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Date : 20050715

Dossier : T-1799-00

Référence : 2005 CF 991

ENTRE :

PETER J. WORKUM

demandeur

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HARRINGTON

[1]        Il s'agit d'un cas de recouvrement de l'impôt. La question est de savoir si le contribuable, Peter Workum, a reçu et encaissé un chèque de remboursement en 1992. Étant donné que cette action n'a été intentée qu'en 2000 et que le procès a commencé seulement en 2005, il n'est pas surprenant que la preuve ne soit pas aussi complète qu'elle aurait pu l'être.

[2]        Les déclarations de revenus annuelles de M. Workum ont été à la source d'un litige avec l'Agence des douanes et du revenu du canada (ADRC) - aujourd'hui connue sous le nom d'Agence du revenu du Canada - pendant de nombreuses années. Ce n'était pas le cas de chaque déclaration, mais de la fin des années 80 jusqu'à la fin des années 90, pas un jour n'a passé sans qu'au moins une année d'imposition ne fasse l'objet d'une nouvelle présentation, d'une vérification, d'un avis de cotisation, d'un avis d'opposition ou d'un litige devant la Cour canadienne de l'impôt.

[3]        Le litige portait principalement sur les déductions demandées par M. Workum relativement aux nombreuses entreprises qu'il possède.

[4]        À la fin, les parties ont réglé leurs différends. Le règlement a pris la forme d'un jugement sur consentement devant le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt en mai 1999. On a accordé certaines déductions pour les frais d'intérêt et une perte en capital. Une partie du bénéfice a été déclarée imputable au compte de capital et le reste au compte de produits. Les dépenses relatives à une propriété n'ont pas été prises en compte.

[5]        Comme c'est la règle dans une telle situation, la décision n'a pas soldé le compte entre les parties. Elles devaient calculer l'intérêt en fonction des déductions et des refus et déterminer quelle partie serait redevable à l'autre, au bout du compte.

[6]        À la suite de la décision, certaines écritures ont été contre-passées, des déductions fiscales ont été appliquées et M. Workum a versé des paiements.

[7]        Il restait certaines divergences que le comptable de M. Workum et l'ADRC étaient toujours incapables d'aplanir. L'ADRC a conclu que M. Workum lui devait de l'argent, alors que son comptable prétendait que c'était l'inverse.

[8]        Avant le jugement sur consentement, des efforts peu soutenus avaient été faits afin de vérifier à combien s'élevait exactement le montant en litige. Par exemple, Theodor Hennig, le comptable de M. Workum, a écrit à l'ADRC en octobre 1997 pour contester le montant qui était alors en jeu. Ce n'est qu'en mars 2000, lorsque l'ADRC a envoyé à M. Hennig une copie du relevé de compte interne de l'Agence, qui montrait que M. Workum avait reçu un chèque de remboursement de 30 221,72 $ le 1er décembre 1992, que les contours du problème sont finalement devenus apparents. M. Workum nie avoir reçu cette somme et il a institué une procédure devant la Cour afin d'obtenir un jugement déclaratoire et afin de faire cesser les efforts de recouvrement de l'ADRC, efforts qui prennent la forme d'un ordre de payer signifié à un tiers et d'une garantie contre les biens du débiteur déposée au bureau des titres fonciers de l'Alberta.

[9]        L'élément de preuve principal ne figure pas au dossier, car l'ADRC allègue qu'elle a détruit le chèque payé conformément aux pratiques d'affaires courantes en 1999.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]      J'ai déterminé que les questions en litige sont les suivantes :

1.         L'ADRC a-t-elle émis un chèque de remboursement libellé à l'ordre de M. Workum?

2.         M. Workum a-t-il reçu le chèque?

3.         Si M. Workum a reçu le chèque, l'a-t-il encaissé?

4.         S'il n'a pas reçu le chèque, est-il réputé l'avoir reçu?

5.         Est-il trop tard pour lui d'alléguer ne pas avoir reçu le chèque?

[11]      En outre, l'ADRC soutient que la Cour fédérale n'a pas compétence pour agir. Elle affirme que l'action de M. Workum porte sur une question de cotisation et constitue une affaire qui relève de la Cour canadienne de l'impôt. M. Workum déclare qu'il accepte les cotisations et qu'il s'agit d'une simple question de recouvrement dans laquelle la réparation est demandée contre la Couronne. Une telle revendication relève de la compétence de la Cour fédérale, en vertu de l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales. Comme les questions de fait énumérées ci-dessus portent non seulement sur le bien-fondé de la revendication, mais également sur la compétence, j'aborderai ce point en dernier.

L'ORIGINE DU REMBoursement

[12]      La déclaration de revenus de M. Workum pour l'année d'imposition 1990 faisait état d'un revenu négatif de 91 150 $. Il a demandé que les pertes soient reportées rétrospectivement aux années d'imposition de 1987 à 1989. On a établi une nouvelle cotisation à son égard et selon l'ADRC, un chèque de 30 221,72 $ a été émis le 1er décembre 1992, incluant un intérêt de 2 075,77 $ sur le remboursement.

[13]      M. Workum était tenu de déclarer l'intérêt dans son revenu de 1992. Il ne l'a pas fait.

[14]      En 1995, une nouvelle cotisation a été établie pour les années d'imposition de 1987 à 1992. Les déductions pour les pertes autres qu'en capital reportées de 1990 n'ont pas été admises. À la colonne « explication des modifications » , l'ADRC a déclaré : [TRADUCTION] « l'intérêt mentionné comprend un recouvrement des intérêts déjà donnés sur un remboursement que l'on considère maintenant comme injustifié. Cette somme pourra être déduite de votre revenu imposable pour l'année en cours » . Rien ne prouve que M. Workum a vraiment déduit cette somme pour l'année d'imposition 1995. M. Workum a présenté un avis d'opposition suivi d'un avis d'appel à la Cour canadienne de l'impôt en 1997.

Y A-t-il eu émission d'un chèque de remboursement?

[15]      Bien que la preuve soit loin d'être satisfaisante, je constate, selon la prépondérance des probabilités, qu'un chèque de remboursement libellé à l'ordre de M. Workum a été émis. Mike Ell, agent des recouvrements et d'exécution pour l'ADRC, avait présenté lors de l'interrogatoire préalable un document informatique qui ne portait pas de titre, mais qui faisait état d'un « remboursement manuel - avec intérêt » montrant les sommes en question. Ce document semble avoir été produit selon les pratiques d'affaires courantes et est admissible en preuve, conformément au paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada.

[16]      Les documents de l'ADRC, du moins ceux qui n'ont pas été détruits, confirment l'émission d'un chèque. Je m'appuie sur les cotisations établies à la même époque que l'émission du chèque et sur l'avis de nouvelle cotisation en 1995. Dans l'ensemble, il est raisonnable de déduire qu'un chèque a été émis. Dans Grant c. Australian Knitting Mills, Ltd., [1935] ALL E.R. Rep. 209 (CJCP), lord Wright a déclaré aux pages 213 et 214 :

[traduction] [...] Cependant, cet élément ne rend justice ni au raisonnement par inférence probable, qui intervient fréquemment dans les affaires humaines, ni à la nature de la preuve indirecte dans les tribunaux judiciaires. Une démonstration mathématique ou purement logique est généralement impossible : en pratique, on exige des jurys qu'ils agissent selon la prépondérance raisonnable des probabilités, tout comme le ferait un homme raisonnable pour prendre une décision dans une situation sérieuse. Les éléments de preuve, insuffisants lorsque présentés individuellement, peuvent constituer un tout significatif lorsqu'ils sont mis ensemble et justifier une conclusion par leur effet combiné [...]

M. Workum a-t-il reçu le chèque?

[17]      J'estime, selon la prépondérance des probabilités, que M. Workum n'a pas reçu le chèque de remboursement. Il ne se souvient aucunement d'être passé le prendre au bureau du fisc, ni de l'avoir reçu par la poste. Tous ses relevés bancaires ont été produits dans le cadre de la vérification. Aucun ne montre qu'un chèque au montant en cause a été déposé. Bien entendu, il est possible qu'il l'ait encaissé, endossé ou utilisé par un autre moyen. Cependant, puisqu'il faisait déjà l'objet d'une vérification, il me semble peu probable qu'il aurait non seulement encaissé le chèque, mais que de surcroît il aurait omis de déclarer dans la déclaration suivante l'intérêt de 2 075,77 $ sur le remboursement.

[18]      Pour sa part, l'ADRC souligne que le cas de M. Workum était traité dans le cadre du Programme de solution de problèmes. L'ADRC a cité comme témoin Karinjeet Kaur Sandhu, une chef d'équipe de ce programme. Bien qu'elle se soit jointe à Revenu Canada en 1984, elle ne s'est jointe au Programme de solution de problèmes qu'en 1999. Elle avait certaines connaissances du système tel qu'il était en 1992 parce que le centre fiscal pour lequel elle travaillait alors avait mis en application une partie de la procédure proposée par ce programme. Elle a fourni une explication au sujet du « remboursement manuel - avec intérêt » présenté en preuve. Un remboursement manuel correspond à un chèque unique par opposition à un remboursement de système qui comprend toute une série de demandes de chèque présentées sur « cassette » au ministère des Travaux publics. Un chèque individuel est émis par le ministère des Travaux publics pour être ensuite envoyé aux agents de solution de problèmes, les seuls à pouvoir demander un « remboursement manuel » . On informe le contribuable par téléphone lorsque le chèque est prêt à être récupéré ou expédié par la poste. Dans le cas d'un envoi postal, on procède au préalable à la vérification de l'adresse courante.

[19]      L'ADRC soutient que le chèque a été expédié par la poste à M. Workum à l'adresse 4 - 934 Memorial Drive, N.W., Calgary, qui figure dans la pièce mentionnée ci-dessus. Elle avait d'abord allégué que M. Workum était passé prendre le chèque parce que M. Ell, qui avait collaboré à l'élaboration de la déclaration initiale de la défense, s'appuyait sur la procédure actuelle du Programme de solution de problèmes, plutôt que sur celle qui était en vigueur en 1992.

[20]      Il est loin d'être certain que le chèque a été bel et bien expédié par la poste. Cependant, en supposant que ce fut le cas, je conclus que M. Workum ne l'a pas reçu. Le 1er décembre 1992, il n'habitait pas au 4 - 934 Memorial Drive, N.W., Calgary, mais plutôt au 938 Memorial Drive.

[21]      L'ADRC n'est pas en mesure de produire un chèque payé, ni même de dire où et quand il a été encaissé. L'ADRC a produit un document indiquant, selon M. Ell, que le chèque payé avait été retourné au ministère des Travaux publics à Matane (Québec), le 3 janvier 1993. Le document qu'il a présenté n'était pas suffisamment explicite. Par exemple, les faits sont situés dans une année de 868 jours. Il y avait deux lecteurs, ou « scanneurs » . Le numéro 500 a été posé sur l'un d'entre eux pour l'identifier. Ainsi, le 868e jour de l'année devient le 368e jour. Puisqu'une année compte seulement 365 jours, le chèque a donc été retourné à Matane le 3e jour de l'année suivante, soit le 3 janvier 1993.

[22]      Selon le paragraphe 30(4) de la Loi sur la preuve au Canada, si un dossier a été consigné sous une forme qui nécessite une explication, celle-ci doit être donnée par une personne qualifiée, habituellement par voie d'un affidavit, mais peut aussi être donnée à l'audience. M. Ell admet volontiers qu'il ne possédait aucune connaissance directe de la manière avec laquelle les chèques payés ont été enregistrés.

[23]      En outre, M. Ell a aussi produit des documents indiquant que le chèque avait été détruit en janvier 1999. Il n'était pas suffisamment qualifié pour expliquer le retour du chèque payé ou sa destruction, et l'opposition de M. Workum sur ce point était tout à fait justifiée.

[24]      Bien que je n'accorde aucune importance à ces documents pour ce motif, il n'est pas nécessaire de les déclarer irrecevables.

[25]      En vertu de l'article 6 du Règlement de 1996 sur la destruction des effets payés, dans le cas où un effet payé est nécessaire au règlement d'un litige ou d'une demande ou encore à la tenue d'une enquête ou d'un examen, le ministre compétent en retarde la destruction jusqu'à ce que l'effet ne soit plus requis à ces fins. Il a été détruit lorsque les années d'imposition en cause faisaient toujours l'objet d'un différend devant la Cour canadienne de l'impôt. Je n'accepte pas l'explication de l'ADRC, qui allègue qu'elle ne pouvait savoir que la réception du chèque de remboursement était contestée. Elle a aussi détruit les notes du Programme de solutions de problèmes. Elle ne disposait pas d'un système de sauvegarde adéquat pour prévenir la destruction des documents qui pouvaient être nécessaires en cas de litige.

[26]      De plus, il incombait à l'ADRC d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle avait fait le paiement. En règle générale, le fardeau de preuve incombe à celui qui fait une affirmation (Wakelin c. London and South Western Railway Co. (1886), 12 App. Cas. 41, à la page 45; Joseph Constantine Steamship Line, Ltd. c. Imperial Smelting Corporation, Ltd., [1942] A.C. 154, aux pages 174 et 175; et Cadillac Fairview Corporation, Ltd. c. La Reine (1996), 97 D.T.C. 405 (conf. par 99 D.T.C. 5121)). Dans Cadillac Fairview, le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt (maintenant juge en chef), a déclaré à la page 407 :

Le « fardeau de la preuve » désigne l'obligation pour une partie d'établir le bien-fondé de sa cause. Il incombe à la partie A lorsque celle-ci, faute de présenter des éléments de preuve, verra le jugement prononcé contre elle. En règle générale (mais pas invariablement), le fardeau de la preuve incombe à la partie qui, dans son acte de procédure, affirme la question, une proposition négative étant généralement impossible à prouver. Ei incumbit probatio qui dicit, non qui negat. (La preuve incombe à celui qui affirme, non à celui qui nie.) La proposition affirmative est généralement, mais pas nécessairement, avancée par la partie qui, la première, a soulevé la question. Ainsi, en règle générale, il incombe au demandeur d'établir tous les faits qu'il a énoncés dans la Déclaration, et il incombe au défendeur de prouver tous les faits qu'il a plaidés par voie d'aveu complexe, par exemple en matière de fraude, d'exécution, de libération, d'annulation, etc.

[27]      L'ADRC plaide l'exécution, mais n'a pas réussi à la prouver.

M. Workum a-t-il encaissé le chèque?

[28]      Puisque j'ai conclu que M. Workum n'a pas reçu le chèque, il va de soi qu'il ne l'a pas encaissé.

M. Workum est-il réputé avoir reçu le chèque?

[29]      Cette défense s'est effondrée la veille du procès. Des articles de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient qu'un avis de cotisation est réputé avoir été reçu s'il a été expédié par la poste à la dernière adresse connue du contribuable. La Cour aurait été invitée à conclure que le chèque et les avis de cotisation se trouvaient dans la même enveloppe.

[30]      Lors de son interrogatoire préalable, M. Workum s'est engagé à fournir la dernière adresse qu'il avait donnée à l'Agence. En se fiant à son comptable, Theodor Hennig, il a donné l'adresse 4 - 934 Memorial Drive, N.W., comme réponse. Au cours de la préparation au procès, son avocat s'est rendu compte qu'il s'agissait d'une erreur, et que la dernière adresse donnée à l'ADRC était le 938 Memorial Drive. Il en a immédiatement informé l'avocat de la partie adverse. L'ADRC a réagi en demandant l'ajournement du procès dans le but de localiser l'occupant du 4 - 934 Memorial Drive. Bien que l'ajournement n'ait pas été accordé, le procès est demeuré pendant pour une durée d'un mois afin de permettre à l'ADRC de trouver l'occupant du 4 - 934 Memorial Drive et, si nécessaire, de le faire témoigner. Aucune preuve n'a été présentée.

[31]      M. Hennig a commis une erreur et ne peut fournir une explication satisfaisante pour la justifier. Cependant, l'adresse du 938 Memorial Drive n'est pas une invention récente de la part de M. Workum. Non seulement figurait-elle sur les relevés bancaires que l'ADRC avait en sa possession depuis de nombreuses années, mais c'était aussi l'adresse qu'il avait donnée lorsqu'il a produit sa déclaration de 1991, au début de 1992. À cette déclaration, il a joint un chèque de 5 000 $, qui a été encaissé. Par conséquent, je peux seulement conclure que l'ADRC a fait preuve de lenteur dans la mise à jour de ses documents.

[32]      L'élément de preuve le plus important ne figurait pas au dossier parce que l'ADRC a détruit la déclaration de revenus originale. Cependant, rien ne laisse présumer que la copie de M. Workum est un faux. L'ADRC aurait intérêt à consacrer plus d'efforts à la tenue de ses dossiers.

[33]      La Loi sur les lettres de change n'est pas applicable, et je ne vois aucun fondement dans l'argument selon lequel M. Workum devait non seulement prouver qu'il n'a pas encaissé le chèque, mais aussi démontrer l'identité du fraudeur. M. Workum a simplement dit ne pas avoir reçu le chèque. C'est tout ce qu'il y avait à prouver et, comme je l'ai mentionné, le fardeau incombait à l'ADRC plutôt qu'à lui.

Est-il trop tard pour M. Workum?

[34]      En général, un délai de prescription de six ans s'applique aux procédures de recouvrement de l'impôt engagées par l'État fédéral (Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94). L'ADRC allègue que le délai a commencé à courir à la fin de 1992 ou au début de 1993, de sorte que la réclamation était prescrite quand l'action a été instituée en 2000. M. Workum soutient qu'il ne pouvait découvrir le paiement présumé (en fait un défaut de paiement) qu'en 2000, au moment où l'ADRC a envoyé un relevé de compte consolidé à M. Hennig.

[35]      L'ADRC souligne que M. Workum et M. Hennig auraient dû être sur le qui-vive dès que la déclaration de 1990 a été produite. Ils savaient, ou auraient dû savoir, que des avis de cotisation seraient émis de même qu'un chèque de remboursement, le cas échéant. M. Hennig s'inscrit en faux parce que les années en cause faisaient déjà l'objet d'une vérification; ils n'avaient donc aucune raison de s'attendre à recevoir un chèque de remboursement avant que les questions soient réglées. Néanmoins, cela n'explique pas de manière satisfaisante pourquoi ils n'ont pas cherché à obtenir des avis de cotisation, dont les copies ne leur auraient été données que des années plus tard.

[36]      J'accepte difficilement l'allégation selon laquelle le délai avait commencé à courir au début de 1993. Les déclarations faisaient alors l'objet d'une évaluation et en principe, l'ADRC n'était pas endettée envers M. Workum. Même si les cotisations établies pour les années 1987 à 1989 pourraient sans doute être interprétées comme des « admissions » , elles étaient conditionnelles et ont été remplacées par un avis de nouvelle cotisation en 1995. Si M. Workum avait engagé une poursuite en 1996 pour récupérer le montant de 30 221,72 $, on lui aurait reproché, à juste titre, que son action était prématurée. Le délai n'a commencé à courir qu'à la suite de la décision du juge Rip, en 1999.

[37]      Si j'ai tort en concluant ainsi, alors le délai a seulement commencé à courir en 1995, au moment où il a « découvert » que l'ADRC, en fixant la nouvelle cotisation, considérait qu'il pourrait déduire un crédit d'intérêt l'année suivante, intérêt qu'il prétend ne jamais avoir reçu.

[38]      Comme solution de rechange, l'ADRC a plaidé que la prescription était de trois ans, en partant du principe selon lequel le litige portait en fait sur un paiement en trop de la part du contribuable. Sous le régime du paragraphe 164(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, applicable à la période pertinente, le contribuable devait réclamer un remboursement dans les trois ans (Hughes c. R. (1991), 46 F.T.R. 17; 91 D.T.C. 5490 (CFC)). À mon avis, cet argument est sans fondement. Du début à la fin de la procédure, l'ADRC a toujours considéré que M. Workum était en dette envers elle, et non l'inverse.

[39]      Le dernier point portant sur la question du respect des délais est de savoir si le retard est injustifié. Selon l'ADRC, M. Workum a institué la procédure dans un délai déraisonnable. Ce retard ou cette négligence a porté préjudice à l'ADRC parce qu'elle a détruit les documents qui lui auraient donné gain de cause. Même si M. Workum n'avait pas fait preuve de lenteur ou de négligence à la fin de 1992 ou au début de 1993, c'était certainement le cas en 1995, alors qu'il était réputé savoir que l'ADRC considérait lui avoir versé un remboursement avec intérêt. Je reconnais que M. Workum doit être réputé avoir été au courant de la situation en 1995, mais le principe du retard injustifié ne s'applique pas.

[40]      Apparemment, l'ADRC ne disposait d'aucun système qui lui aurait permis de se rendre compte que M. Workum n'avait pas payé d'impôt en 1992 sur l'intérêt qu'elle avait prétendu lui avoir versé en 1991. En outre, les avis de cotisation de 1995 se limitaient à ses reports de perte sur les exercices antérieurs. L'intérêt versé n'a été mentionné qu'à des fins explicatives. M. Workum n'a pas inclu le versement de l'intérêt dans ses avis d'opposition et il ne l'a pas présenté devant la Cour canadienne de l'impôt. Il n'y a pas eu, de la part de M. Workum, de délai déraisonnable qui aurait mené à la destruction de ses documents par l'ADRC. Cette dernière a détruit ses documents parce qu'elle ne s'est pas conformée à ses propres règlements.

LA compétence de la cour fédérale

[41]      Comme je l'ai déjà mentionné, je suis d'avis qu'il s'agit d'une affaire portant sur le recouvrement de l'impôt, non sur la cotisation. La Cour fédérale a compétence pour agir, conformément à l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, et est autorisée à rendre un jugement déclaratoire. Je suis convaincu que la validité des cotisations n'est pas mise en doute (City Centre Properties Inc. c. Canada (1991), 120 N.R. 397 (CAF); 91 D.T.C. 5083).

À combien s'élève le montant dû?

[42]      L'ADRC ajoute que, quoi qu'il en soit, le chèque initial de 30 221,72 $ ne correspond pas au montant en litige parce que celui-ci ne peut excéder 954 $. Le remboursement avait été établi en fonction des pertes autres qu'en capital présumées de 90 150 $, qui avaient été alléguées dans la déclaration de revenus de 1990. Dans une nouvelle cotisation, établie à la suite de la décision du juge Rip, les pertes autres qu'en capital ont été réduites à 954,00 $. L'ADRC confond déclarations de revenus et espèces. Dans ses relevés de compte récapitulatifs, dont l'un figure à la pièce P-1 sous l'onglet 2, il était mentionné qu'en date du 12 octobre 2000, la dette de M. Workum s'élevait à 25 304,21 $. Le calcul était basé sur 215 écritures. Le montant de 30 221,72 $ comportait trois écritures de « remboursement émis » se rapportant aux nouvelles cotisations de 1987, 1988 et 1989. Ces écritures n'ont jamais été modifiées pour indiquer que M. Workum n'avait pas reçu le chèque de remboursement. Si les écritures avaient été changées, et elles auraient dû l'être à mon avis, M. Workum aurait eu droit à un remboursement de 4 917,51 $ avec intérêt, au lieu d'être redevable d'une somme de 25 304,21 $ à l'ADRC.

CONCLUSION

[43]      M. Workum a sollicité un jugement déclaratoire selon lequel il n'a pas de dette d'impôt sur le revenu envers l'ADRC. Comme la responsabilité d'une partie peut varier selon la période, je ne suis pas disposé à rendre un tel jugement. Cependant, j'ai conclu et je déclare qu'il n'a pas reçu un remboursement de 30 221,72 $ le 1er décembre 1992 ou vers cette date, ni à tout autre moment. Il s'ensuit que l'ADRC devrait ajuster le relevé de compte en conséquence, en tenant compte de l'intérêt conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu et au Règlement de l'impôt sur le revenu. Si les parties n'arrivent pas à conclure un accord, ils peuvent venir me consulter pour obtenir des directives supplémentaires.

[44]      Je rendrai une ordonnance annulant l'ordre de payer signifié à Proprietary Industries Inc.

[45]      J'émettrai également une ordonnance aux fins d'annuler la garantie contre les biens du débiteur créée par l'ADRC et déposée comme bref no 001049491 au bureau des titres fonciers de l'Alberta pour la circonscription d'enregistrement du Sud de l'Alberta.

[46]      Les dépens doivent suivre l'issue de la cause. M. Workum sollicite les dépens sur la base avocat-client. Bien qu'il se sente floué par le système, particulièrement en ce qui concerne le règlement de comptes suivant la décision du juge Rip, la défenderesse n'a pas agi de manière à mériter d'être punie par une telle adjudication. M. Workum ne s'est pas acquitté de son engagement en donnant un renseignement inexact. Si le renseignement avait été exact, on peut très bien comprendre pourquoi l'ADRC était disposée à porter l'affaire devant la justice.

[47]      Si la présente action n'avait été qu'une simple réclamation d'argent, sans être liée à une mesure de redressement déclaratoire, elle aurait constitué une action simplifiée, aux termes de l'article 292 et suivants des Règles. Je suis disposé à accorder les dépens conformément au milieu de la fourchette de la colonne III de la Table 2, applicable par défaut. Les parties ne se sont pas réservé le droit de s'exprimer sur les dépens. S'il y a des questions à l'égard des dépens, l'une ou l'autre des parties peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur, en vertu de la règle 403.

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

15 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1799-00

INTITULÉ :                                                    PETER J. WORKUM

                                                                        c.

AGENCE DES DOUANES ET

DU REVENU DU CANADA

LIEUX DE L'AUDIENCE :                           CALGARY (ALBERTA);

EDMONTON(ALBERTA)

OTTAWA (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :                          LES 6 ET 7 JUIN, 8 JUILLET 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Andrew Robertson                                            POUR LE DEMANDEUR

George Christidis                                               POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macleod Dixon                                                  POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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