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Date : 20210419


Dossier : T‑373‑20

Référence : 2021 CF 337

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 avril 2021

En présence de Madame la juge McVeigh

ENTRE :

PETER REMPEL

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision défavorable de l’Agence du revenu du Canada [ARC]. En effet, cette décision comporte le rejet de la deuxième demande de renonciation à la pénalité imposée à cause de l’excédent de cotisations au compte d’épargne libre d’impôt [CELI] du demandeur pour les années d’imposition 2017 et 2018.

[2] Le demandeur s’est représenté lui‑même devant le tribunal.

II. Contexte

[3] En général, les faits ne sont pas contestés dans la présente affaire. Le demandeur [monsieur Rempel], qui se représente lui‑même, admet qu’il a trop contribué à son CELI en 2017 et en 2018. L’ARC a imposé une pénalité de 1 164,69 $.

[4] En 2015, les préférences du compte auprès de l’ARC de M. Rempel ont été modifiées pour permettre que toute correspondance lisible soit envoyée par courriel. Dans une lettre du 17 mai 2018, l’ARC a envoyé, par courriel, un avis à M. Rempel pour lui faire savoir qu’il avait versé une cotisation excédentaire de 9 465,44 $ à son CELI, qu’il devrait retirer le montant [traduction] « immédiatement » et qu’il allait payer 1 % d’impôt par mois pour tout excédent qui restait dans son compte.

[5] M. Rempel soutient qu’il n’a pas reçu cette [traduction] « lettre d’information ». Il n’y a aucune preuve que le courriel a été retourné à l’expéditeur ou que M. Rempel n’a pas accusé réception d’autres courriels envoyés par l’ARC.

[6] M. Rempel a reçu un avis papier sur la pénalité au moment de son avis de cotisation au CELI, émis le 16 juillet 2019, et envoyé à son adresse domiciliaire. Il énonçait les excédents CELI et les pénalités, qui à l’époque étaient de 1 099,97 $.

[7] Entre la réception de l’avis de cotisation en juillet et le 25 octobre 2019, M. Rempel a retiré la cotisation excédentaire.

[8] Le CELI a subi des pertes. Or, aucune des parties ne soutient qu’il en est question en l’espèce. Il est seulement rappelé que cette information avait été communiquée au décideur au moment où M. Rempel a demandé un allègement de la pénalité d’intérêt.

[9] Dans une lettre sans date portant le timbre [traduction] « reçu » par l’ARC le 11 septembre 2019, M. Rempel a demandé l’annulation de la pénalité en avançant qu’il n’avait pas été informé du fait qu’il avait fait une cotisation excédentaire. Il laisse entendre que des courriels auraient pu se retrouver dans le dossier courrier indésirable et qu’il aurait corrigé l’erreur s’il avait reçu l’avis, et qu’il est habitué à travailler avec des [traduction] « lettres papier ».

[10] Dans une lettre du 13 novembre 2019, l’ARC a rejeté sa demande. Elle y a précisé qu’il avait été avisé de sa cotisation excédentaire et qu’il a continué de verser des cotisations excédentaires en 2018. La lettre informait M. Rempel qu’il pouvait demander un second examen indépendant de la décision.

[11] Dans une lettre sans date portant le timbre [traduction] « reçu » par l’ARC le 23 décembre 2019, M. Rempel a demandé un examen indépendant de la décision, reprenant ses anciens arguments. Dans sa lettre, il a aussi présenté un élément de preuve faisant état de ses pertes.

[12] Dans une lettre de réponse du 14 février 2020, l’agent principal et personne‑ressource au traitement des cotisations de l’Unité de traitement CELI a avisé M. Rempel qu’un second représentant de l’ARC, qui n’a pas pris part à la première décision, en est arrivé à la même conclusion et a refusé d’accorder un allègement. Cette lettre rappelait qu’une [traduction] « lettre d’information » l’avisant de sa cotisation excédentaire avait été envoyée par courriel le 17 mai 2018 et qu’il s’était inscrit pour recevoir la correspondance de l’ARC par courriel en avril 2015. Elle ajoute qu’il incombait à M. Rempel de s’assurer que son adresse courriel était exacte et de mettre l’information à jour en cas de changements. De plus, la lettre précise que l’ARC n’est pas responsable de son incapacité à accéder aux courriels, à recevoir les avis ou si cela lui prend du temps. Dans la lettre, il est précisé que le motif du refus est que, selon l’ARC, il n’a pas retiré l’excédent en temps opportun. De plus, les pertes ne sont pas considérées comme des retraits.

[13] C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. Question en litige

[14] La question en litige est celle de savoir si la décision de l’ARC est raisonnable.

IV. Norme de contrôle

[15] La norme qui est présumée s’appliquer au contrôle de décisions administratives est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]). Il n’y a pas de raison de s’écarter de cette présomption en l’espèce.

[16] Une décision raisonnable doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique, ainsi que sur une analyse intrinsèquement cohérente (Vavilov, aux para 85 et 102). La décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Il incombe à la partie qui conteste le caractère raisonnable de la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

A. La décision rendue par l’Agence du revenu du Canada était‑elle raisonnable?

[17] Selon le paragraphe 207.06(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR] :

207.06 (1) Le ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt dont un particulier serait redevable par ailleurs en vertu de la présente partie par l’effet des articles 207.02 ou 207.03, ou l’annuler en tout ou en partie, si, à la fois :

a) le particulier convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable;

b) sont effectuées sans délai sur un compte d’épargne libre d’impôt dont le particulier est titulaire une ou plusieurs distributions dont le total est au moins égal au total des sommes suivantes :

(i) la somme sur laquelle le particulier serait par ailleurs redevable de l’impôt,

(ii) le revenu, y compris le gain en capital, qu’il est raisonnable d’attribuer, directement ou indirectement, à la somme visée au sous‑alinéa (i).

[18] M. Rempel a fait valoir qu’en raison des ambiguïtés à plusieurs égards, il ne devrait pas être tenu de payer la pénalité pour la contribution excédentaire à son CELI. Il soutient que la modification du plafond du CELI, qui est passé de 10 000 $ à 5 000 $ en une seule année, a créé de l’ambiguïté. Cette ambiguïté est restée puisque l’ARC n’a plus précisé le plafond de cotisation sur l’avis de cotisation. Il a fait valoir qu’il a été [traduction] « bien informé » de sa contribution excédentaire seulement [traduction] « des années plus tard ». Dans ses observations orales, il fait valoir qu’il n’aurait pas fallu envoyer par courriel une chose très importante comme la lettre d’information pour l’avertir du versement excédentaire, d’autant plus que quand l’ARC [traduction] « a voulu son argent » (l’imposition de la pénalité), elle n’a pas manqué de lui remettre une lettre par écrit. Il a ensuite fait remarquer que, dès qu’il a reçu cette lettre, il a retiré l’argent. Il ajoute que, s’il avait reçu la [traduction] « lettre d’information » l’avertissant de sa contribution excédentaire, il aurait certainement retiré l’argent à ce moment‑là et n’aurait pas dû payer la pénalité.

[19] De plus, il fait valoir qu’il n’a nui d’aucune façon au trésor canadien et qu’il n’a pas bénéficié de la cotisation excédentaire, au vu de ses pertes de 13 000 $ dans le compte. Le CELI est présenté comme un instrument dont la nature est celle d’aider les Canadiennes et Canadiens à épargner. Or, cette pénalité ne permet pas d’atteindre l’objectif énoncé. Il soutient que cela donne à penser qu’il a agi en temps opportun au vu de la communication qu’il a reçue. À l’appui de ses arguments, il cite la décision Gekas c Canada, 2019 CF 1031 [Gekas].

[20] M. Rempel invoque la décision Gekas pour démontrer que la décision était déraisonnable. Il s’agit d’un cas semblable au cas en l’espèce. En effet, dans l’affaire Gekas, le demandeur n’a pas non plus retiré l’excédent de son CELI avant l’avis de cotisation. Cela dit, dans cette affaire, le demandeur avait reçu de mauvais conseils de la part d’une institution financière sur lesquels il s’était fondé. Aussi, il y a eu une autre erreur de la part de l’institution financière qui a déposé d’autres fonds, sans que celui‑ci l’ait demandé (Gekas, aux para 3‑9). Il s’agit là de l’élément qui distingue clairement cette décision de l’affaire en l’espèce, où il n’y a pas eu de décision fondée sur une erreur d’un tiers. Contrairement au cas en question dans l’affaire Gekas, M. Rempel a lui‑même commis l’erreur.

[21] Le défendeur soutient que le paragraphe 207.06(1) de la LIR confère le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’obligation fiscale sur les cotisations excédentaires ou d’en annuler une partie ou la totalité. Il soutient que la loi exige que le ministre soit convaincu que l’erreur était raisonnable et que des mesures ont été prises pour retirer l’excédent. De plus, il fait valoir que, même si ces deux volets sont respectés, le pouvoir discrétionnaire quant à la renonciation appartient toujours au ministre.

[22] Le défendeur s’appuie sur la décision Weldegebriel c Canada, 2019 CF 1565 [Weldegebriel] pour faire valoir que les erreurs commises de bonne foi ne permettent pas de se soustraire à l’ignorance de la loi. L’affaire Weldegebriel porte sur un membre des Forces canadiennes qui n’a pas reçu de correspondance de l’ARC au sujet d’une cotisation excédentaire et qui s’est vu imposer une pénalité. En raison de la nature de son travail, qui l’obligeait à se déplacer d’un endroit à l’autre, il n’a pas reçu de correspondance de l’ARC. Des avis lui ont été envoyés par la poste, mais le demandeur ne les aurait pas reçus, et il aurait fini par recevoir un courriel envoyé par l’ARC pour l’aviser. Une lettre a été retournée à l’ARC, car elle était [traduction] « non distribuable ». Dans ce cas, la décision de ne pas renoncer à la pénalité était raisonnable étant donné qu’il incombe au contribuable de mettre à jour ses préférences ou son adresse, et que l’ignorance de sa situation n’est pas une raison valable pour justifier une cotisation excédentaire. De plus, l’affaire Weldegebriel se distingue de l’affaire Gekas du fait que le demandeur n’avait pas commis « une erreur ponctuelle ou mal acheminé des fonds, erreurs qui avaient été corrigées par les contribuables à la première occasion » (Weldegebriel, au para 15).

[23] Le défendeur a fait valoir qu’il incombe au contribuable de connaître ses contributions et ses limites, et que la LIR n’impose pas une telle responsabilité à l’ARC. En 2017, M. Rempel a versé une contribution de 18 762,50 $, ce qui représente une contribution excédentaire de 9 465,44 $. Ainsi, ses droits de cotisation pour l’année 2018 se sont réduits, s’élevant à 3 944,44 $. En 2018, il a effectué des dépôts et des retraits. Ainsi, sa contribution excédentaire dans le CELI a fluctué entre 5 671,44 $ et 13,342,17 $ au cours des divers mois de l’année. En sachant qu’il a versé des sommes importantes en 2017 et en 2018, il aurait dû s’assurer avec diligence de respecter les limites légales.

[24] S’étant inscrit à la correspondance par courriel, M. Rempel avait la responsabilité de vérifier sa correspondance. À ce sujet, le fait que l’ARC ait cessé d’inscrire les limites dans les avis de cotisation n’est pas pertinent. Il est crédible que l’épouse de M. Rempel ait apporté des changements aux préférences de celui‑ci relatives aux avis. Or, il incombait à lui, et non pas à l’ARC, de faire le suivi des changements dans son compte auprès de l’agence, ainsi que de ses limites de cotisation dans le CELI, au vu aussi du montant de ses contributions annuelles. Par ailleurs, cette information n’a pas été communiquée au décideur.

[25] Rien dans le dossier ne laisse penser qu’une décision déraisonnable a été prise. M. Rempel prétend qu’il y avait une ambiguïté dans le fait que le plafond de cotisation soit passé de 10 000 $ à 5 000 $ l’année suivante. Toutefois, ce point ne figurait pas au dossier à la disposition des décideurs et ne peut être pris en compte dans le présent contrôle judiciaire. De plus, je ne crois pas qu’il ferait la différence. En effet, le changement a été largement publicisé, et l’ignorance de la loi n’est pas une excuse.

[26] Le régime fiscal canadien en que nous avons repose sur l’autodéclaration. Pour cette raison, il incombe au contribuable de produire les déclarations et de connaître toutes ses limites d’imposition et ses cotisations. M. Rempel, aussi, a ces responsabilités.

[27] La situation de M. Rempel est vraiment regrettable. La plupart des gens seraient mécontents d’avoir l’évaluation initiale de la pénalité, et certainement encore moins si le ministre refuse de renoncer à la pénalité. Je suis convaincue que M. Rempel est honnête et qu’il s’agit d’une vraie erreur. Or, commettre une erreur de bonne foi ne rend pas la décision de renoncer à une pénalité déraisonnable. Comme le défendeur le fait remarquer, le juge Diner, dans la décision Weldegebriel, affirme que les erreurs de bonne foi ne sont pas pertinentes et que l’ignorance de la loi ne constitue pas une erreur raisonnable (Weldegebriel, au para 15). À la lumière de ces faits, le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon qui fait partie des issues raisonnables.

[28] Quoique regrettable, l’erreur de M. Rempel, à la fois en cotisant trop à son CELI et en ne surveillant pas ses communications, ne devrait pas être attribuée à l’ARC.

[29] L’issue de la décision ne correspond peut‑être pas à celle que j’aurais choisie. Or, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il ne m’appartient pas de rendre une décision sur le fond, mais seulement de décider si la décision en cause est raisonnable, justifiée, transparente et intelligible. Je conclus que la décision de l’ARC était raisonnable. Ainsi, je rejette la présente demande.

VI. Dépens

[30] Le défendeur a sollicité des dépens d’un montant forfaitaire de 250 $. Le demandeur n’a pas sollicité de dépens. Je n’adjuge pas de dépens.


JUGEMENT rendu dans le dossier T‑373‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée, sans dépens.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑373‑20

 

INTITULÉ :

PETER REMPEL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence à Vancouver (Colombie‑Britannique) et à Burnaby (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2021

 

COMPARUTIONS :

Peter Rempel

 

le demandeur

 

Mark Shearer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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