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Date : 20210429


Dossier : IMM‑7416‑19

Référence : 2021 CF 374

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2021

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ESTER HERNANDEZ ALMEIDA,

SARA SOFIA ESTUPINAN HERNANDEZ,

CRISTHIAN ARBEY AVENDANO HERNANDEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], laquelle a confirmé la décision de la Section de protection des réfugiés [la SPR], qui avait refusé aux demandeurs la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] [la décision].

I. Les faits

[2] Les demandeurs, soit une mère [la demanderesse principale ou la demanderesse] et ses enfants mineurs, sont des citoyens colombiens. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA), la demanderesse a indiqué qu’elle possédait et exploitait un salon de beauté en Colombie. Elle affirme qu’à un certain moment, elle a commencé à recevoir des appels menaçants provenant d’un groupe armé sévissant en Colombie qui lui réclamait de l’argent. Au départ, la demanderesse n’a pas tenu compte de ces appels. Elle soutient que, plus tard, des hommes appartenant au groupe se sont présentés à son entreprise pour exiger qu’elle leur verse des frais de sécurité. Ils l’ont avertie qu’ils avaient déjà enquêté sur sa vie et ses activités quotidiennes ainsi que celles de ses enfants. Par la suite, des membres armés du groupe ont cambriolé son entreprise, lui ont volé son argent et ont bâillonné ses employés. Cet incident a été signalé aux autorités. Cinq jours plus tard, la demanderesse a reçu un appel menaçant de la part du groupe après que ce dernier eut découvert que la demanderesse avait porté plainte à la police. Le groupe a de nouveau exigé qu’elle paye les frais de sécurité, faute de quoi ses enfants et elle seraient tués. À partir de ce moment, la demanderesse a commencé à verser des frais de sécurité mensuels au groupe.

[3] En 2016, la demanderesse a eu de la difficulté à réunir les sommes nécessaires pour payer les frais de sécurité. Le groupe lui a dit que, si elle ne payait pas, son fils serait enlevé. La demanderesse a donc décidé d’envoyer son fils vivre dans un autre endroit. L’année suivante, le groupe a cessé d’exiger les frais de sécurité. La demanderesse affirme qu’au même moment, elle se trouvait au Canada avec ses enfants mineurs, et qu’elle avait confié à sa fille adulte la responsabilité de son entreprise en Colombie.

[4] Au milieu de l’année 2017, alors que la demanderesse et ses enfants mineurs se trouvaient à nouveau au Canada, sa fille adulte a reçu des appels menaçants. Plus tard au cours de cette même année, deux membres armés du groupe ont abordé cette dernière pour lui dire que la demanderesse devait faire acte de présence, sinon ses enfants et elle seraient tués. En conséquence, quelque temps après en 2017, les demandeurs ont présenté une demande d’asile alors qu’ils étaient au Canada.

[5] La demanderesse affirme que des membres de sa famille et certaines de ses connaissances vivant en Colombie ont été menacés par des membres du groupe, qui les ont abordés et qui cherchaient à savoir plus sur les allées et venues des demandeurs. Plus tard, la fille adulte de la demanderesse, installée en Colombie, a reçu une lettre qui semblait provenir du groupe et contenir des menaces. La lettre précisait que les demandeurs constituaient désormais un objectif militaire, et qu’ils allaient être exécutés. En réalité, il s’agissait de deux lettres livrées au même moment et présentant des ressemblances.

[6] Devant la SPR, la demanderesse a déposé un rapport attestant qu’elle souffrait d’un trouble de l’adaptation, d’anxiété, ainsi que d’une dépression.

[7] La SPR a conclu que les éléments de preuve manquaient de crédibilité en raison des nombreuses contradictions que comportait la lettre provenant du groupe. En conséquence, la SPR a rejeté la demande d’asile présentée par les demandeurs.

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8] Les demandeurs ont porté en appel la décision de la SPR devant la SAR, qui a rejeté leur appel. En effet, selon la SAR, la SPR a conclu à juste titre que les éléments de preuve présentés par les demandeurs n’étaient pas crédibles, et qu’en outre, cette question était déterminante pour l’issue de l’appel. La SAR a estimé que la revendication des demandeurs reposait sur l’allégation voulant que leur vie ait été menacée une fois que le groupe armé eut déclaré dans sa lettre qu’ils constituaient désormais une cible militaire. La SAR a conclu que la crédibilité des demandeurs avait été minée par la conclusion selon laquelle la lettre n’était pas authentique. De plus, le comportement des demandeurs qui choisissaient de rentrer en Colombie ne correspondait pas à celui de personnes craignant d’être persécutées ou de subir un préjudice dans ce pays. La SAR a conclu que la prépondérance de la preuve documentaire présentée par les appelants ne permettait pas d’appuyer une décision favorable quant à la demande d’asile.

[9] La SAR a conclu que la lettre n’était pas authentique parce que la demanderesse principale a présenté deux lettres similaires, mais différentes à la SPR alors qu’elle avait d’abord affirmé qu’il n’en existait qu’une seule. En effet, lors de l’audience devant la SPR, la demanderesse principale a commencé par déclarer qu’il n’y avait qu’une seule lettre. Toutefois, après avoir parlé à sa fille adulte, la demanderesse a modifié sa version des faits et soutenu que sa fille avait reçu deux lettres, mais n’avait pas vu qu’elles étaient différentes. La SAR et la SPR ont fourni des motifs convaincants et transparents fondés sur les divergences entre les lettres pour justifier leur rejet de la crédibilité des lettres, et la présentation de lettres jugées non authentiques a miné la crédibilité de l’ensemble de la revendication des demandeurs.

[10] La SAR a également conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en omettant d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la LIPR. Selon la SAR, les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve qui permettait d’étayer une demande d’asile résiduelle correspondant au profil des appelants, qu’il s’agisse d’un lien avec l’article 96 de la LIPR ou d’un risque auquel une personne serait personnellement exposée, plutôt que d’un risque général, au sens de l’article 97 de la LIPR.

III. Les questions en litige

[11] La seule question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à déterminer si la décision est raisonnable.

IV. La norme de contrôle

[12] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], le juge Rowe a affirmé que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] a établi un cadre révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions administratives, dont le point de départ consiste en la présomption voulant que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans certaines situations, dont aucune n’est présente en l’espèce. Par conséquent, la norme de contrôle qui s’applique à la décision en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[13] Dans l’arrêt Société canadienne des postes, le juge Rowe explique ce qui constitue une décision raisonnable et ce qui est exigé de la cour de révision qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[14] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada indique, au paragraphe 86, qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ». La cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

V. Analyse

[15] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en estimant que la demanderesse principale n’était pas crédible. Ils affirment en outre que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de l’explication avancée par les demandeurs pour justifier le fait qu’ils aient tardé à présenter leurs revendications. Enfin, les demandeurs font valoir que la SAR a conclu à tort que la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97.

A. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en estimant que la demanderesse n’était pas crédible?

[16] Les demandeurs soutiennent que les conclusions relatives à crédibilité tirées par la SAR, de même que sa décision sur les constatations de la SPR au sujet de la crédibilité étaient erronées. Les conclusions principales tirées au sujet de la crédibilité portaient que les demandeurs avaient fabriqué les lettres et reposaient sur le fait que la demanderesse principale avait produit deux lettres similaires, mais différentes, bien qu’elle ait affirmé précédemment qu’il y avait seulement une lettre.

[17] Les demandeurs soutiennent que leur conduite est tout à fait plausible. Ils ignoraient qu’il existait deux lettres différentes jusqu’à ce qu’ils soient interrogés à ce sujet lors de l’audience devant la SPR. À ce stade, ils ont eu l’occasion d’expliquer que la demanderesse s’était fiée à sa fille adulte pour obtenir des informations. Or, sa fille adulte lui avait dit que les deux lettres de menaces envoyées par le groupe armé se trouvaient dans la même enveloppe, et qu’elle ne s’était pas rendu compte que l’enveloppe contenait deux lettres différentes, car elle s’était sentie extrêmement nerveuse au moment où elle avait reçu l’enveloppe. Elle croyait qu’il s’agissait de deux exemplaires de la même lettre.

[18] La SAR et la SPR ont toutes deux estimé que cette explication n’était pas raisonnable et ont conclu que les lettres avaient été fabriquées. Cette constatation défavorable a conduit la SAR et la SPR à statuer que les demandeurs n’étaient pas crédibles.

[19] Bien que diverses questions relatives aux lettres aient été examinées, parfois de façon très détaillée, je conclus, à la suite de mon analyse, que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des lettres. Parmi les questions que devait trancher la SAR figurait celle de crédibilité de la demanderesse principale. À mon avis, la SAR a commis une erreur, car, au lieu d’analyser la crédibilité de la demanderesse principale, elle s’est plutôt concentrée sur la crédibilité de la fille adulte de celle‑ci. Or la demanderesse s’en est entièrement remise à sa fille. En effet, la demanderesse principale ignorait tout des lettres, mis à part ce que sa fille lui en avait dit. Au départ, la demanderesse a été prise au dépourvu lorsqu’elle a appris qu’il y avait deux lettres. Mais, par la suite, elle a pu obtenir des explications de la part de sa fille, pendant l’intervalle entre la première et la deuxième journée de l’audience. D’ailleurs, lors de la deuxième journée, une fois de plus, la demanderesse principale ne pouvait et n’a fait que rapporter les informations supplémentaires qu’elle avait reçues de sa fille. Bien que la SAR n’ait pas jugé son témoignage digne de foi, elle ne faisait que répéter ce que sa fille adulte, qui vivait en Colombie, lui avait rapporté. Je ne suis pas disposé à avaliser une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la demanderesse principale, laquelle repose en l’espèce sur les erreurs perçues dans les propos de sa fille adulte. L’évaluation de la crédibilité n’est pas raisonnable, car, compte tenu des circonstances de l’espèce, elle n’est pas étayée par les éléments de preuve.

[20] En outre, selon les demandeurs, la SAR s’est appuyée sur sa conclusion voulant qu’ils ne soient pas crédibles pour rejeter, tout compte fait, de nombreux autres documents produits par des tiers pour appuyer la demande d’asile. En fait, la SAR n’a pas suivi un tel raisonnement; néanmoins, il me semble que l’analyse de ces autres documents effectuée par la SAR n’a pas été suffisamment exhaustive. Aucun de ces documents n’a été jugé authentique, alors que je suis d’avis qu’ils le sont. À titre d’exemple, un rapport de police au sujet du vol qualifié survenu en 2013 a été rejeté, car il ne précisait pas le nom du groupe qui avait cambriolé l’entreprise de la demanderesse principale. Or, à l’époque, cette dernière ignorait qui avait commis ce vol. En outre, la SAR aurait dû examiner ce document dans le contexte de son analyse de la demande résiduelle fondée sur l’article 97 de la LIPR, mais ne l’a pas fait. S’agissant de l’article 97, il convient de souligner le paragraphe 41 de la décision Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211 [rendue par le juge Blanchard], où il est question de l’évaluation d’une demande au titre de l’article 97 :

[41] Une revendication fondée sur l’article 97 doit être appréciée en tenant compte de toutes les considérations pertinentes ainsi que du comportement en matière de droits de la personne du pays concerné. Bien que la Commission doive évaluer objectivement la revendication du demandeur, il lui faut individualiser son analyse. J’estime cette interprétation conforme non seulement aux décisions du CCT des Nations Unies examinées précédemment, mais aussi au libellé même de l’alinéa 97(1)a) de la Loi, qui fait mention d’une personne qui « serait personnellement, par son renvoi [...] exposée [...] ». Il peut y avoir des cas où l’on conclut qu’un revendicateur du statut de réfugié, dont l’identité n'est pas contestée, n’est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d’être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s’ensuit qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l’article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien‑fondé d’une revendication aux termes de l’article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l’article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d’elles soit considérée distincte. Une revendication fondée sur l’article 97 appelle l’application par la Commission d’un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l’exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. On peut soutenir que la Commission pourrait également avoir à appliquer une norme de preuve différente, mais cette question devra être approfondie une autre fois, puisqu’on ne l’a pas fait valoir dans le cadre de la présente demande. La question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux revendications doit être tranchée, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien‑fondé de chacune, en fonction des faits d’espèce.

[21] S’agissant toujours des documents présentés à l’appui de la demande d’asile, les plaintes déposées par la fille de la demanderesse principale auprès du bureau du procureur général de la Colombie ont été rejetées, car ces plaintes reposaient sur la lettre, une conclusion que j’estime déraisonnable puisque je suis d’avis que la lettre n’a pas fait l’objet d’une analyse raisonnable. La SAR aurait dû considérer la lettre comme un élément étayant la revendication des demandeurs, et en tenir compte dans le cadre de l’analyse effectuée au regard de l’article 97, mais ce ne fut pas le cas. De même, des déclarations sous serment souscrites par deux voisins et produites par la demanderesse confirmaient que des menaces avaient été proférées. Ces déclarations ont été rejetées parce qu’elles ne mentionnaient pas le nom du groupe responsable des menaces. Il ne s’agit pas d’une conclusion raisonnable, à moins qu’il existe un motif valable de croire qu’en réalité, les voisins connaissaient l’identité des agents de persécution, ce qui n’a pas été démontré. En conséquence, il aurait fallu conclure que ces déclarations appuyaient la demande d’asile, mais ce ne fut pas le cas. De plus, la SAR aurait dû tenir compte de ces déclarations dans son analyse fondée sur l’article 97, mais elle ne l’a pas fait.

[22] D’autres documents ont également été produits; je n’entends pas passer chacun d’eux en revue. L’un de ces documents consiste en un rapport de l’Unité d’aide aux victimes du gouvernement colombien. Ce rapport officiel constate que les demandeurs ont fait l’objet de menaces de mort entraînant un déplacement forcé. Selon le rapport [traduction] « cet incident a enfreint à la fois les droits civils et politiques [des demandeurs], de même que leurs droits économiques, sociaux, et culturels, dont, notamment, la liberté de circulation et l’unité de la famille ». La SAR n’a pas tenu compte de cette conclusion authentique et officielle émanant du gouvernement colombien comme élément étayant la demande d’asile, alors qu’à mon avis, il aurait fallu le faire. De plus, ce rapport n’a pas été examiné dans le contexte de l’analyse résiduelle effectuée au regard de l’article 97.

B. Autres questions

[23] La SAR et la SPR ont reproché à la demanderesse d’avoir tardé à présenter sa demande d’asile, et ont constaté que celle‑ci avait fait des allers‑retours entre le Canada et la Colombie pendant plusieurs années, ce qui a soulevé un doute au sujet de sa crainte subjective d’être persécutée. Compte tenu de mes conclusions déterminantes sur la crédibilité et sur les autres documents, il n’est pas nécessaire que je m’attarde sur cette question. La demanderesse principale soutient également que sa revendication présentée au titre de l’article 97 n’a pas fait l’objet d’une analyse convenable. J’ai déjà examiné cette question.

VI. Conclusion

[24] À mon humble avis, les demandeurs ont démontré que la décision de la SAR n’était pas raisonnable. En effet, la SAR a effectué une analyse déraisonnable de la crédibilité, ce qui a conduit en partie à une évaluation inadéquate de la documentation supplémentaire considérable. En outre, la SAR a omis de procéder à une analyse fondée sur l’article 97, alors qu’il aurait été nécessaire de le faire en l’espèce. Les principes juridiques contraignants n’ont pas été respectés. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen.

VII. Question à certifier

[25] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7416‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision d’instance inférieure est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Aucune question d’importance générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7416‑19

 

INTITULÉ :

ESTER HERNANDEZ ALMEIDA, SARA SOFIA ESTUPINAN HERNANDEZ, CRISTHIAN ARBEYAVENDANO HERNANDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 26 AVRIL 2021 À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

Melissa Mathieu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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