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Date : 20040309

 

Dossier : IMM‑5010‑03

 

Référence : 2004 CF 353

 

 

ENTRE :

 

                                                              SIEW LAN THEIK

 

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

 

 

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE HARRINGTON

 

 

[1]               Le romanesque, la religion et la réglementation ne font pas bon ménage. Siew Lan Theik est une jeune bouddhiste de Malaisie. Elle est devenue amoureuse d’un jeune musulman, Slamat Bin Hussein, qu’elle a voulu épouser. Il est bien connu que le droit malaysien interdit les mariages entre  musulmans et non‑musulmans. Des pressions ont été exercées sur elle, accompagnées de menaces de violence, de la part de plusieurs sources pour l’inciter à cesser de voir son ami ou à se convertir à l’Islam. La situation n’allait pas très bien avec ses parents non plus, qui sont de fervents bouddhistes.

 

[2]               Elle s’est enfuie au Canada où elle a demandé la protection en tant que réfugiée au sens de la Convention des Nations‑Unies relative au statut des réfugiés, ou autrement à titre de personne à protéger, le tout étant prévu par la partie 2 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déterminé qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle a obtenu l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision conformément aux articles 72 et suivants de la Loi et à l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et ses modifications.

 

[3]               Dans sa décision, la formation a noté que ses problèmes ont commencé quand son ami et elle ont été trouvés ensemble dans une pièce. Les autorités religieuses musulmanes et la police ont effectué une descente dans ce lieu. La police l’a amenée au poste. Elle a été libérée après deux heures d’interrogatoire. On lui a dit de cesser de voir son ami.

 

[4]               Quelques jours plus tard, quatre Malaisiens, y compris le frère de son ami, se sont présentés à la maison de ses parents, où elle demeure, et lui ont intimé de se convertir à l’Islam afin d’empêcher les autorités religieuses de sévir contre son ami. En fait, il a par la suite été envoyé en « réendoctrinement ».

 

[5]               Elle s’est cachée. Elle a essayé sans succès d’obtenir un permis de travail pour Singapour et ensuite, sur l’avis d’un ami, elle est venue au Canada.

 

[6]               Depuis son arrivée ici, elle a été informée que la famille de son ami la recherche toujours, au même titre que la police.

 

[7]               La Commission a adopté la position, que j’ai entérinée, selon laquelle la crédibilité est au coeur de cette affaire. La demanderesse a été critiquée parce que certains des détails qu’elle a donnés au cours de son entrevue ne se retrouvaient pas dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Par exemple, dans son entrevue, elle a déclaré que les quatre Malaisiens lui ont dit vouloir l’emmener à la mosquée pour qu’elle se convertisse à l’Islam. Dans son FRP, elle a mentionné qu’on lui avait demandé de se convertir à l’Islam, mais elle n’a pas précisé qu’ils avaient l’intention de l’emmener à la mosquée. Elle a dit qu’elle ne savait pas s’ils voulaient l’emmener à la mosquée ou ailleurs. La formation a jugé que cela contredisait son témoignage. Ce n’est pas mon avis.

 

[8]               Dans son témoignage, elle a mentionné une conversation téléphonique avec son ami après son arrivée au Canada au cours de laquelle il lui a décrit la situation difficile qu’il vivait depuis six mois avec les autorités religieuses. Elle a été critiquée pour ne pas avoir mentionné ce fait dans les modifications qu’elle a apportées à son FRP. Elle explique que personne ne lui a dit qu’elle devait le faire. La Commission a estimé que cela diminuait encore sa crédibilité. Ce n’est pas mon avis.

 


[9]               Selon les notes de l’agent d’immigration, elle n’a pas été détenue par la police. Toutefois, elle a toujours dit qu’elle avait été interrogée par les agents de police pendant deux heures. On joue manifestement sur les mots ici, au sujet du sens du mot « détention ». Elle n’est pas juriste. Même un juriste, à moins qu’il ne soit un spécialiste en droit criminel, pourrait confondre les mots détention, arrestation et le fait d’être « invité » par la police à être interrogé. La formation a manifestement commis une erreur en n’acceptant pas son explication et en ne la croyant pas sur ce point.

 

[10]           On remet en cause sa crainte subjective parce qu’elle est allée à Singapour pour y chercher un permis de travail. Quand elle n’a pas réussi à en obtenir un, elle est retournée en Malaisie et ensuite elle est venue au Canada. Il n’y a pas d’élément de preuve dans le dossier qui indique que Singapour est un endroit convenable pour un réfugié au sens de la Convention, et il n’y a rien dans le dossier qui appuie l’inférence défavorable tirée par la formation.

 

[11]           Elle avait une lettre d’un avocat indiquant qu’elle avait fait l’objet d’une enquête en vertu du Code pénal malaisien. La formation dit ceci : [traduction] « Si la formation devait croire cette affirmation, alors elle n’arrive pas à comprendre pourquoi aucun mandat d’arrestation n’a été délivré contre elle ». La formation a fait un bond de géant dans l’inconnu en n’accordant aucune importance à la lettre en raison du manque de détails et de l’omission de l’avocat de fournir une copie de l’accusation ou du rapport de police. La lettre disait qu’elle faisait l’objet d’une enquête mais ne disait pas qu’il y avait un mandat. On peut difficilement prétendre que la demanderesse n’est pas crédible parce que la lettre n’est pas suffisamment longue pour convenir à la Commission.

 

[12]           J’estime que les conclusions de fait, et les inférences tirées des faits, sont manifestement déraisonnables sur de nombreux aspects importants, et que la Cour doit intervenir (Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1993] 160 N.R. 315 (C.A.F.).

 

[13]           Le contrôle judiciaire est accordé et la demande est renvoyée à une autre formation pour  nouvelle audition.

 

[14]           L’avocat de la demanderesse a fait valoir, aux termes de l’article 74 de la Loi, qu’il y a une question grave de portée générale à certifier à l’intention de la Cour d’appel fédérale et qui est la suivante : en l’absence d’un affidavit ou d’une déclaration explicite de l’agent d’immigration certifiant que ses notes sont exactes et complètes et ont été remises au demandeur, la Commission peut‑elle confronter ces notes avec les renseignements donnés par le demandeur dans son FRP?

 

[15]           Je ne vois aucune nécessité de certifier cette question dans le contexte de l’espèce. Il est bien établi que les notes sont recevables en preuve : Mongu c. Canada (Solliciteur général) (1994), 86 F.T.R. 59. Toutefois, il y a des occasions où le poids qui leur est accordé doit être mis en balance avec le témoignage du demandeur donné sous serment. Les notes de l’entrevue sont le fruit du travail d’un interrogateur, et non pas de la personne qui est interrogée, et elles peuvent ne pas constituer la meilleure preuve.

 

 

                                                                                                                              « Sean Harrington »             

                                                                                                                                                     Juge                         

 

Ottawa (Ontario)

le 9 mars 2004

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                      IMM‑5010‑03

 

 

INTITULÉ :                                                                     SIEW LAN THEIK

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                               MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                             LE 23 FÉVRIER 2004

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                                    LE 9 MARS 2004

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Michel Le Brun                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

 

Sébastien Da Sylva                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Michel Le Brun                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Morris Rosenberg                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

 

 

 


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