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Date : 20041221

Dossiers : T-1618-93, T-1619-93, T-1620-93

Référence : 2004 CF 1760

ENTRE :                                                                                                                     T-1618-93

                                                         CCH CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                                   BARREAU DU HAUT-CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                                          - et -

ENTRE :                                                                                                                     T-1619-93

                  THOMSON CANADA LIMITÉE FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON

                      SOCIALE CARSWELL THOMSON PROFESSIONAL PUBLISHING

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                           - et-

                                                   BARREAU DU HAUT-CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                                           -et -

ENTRE :                                                                                                                     T-1620-93

                                                      CANADA LAW BOOK INC.

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                                   BARREAU DU HAUT-CANADA

                                                                                                                                             défendeur


                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Par requête déposée le 20 mai 2004, le défendeur, le Barreau du Haut-Canada (le Barreau), demande à la Cour de lui accorder les réparations suivantes contre les demanderesses (collectivement, les éditeurs), dans chacune des actions susmentionnées :

1.             si nécessaire, une ordonnance en vue de prolonger le délai prévu à l'alinéa 403(1)a) des Règles relativement au dépôt du présent avis de requête;

2.             une ordonnance prévoyant que la somme de 600 910,03 $CAN au titre des dépens et des débours du Barreau en l'espèce soit adjugée et payable aussitôt. Ladite somme représente les deux tiers des dépens réels du Barreau, en sus de débours raisonnables;

3.             subsidiairement au paragraphe 2 ci-dessus, une ordonnance enjoignant à l'officier taxateur de :

a)             taxer les dépens du Barreau devant la Cour au niveau maximal de la colonne V du tarif B des Règles;

b)             octroyer au Barreau tous les honoraires d'expert versés à son témoin, M. Stephen Cole;

c)             octroyé au Barreau tous les frais de déplacement de son témoin, M. Sylvano Carlesso;

d)             octroyer au Barreau les honoraires d'avocats de deux avocats et d'un étudiant pour l'ensemble de la cause;

e)             établir les débours du Barreau à 57 536,18 $CAN.

4.             une ordonnance accordant au Barreau les intérêts après jugement sur ses dépens ou enjoignant à l'officier taxateur d'accorder les intérêts après jugement sur les dépens du Barreau, selon les circonstances;


5.             les dépens afférents à la présente requête, établis et payables aussitôt, soit la somme de 5 000 $CAN;

6.             toute autre réparation que la Cour estime équitable.

[2]                La prolongation du délai relatif à l'avis de requête a été accordée avec le consentement des éditeurs.

[3]                J'ai entendu la présente requête à Toronto, le mardi 12 août 2004. À la fin de l'audience, le même jour, la Cour a rendu l'ordonnance prolongeant le délai relatif au dépôt de la requête susmentionnée et prévoyant en outre :

[traduction]

2.             À tous autres égards, suivant les longues observations des avocats entendues ce jour, la requête est ajournée sine die et elle sera reprise à la simple demande de l'avocat de l'une ou l'autre des parties au greffe à Toronto, avis étant donné à la partie adverse, à une date qui conviendra aux avocats et à la Cour.

[4]                L'ordonnance ci-dessus a été rendue alors qu'il était connu qu'une requête semblable, qui avait été déposée devant la Cour d'appel fédérale, devait être entendue le lendemain, c'est-à-dire, le vendredi 13 août 2004, et que la décision de la Cour d'appel relativement à la requête pourrait guider la Cour dans la décision relative à la présente requête.

[5]                Les motifs de l'ordonnance ont été rendus par la Cour d'appel fédérale le 25 août 2004.

[6]                Dans des lettres datées du 8 septembre 2004 envoyées aux avocats, la Cour a invité ces derniers à lui dire si, compte tenu des principes énoncés par la Cour d'appel fédérale et de la décision prise, la Cour devait fixer la reprise de l'instance relative à la requête en majoration des dépens, prononcer la clôture de l'instance sans reprise d'audience ou trancher la question conformément à la décision de la Cour d'appel. Les avocats ont répondu en déposant des observations écrites sur les motifs et la décision de la Cour d'appel. Dans sa correspondance, l'avocat du Barreau mentionnait la possibilité d'une reprise de l'audience, mais l'avocat des éditeurs ne s'est pas prononcé sur cette question.

[7]                Dans une autre lettre aux avocats, datée du 7 octobre, la Cour a dit :

[traduction]

La Cour est d'avis que, compte tenu des observations écrites des avocats présentées avant le 12 août, des observations orales des avocats pendant l'audience du 12 août, des motifs de la Cour d'appel fédérale sur cette question, ainsi que des observations contenues dans [la correspondance des avocats susmentionnée], la Cour a suffisamment de renseignements pour trancher ces questions sans reprise de l'audience.

Si les avocats demandent conjointement, par écrit, au plus tard le 15 octobre 2004, la reprise de l'audience relativement aux dépens, la Cour fixera une date de reprise qui conviendra aux avocats et à la Cour. En l'absence d'une telle demande conjointe, la Cour tiendra pour avéré que l'audience relative aux dépens est close et elle rendra une ordonnance, ainsi que des motifs de l'ordonnance, si elle juge que c'est nécessaire.

Dans une lettre datée du 15 octobre 2004, l'avocat du Barreau a avisé la Cour que :

[traduction]

Puisque la Cour a dit qu'elle était suffisamment renseignée pour trancher ces questions sans reprise de l'audience, le Barreau est d'avis que sa position a été clairement exprimée dans les documents déjà soumis, notamment la lettre du 30 septembre 2004.


Dans une lettre datée du 18 octobre 2004, l'avocat des éditeurs a signalé que ses clients étaient satisfaits que le juge [traduction] « [...] avait réglé cette question en tenant compte des observations présentées oralement à l'audience et des lettres échangées par la suite. » Les présents motifs sont donnés, sans reprise de l'audience du 12 août que la Cour tient pour close.

HISTORIQUE JUDICIAIRE

[8]                Dans les motifs qui ont suivi l'audition de la requête équivalente dont elle était saisie, la Cour d'appel fédérale a décrit brièvement l'historique judiciaire de l'affaire en ces termes :

La présente affaire a été engagée devant ce qui était alors la Section de première instance de la Cour fédérale à titre d'action que les éditeurs ont intentée contre le Barreau pour atteinte au droit d'auteur. Les éditeurs ont soutenu qu'en fournissant des copies de décisions judiciaires publiées et d'autres ouvrages de droit aux membres du Barreau ou en permettant aux usagers de la Grande bibliothèque de Toronto de faire des photocopies de ces ouvrages, le Barreau portait atteinte à leur droit d'auteur sur ces oeuvres ou autorisait cette contrefaçon.

Le juge de première instance a conclu que certains documents étaient protégés par le droit d'auteur, mais non les décisions judiciaires publiées. Dans le cas des premiers, il a statué qu'en photocopiant ces ouvrages et en les distribuant, le Barreau avait violé le droit d'auteur des éditeurs. Cependant, il a refusé de faire droit à la demande d'injonction permanente que ceux-ci avaient présentée contre le Barreau. De plus, il n'a accordé de dépens à aucune partie.

Les éditeurs ont interjeté appel et le Barreau a déposé un appel incident. La Cour d'appel a conclu que tous les ouvrages des éditeurs qui ont été présentés en preuve, y compris les décisions judiciaires publiées, étaient protégés par un droit d'auteur et que le Barreau avait violé le droit d'auteur des éditeurs en fournissant des photocopies de ces ouvrages à ses membres, en plus d'autoriser la contrefaçon du droit d'auteur en permettant aux usagers de la Grande bibliothèque de faire de même. Toutefois, la Cour a rejeté les arguments que les éditeurs avaient invoqués afin d'obtenir une injonction permanente contre le Barreau.


Dans ses motifs, la Cour a invité les parties à déposer leurs observations au sujet des dépens avant qu'elle rende son jugement. Le Barreau a demandé des dépens fondés sur le niveau maximal prévu à la colonne IV du Tarif B. Après avoir reçu les observations, la Cour a rendu son jugement le 8 juillet 2002 et statué qu'en raison de l'importance et de la complexité des questions en litige, de l'absence de principes établis au sujet de quelques-unes de ces questions ainsi que du succès partiel lors de l'appel et de l'appel incident, chaque partie devait payer ses propres dépens.

Le Barreau a interjeté appel et les éditeurs ont déposé un appel incident devant la Cour suprême du Canada, qui a accueilli l'appel principal et rejeté l'appel incident. La Cour suprême a rendu un jugement déclaratoire portant que le Barreau ne porte pas atteinte au droit d'auteur des éditeurs lorsqu'une seule copie d'une décision judiciaire publiée ou d'un autre ouvrage de droit est faite et qu'il n'autorise pas la contrefaçon du droit d'auteur en permettant que des photocopies de ces ouvrages soient faites à la Grande bibliothèque. Compte tenu du succès qu'il avait obtenu dans l'appel et l'appel incident, le Barreau s'est vu accorder ses « dépens devant toutes les cours » .

LA DEMANDE DE MAJORATION DES DÉPENS DU BARREAU

[9]                Le Barreau est revenu devant la Cour pour demander une somme globale de 600 910,03 $ au titre des dépens, soit 543 449,22 $ pour les honoraires et 57 460,81 $ pour les débours.

[10]            Afin d'expliquer le contexte de la majoration des dépens, le Barreau a fourni des renseignements concernant ses honoraires et débours avocat-client et son calcul du montant qui serait accordé au titre des dépens partie-partie selon les colonnes III et V du tarif B des Règles de la Cour fédérale, 1998. Le tableau suivant est tiré des observations écrites du Barreau :[1]


avocat-client

tarif B

colonne III

tarif B

colonne V

somme globale

demandée

Honoraires

   815 173,83

    69 603,50

   122 408,00

   543 449,22

Débours

     57 460,81

    57 460,81

      57 460,81

     57 460,81

Total

   872 634,64

127 064,31

    179 868,81

    600 910,03

Les montants indiqués comprennent la Taxe sur les produits et services.

[11]            Dans des observations écrites datées du 30 septembre 2004, l'avocat du Barreau, après avoir analysé les motifs de la Cour d'appel fédérale, ajuste sa demande de somme globale qu'il établit à 315 000 $, selon le calcul suivant :

Honoraires de la colonne V (119 500 $) x 2 :     239 000 $

plus 82 500 $ au titre des débours :                          +    82 500

                        321 500 $

moins 10 % de facteur de réduction sur les

débours à cause des lacunes des documents à l'appui :

                                                                                          -         8 250 $

           313 250 $ (somme arrondie à 315 000 $)

RÉPONSE DES ÉDITEURS


[12]            Dans des observations longues et détaillées déposées le 5 juillet 2004, l'avocat des éditeurs conclut en proposant que les honoraires du Barreau soient adjugés selon le niveau moyen de la colonne III du tarif B, soit la somme de 45 679,37 $, y compris la TPS, et que des débours raisonnables soient adjugés à 9 493,29 $, y compris la TPS, pour un total de 55 172,66 $ au titre des dépens.

[13]            Après avoir examiné les motifs de la Cour d'appel fédérale, l'avocat des éditeurs a dit, dans une lettre datée du 28 septembre 2004 :

[traduction]

Le Barreau a demandé environ 625 000 $ à la Section de première instance, au titre des dépens et des débours. Si le jugement de la Cour d'appel fédérale peut nous servir de guide, soulignons que le Barreau a demandé des dépens (avec les débours) de 228 000 $ en chiffres ronds et qu'il a obtenu 80 000 $. Il s'agit d'un facteur de 0,278.

Si on applique le facteur de 0,278 à la somme que le Barreau a demandée (625 000 $), la somme accordée s'élèverait à environ 173 750 $.

En fait, l'avocat a demandé une application purement mathématique des conclusions de la Cour d'appel fédérale.

[14]            Dans les observations en réponse suivant l'examen des observations du 30 septembre déposées au nom du Barreau, l'avocat des éditeurs a écrit :

[traduction]

En tout, la Cour d'appel fédérale a octroyé une prime de 20 000 $ au Barreau au titre des dépens et des débours, somme qui aurait été accordée autrement si l'affaire avait été taxée selon le niveau demandé par le Barreau, à savoir le niveau le plus élevé de la colonne IV.

Dans l'affaire entendue par la Section de première instance, les dépens qui auraient été accordés au Barreau, selon le niveau le plus élevé de la colonne IV, auraient été de 94 990,57 $ [...] y compris les débours. En arrondissant la somme et en ajoutant la prime de 20 000 $, on arrive à un montant d'environ 115 000 $.


En attribuant les dépens et en respectant les directives de la Cour d'appel fédérale, la Cour devrait tenir compte du fait que :

1.             les dépens doivent défrayer quelques-unes des dépenses d'ordre juridique et la plupart des débours pouvant être établis de la partie dont la demande est accueillie;

2.             les dépens ne doivent pas être exemplaires;

3.             les dépens doivent être attribués en tenant compte de l'admission du Barreau lui-même selon laquelle le niveau le plus élevé de la colonne IV était approprié;

4.             la Cour d'appel a accordé une prime de 20 000 $.

La Cour ne doit pas prendre une décision « à l'aveuglette » . Les dépens doivent être adjugés en tenant compte de principes eu égard aux facteurs ci-dessus.

[15]            Les avocats des parties ont présenté leurs observations concernant les intérêts après jugement, question que la Cour d'appel fédérale avait également examinée. Je reviendrai brièvement sur ce sujet plus loin dans les présents motifs.

LES MOTIFS INVOQUÉS PAR LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

[16]            La Cour d'appel fédérale a commencé par examiner la question de son pouvoir discrétionnaire en matière de majoration des dépens, particulièrement à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada d'accorder les « dépens devant toutes les cours » . La Cour d'appel a conclu qu'elle avait compétence pour entendre la demande de majoration des dépens présentée par le Barreau. La Cour d'appel fédérale a écrit, en particulier :


À mon sens, lorsque la Cour suprême accorde les « dépens devant toutes les cours » , cette directive est neutre, c'est-à-dire que, tout en accordant des dépens, elle laisse à la Cour d'appel fédérale le soin d'en déterminer le montant. Selon cette directive, lorsque la question des dépens est renvoyée à la Cour d'appel fédérale, les dépens doivent être taxés conformément aux Règles de la Cour qui autorisent la majoration des dépens (voir les paragraphes 400(1) et (4) des Règles).

[17]            Je suis convaincu que la conclusion susmentionnée de la Cour d'appel fédérale s'applique directement à la Cour.

[18]            La Cour d'appel fédérale s'est ensuite penchée sur la question des observations relativement à l'adjudication de dépens supplémentaires. Elle a écrit, au paragraphe 20 de ses motifs :

J'en arrive maintenant aux facteurs à prendre en compte pour accorder des dépens supplémentaires. Il s'agissait en l'espèce d'une affaire de droit d'auteur mettant en cause des clients avertis. Aucun élément de la preuve ne donne à penser que les parties ont des ressources financières restreintes. Les deux parties ont fait appel à des avocats spécialisés et très expérimentés. L'affaire était très complexe et portait sur de nombreuses questions liées entre elles, dont bon nombre n'avaient pas encore été examinées au Canada. L'audition des plaidoiries devant la Cour d'appel fédérale a duré trois jours (la plupart des appels sont entendus en moins d'une demi-journée). Le dossier et les mémoires étaient beaucoup plus volumineux que dans le cas de la plupart des appels, tout comme le jugement de la Cour d'appel fédérale (soit environ 140 pages, y compris les motifs concourants). L'affaire était importante, comme en témoigne l'autorisation que la Cour suprême du Canada a accordée quant au pourvoi et aux cinq interventions devant elle. Elle a également nécessité beaucoup de temps et de travail. Le Barreau, qui n'a pas engagé le litige, mais se défendait des allégations formulées par les éditeurs, a eu entièrement gain de cause. À mon sens, ces facteurs justifient l'adjudication de dépens supplémentaires.


[19]            Je suis convaincu que les facteurs mentionnés par la Cour d'appel fédérale trouvent tous application devant la Cour. Toutes les questions dont était saisie la Cour d'appel ont été soulevées en l'espèce. Les observations écrites et les textes à l'appui étaient volumineux, bien documentés et fort utiles. La Cour a entendu les témoignages d'une longue et impressionnante liste de témoins. Les observations des avocats étaient pertinentes et ont beaucoup aidé la Cour. Lorsque la Cour d'appel a distribué ses motifs, ceux-ci comportaient 142 pages, plus une annexe et un index. Comme l'a conclu la Cour d'appel fédérale, je suis convaincu que les facteurs qu'elle a relevés, ainsi que les commentaires susmentionnés justifient l'adjudication de dépens supplémentaires.

[20]            Au sujet des débours, la Cour d'appel fédérale a conclu :

Il est vrai que la Barreau aurait pu s'efforcer de présenter une preuve plus étoffée au sujet de la nécessité et du caractère raisonnable de ses débours, mais je ne crois pas qu'un niveau de détail semblable à celui que les éditeurs invoquent est nécessaire. En revanche, lorsque des débours sont contestés, la partie en cause doit présenter des éléments de preuve indiquant qu'ils étaient justifiés.

[21]            Comme il l'a fait devant la Cour d'appel fédérale, l'avocat des éditeurs a contesté la demande de débours présentée à la Cour. L'avocat des éditeurs, dans des observations écrites, a analysé avec minutie les débours demandés. Je suis convaincu que l'analyse critique était très valable.

[22]            Enfin, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la question des intérêts après jugement demandés par le Barreau. Les motifs de la Cour d'appel fédérale à cet égard sont assez étoffés. Ils se trouvent à l'annexe des présents motifs. Je fais miens le raisonnement et la conclusion de la Cour d'appel fédérale à cet égard.

[23]            En fin de compte, la Cour d'appel fédérale a accordé des dépens entre parties de 80 000 $ au Barreau, y compris les honoraires, les débours et la TPS, au taux d'intérêt de quatre pour cent l'an, de la date du jugement à la date du paiement. Certes, la Cour d'appel fédérale a fixé le montant des dépens en tenant compte de tous les facteurs examinés dans les motifs de l'ordonnance, mais elle n'a pas analysé la manière dont ces facteurs avaient influé sur le montant qu'elle avait fixé ni comment la répartition des honoraires et des débours avait été faite.

SOMMAIRE ET CONCLUSIONS CONCERNANT LES DÉPENS

[24]            Dans les observations qui ont été déposées après la décision de la Cour d'appel fédérale au nom du Barreau, l'avocat a modifié le tableau présenté au paragraphe [10] des présents motifs en augmentant la somme globale demandée au titre des débours d'environ 25 000 $. Aucune explication n'a été donnée pour cet ajustement, mais un examen des observations écrites antérieures présentées par l'avocat des éditeurs[2] révèle qu'il se rapproche beaucoup des honoraires d'expert demandés par son témoin au procès, M. Stephen Cole, ainsi que de tous les frais de déplacement et de séjour et allocations de présence de ses témoins au procès, M. Sylvano Carlesso et M. Simon Chester. Le Barreau réclame les sommes relatives à MM. Cole et Carlesso, comme en font foi les alinéas 3b et 3c) mentionnés au paragraphe [1] des présents motifs qui ne sont pas reflétées dans le tableau du paragraphe 10 des motifs. Dans des motifs antérieurs relativement aux dépens datés du 21 janvier 2000, j'ai écrit au paragraphe 15 :


Comme il a été signalé plus haut, je suis convaincu qu'il n'était pas déraisonnable pour les demanderesses d'exiger que le défendeur établisse le fait que son libre-service de photocopie constituait une activité de recouvrement des coûts et non une activité génératrice de profits. Je ne formulerais donc aucune directive particulière touchant les honoraires versés au témoin expert, M. Stephen Cole. De même, il n'était nullement déraisonnable de mettre le défendeur dans une situation où il s'est cru obligé de s'assurer de la présence de M. Sylvano Carlesso à titre de témoin. Il n'y aurait pas eu lieu de donner des directives particulières au sujet de l'ensemble des frais de déplacement de M. Carlesso. De plus, je ne suis pas persuadé que la conduite des demanderesses, qui ont intenté trois actions distinctes plutôt qu'une seule action globale, ou à tout autre égard, justifierait de rembourser au défendeur la totalité des dépenses qu'il a payées au titre des photocopies. Rien ne me fonde à conclure qu'une partie importante de ces dépenses a dû être engagée à cause de l'introduction de trois actions distinctes, particulièrement compte tenu du fait que les demanderesses étaient représentées par le même avocat et qu'une seule instruction, et un seul ensemble de documents destinés à celle-ci, se sont révélés nécessaires. Enfin, si les honoraires d'avocats étaient accordés aux deux parties, je considérerais approprié de fixer ces frais pour deux avocats et un étudiant seulement.

Pour ces motifs, je suis convaincu qu'il était tout à fait raisonnable que l'avocat du Barreau majore le montant de base des débours à cet égard. Je constate que l'avocat des éditeurs ne s'est pas objecté à la majoration.


[25]            Eu égard aux dépens accordés par la Cour d'appel fédérale, l'avocat du Barreau a dit qu'une somme globale de 315 000 $, y compris les honoraires, les débours et la Taxe sur les produits et services serait appropriée puisque cette somme refléterait une diminution des débours due aux lacunes des documents à l'appui. Par contre, tel que susmentionné également, l'avocat des éditeurs a insisté pour que la somme soit établie à 115 000 $. Aucune de ces deux sommes n'a le même rapport avec la somme demandée à la Cour que la somme adjugée par la Cour d'appel avait avec la somme demandée. Cela étant dit, les dépens en l'espèce, particulièrement si on tient compte des honoraires d'expert et des frais de déplacement et de séjour de MM. Cole, Carlesso et Chester, sont beaucoup plus élevés que les dépens dans l'affaire entendue par la Cour d'appel fédérale et, à tout prendre, je ne suis pas convaincu qu'il faille diminuer sensiblement ces honoraires d'expert, frais de déplacement et de séjour.

[26]            Je suis tout à fait conscient de la mise en garde de l'avocat des éditeurs citée plus tôt dans les présents motifs selon laquelle la « Cour ne doit pas se prononcer à l'aveuglette » . Cela dit, et en tenant compte de tous les facteurs que la Cour d'appel fédérale a jugé pertinents, il est clair et manifeste que l'avocat a interprété la décision de la Cour d'appel fédérale d'une manière bien différente et je sais très bien que la décision rendue par la Cour d'appel pouvait être interprétée de bien des façons.

[27]            Pour finir, en prenant en compte les longues observations des avocats, mes préoccupations concernant les observations sur les débours présentées au nom du Barreau, ainsi que la décision de la Cour d'appel fédérale, j'attribue au Barreau les dépens entre parties pour la somme de 190 000 $, y compris les honoraires, les débours, qui comprennent les honoraires d'expert de M. Stephen Cole et les frais de déplacement et allocations de présence de MM. Sylvano Carlesso et Simon Chester, et la TPS.


INTÉRÊTS APRÈS JUGEMENT

[28]            Tel que mentionné par la Cour d'appel fédérale[3], les avocats qu'elle a entendus s'entendaient sur le fait que le droit de l'Ontario concernant les intérêts relatifs aux jugements[4] était le droit qui s'appliquait. En outre, les avocats s'entendaient pour dire que le taux d'intérêt applicable aux dépens devant la Cour d'appel fédérale devrait s'élever à quatre pour cent l'an.

[29]            Dans ses observations présentées au nom du Barreau et datées du 30 septembre 2004, l'avocat a écrit :

[traduction]

Quels que soient [les dépens qui sont appropriés relativement aux honoraires et débours devant la Cour], les intérêts après jugement devraient s'élever à six pour cent depuis la date du jugement du juge Gibson sur les dépens (le 21 janvier 2000) jusqu'à la date du paiement.

[...]

Le taux applicable aux intérêts après jugement est fixé selon l'article 129 de la Loi sur les tribunaux judiciaires et les commentaires [...] Comme on peut le constater, le taux d'intérêt applicable varie selon le trimestre de l'année au cours duquel l'ordonnance en cause a été rendue. Pour une ordonnance rendue pendant le premier trimestre de l'an 2000, il faut appliquer un taux d'intérêt de six pour cent.

La Cour d'appel a appliqué le taux de quatre pour cent, taux qui était opportun puisque le jugement en cause a été rendu pendant le troisième trimestre de 2002 pour lequel un taux de quatre pour cent est prescrit par la Loi sur les tribunaux judiciaires.                                                                                                                                                                                           [Souligné dans l'original.]


[30]            L'avocat des éditeurs n'a présenté aucune observation en réponse aux affirmations susmentionnées. Compte tenu de ces documents, la Cour accordera un taux d'intérêt de six pour cent l'an du 21 janvier 2000 à la date du paiement sur les dépens adjugés par la Cour.

DÉPENS RELATIVEMENT À LA REQUÊTE

[31]            Pour ce qui concerne la requête équivalente devant la Cour d'appel fédérale, la Cour d'appel a souligné que le succès avait été partagé relativement à la requête. En fin de compte, elle n'a pas accordé de dépens. La Cour en arrivera à la même décision. Aucuns dépens ne seront adjugés.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _                      

                                                                                                     Juge                                    

le 21 décembre 2004

Ottawa (Ontario)

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                              ANNEXE

INTÉRÊTS

[26]          Le Barreau réclame des intérêts après jugement depuis la date du jugement de la Cour d'appel fédérale, soit le 8 juillet 2002, jusqu'à la date de paiement. Les éditeurs font valoir que les intérêts devraient commencer à courir uniquement depuis la date à laquelle la Cour rend son ordonnance concernant les dépens conformément à la directive de la Cour suprême .

[27]          Fort heureusement, les parties s'entendent au moins sur deux points :

1.             le taux d'intérêt devrait s'élever à quatre pour cent l'an;

2.             le droit de l'Ontario concernant les intérêts relatifs aux jugements est celui qui s'applique en l'espèce (voir le paragraphe 37(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

[28]         Le paragraphe 129(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. C.43, prévoit que la somme d'argent due aux termes d'une ordonnance, y compris les dépens fixés par le tribunal, porte intérêt à compter de la date de l'ordonnance. Voici le texte de cette disposition :


129. (1) La somme d'argent due aux termes d'une ordonnance, y compris les dépens devant être liquidés ou ceux fixés par le tribunal, porte intérêt au taux d'intérêt postérieur au jugement, à compter de la date de l'ordonnance.

129.(1) Money owing under an order, including costs to be assessed or costs fixed by the court, bears interest at the postjudgment interest rate, calculated from the date of the order.


[29]         Au paragraphe 127(1), la date de l'ordonnance est définie comme suit :


127.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et aux articles 128 et 129.

...

"date de l'ordonnance" Date à laquelle est rendue l'ordonnance, même si elle n'est pas inscrite ou exécutoire ce jour-là, ou si elle est modifiée en appel ...

127. (1) In this section and sections 128 and 129,

...

"date of the order" means the date the order is made, even if the order is not entered or enforceable on that date, or the order is varied on appeal ...


[30]          La Cour n'a été saisie d'aucune décision dans laquelle le paragraphe 129(1) a été interprété. Cependant, l'avocat des éditeurs a invoqué Canadian Aero Service Ltd. c. O'Malley (1973), 2 O.R. (2d) 92, décision fondée sur l'article 40 de la Loi sur l'organisation judiciaire, L.R.O. 1970, ch. 228, disposition qu'a remplacée le paragraphe 129(1). Le juge Grant a statué que les intérêts devraient courir uniquement à compter de la date de la taxation des dépens.

[31]         Dans la décision subséquente Houser c. Township of West Lincoln (1984), 46 O.R. (2d) 703, le juge Osborne (alors juge de la Cour suprême de l'Ontario) a statué que, lorsque la Cour d'appel modifie un jugement de première instance, les intérêts commencent à courir à compter de la date de ce jugement. Le débat entre ces deux interprétations s'est poursuivi après l'entrée en vigueur de la Loi sur les tribunaux judiciaires en 1984.


[32]         Cependant, en 2003, le juge McIsaac a statué que la bonne interprétation du paragraphe 129(1) est celle qui consiste à dire que les intérêts sur les dépens sont exigibles à compter de la date du jugement plutôt que de la date de la taxation (Roberts c. Aasen (2003), 36 C.P.C. (5th) 185 (C. sup. Ont.)). Au soutien de cette interprétation, il s'est fondé sur la décision que la Chambre des lords a rendue dans Hunt c. R.M. Douglas (Roofing) Ltd., [1988] 3 All E.R. 823, à la page 833, où lord Ackner a décidé que, dans la majorité des cas, la balance de la justice joue en faveur de l'octroi des intérêts sur les dépens à compter de la date du jugement. Le juge Lane a suivi cette décision dans Hodgson c. Canadian Newspapers Co., [2004] O.J. n ° 537 (C. sup.).

[33]         Je conviens que l'interprétation préférable du paragraphe 129(1) va davantage dans le sens de la décision Houser que de la décision Canadian Aero Service. Le paragraphe 129(1) semble envisager le cas où une ordonnance est rendue et prévoit que les dépens seront taxés ultérieurement. En pareil cas, les dépens porteraient intérêt à compter de la date de l'ordonnance, même s'ils n'ont été taxés et déterminés qu'à une date postérieure. Si cette interprétation était retenue en l'espèce, cela signifierait que les intérêts commenceraient à courir depuis la date du jugement initial de la Cour (8 juillet 2002), selon lequel, de l'avis de la Cour suprême du Canada, les dépens auraient dû être accordés au Barreau.

[34]         Cette interprétation est logique. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, une ordonnance relative aux dépens est rendue uniquement après un appel devant la Cour suprême du Canada, la partie ayant gain de cause a normalement dépassé depuis longtemps ses dépens avocat-client. L'adjudication de dépens partie-partie vise à dédommager partiellement une partie de ce manque à gagner par rapport aux dépens avocat-client. Les intérêts ont pour effet de reconnaître la valeur temporelle de l'argent. Je reconnais qu'en vertu de l'alinéa 130(1)c) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, la Cour peut accorder des intérêts pour une période autre que celle qui est prévue au paragraphe 129(1). Cependant, dans les situations normales, je ne vois pas pourquoi la valeur des dépens accordés à une partie ayant eu gain de cause dans un litige devrait être émoussée par le passage du temps simplement parce que cette partie a dû passer par une série d'appels et une taxation des dépens avant d'obtenir le résultat auquel elle avait droit dès le départ.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                   T-1618-93, T-1619-93 et T-1620-93

INTITULÉ :                                                                                        T-1618-93

CCH CANADA LIMITÉE

c.

LE BARREAU DU HAUT-CANADA

T-1619-93

THOMSON CANADA LIMITED CONNU SOUS LA RAISON SOCIALE DE CARSWELL THOMSON PROFESSIONAL PUBLISHING

c.

LE BARREAU DU HAUT-CANADA

T-1620-93

CANADA LAW BOOK INC.

c.

LE BARREAU DU HAUT-CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 12 AOÛT 2004; OBSERVATIONS ÉCRITES

LES 28 ET 30 SEPTEMBRE ET LE 1ER OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 DÉCEMBRE 2004


COMPARUTIONS :

Roger T. Hughes, c.r.                                        POUR LES DEMANDERESSES

Jeilah A. Chan

A. Kelly Gill                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Kevin Sartorio

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton et McKay LLP                 POUR LES DEMANDERESSES

330, avenue University, 6e étage

Toronto (Ontario), M5G 1R7

Gowling Lafleur Henderson LLP                        POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Commerce Court Ouest, pièce 4900

Toronto (Ontario), M5L 1J3



[1]         Dossier de requête du Barreau, Volume II, onglet 4, page 467.

[2]         Dossier supplémentaire des éditeurs, Volume 6, onglet 4, pages 001146 et 001147.

[3]         Les paragraphes [26] à [34] des motifs de la Cour d'appel fédérale concernant les dépens tels que reproduits à l'annexe des présents motifs.

[4]         La Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990 ch. C.43.

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