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Date : 20200325


Dossier : IMM‑3329‑19

Référence : 2020 CF 417

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

OWEN RUKORO, ELDA UANDARA ET TJITJAORO RUKORO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision du 9 mai 2019 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

II. CONTEXTE

[2] Les demandeurs, monsieur Owen Rukoro, Mme Elda Uandara et leur fille, Tjitjaoro Rukoro, sont citoyens de la Namibie. M. Rukoro et Mme Uandara entretiennent une relation depuis environ 15 ans et ont eu deux autres enfants ensemble au Canada.

[3] Les demandeurs sont arrivés au Canada en provenance de la Namibie en 2011. Peu après leur arrivée, ils ont présenté des demandes de statut de réfugiés et de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

A. M. Owen Rukoro

[4] M. Rukoro allègue qu’il a quitté la Namibie parce qu’il était persécuté en tant qu’homme bisexuel. Il affirme avoir été forcé de cacher sa sexualité à sa famille et aux autres membres de sa communauté et de vivre une vie secrète. M. Rukoro a déclaré qu’il craignait particulièrement son père, qui, selon lui, l’attaquerait violemment s’il découvrait sa bisexualité.

[5] M. Rukoro fait remarquer qu’il a commencé à entretenir une relation avec un homme en Namibie lorsqu’il avait environ 17 ans, et cette relation a duré jusqu’à son départ. Pendant son séjour au Canada, il a également été en relation avec Laurens Kahuure, un citoyen de la Namibie, pendant environ deux ans. Il affirme avoir subi de la persécution acharnée au Canada exercée par des membres de la communauté namibienne en raison de sa relation avec M. Kahuure et souligne que son père l’a appelé au Canada après avoir entendu des rumeurs au sujet de sa sexualité et, par conséquent, l’a menacé. De plus, M. Rukoro affirme que, lorsqu’il vivait en Namibie, on crachait sur lui et on l’attaquait en raison de sa sexualité.

B. Mme Elda Uandara et Mme Tjitjaoro Rukoro

[6] Mme Uandara allègue avoir quitté la Namibie parce qu’elle craignait que sa tante ne la force, ainsi que sa fille, à se livrer à la prostitution.

[7] Mme Uandara prétend qu’à la suite du décès de sa mère en 2000, elle est allée vivre à Windhoek, chez sa tante, qui l’a forcée à travailler comme prostituée. Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle s’est adressée à la police pour obtenir de l’aide en 2002, mais qu’elle a essuyé une rebuffade. Finalement, elle a fui la maison de sa tante en 2003 et est allée vivre avec M. Rukoro à Aminuis. Cependant, Mme Uandara a déclaré dans son témoignage que sa tante a continué de la harceler afin de la forcer, encore une fois, à travailler comme prostituée. Elle affirme qu’elle n’a pas eu de contact avec sa tante depuis 2015 et que sa tante demeure à Windhoek.

III. LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8] Le 9 mai 2019, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de l’article 96 de la LIPR ni des personnes à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[9] Essentiellement, la SPR a conclu que, même si les demandes d’asile des demandeurs étaient crédibles, la preuve n’a pas démontré une crainte fondée de persécution et que, de toute façon, il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Windhoek ou à Walvis Bay.

A. Crédibilité

[10] La SPR a conclu que les demandeurs étaient crédibles.

[11] En ce qui concerne la demande d’asile de M. Rukoro, la SPR a fait remarquer que la preuve et le témoignage appuyaient le fait qu’il est bisexuel. La SPR a fondé cette conclusion sur le témoignage sous serment des deux demandeurs d’asile adultes, des multiples témoins qui ont témoigné à l’audience à ce sujet, de la déclaration solennelle de M. Kahuure et du rapport de consultation psychologique.

[12] En ce qui concerne la demande d’asile de Mme Uandara, la SPR a conclu que le témoignage et la preuve démontraient qu’elle avait effectivement été forcée à se prostituer par sa tante de 2000 à 2003. La SPR a fondé cette conclusion sur la déclaration solennelle de Mme Uandara, la lettre de sa sœur et le rapport de consultation psychologique présenté.

B. Crainte fondée de persécution

[13] Bien que la SPR ait reconnu la crédibilité des demandeurs et estimé qu’ils avaient une crainte subjective de persécution, elle a conclu que la preuve n’établissait pas une crainte fondée de persécution. Essentiellement, la SPR a conclu ce qui suit : 1) toute discrimination ou tout harcèlement que pourrait subir M. Rukoro en Namibie ne constitue pas de la persécution; 2) il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que la tante de Mme Uandara réussirait mieux à la forcer à se livrer à la prostitution que ce n’était le cas pendant les huit années où elle était en Namibie après son départ de la maison de sa tante en 2003.

(1) Allégation de M. Rukoro

[14] À la suite de l’examen de la preuve documentaire, la SPR a reconnu que les personnes LGBTQ sont victimes de discrimination et de harcèlement en Namibie, notamment dans le nord d’où vient M. Rukoro. Toutefois, la SPR a conclu que les personnes LGBTQ sont protégées en vertu de la constitution namibienne ainsi que des accords internationaux dont la Namibie est signataire et qu’il y a tolérance et acceptation dans certaines communautés. La SPR a également fait remarquer que des efforts ont été déployés par le gouvernement pour abolir l’infraction de « sodomie » et que les défilés annuels de la fierté sont considérés comme des rassemblements pacifiques protégés par la Constitution et qu’ils n’ont pas fait l’objet de violence. Par conséquent, la SPR a conclu que M. Rukoro pourrait être victime de discrimination et de harcèlement en Namibie, sans pour autant que cela ne constitue de la persécution.

(2) Mme Uandara

[15] Bien que la SPR ait constaté que Mme Uandara avait été forcée par sa tante à se prostituer de 2000 à 2003 et qu’elle avait une crainte subjective de persécution, elle a conclu qu’il était peu probable que sa tante puisse la forcer, ainsi que sa fille, à se prostituer si elles retournaient en Namibie. La SPR a fait remarquer que Mme Uandara n’avait eu aucun problème à réfuter les tentatives de sa tante de la forcer à recommencer à se prostituer de 2003 jusqu’à son départ au Canada en 2011. De plus, la SPR a constaté que Mme Uandara est maintenant âgée de 35 ans et qu’elle n’a eu aucun contact avec sa tante depuis 2015.

C. La possibilité de refuge intérieur

[16] Enfin, la SPR a fait remarquer que, malgré la conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas de crainte objective fondée de persécution, il existe une solution viable à Windhoek ou à Walvis Bay.

[17] La SPR a estimé que M. Rukoro ne serait pas confronté aux mêmes difficultés dans les grands centres cosmopolites de Namibie que celles qu’il a connues il y a des années dans une petite ville comme Aminuis, qui est située dans le nord du pays. Bien que les demandeurs aient soutenu que la Namibie est un petit pays et que le père de M. Rukoro pouvait facilement le retrouver parce qu’il a les moyens financiers de le faire, la SPR a souligné qu’aucun élément de preuve n’indiquait que son père avait l’intérêt ou les ressources nécessaires pour trouver M. Rukoro dans les PRI proposées. De plus, la SPR a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le père de M. Rukoro tenterait de le tuer, car il semble que son père était peut‑être déjà au courant des rumeurs sur l’orientation sexuelle de son fils avant que celui‑ci ne parte pour le Canada, mais il n’a pas tenté de lui faire du mal à ce moment‑là.

[18] En ce qui concerne Mme Uandara, la SPR a reconnu que sa tante vit à Windhoek, mais a conclu que les demandeurs pouvaient toujours s’y installer. Cela s’explique par le fait que, de 2003 à 2011, la tante de Mme Uandara était au courant de ses allées et venues, mais qu’elle n’était toujours pas en mesure de la forcer à recommencer à se prostituer. La SPR a néanmoins déclaré que si les demandeurs demeuraient préoccupés par le fait de vivre dans la même ville que la tante de Mme Uandara, Walvis Bay constituait une PRI pour eux.

[19] Enfin, la SPR a souligné que, dans l’une ou l’autre des villes, il y a plus de possibilités d’emploi, d’options de logement et de ressources médicales à leur disposition qu’à Aminuis, étant donné que ces villes sont plus grandes et plus peuplées.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[20] Les questions en litige soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

  1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en réunissant les demandes d’asile?

  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [Directives relatives au sexe]?

  3. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives numéro 9 du président : Orientation sexuelle et identité de genre et expression de genre [Directives relatives à l’OSIGEG]?

  4. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la crainte de persécution des demandeurs n’était pas fondée?

  5. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’absence de protection de l’État dont les demandeurs pourraient se prévaloir en Namibie?

  6. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI viable à Windhoek ou à Walvis Bay?

V. NORME DE CONTRÔLE

[21] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23 à 32 [Vavilov], les juges majoritaires ont cherché à simplifier la façon dont un tribunal choisit la norme de contrôle applicable aux questions dont il est saisi. Ils ont éliminé l’approche contextuelle et catégorique adoptée dans l’arrêt Dunsmuir en faveur de l’instauration d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait remarquer que cette présomption peut être écartée sur le fondement 1) d’une intention législative claire de prescrire une autre norme de contrôle (Vavilov, aux para 33 à 52) et 2) de certains scénarios où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, comme les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux para 53 à 64).

[22] Dans leur mémoire, les demandeurs ne présentent pas explicitement d’observations sur la norme de contrôle applicable en l’espèce. Toutefois, ils semblent appliquer la norme de la décision raisonnable tout au long du processus et présenter des observations à la Cour sur la façon de procéder au contrôle de la présente décision selon cette norme. Parallèlement, le défendeur soutient dans ses mémoires que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je suis de cet avis, sauf pour la question de la réunion des instances, qui est une question d’équité procédurale. Quant aux autres questions soulevées en l’espèce, rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique.

[23] Certains tribunaux ont conclu que la norme de contrôle applicable relativement à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59 et 61 [Khosa]). L’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada ne traite pas de la norme de contrôle applicable aux questions relatives à l’équité procédurale (Vavilov, au para 23). Toutefois, une approche plus judicieuse sur le plan doctrinal consiste à conclure qu’aucune norme de contrôle n’est applicable à la question de l’équité procédurale. Voici comment la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur la question de l’équité procédurale dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 :

[L’équité procédurale] n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier (Moreau‑Bérubé, au para 74).

[24] De plus, lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse vise à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99). La décision raisonnable est une norme unique qui varie et « qui s’adapte au contexte » (Vavilov, au para 89, citant Khosa, au para 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solutions qu’il peut retenir » (Vavilov, au para 90). Autrement dit, pour intervenir, la Cour doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La Cour suprême du Canada mentionne deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : 1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur et 2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision » (Vavilov, au para 101).

VI. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[25] Voici les dispositions de la LIPR applicables à la présente demande de contrôle judiciaire :

Définition de réfugié

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays ;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture ;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

VII. ARGUMENTS

A. Demandeurs

[26] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis des erreurs en : 1) réunissant leurs demandes d’asile malgré les différences importantes; 2) ne tenant pas compte des Directives relatives au sexe dans l’évaluation de la demande d’asile de Mme Uandara; 3) ne tenant pas compte des Directives relatives à l’OSIGEG dans l’évaluation de la demande d’asile de M. Rukoro; 4) n’ayant pas conclu à une crainte fondée de persécution à la suite d’une conclusion favorable quant à la crédibilité; 5) omettant d’évaluer l’absence de protection de l’État dont les demandeurs pourraient se prévaloir en Namibie; 6) tirant une conclusion erronée selon laquelle il existait une PRI viable à Windhoek ou à Walvis Bay. Pour les motifs qui précèdent, les demandeurs affirment que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

(1) Réunion des demandes d’asile

[27] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en réunissant leurs demandes d’asile, malgré la demande de l’avocat de les séparer en raison des différences importantes. Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas correctement interprété les alinéas 2c), 2d) et 2e) de la LIPR et que, par conséquent, ils n’ont pas bénéficié d’un processus équitable.

(2) Application des directives relatives au sexe

[28] Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas appliqué les Directives relatives au sexe lorsqu’elle a évalué la demande d’asile de Mme Uandara. Ils affirment que la décision de la SPR donne à penser qu’elle a examiné en profondeur les aspects positifs de la preuve documentaire tout en ignorant presque complètement les éléments de preuve sur le fond qui démontrent la situation négative des femmes en Namibie et l’absence de protection de l’État dont elles pourraient se prévaloir. En fait, les demandeurs font remarquer que la SPR n’a cité que deux cas de traitement négatif des femmes dans toute la décision. Ils soutiennent que le défaut de tenir compte des éléments de preuve essentiels est incompatible avec la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 175 ACF 35 au para 17.

(3) Application des directives relatives à l’OSIGEG

[29] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en n’appliquant pas les Directives relatives à l’OSIGEG lorsqu’elle a évalué la demande d’asile de M. Rukoro, même si elle a reconnu qu’il était bisexuel.

[30] Les demandeurs font remarquer que les éléments de preuve démontrent que M. Rukoro a été persécuté par le passé en raison de son orientation sexuelle. Cela l’a forcé à cacher sa sexualité en Namibie et, plus tard, à la communauté namibienne au Canada après que M. Kahuure et lui‑même ont été harcelés. Les demandeurs affirment que si M. Rukoro était forcé de retourner en Namibie, la preuve documentaire démontre qu’il devrait à nouveau cacher son orientation sexuelle. Par conséquent, ils soutiennent que la SPR a commis une erreur en concluant que la crainte de M. Rukoro d’être persécuté en Namibie n’était pas fondée, car les Directives relatives à l’OSIGEG et la jurisprudence reconnaissent la dissimulation forcée de l’orientation sexuelle comme forme de persécution. Voir l’article 8.5.1 des Directives relatives à l’OSIGEG ainsi que les décisions de la Cour dans Sadeghi‑Pari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282 au para 29; VS c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1150 au para 12; et Wafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1153 au para 22.

[31] Les demandeurs contestent également le fait que la SPR n’a pas évalué la criminalisation de la sodomie et d’autres actes sexuels en Namibie selon les Directives relatives à l’OSIGEG. Les demandeurs font remarquer que l’article 8.5.6 des Directives relatives à l’OSIGEG énonce que la criminalisation des orientations sexuelles, des comportements sexuels ou des identités de genre ou des expressions de genre non conformes peut témoigner de l’existence d’une crainte fondée de persécution, même si elles ne sont pas appliquées en règle générale. Les demandeurs invoquent la décision de notre Cour Peiris c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1251 au para 21. De plus, les demandeurs affirment que si les éléments de preuve avaient été évalués conformément aux Directives relatives à l’OSIGEG, la SPR aurait conclu que l’absence d’éléments de preuve de l’application de ces lois, malgré la preuve de harcèlement et de discrimination à l’égard des membres de la communauté LGBTQ, résulte du fait que personne ne parle ouvertement des relations entre personnes de même sexe. Voir A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 640 aux para 19 à 23.

[32] De la même façon, les demandeurs affirment aussi que le manque de renseignements n’est pas révélateur d’une absence de persécution, car de nombreux cas de violation des droits de la personne contre des personnes LGBTQ ne sont pas consignés. Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas tenu compte de ce point lorsqu’elle a évalué les éléments de preuve en l’espèce, malgré le fait que les Directives relatives à l’OSIGEG mentionnent explicitement cette question à l’article 8.5.10. Ils insistent plutôt sur le fait qu’une évaluation cumulative d’éléments de preuve de harcèlement et de discrimination, comme l’exige l’article 8.5.9 des Directives relatives à l’OSIGEG, démontre clairement que M. Rukoro serait persécuté en Namibie.

[33] Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en omettant d’évaluer si une demande d’asile « sur place » a été présentée en l’espèce, conformément à l’article 8.5.12 des Directives relatives à l’OSIGEG, étant donné que M. Rukoro a fait connaître sa sexualité aux membres de la communauté namibienne au Canada, qui entretient des liens étroits avec la Namibie.

(4) Évaluation de la crainte fondée de persécution

[34] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de crainte fondée de persécution, même si elle a conclu que leurs demandes d’asile étaient crédibles. Les demandeurs font remarquer qu’avec une conclusion favorable quant à la crédibilité, la SPR aurait dû rendre une décision favorable au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

(5) Évaluation de la protection de l’État

[35] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en omettant d’examiner en détail l’absence de protection de l’État dont les membres de la communauté LGBTQ et les femmes pourraient se prévaloir en Namibie, conformément à la jurisprudence sur cette question. En effet, les demandeurs font remarquer que la SPR n’a pas effectué une analyse contextuelle individualisée du caractère adéquat concernant la protection de l’État offerte aux demandeurs. Ils affirment que, si la SPR l’avait fait, elle aurait conclu que M. Rukoro n’est pas en mesure d’obtenir la protection de l’État en Namibie en raison de son orientation sexuelle, comme l’indiquent les nombreux exemples présentés dans la preuve documentaire, et qu’il n’est [TRADUCTION] « pas disposé à demander cette protection », parce que se prévaloir de la protection de l’État l’obligerait à admettre avoir enfreint la loi en se livrant à des actes sexuels avec des partenaires de même sexe. De plus, en ce qui concerne Mme Uandara, les demandeurs affirment que la SPR n’a pas évalué l’absence de protection de l’État dont pourraient se prévaloir les femmes, notamment contre les actes de violence sexuelle.

(6) La possibilité de refuge intérieur

[36] Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur en omettant d’énoncer et d’appliquer le bon critère juridique pour évaluer l’existence d’une PRI viable. En effet, les demandeurs font remarquer que la jurisprudence de notre Cour indique clairement qu’un décideur doit évaluer 1) s’il existe un risque grave de persécution ou un risque de préjudice dans la PRI envisagée, 2) s’il est raisonnable, dans les circonstances, pour un demandeur d’asile d’y chercher refuge. Voir la décision Kamburona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1052 au para 30, citant la décision Estrada Lugo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 170 aux para 35 à 38.

[37] Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur en omettant d’évaluer si M. Rukoro serait forcé de cacher son orientation sexuelle afin de vivre dans les PRI envisagées. Les demandeurs font remarquer que cela va à l’encontre des Directives relatives à l’OSIGEG, qui énoncent à l’article 8.7.1 qu’il est « bien établi en droit qu’une possibilité de refuge intérieur (PRI) n’est pas viable si la personne ayant diverses OSIGEG doit dissimuler son OSIGEG pour pouvoir vivre à l’endroit en question ». Les demandeurs font remarquer que cela est également conforme à la décision de la Cour dans Okoli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 332 aux para 35 à 37.

[38] Les demandeurs soutiennent aussi que la SPR a commis une erreur dans son évaluation du caractère raisonnable de la PRI. Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas pris note de la situation de chômage élevé dans les PRI envisagées et de la façon dont la bisexualité de M. Rukoro aggraverait cette question. De plus, les demandeurs font remarquer que la SPR n’a pas tenu compte des problèmes d’intégration qu’ils auraient en raison des différences tribales et linguistiques.

B. Le défendeur

[39] Le défendeur soutient que la décision de la SPR était juste et raisonnable. Le défendeur réfute les arguments des demandeurs et affirme ce qui suit : 1) l’équité n’exigeait pas la tenue d’audiences distinctes en l’espèce; 2) la SPR a appliqué l’esprit des Directives relatives au sexe et des Directives relatives à l’OSIGEG tout au long de l’audience et de sa décision; 3) une conclusion quant à la crédibilité ne garantit pas nécessairement une crainte fondée de persécution; 5) la SPR a appliqué le bon critère juridique lorsqu’elle a évalué l’existence d’une PRI viable et est arrivée à une conclusion raisonnable fondée sur la preuve. Le défendeur soutient donc que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

(1) Réunion des demandes d’asile

[40] Le défendeur soutient que l’équité n’exige pas la tenue d’audiences distinctes et que les demandeurs n’ont indiqué aucune autorité à l’appui de leur argument. Le défendeur fait plutôt remarquer que l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, exige que les demandes d’asile de membres de la famille soient jointes à moins « qu’il ne soit pas possible de le faire ». Le défendeur affirme que notre Cour a conclu à plusieurs reprises que la SPR peut et doit trancher des demandes d’asile présentées par plusieurs demandeurs de la même famille dans une seule décision, pourvu qu’elle traite des questions distinctes soulevées par les différents demandeurs d’asile. Voir Kocacinar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 329 au para 22 et Murrizi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 802 au para 7. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

(2) Application des Directives relatives au sexe et des Directives relatives à l’OSIGEG

[41] Le défendeur affirme que la SPR a appliqué l’esprit de ces Directives tout au long de sa décision et que la Cour a conclu qu’il n’est pas nécessaire que la SPR mentionne expressément les directives tant qu’elles sont appliquées. Voir Shinmar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 94 au para 19.

[42] Le défendeur fait remarquer que la SPR a appliqué l’esprit des Directives relatives au sexe lorsqu’elle a pris des dispositions pour que Mme Uandara quitte l’audience, tandis que M. Rukoro a témoigné au sujet de ses relations sexuelles antérieures avec des hommes.

[43] De plus, le défendeur affirme que la SPR a appliqué l’esprit des Directives relatives à l’OSIGEG lorsqu’elle a évalué la demande d’asile de M. Rukoro. En particulier, le défendeur affirme que la sexualité de M. Rukoro a été explicitement prise en compte au moment de déterminer s’il existait une PRI viable. Ce faisant, la SPR a conclu qu’il pouvait vivre dans un grand centre cosmopolite [traduction] « puisqu’il ne se démarquerait pas de la même façon que dans une petite ville où tout le monde se connaît ». Le défendeur soutient que l’application des Directives relatives à l’OSIGEG n’entraîne pas nécessairement une décision favorable.

(3) Évaluation de la crainte fondée de persécution

[44] Le défendeur soutient qu’un témoignage crédible n’est pas, en soi, déterminant pour chaque demande d’asile, car une crainte objective et fondée de persécution doit également être établie. Voir Veloz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 457 au para 17. Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SPR de décider, à la suite d’une évaluation des éléments de preuve, que tout harcèlement ou toute discrimination potentiel ne constituait pas de la persécution en l’espèce.

(4) Évaluation de la protection de l’État

[45] Le défendeur soutient qu’il y a présomption de protection de l’État et qu’il incombait aux demandeurs de réfuter cette présomption. En effet, les demandeurs devaient démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que leur pays d’origine n’était pas en mesure de leur offrir une protection adéquate. Voir Nagy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 299 au para 28.

[46] Le défendeur fait remarquer que, en l’espèce, la Namibie est un pays démocratique doté d’un gouvernement, d’un système judiciaire et d’une force policière fonctionnels. Par conséquent, les éléments de preuve devaient être clairs et convaincants pour démontrer que le gouvernement namibien ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger les demandeurs. Le défendeur souligne le fait que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils avaient épuisé toutes les ressources dont ils disposaient au pays avant de demander l’asile au Canada. Voir Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 au para 57.

(5) La possibilité de refuge intérieur

[47] Le défendeur soutient que la SPR a appliqué le bon critère juridique pour déterminer si une PRI existait et est arrivée à une conclusion raisonnable fondée sur la preuve. Bien que la SPR n’ait pas explicitement énoncé le critère applicable en l’espèce, le défendeur fait remarquer que la décision de la SPR indique clairement que le bon critère juridique a été appliqué. Voir l’arrêt Abdalghader c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 581 au para 23 [Abdalghader].

[48] Le défendeur affirme que la SPR a clairement conclu en l’absence d’élément de preuve établissant que le père de M. Rukoro avait un intérêt quelconque à le retrouver dans la PRI huit ans après son départ pour le Canada ni les ressources pour le faire, et que [traduction] « l’animosité à l’égard des personnes LGBT était moins susceptible de [l’]affecter dans une grande ville cosmopolite comme Windhoek ou Walvis Bay ». De même, la SPR a clairement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que la tante de Mme Uandara avait la capacité de la trouver et de la contraindre à se prostituer dans l’une ou l’autre des PRI envisagées. Par conséquent, il était raisonnable de conclure qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution dans la PRI.

[49] En ce qui concerne le caractère raisonnable de la PRI, le défendeur fait remarquer que notre Cour a conclu que les demandeurs doivent satisfaire à un seuil très élevé pour établir qu’il serait déraisonnable de chercher refuge dans une PRI proposée. Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas démontré qu’un déménagement à Windhoek ou à Walvis Bay compromettrait leur vie ou leur sécurité. La conclusion de la SPR concernant l’existence d’une PRI viable est donc raisonnable.

VIII. L’ANALYSE

A. Introduction

[50] Les demandeurs présentent de nombreux arguments selon lesquels la SPR n’a pas appliqué la présomption de véracité. Toutefois, l’orientation bisexuelle de M. Rukoro et les expériences passées de Mme Uandara avec sa tante et la prostitution forcée ont été reconnues par la SPR. La question était de savoir s’ils seraient persécutés s’ils retournaient en Namibie. Cela exige un examen de leurs expériences passées (qui ont été reconnues comme étant véridiques) et une évaluation prospective pour déterminer s’ils seront persécutés à l’avenir, soit par des personnes qu’ils prétendent craindre, soit d’autres personnes en Namibie qui ne les approuvent peut‑être pas en raison d’un motif de persécution énoncé. Le risque prospectif n’est pas de savoir si les demandeurs disent la vérité. Comme l’a soutenu le défendeur, la [traduction] « présomption de véracité exige seulement que la Commission accepte que leurs actes assermentés non contredits soient crédibles. Elle n’exige pas que la Commission accepte comme véridiques les inférences que les demandeurs choisissent de tirer de leurs faits, et elle n’accorde pas non plus aux demandeurs le droit à un résultat particulier dans leur demande ». J’ajouterais seulement que la présomption de véracité n’exige pas que la SPR accepte l’interprétation des demandeurs de la preuve objective au sujet de la Namibie et ce qu’elle révèle au sujet des risques auxquels les demandeurs seraient exposés s’ils retournent dans ce pays.

[51] Les demandeurs invoquent la discrimination et le harcèlement dont M. Rukoro a été victime au Canada de la part de la communauté namibienne comme raison pour laquelle il ne devrait pas être renvoyé en Namibie. Encore une fois, cependant, la SPR reconnaît la bisexualité de M. Rukoro, tout comme le fait qu’il ferait face à un certain degré de discrimination et de harcèlement s’il retournait en Namibie. La question est de savoir si cela équivaut à de la persécution. Le fait qu’il ait été victime de discrimination de la part de la communauté namibienne au Canada ne signifie pas qu’il sera persécuté en Namibie.

[52] Les questions pour la SPR étaient claires :

  • a) Les demandeurs ont‑ils établi qu’ils risquent d’être persécutés s’ils sont renvoyés en Namibie?

  • b) Les demandeurs ont‑ils une PRI viable à Walvis Bay ou à Windhoek?

[53] Les demandeurs soulèvent la question de la protection inadéquate de l’État, mais cette question est englobée dans une certaine mesure dans l’analyse prospective de la persécution de la SPR. De plus, la SPR indique clairement que son analyse de la PRI ne signifie pas qu’elle a accepté que les demandeurs avaient établi la persécution (ce qui est un motif distinct pour refuser la demande d’asile). Les PRI ne sont présentées qu’à titre de motif subsidiaire ou de « suggestion » qui permettrait d’atténuer les risques auxquels ils prétendent être exposés en Namibie.

B. Réunion des demandes d’asile

[54] À titre préliminaire, les demandeurs affirment que la SPR n’aurait pas dû entendre les demandes d’asile de M. Rukoro et de Mme Uandara ensemble, car ils [traduction] « n’ont pas bénéficié d’un processus équitable en raison du fait que leurs demandes d’asile ont été entendues ensemble bien qu’elles étaient substantiellement différentes ». Mise à part cette simple affirmation, les demandeurs n’expliquent pas pourquoi le fait de joindre les demandes d’asile a donné lieu à un processus injuste, et il n’y a rien dans la décision ni dans le dossier qui appuie une telle affirmation. Les articles 55 et 56 des Règles de la Section de la protection des réfugiés exigent que les demandes d’asile soient jointes « à moins qu’il ne soit pas possible de le faire ». Les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve ni argument expliquant pourquoi ces règles n’auraient pas dû être suivies en l’espèce.

C. Persécution

(1) Mme Uandara

[55] La demande d’asile la plus facile à évaluer est celle de Mme Uandara, car, à l’exception de toute persécution future qu’elle pourrait subir en raison de son mariage avec M. Rukoro et en tant que mère de leurs enfants, elle affirme craindre une tante qui l’a agressée dans le passé et l’a forcée à se prostituer en Namibie.

[56] La SPR a accepté sans réserve les expériences passées de Mme Uandara à cet égard, au para 12 : « Le tribunal a tenu compte des éléments de preuve de la demandeure d’asile associée ainsi que de son témoignage à l’audience, et il est convaincu qu’elle a été réduite à la prostitution par sa tante en 2000‑2003. »

[57] Après avoir accepté le témoignage de Mme Uandara, la SPR a analysé la situation et est arrivée aux conclusions suivantes :

[22] Elle a déclaré dans son témoignage qu’elle craint que sa tante l’oblige, et oblige sa fille, la demandeure d’asile mineure, à se prostituer en cas de retour en Namibie. Cependant, le tribunal constate que, dans l’exposé circonstancié de son FRP, elle a écrit que sa tante l’avait suivie jusqu’au village du demandeur d’asile principal (Aminuis) et avait tenté de l’obliger à rentrer avec elle, en vain. Plus tard, alors que sa tante l’appelait prétendument sans cesse et menaçait de l’enlever de force, la demandeure d’asile associée n’est toujours pas retournée. La demandeure d’asile associée a quitté le domicile de sa tante en 2003 et a vécu en Namibie avec le demandeur d’asile principal jusqu’en 2011, année de leur départ au Canada. Durant cette période, la tante aurait eu de nombreuses occasions de la forcer à se prostituer de nouveau, mais elle ne l’a pas fait. La demandeure d’asile associée est aujourd’hui âgée de 35 ans, elle a quitté son pays il y a quelque huit ans et ne s’est pas trouvée en contact avec sa tante depuis 2015. Malgré l’assertion de la demandeure d’asile associée selon laquelle elle est attendue par sa tante, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants prouvant que les démarches de la tante seraient plus fructueuses aujourd’hui que durant les huit années durant lesquelles la demandeure d’asile associée vivait en Namibie après avoir quitté son domicile. Le tribunal estime que la crainte de la demandeure d’asile associée d’être forcée par sa tante à se prostituer de nouveau n’est pas fondée.

[58] Les demandeurs affirment qu’en examinant la demande de Mme Uandara, la SPR n’a pas tenu compte des Directives relatives au sexe.

[59] Dans leurs observations écrites, les demandeurs affirment ce qui suit :

[traduction]

32. Les Directives relatives au sexe exigent clairement que la Commission se renseigne de ce point de vue concernant la crainte particulière de la demandeure d’asile associée, et [elle] ne l’a pas fait. La Commission a commis une erreur en ne réglant pas entièrement cette question.

33. Il est également allégué que la Commission n’a pas entièrement tenu compte des aspects négatifs des rapports sur la persécution fondée sur le sexe en Namibie et qu’elle n’a pas examiné à fond les aspects négatifs des éléments de preuve fournis par la demandeure associée.

[…]

65. La prostitution forcée est analogue à une forme de violence familiale à l’égard des femmes, surtout lorsqu’elle se produit dans le contexte familial comme dans le cas de la demandeure d’asile associée. La violence familiale est habituellement examinée du point de vue de la famille.

66. Les conditions qui prévalent dans le pays dans divers rapports objectifs font état de la violence sexiste à laquelle sont exposées les femmes en Namibie.

67. Par conséquent, il est allégué que la demandeure d’asile associée, en tant que femme forcée de se prostituer, appartient à un groupe social particulier, les femmes qui sont victimes de violence familiale du seul fait qu’elles sont des femmes, de sorte que, d’après son témoignage, des documents objectifs sur les conditions dans le pays, la jurisprudence et l’article 96 de la LIPR, le commissaire a commis une erreur de droit en ne tirant pas de conclusion favorable.

[60] Comme le fait remarquer la SPR, les craintes exprimées par Mme Uandara étaient propres à sa tante et n’étaient pas liées à la persécution générale des femmes en Namibie : « Elle craint que sa tante ne la force, ainsi que sa fille aujourd’hui âgée de 13 ans, à se livrer à la prostitution. »

[61] De toute évidence, la SPR a abordé en détail et de façon raisonnable la crainte précise exprimée par Mme Uandara. La SPR n’est pas tenue d’examiner des demandes d’asile plus larges qui ne découlent pas raisonnablement des faits et des observations présentés par un demandeur. Voir Yimer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1335 au para 16; et Hoch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 580 aux para 17 à 20.

[62] En ce qui concerne les Directives relatives au sexe, les demandeurs n’expliquent pas pourquoi elles n’ont pas été appliquées en l’espèce. Si le témoignage personnel de Mme Uandara a été accepté comme étant crédible, il est difficile de voir comment elle a été désavantagée dans son témoignage ou ses observations écrites par le défaut d’appliquer les Directives relatives au sexe.

[63] Il n’y a rien de déraisonnable dans l’évaluation et la conclusion de la SPR selon lesquelles Mme Uandara ne risque pas d’être persécutée si elle est renvoyée en Namibie.

(2) M. Rukoro

[64] M. Rukoro a allégué qu’il serait persécuté en tant qu’homme bisexuel s’il était renvoyé en Namibie.

[65] Encore une fois, la SPR n’a aucune préoccupation quant à la crédibilité du témoignage de M. Rukoro :

[7] Le demandeur d’asile principal affirme qu’il est bisexuel et qu’il a entretenu des relations homosexuelles en Namibie et au Canada. Son frère et sa belle‑sœur ont comparu comme témoins à l’audience pour étayer ses allégations. Les deux témoins ont déclaré sous serment qu’ils savaient que le demandeur d’asile principal entretenait des relations homosexuelles.

[8] En plus des témoins, le demandeur d’asile principal a présenté une déclaration sous serment ainsi qu’une lettre d’un ancien partenaire de même sexe au Canada, Laurens Kahuure. Le demandeur d’asile principal a également déposé un rapport de counseling psychologique , dans lequel il est écrit qu’il éprouve des symptômes associés au trouble de stress post traumatique qui pourraient, de l’avis du psychothérapeute, être en partie attribuables à son orientation bisexuelle.

[…]

[10] Le tribunal a tenu compte des éléments de preuve du demandeur d’asile principal ainsi que de son témoignage à l’audience, et il est convaincu qu’il est bisexuel.

[Renvois omis.]

[66] Après avoir examiné et évalué les éléments de preuve personnels à M. Rukoro par rapport à la preuve objective relative au pays, la SPR a conclu, au para 20, que « [M. Rukoro] puisse faire l’objet de discrimination et de harcèlement en Namibie, cela n’est pas assimilable à la persécution ».

[67] La SPR a accepté le témoignage de M. Rukoro selon lequel il est bisexuel, de sorte que je ne vois pas comment la SPR [traduction] « n’a pas tenu pleinement compte des éléments de preuve présentés par le demandeur principal au sujet de son orientation sexuelle » ni comment le commissaire de la SPR [traduction] « a commis une erreur de droit en ne rendant pas une décision favorable concernant l’orientation sexuelle du demandeur principal ».

[68] Pour ce qui est de l’évaluation de la documentation objective sur le pays présentée par la SPR, les demandeurs fournissent simplement à la Cour leur point de vue sur la façon dont les éléments de preuve auraient dû peser en leur faveur. Le désaccord concernant les conclusions de la SPR n’est pas un motif d’erreur susceptible de contrôle.

[69] Les demandeurs invoquent également l’analyse inadéquate de la protection de l’État comme motif de contrôle. Toutefois, cette question ne se pose pas à la lumière des faits en l’espèce, étant donné que la SPR a conclu que ce à quoi M. Rukoro s’expose s’il retourne en Namibie ne s’assimile pas à la persécution.

[70] Rien n’indique que, dans son analyse, la SPR n’a pas appliqué l’esprit et l’intention des Directives relatives à l’OSIGEG.

D. La possibilité de refuge intérieur

[71] La décision repose sur l’évaluation raisonnable de la persécution faite par la SPR. Même si elle ne devait pas le faire, la SPR a également fourni une analyse de la PRI, apparemment au motif que si les demandeurs souhaitaient éviter l’un ou l’autre des risques énoncés auxquels ils pourraient être exposés, ils pourraient raisonnablement se rendre dans un grand centre. La SPR a proposé Walvis Bay ou Windhoek comme des PRI viables.

[72] En général, les demandeurs affirment que la SPR [traduction] « a) n’a pas énoncé le bon critère et b) n’a pas appliqué le bon critère pour une PRI ».

[73] Il est vrai que la SPR n’énonce pas officiellement le critère à deux volets pour évaluer une PRI énoncé dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991], ACF no 1256, mais la décision indique clairement que la SPR a appliqué le fond de ce critère dans son analyse, car il traite à la fois du risque de persécution et des questions du caractère raisonnable. C’est tout ce qu’il faut faire. Voir la décision Hassani, au para 23.

[74] Cependant, une fois de plus, en plus d’être en désaccord au sujet de la conclusion de la SPR sur les deux volets du critère, les demandeurs demandent simplement à la Cour d’examiner les éléments de preuve et de tirer une conclusion qui les favorise. La Cour ne peut pas faire cela. (Voir l’arrêt Vavilov, au para 125.)

[75] Les avocats acceptent qu’aucune question ne doit être certifiée, et la Cour est du même avis.


JUGEMENT rendu dans le dossier IMM‑3329‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3329‑19

 

INTITULÉ :

OWEN RUKORO ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Tricia Simon

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Kevin Doyle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tricia Simon

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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