, tout acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde, mais il ne doit pas comprendre les moyens de preuve à l’appui de ces faits. Cette exigence technique a un sens précis en droit : « Chaque élément constitutif d’une cause d’action doit être invoqué avec suffisamment de détails. Un récit des faits et du moment où ces faits se sont déroulés risque de ne pas remplir les exigences des Règles. » (Voir Simon c Canada, 2011 CAF 6 au para 18.)

Ce qui constitue des faits substantiels est établi en fonction de la cause d’action alléguée et des dommages‑intérêts réclamés. Le demandeur doit énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chaque cause d’action ou moyen de droit soulevé, de manière à indiquer au défendeur « par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée ». En tenant compte de l’ensemble des actes de procédure et en examinant l’ensemble des circonstances, la Cour doit voir à ce que les questions en litige soient cernées avec une précision suffisante pour assurer la « saine gestion et l’équité » des actes de procédure (voir Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien-être social), 2015 CAF 227 [Mancuso] au para 19; Enercorp Sand Solutions Inc. c Specialized Desanders Inc., 2018 CAF 215 aux para 36-37).

[23] Dans son ordonnance, la protonotaire indique ce qui suit au sujet de la déclaration de la demanderesse :

[traduction]

Une déclaration qui contient de simples assertions et qui ne mentionne pas de faits les justifiant ne révèle aucune cause d’action raisonnable et peut aussi être radiée pour abus de procédure. La simple assertion d’une conclusion sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer ne constitue pas un fait substantiel, et faire des déclarations catégoriques qui ne reposent sur aucun élément de preuve constitue un abus de procédure (voir Merchant Law Group c Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184 au para 34; Mancuso, aux para 17 et 27).

[24] Après avoir examiné les diverses allégations contenues dans la déclaration, la protonotaire a conclu que la déclaration [TRADUCTION] « consiste en un récit décousu dénué de faits substantiels qui pourraient fonder une cause d’action pour fraude civile ou toute autre cause d’action connue en droit ».

[25] La protonotaire a appliqué le bon critère à son examen de la déclaration.

[26] Les observations en appel de la demanderesse ne fournissent aucun argument de fond démontrant comment et où la protonotaire s’est trompée. La demanderesse a affirmé maintes fois que la protonotaire a commis des erreurs, mais n’a donné aucun détail ou aucune explication à l’appui de ses affirmations. De simples affirmations ne sont pas suffisantes pour étayer une requête en appel lorsque des erreurs sont alléguées. La requête doit être étoffée.

[27] La demanderesse formule également des allégations vagues selon lesquelles la protonotaire a commis une erreur en omettant de tenir compte de certains [TRADUCTION] « faits et faits substantiels ». Toutefois, dans le contexte d’une requête en radiation d’une déclaration, le principal document à examiner est la déclaration en tant que telle. La protonotaire a examiné et analysé correctement le contenu de la déclaration.

[28] En conclusion, la protonotaire a cerné et retenu les règles de droit applicables, et aucune erreur n’a été établie à cet égard.

[29] La requête de la demanderesse est rejetée, avec dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T-91-21

LA COUR ORDONNE le rejet de l’appel de l’ordonnance de la protonotaire, avec dépens de 500 $ payables par la demanderesse à la défenderesse.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-91-21

 

INTITULÉ :

WENXIAN LOU c Sa Majesté la Reine

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Wenxian Lou

DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Nathan Joyal

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

  • - Aucun -

 

demanderesse non représentée

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Ottawa (Ontario)

pour la défenderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.