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Date : 20051011

Dossier : T-2270-04

Référence : 2005 CF 1377

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

FIBREMANN INC.

demanderesse

et

ROCKY MOUNTAIN SPRING (ICEWATER 02) INC. et KEN HON KIN KWOK

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

Dépens

[1]         Les défendeurs, Ken Hon Kin Kwok et Rocky Mountain Spring (Icewater 02) Inc., ont reçu signification d'une déclaration le 29 décembre 2004. Fibremann Inc. était la demanderesse. Aucun des défendeurs n'a répondu et, aux termes de l'ordonnance rendue le 11 février 2005, la Cour a accordé un jugement par défaut contre les défendeurs en condamnant ceux-ci à payer 24 000 $ à titre de dommages-intérêts et 32 500 $ à titre de dépens sur la base avocat-client. Le 19 avril 2005, M. Kwok a déposé une requête en vue de faire annuler le jugement par défaut prononcé contre lui. Le 14 juillet 2005, j'ai rejeté la requête de M. Kwok et j'ai adjugé les dépens de la requête à la demanderesse (Fibremann Inc. c. Rocky Mountain Spring (Icewater 02) Inc. et Ken Hon Kin Kwok, 2005 CF 977). J'ai invité les parties à formuler des observations au sujet des dépens, ce qu'elles ont fait depuis.

Observations de la demanderesse

[2]         La demanderesse réclame un montant global de 45 000 $ à titre de dépens ou, subsidiairement, un pourcentage de ses dépens avocat-client (qui s'élèvent à 48 986,80 $). Elle ventile comme suit les dépens avocat-client afférents à la requête en annulation du jugement par défaut des défendeurs :

  • 41 438 $ pour les frais juridiques,

  • 4 337,51 $ pour les débours,

  • 3 211,29 $ pour la TPS.

[3]         La demanderesse souligne que la Cour a adjugé les dépens avocat-client lorsqu'elle a rendu son jugement par défaut contre les défendeurs et elle soutient que la somme ainsi accordée ne doit pas être « grugée » par les frais engagés pour répondre à la requête rejetée de M. Kwok (Fraser c. Banque de Nouvelle-Écosse, [2001] A.C.F. no 1404, 2001 CAF 267). La demanderesse affirme par ailleurs que les agissements de M. Kwok qui sont à l'origine de la présente action étaient répréhensibles et que M. Kwok a prolongé inutilement la durée de l'instance.

[4]         La demanderesse affirme qu'étant donné que la présente instance accuse déjà un retard inutile, il y a lieu d'adjuger une somme forfaitaire à titre de dépens (Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451 (C.A.F.); Volkswagen Canada Inc. c. Access International Automotive Ltd., [2004] A.C.F. no 614, 2004 CF 508 (C.F.)).

[5]         En réponse à la suggestion de M. Kwok qui voudrait que la Cour adjuge des dépens beaucoup moins élevés, la demanderesse affirme que la proposition de M. Kwok ne correspondrait qu'à 3,5 % des dépens avocat-client de la demanderesse et que même les montants les plus élevés accordés à titre de dépens selon le tarif B des Règles de la Cour fédérale (DORS/98-106) correspondraient à moins de 25 % de leurs frais. La demanderesse affirme que la Cour devrait s'écarter du tarif B pour accorder une indemnité suffisante.

Observations du défendeur

[6]         Selon M. Kwok, il y a lieu d'adjuger des dépens entre parties dans le cas de la présente requête, conformément au tarif B. Compte tenu du montant peu élevé accordé aux termes du jugement en l'espèce, les dépens devaient être taxés selon la valeur minimale de la colonne III du tarif B. M. Kwok soutient que le montant total qui devrait être adjugé à titre de dépens correspond à 13 unités selon le tarif B, c'est-à-dire 1 560 $, plus les débours.

[7]         Le défendeur affirme également que la somme réclamée par la demanderesse n'est pas appropriée et ce, pour plusieurs raisons :

  • Le montant du jugement était seulement de 24 000 $. Outre les dépens adjugés relativement au jugement par défaut, la demanderesse réclame 77 500 $ à titre de dépens, ce qui est excessif.

  • Une somme de 45 000 $ adjugée à titre de dépens est huit fois plus élevée que le maximum possible prévu au tarif B.

  • Les dépens avocat-client ne devraient être accordés que dans des circonstances exceptionnelles, s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties (Rice c. N.-B., [2002] 1 R.C.S. 405; (2002), 282 N.R. 201, au paragraphe 86 (C.S.C.)), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

  • La conduite que M. Kwok a eue dans l'action principale a déjà été sanctionnée par les dépens avocat-client auxquels il a été condamné dans le cadre du jugement par défaut; elle ne devrait pas être un facteur en l'espèce.

Analyse

[8]         Je suis reconnaissante à la Cour d'appel fédérale pour les directives détaillées qu'elle donne dans l'arrêt Consorzio, précité, au sujet de l'adjudication des dépens. Dans cette affaire, le débat tournait autour de la question de savoir si la Cour ou la Cour d'appel pouvait ordonner à l'officier taxateur, en vertu de l'article 403 des Règles de la Cour fédérale, d'augmenter les dépens en adjugeant un montant forfaitaire à titre de dépens entre parties. Malgré les différences qui existent entre cette affaire et la présente espèce, le raisonnement des juges majoritaires dans cet arrêt au sujet de l'opportunité d'augmenter le montant des dépens s'applique en l'espèce. J'ai dégagé les lignes directrices suivantes de la décision des juges majoritaires :

  • Le tarif B n'est qu'un régime arbitraire qui ne s'applique par défaut en matière de dépens que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise contraire (paragraphe 9).

  • La Cour dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu en matière d'adjudication des dépens (paragraphe 10).

  • Le fait que les frais juridiques de la partie qui obtient gain de cause soient de beaucoup supérieurs aux sommes auxquelles cette partie a droit en vertu du tarif B n'est pas en soi un facteur justifiant la majoration des frais prévus (paragraphe 11).

  • La longueur et la complexité de l'affaire, y compris le nombre de questions soulevées et la quantité de travail requis, constituent un facteur pertinent (paragraphe 6).

[9]         Dans l'arrêt Consorzio, précité, les frais et débours avocat-client de l'intimée s'élevaient à 80 707,59 $. L'intimée réclamait 40 000 $ sous forme de somme forfaitaire à titre de dépens entre parties. Les juges majoritaires lui ont accordé 25 000 $.

[10]       Pour déterminer le montant qu'il convient d'accorder à titre de dépens, j'ai tenu compte des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles. Les facteurs qui sont pertinents à la présente affaire sont analysés plus loin. Compte tenu du fait que la requête en annulation du jugement par défaut de M. Kwok avait peu de fondement, sinon aucun, et qu'elle avait en fait été déposée uniquement en réaction au montant des dépens adjugé relativement au jugement par défaut, je suis convaincue que M. Kwok a prolongé inutilement la durée de l'instance (alinéa 400(3)i) des Règles). Qui plus est, la requête de M. Kwok était inutile (sous-alinéa 400(3)k)(i) des Règles), compte tenu de ma conclusion que sa seule motivation était d'éviter de payer des frais (Fibremann, précitée, au paragraphe 24). Par ailleurs, plusieurs des affirmations de sa requête sont fausses ou trompeuses (par exemple, son affirmation qu'il est un défendeur profane qui ne s'y connaît pas en la matière). Ces facteurs justifient une augmentation des dépens.

[11]       En l'espèce, le montant accordé aux termes du jugement était peu élevé (alinéa 400(3)b)). Ce montant de 24 000 $ était en fait moins élevé que les dépens adjugés relativement au jugement par défaut. En réclamant la pleine indemnisation de ses frais, la demanderesse risque de gonfler le montant total des dépens auxquels M. Kwok a été condamné en le transformant en un montant qui est, par rapport aux dommages-intérêt, beaucoup trop élevé. Ce facteur milite contre l'augmentation des dépens.

[12]       Je tiens compte de la genèse de la présente instance ainsi que de la conclusion tirée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Fraser, précité, au paragraphe 11, soit que le tribunal est autorisé à examiner la conduite des parties en première instance lors de l'adjudication des dépens dans le cadre d'un contrôle judiciaire ou d'un appel.Or, la Cour a estimé que la conduite de M. Kwok était suffisamment répréhensible pour justifier l'adjudication des dépens du jugement par défaut sur la base avocat-client. Toutefois, l'adjudication des dépens du jugement par défaut sur la base avocat-client était censée sanctionner la conduite de M. Kwok jusqu'au prononcé du jugement. Il faut éviter tout double calcul.

[13]       J'ai déjà expliqué que la requête présentée par M. Kwok en réponse au jugement était mal fondée. Il serait injuste de laisser entendre que la demanderesse devrait supporter une partie importante du fardeau de la contestation de cette requête. Pour reprendre les propos du juge Sexton au paragraphe 12 de l'arrêt Fraser, précité, la demanderesse n'aurait pas dû avoir à contester la requête.

[14]       L'ampleur des dépens auxquels M. Kwok pourrait être condamné par rapport au montant des dommages-intérêts accordés dans la présente affaire me fait réfléchir. Toutefois, le fait que M. Kwok a inutilement retardé l'instance et les mobiles contestables qui l'ont incité à introduire la présente requête m'amènent à conclure qu'il a affiché une conduite répréhensible et outrageante. Vu les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, il convient d'adjuger les dépens sur la base avocat-client.

[15]       Ainsi qu'il a été déclaré dans l'arrêt Consarzio, précité, je ne devrais pas me demander si les frais réellement engagés par la demanderesse sont plus élevés que les montants prévus par le tarif. En d'autres termes, si j'ai bien compris, même lorsque je m'écarte des montants prévus par le tarif, ma principale préoccupation ne devrait pas être de savoir si la partie demanderesse sera pleinement dédommagée de ses frais juridiques.

[16]       Pour ce qui est de l'adjudication d'un montant forfaitaire, la Cour d'appel fédérale a reconnu, dans l'arrêt Consorzio, précité, que le paragraphe 400(3) confère à notre Cour le pouvoir discrétionnaire absolu d'accorder au besoin une somme globale à titre de dépens, notamment pour éviter que le processus de la taxation n'entraîne d'autres frais (paragraphe 12). M. Kwok n'a pas contesté la demande de somme forfaitaire formulée par la demanderesse. Comme la durée de la présente instance a déjà été inutilement prolongée, il convient d'accorder un montant forfaitaire.

[17]       En conclusion, compte tenu de ce qui précède et en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je fixerais à 15 000 $, plus la TPS et les débours, les dépens auxquels est condamné M. Kwok.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE à M. Kwok de payer à la demanderesse à titre de dépens la somme forfaitaire de 15 000 $, plus la TPS et les débours.

       « Judith A. Snider »

______________________________                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       T-2270-04

INTITULÉ :                                                     FIBREMANN INC. c. ROCKY MOUNTAIN SPRING (ICEWATER 02) INC. et al.

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 11 OCTOBRE 2005

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Burnet, Duckworth & Palmer srl                        POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Calgary (Alberta)

Bennett Jones srl                                              POUR LES DÉFENDEURS

Avocats

Calgary (Alberta)

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