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Date : 20210421

Dossier : IMM‑772‑20

Référence : 2021 CF 328

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2021

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

Xiao ZHANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Mme Xiao Zhang sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 20 janvier 2020, par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAI] a confirmé une décision de la Section de l’immigration [la SI] du même tribunal.

[2] La SAI a conclu que la mesure d’exclusion prise le 10 juin 2018 contre Mme Zhang était valide en droit, étant donné que Mme Zhang avait fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui avait entraîné une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [la Loi sur l’immigration ou la Loi]. La SAI a également conclu, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, qu’il n’y avait pas, compte tenu de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché, de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. La SAI a par conséquent rejeté l’appel de Mme Zhang.

[3] Pour les motifs ci‑après exposés, la présente demande contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte factuel et procédural

[4] Mme Zhang, une citoyenne chinoise, est arrivée au Canada en 2003, en tant que résidente temporaire, pour faire des études.

[5] Le 22 juillet 2006, Mme Zhang a épousé M. Davis, un citoyen canadien, à l’occasion d’une cérémonie mise en scène pour permettre à Mme Zhang d’obtenir le statut de résidente permanente au Canada. Mme Zhang a versé une somme d’argent considérable et a même signé l’acte de divorce avant le mariage. M. Davis a parrainé Mme Zhang qui, le 24 août 2007, a obtenu le statut de résidente permanente dans la catégorie de la famille. Le 29 juin 2009, Mme Zhang et M. Davis étaient officiellement divorcés.

[6] Le 4 juillet 2010, Mme Zhang a épousé son deuxième et actuel mari, M. Jie Xiong Zhang, un citoyen canadien. Ils ont eu deux enfants ensemble, tous deux nés au Canada et donc citoyens canadiens. Mme Zhang n’est pas une citoyenne canadienne.

[7] L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a mis sur pied et mené le « projet Lune de miel » dans le but d’enquêter sur les mariages frauduleux contractés à des fins d’immigration. Le 7 juin 2017, Mme Zhang a été reçue en entrevue par un agent. Elle a fini par admettre qu’elle avait payé quelqu’un pour arranger son premier mariage, avec M. Davis, dans le seul but d’obtenir le statut de résidente permanente au Canada.

[8] Le 7 août 2017, un agent a établi un rapport relatif au paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration, dans lequel il se disait d’avis que Mme Zhang, une résidente permanente, était interdite de territoire au Canada au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration pour fausses déclarations. Le même jour, l’affaire a été déférée à la SI pour enquête, aux termes du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration, en vue de déterminer si Mme Zhang était une personne visée à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et aux alinéas 4(1)a) et b) du Règlement sur l’immigration.

[9] Le 10 juillet 2018, la SI a mené son enquête et a rendu sa décision à l’issue de l’audience. La SI a conclu, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de la preuve ainsi que des admissions, que Mme Zhang avait fait une présentation erronée, puisque la conclusion d’un faux mariage est un fait important, et avait bel et bien entraîné une erreur dans l’application de la Loi, du fait qu’elle avait obtenu la résidence permanente par des moyens frauduleux. La SI a conclu que Mme Zhang était une personne visée à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et elle a pris une mesure d’exclusion contre celle‑ci.

[10] Selon l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration, « [e]mporte interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi […] »

[11] Aux termes de l’alinéa 40(2)a), l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant l’exécution de la mesure de renvoi.

III. L’audience de la SAI

[12] Mme Zhang a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI. Elle n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’exclusion, mais a fait valoir que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales, conformément à l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration.

[13] Le 3 décembre 2019, la SAI a tenu une audience, au cours de laquelle Mme Zhang et son mari ont témoigné.

[14] Le 20 janvier 2020, la SAI a rejeté l’appel de Mme Zhang. La commissaire de la SAI a confirmé la validité en droit de la mesure d’exclusion prise par la SI et a conclu, à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve dont elle disposait, qu’il n’y avait pas, compte tenu de l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché, de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[15] La SAI a d’abord confirmé que la preuve documentaire, les entretiens et les notes versées dans la base de données du Système mondial de gestion des cas permettaient de conclure que Mme Zhang avait fait une fausse déclaration sur la nature de son premier mariage, ce qui avait entraîné une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration. La SAI a conclu que Mme Zhang était responsable des fausses déclarations, même si celles‑ci avaient été faites par l’intermédiaire d’un tiers — la consultante en immigration — et que l’exception étroite relative aux faits au sujet desquels l’intéressé ne croyait pas faire une fausse déclaration ou dont la connaissance échappait à sa volonté ne s’appliquait pas.

[16] La SAI s’est ensuite demandée si Mme Zhang avait réussi à démontrer que l’adoption d’une mesure spéciale ou discrétionnaire était justifiée. La SAI a tout d’abord fait observer qu’elle devait tenir compte de plusieurs facteurs pour exercer sa compétence discrétionnaire. Dans le contexte de fausses déclarations, ces facteurs comprennent notamment les suivants : la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la prise de la mesure de renvoi; la sincérité des remords exprimés par l’appelant; la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant au Canada; la présence de membres de la famille de l’appelant au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille; le soutien dont bénéficie l’appelant au sein de sa famille et de la collectivité; l’importance des difficultés que causerait à l’appelant son renvoi du Canada, y compris les conditions dans le pays probable de renvoi et, enfin, l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision.

[17] La SAI a également rappelé que l’exercice de son pouvoir discrétionnaire devait aller dans le sens des objectifs de la Loi sur l’immigration, notamment la nécessité de protéger la santé et la sécurité des Canadiens et de garantir la sécurité de la société canadienne, de même que l’importance de préserver l’intégrité du système d’immigration.

[18] En ce qui concerne la gravité des fausses déclarations, la SAI a conclu, après avoir examiné les circonstances de l’espèce, que les fausses déclarations étaient « graves ». La SAI a fait observer que l’escroquerie avait permis à Mme Zhang d’obtenir un visa de résidente permanente, qu’elle savait qu’elle faisait une fausse déclaration et qu’elle était responsable de celle qui avait été faite en son nom. La SAI a conclu que la gravité des fausses déclarations ne jouait pas en faveur de la prise de mesures spéciales ou discrétionnaires.

[19] Sur la question des remords, la SAI s’est dite d’avis que Mme Zhang n’avait éprouvé aucun remords à l’égard de ses actes. La SAI a fait observer qu’elle n’avait exprimé des remords qu’après que les autorités ont communiqué avec elle et qu’une fois que les conséquences sont devenues évidentes. Après avoir examiné les circonstances de l’espèce, la SAI a estimé que Mme Zhang n’avait pas démontré qu’elle était consciente de l’étendue et de la gravité de ses actions. Elle a plutôt démontré qu’elle regrettait les conséquences du fait d’avoir été démasquée. En fin de compte, la SAI a conclu que, même à l’audience, Mme Zhang n’avait pas démontré qu’elle assumait entièrement la responsabilité des fausses déclarations. La SAI a conclu que ce facteur ne jouait pas en faveur de la prise de mesures spéciales.

[20] Concernant le temps qu’avait passé Mme Zhang au Canada et de son degré d’établissement au Canada, la SAI a examiné les faits et conclu que la famille était déterminée dans une certaine mesure à s’établir au Canada. La SAI a relevé certains points positifs, notamment le fait que Mme Zhang avait appris le français et l’anglais, qu’elle avait une vie sociale et communautaire active et qu’elle s’était investie dans son rôle familial défini. La SAI a également fait observer que le mari de Mme Zhang avait abandonné les études avancées qu’il avait entreprises pour se concentrer sur l’entreprise qu’il exploitait chez lui et qui l’obligeait à travailler de longues heures. Comme l’entreprise n’était pas encore rentable, la famille comptait sur le soutien financier de leurs parents et sur les revenus de leurs logements locatifs, dont la mise de fonds avait été fournie par les parents. La SAI a conclu qu’il y avait eu un certain degré d’établissement au Canada, mais que le poids que l’on pouvait accorder à cet élément était réduit par le fait qu’il était financé par leurs parents. La SAI a conclu que ce degré d’établissement jouait quelque peu en faveur de l’adoption de mesures spéciales ou discrétionnaires.

[21] Quant à la présence de membres de la famille au Canada et aux répercussions que le renvoi causerait à la famille, la SAI a fait observer que Mme Zhang vivait au Canada avec des membres de sa famille immédiate, alors que le reste de la famille était en Chine. Seule la belle‑mère de Mme Zhang vit à Toronto, mais elle retourne régulièrement en Chine.

[22] Concernant l’importance des difficultés que causerait à Mme Zhang son renvoi du Canada, y compris les conditions dans le pays probable de renvoi, la SAI a relevé que Mme Zhang et son mari avaient tous les deux déclaré dans leur témoignage qu’elle souffrait de problèmes de santé mentale depuis que les fausses déclarations avaient été mises au jour. Elle avait également peur de révéler le mariage frauduleux à sa mère et craignait de ne pas pouvoir s’adapter à la vie en Chine, car il y avait très longtemps qu’elle n’y était pas allée. La SAI a fait observer que Mme Zhang n’avait produit aucune preuve documentaire pour démontrer qu’elle ne pourrait recevoir du soutien en Chine. La SAI a jugé que les difficultés que causerait à Mme Zhang son renvoi du Canada étaient principalement d’ordre émotif. Elle a pris acte des difficultés éventuelles auxquelles leurs enfants se heurteraient à l’école en Chine, mais a également conclu que Mme Zhang pouvait compter sur le soutien des deux familles — comme en faisait foi le soutien financier que ces dernières leur avaient fourni —, ajoutant que, comme l’époux et les enfants de Mme Zhang étaient des citoyens canadiens, il serait possible pour elle de revenir au Canada. La SAI a conclu que le soutien sur lequel Mme Zhang pouvait compter et l’importance des difficultés auxquelles elle ferait face ne jouaient pas en faveur de la prise de mesures spéciales ou discrétionnaires.

[23] La SAI a ensuite examiné l’intérêt supérieur des enfants touchés, en l’occurrence un fils âgé de huit ans et une fille âgée de sept ans. La SAI a fait observer que les enfants avaient toujours vécu au Canada, à l’exception d’un ou deux longs séjours de deux mois en Chine. Les enfants parlent anglais, français et mandarin, langues qu’ils maîtrisent à divers degrés. La SAI s’est dite d’avis que toute adaptation linguistique à laquelle les enfants devraient s’astreindre pour vivre en Chine serait vraisemblablement de courte durée, vu les bases qu’ils possèdent en mandarin et leur jeune âge.

[24] La SAI a noté que Mme Zhang avait déclaré que son fils avait eu un problème de santé quand il était allé en Chine, mais qu’aucun document n’avait été fourni à l’appui. La SAI a tiré une conclusion semblable au sujet de l’affirmation selon laquelle il en coûte plus cher pour se faire instruire en Chine, constatant qu’aucun document n’avait été fourni à l’appui de cette allégation. La SAI a fait observer que Mme Zhang avait produit le rapport d’un médecin confirmant ses affirmations quant au rôle qu’elle jouait au sein de la famille et ses liens avec la famille, mais la SAI à également constaté que le rapport n’abordait pas vraiment la question de savoir comment la famille pourrait s’adapter à la vie en Chine. La SAI a également mentionné que les enfants ne perdraient pas leur statut de citoyens canadiens s’ils souhaitaient rentrer au Canada plus tard, avec ou sans leurs parents.

[25] Dans l’ensemble, la SAI a conclu que l’intérêt supérieur des enfants touchés n’était pas un facteur qui jouait sensiblement en faveur de la prise de mesures spéciales ou discrétionnaires.

[26] La SAI a conclu que, bien que le degré d’établissement de Mme Zhang au Canada et l’intérêt supérieur des enfants touchés par la présente décision aient été des facteurs favorables à l’adoption de mesures spéciales ou discrétionnaires, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur la gravité de ses fausses déclarations, sur son absence de remords et sur le soutien familial et communautaire confirmé dont elle disposerait si elle était renvoyée du Canada. La SAI a par conséquent conclu qu’il n’y avait pas de motifs justifiant la prise de mesures spéciales ou discrétionnaires.

[27] La décision de la SAI fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

IV. L’argumentation des parties

[28] Mme Zhang soulève trois questions litigieuses en l’espèce : il s’agit de savoir si la SAI : (1) a fait défaut d’observer les principes de justice naturelle; (2) a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait; (3) a fait reposer sa décision sur des allégations de fait et des opinions qui ne faisaient pas partie du dossier ou de la preuve. Toutefois, ces questions ne sont pas abordées directement ou de cette manière dans son mémoire.

[29] Dans son mémoire, Mme Zhang soutient essentiellement ce qui suit :

[traduction]

(1) la décision est déraisonnable, parce qu’elle ne tient pas compte des répercussions qu’elle aurait sur la demanderesse (citant les paragraphes 133 à 135 de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65);

(2) la seule et unique raison du rejet de la demande tient à ce que l’auteur de la décision appelle « l’absence de remords », sans que la SAI explique comment elle en arrive à cette conclusion d’absence de remords, alors que la preuve démontrait le contraire;

(3) concernant les enfants, la SAI n’a pas tenu compte de ce qu’il arriverait aux enfants s’ils demeuraient au Canada avec leur mère (Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295, aux para 20, 21, 23; Duhanaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 416);

(4) l’épidémie actuelle du coronavirus et d’autres réalités qui existent en Chine mettront toute la famille en danger et, en l’espèce, les répercussions de la décision sur Mme Zhang et sa famille seraient plus graves que les difficultés habituelles vécues par toute autre personne (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61).

[30] Le ministre rétorque que la décision est raisonnable.

[31] Le ministre cite comme étant utiles les facteurs non exhaustifs qui ont été élaborés par la SAI dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, et qui ont été confirmés par la Cour dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, et il examine comment la SAI a apprécié chacun d’entre eux en l’espèce.

[32] En ce qui concerne le premier des deux facteurs que conteste Mme Zhang, à savoir l’absence de remords, le ministre rejette l’affirmation de Mme Zhang selon laquelle la décision de la SAI repose principalement ou seulement sur l’absence de remords, puisque, selon le ministre, la SAI s’est penchée sur les autres facteurs énoncés dans la jurisprudence. Le ministre fait observer que la SAI a conclu que Mme Zhang n’avait exprimé des remords que lorsque l’ASFC avait été mise au courant de ses actes. Le ministre signale également que la SAI a conclu que Mme Zhang n’en a parlé à ses parents, à ses amis et à son deuxième mari que lorsque l’ASFC a été mise au fait de ses gestes une dizaine d’années plus tard. Le ministre fait observer que Mme Zhang n’a pas admis à la première occasion qu’elle avait fait ces fausses déclarations.

[33] Le ministre ne souscrit pas à l’affirmation selon laquelle Mme Zhang n’a pas mentionné les fausses déclarations à sa famille parce qu’elle éprouvait du remords. Le ministre fait plutôt valoir qu’elle a gardé le silence jusqu’à l’ouverture de l’enquête de l’ASFC pour éviter de compromettre son statut, qu’elle avait obtenu grâce à ses fausses déclarations. Le ministre cite la décision Ylanan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1063 [Ylanan], qui n’est pas différente de la présente affaire. Le ministre fait par conséquent valoir que la conclusion tirée par la SAI sur ce point est raisonnable.

[34] Quant à l’intérêt supérieur des enfants, le ministre fait observer que la SAI a tenu compte des activités des enfants et de leur degré d’établissement au Canada, de leur maîtrise linguistique et de leurs séjours en Chine. La SAI a également tenu compte de l’affirmation de Mme Zhang suivant laquelle un de ses enfants avait eu la pneumonie en Chine. Le ministre signale toutefois qu’il n’y a aucun document permettant d’expliquer pourquoi l’état de santé de l’enfant demeure un problème sept ans plus tard ou pourquoi cet incident donne à entendre que son système immunitaire est déficient. Le ministre soutient par conséquent que la SAI n’a pas commis d’erreur.

[35] Sur l’argument de Mme Zhang concernant la pandémie de COVID‑19, le ministre fait remarquer qu’il n’a pas été soulevé devant la SAI et qu’il ne peut donc être invoqué devant la Cour (citant à l’appui l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). Le ministre ajoute que les tribunaux n’ont commencé à prendre connaissance d’office des répercussions de la pandémie en Amérique du Nord qu’après l’audience et la décision de la SAI. Le ministre fait également observer que Mme Zhang n’a pas soumis de documents à l’appui de son affirmation qu’il en coûte plus cher pour se faire instruire en Chine et il affirme que la SAI a raisonnablement conclu que le rapport du médecin traitait principalement des relations entre Mme Zhang et ses enfants, et non de leur capacité de s’adapter à la vie en Chine. Le ministre note, comme il l’a fait devant la SAI, que la présence des enfants n’est qu’un des facteurs dont il faut tenir compte dans l’analyse et que l’appel n’est pas automatiquement accueilli du fait que des enfants sont en cause (citant la décision Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 [Semana]). Le ministre soutient que la SAI a raisonnablement conclu que l’intérêt supérieur des enfants ne l’emportait pas sur les autres facteurs.

V. Analyse

[36] Comme dans l’affaire Ylanan, les questions en litige se rapportent toutes à l’appréciation générale, par la SAI, quant à la question de savoir si, vu les circonstances de l’affaire, le cas de Mme Zhang justifiait la prise de mesures spéciales en raison de l’existence de motifs d’ordre humanitaire suffisants, au sens de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] aux para 57‑59, la Cour suprême du Canada a jugé que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la SAI sur le fondement de l’existence de motifs d’ordre humanitaire et l’exercice, par la SAI, du pouvoir discrétionnaire en equity que lui confère l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration était la décision raisonnable. Je rappelle également aux parties, à l’instar de mon collègue dans Ylanan, qu’une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire est une mesure d’exception, discrétionnaire par surcroît (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 au para 15). Ainsi que le juge Gascon l’a déclaré dans Semana : « [c]e recours n’appartient pas aux catégories d’immigration normales, ou à ce qui est décrit comme “l’asile”, par lesquelles les étrangers peuvent venir au Canada de façon permanente, mais constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels » (au para 15).

[37] Lorsque la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, le rôle de la cour de révision consiste à examiner les motifs exposés par le décideur administratif et à déterminer si sa décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). « Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[38] Toutefois, bien que la cour de révision doive s’assurer que la décision qu’elle examine est justifiée au regard des faits pertinents, la déférence dont elle doit faire preuve envers le décideur implique qu’elle doive faire montre de retenue à l’égard de ses conclusions et de son appréciation de la preuve. Les cours de révision doivent par ailleurs éviter « de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 RCS 230 au para 55, citant l’arrêt Khosa, au para 64; voir également l’arrêt Dr Q c College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 RCS 226 aux para 41‑42, cité dans l’arrêt Vavilov, au para 125) (Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 61).

[39] Les arguments de Mme Zhang ne m’ont pas convaincue que la décision de la SAI est déraisonnable au motif qu’elle ne présenterait pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, ou qu’elle ne serait pas justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes ayant une incidence sur elle.

[40] Au contraire, je suis convaincue que la commissaire a tenu compte des facteurs prescrits par la jurisprudence de la Cour qui sont pertinents dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider de prendre ou non une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire. La décision de la SAI est claire et intelligible. La SAI a examiné à tour de rôle chacun des facteurs et ses conclusions reposaient sur la preuve. La décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ».

[41] Deuxièmement, je ne suis pas d’accord avec Mme Zhang pour dire que la SAI a rejeté son appel uniquement en raison de sa conclusion sur l’ampleur de ses remords. Comme je l’ai déjà expliqué, la SAI a soupesé tous les facteurs et a conclu que l’un d’entre eux était quelque peu favorable, que d’autres ne l’étaient pas et qu’un était d’une utilité limitée. En outre, compte tenu du dossier — en particulier du témoignage de Mme Zhang et des dix ans qu’elle a laissés s’écouler sans révéler les fausses déclarations qu’elle avait faites et le fait qu’elle ne les a avouées qu’au moment où elle a fait l’objet d’une enquête —, il était loisible à la SAI de conclure raisonnablement que Mme Zhang n’assumait pas pleinement la responsabilité de ses actes.

[42] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, je conviens que la présence des enfants au Canada n’obligeait pas la SAI à faire droit à l’appel. Si tel était le cas, presque tous les appels seraient accueillis. Il est plutôt établi en droit que le décideur qui analyse les motifs d’ordre humanitaire doit bien déterminer et définir le facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants, puis soupeser les facteurs compensatoires, comme la SAI l’a fait en l’espèce en prenant en compte la gravité des fausses déclarations et l’absence de remords. L’intérêt supérieur des enfants ne prime pas nécessairement les autres facteurs dont il faut tenir compte. Toutefois, pour que sa décision puisse être qualifiée de raisonnable, le décideur doit considérer l’intérêt supérieur des enfants comme « un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt ». Autrement dit, la présence d’enfants ne commande pas un résultat déterminé (Semana). La demanderesse ne m’a pas convaincue que la SAI avait commis des erreurs dans son appréciation, compte tenu de la preuve versée au dossier. En fait, je conviens avec le ministre que les décisions citées par Mme Zhang se distinguent de la présente affaire.

[43] Dans son mémoire, Mme Zhang soutient que l’épidémie actuelle du coronavirus expose toute la famille à un danger extrême et qu’en l’espèce, les répercussions de la décision sur Mme Zhang et sur sa famille seraient plus graves que les difficultés habituelles vécues par toute autre personne (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CSC 61). Dans sa réplique, Mme Zhang demande à la Cour de prendre connaissance d’office de la situation actuelle en Chine, plus précisément de [traduction] « ce qui se passe entre la Chine et le Canada, et de la menace qui pèse sur les citoyens canadiens vivant en Chine », car [traduction] « trois Canadiens sont retenus en otage en Chine » et [traduction] « une citoyenne chinoise est devant les tribunaux d’extradition canadiens » (au para 4).

[44] Comme ses arguments n’ont pas été plaidés devant la SAI, la Cour ne peut pas les examiner.

VI. Conclusion

[45] Mme Zhang conteste essentiellement l’appréciation et les conclusions de la SAI, et elle demande à la Cour d’apprécier à nouveau les facteurs, ce que la Cour ne peut faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je suis convaincue que la SAI a rendu une décision exhaustive et nuancée, qui était fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et qui était « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑772‑20

LA COUR statue que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑772‑20

 

INTITULÉ :

XIAO ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) – PAR VISIOCONFÉRENCE SUR LA PLATEFORME ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 AVRIL 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST‑LOUIS

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 21 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Harry Blank

pour la demanderesse

Daniel Latulippe

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harry Blank

Montréal (Québec)

POUR LA demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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