Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210412


Dossiers : T‑1333‑18

T‑1334‑18

T‑1335‑18

Référence : 2021 CF 295

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2021

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

CRAIG LEVETT ET NATHALIE BENSMIHAN

OFER BAAZOV ET CATHY BENSMIHAN

9179‑3786 QUÉBEC INC.

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

office fédéral

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Les trois présentes demandes de contrôle judiciaire [la ou les demandes] concernent trois demandes d’échange particulier de renseignements [les demandes de renseignements] adressées par l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] à l’Administration fiscale fédérale suisse [les autorités suisses] conformément à la Convention entre le Gouvernement du Canada et le Conseil fédéral suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, adoptée à Berne le 5 mai 1997, et modifiée par l’inclusion du Protocole interprétatif du 22 octobre 2010 et de la Convention complémentaire du 23 juillet 2012 [la Convention].

[2] Plus précisément, (1) M Craig Levett et Mme Nathalie Bensmihan, époux et épouse, contestent la demande de renseignements datée du 20 octobre 2017, dans laquelle ils sont nommés conjointement (dossier de la Cour T‑1333‑18); (2) M. Ofer Baazov et Mme Cathy Bensmihan, époux et épouse, contestent la demande de renseignements datée du 20 octobre 2017, dans laquelle ils sont nommés conjointement (dossier de la Cour T‑1334‑18); (3) 9179‑3786 Québec Inc. [la société 9179], société à numéro immatriculée au Québec et appartenant à M. Levett, conteste la demande de renseignements datée du 19 avril 2018 (dossier de la Cour T‑1335‑18). Le terme « demandeurs » désigne ci‑après les quatre personnes physiques et la société 9179 collectivement.

[3] À titre de mesures de redressement, les demandeurs demandent à la Cour (1) d’annuler les demandes de renseignements; (2) d’ordonner à l’ARC, au ministre du Revenu national [le ministre] ainsi qu’à leurs agents, employés et mandataires d’envoyer une lettre aux autorités suisses pour les informer que les demandes de renseignements ont été annulées et leur demander de cesser toute activité liée aux demandes de renseignements; (3) d’interdire à l’ARC, au ministre ainsi qu’à leurs agents, employés et mandataires d’utiliser tout renseignement fourni en réponse aux demandes de renseignements, ainsi que tout renseignement en découlant, et de s’y fier; (4) d’interdire à l’ARC, au ministre ainsi qu’à leurs agents, employés et mandataires d’envoyer d’autres demandes au gouvernement de la Suisse — ou de tout autre pays étranger — qui concernent les demandeurs et sont semblables aux demandes de renseignements, jusqu’à ce que l’ARC, le ministre ainsi que leurs agents, employés et mandataires aient épuisé, au pays, tous les moyens de vérification concernant les renseignements et documents demandés dans les demandes de renseignements; (5) le tout avec dépens.

[4] Le 29 août 2018, madame la protonotaire Steele a ordonné, entre autres choses, que les trois demandes (dossiers de la Cour T‑1333‑18, T‑1334‑18 et T‑1335‑18) soient réunies en vertu de l’alinéa 105a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. En outre, la protonotaire Steele a désigné le dossier de la Cour T‑1333‑18 comme la demande principale pour les besoins de la gestion des instances et de l’audience sur le fond, a indiqué qu’une copie de tout jugement rendu dans le dossier T‑1333‑18 serait également versée dans les deux autres dossiers, et a précisé l’intitulé exact de la cause.

[5] Pour les motifs exposés ci‑après, les demandes seront rejetées.

II. Un bref historique procédural

[6] Le 11 juillet 2018, les demandeurs ont déposé leurs trois avis de demande. Ils ont essentiellement affirmé que les demandes de renseignements étaient irrémédiablement viciées et déraisonnables, parce que l’ARC a) a outrepassé sa compétence; b) n’a pas respecté les dispositions de la Convention et les règles de droit applicables; c) a agi sur la base d’allégations de fait qui étaient fausses et qu’elle savait être fausses; d) n’a pas fourni une divulgation complète, franche et honnête aux autorités suisses. Les motifs de contrôle énoncés ensuite par les demandeurs étaient que les demandes de renseignements étaient invalides, parce que l’ARC n’avait pas épuisé, au pays, tous les moyens pour faire observer la loi et n’avait pas fourni une divulgation complète et franche aux autorités suisses.

[7] Dans chacun de leurs avis de demande, les demandeurs ont demandé, conformément à l’article 317 des Règles, une liste détaillée des documents pertinents en la possession de l’ARC, et non en la possession des demandeurs, y compris les [traduction] « notes de la vérificatrice de l’ARC sur les conversations T2020 ».

[8] L’ARC a fourni des réponses au moyen de certificats distincts au titre de l’article 318 des Règles. Par conséquent, le 9 août 2018, l’ARC a fourni ses trois premiers certificats au titre de l’article 318 des Règles, soit un pour chacun des dossiers de la Cour, qui n’avaient pas encore été réunis. Parmi les documents inclus, il y avait des [traduction] « notes pour le dossier (T2020) en liasse », qui comprenaient des notes longues et courtes caviardées pour le dossier (T2020), relatives aux dossiers sur les demandeurs Craig Levett, Ofer Baazov et la société 9179.

[9] Le 27 août 2018, les demandeurs ont signifié un affidavit souscrit par Me Charles Leibovich, l’un des représentants des demandeurs dans le cadre des vérifications de l’ARC décrites ci‑dessous. Me Leibovich y a joint 18 pièces (dont certaines comprennent plus d’un document).

[10] Le 11 octobre 2018, les demandeurs ont reçu l’affidavit souscrit par Mme Danielle Asselin, vérificatrice de l’impôt pour l’ARC [le premier affidavit de Mme Asselin]. Mme Asselin affirme, entre autres choses, que les demandes de renseignements ont été présentées aux autorités suisses dans le cadre des vérifications de MM. Levett et Baazov, et que leurs épouses ont été mentionnées dans le but de vérifier si elles avaient été utilisées comme prête‑noms pour ouvrir des comptes bancaires ou détenir des actifs à l’extérieur du Canada. En plus de son affidavit, Mme Asselin présente des pièces, y compris, comme pièce 5, la note pour le dossier (T2020) pour chacun des dossiers de vérification de Mmes Cathy Bensmihan et Nathalie Bensmihan. De plus, Mme Asselin inclut, à titre de pièce 6, sept (7) documents qui auraient dû être déposés avec les certificats délivrés au titre de l’article 318 des Règles.

[11] Le 28 juin 2019, madame la protonotaire Molgat a ordonné qu’une version non caviardée des notes de service courtes pour le dossier (T2020) relatives aux dossiers concernant les demandeurs Craig Levett, Ofer Baazov et la société 9179 soit fournie aux demandeurs. Le 4 juillet 2019, les versions non caviardées ont été fournies.

[12] Le 19 août 2019, les demandeurs ont signifié un autre affidavit souscrit par Me Leibovich, qui présentait 11 pièces. Le défendeur, le procureur général du Canada [le PGC], s’oppose au dépôt de l’affidavit, comme il est expliqué ci‑dessous.

[13] Le 2 octobre 2019, les demandeurs ont déposé une requête en vue de modifier leurs avis de demande et de faire accepter pour dépôt l’affidavit de Me Leibovich daté du 19 août 2019 [la requête en modification] en vertu de l’article 369 des Règles. Le PGC s’est opposé à la requête en modification.

[14] Le 20 janvier 2020, l’ARC a fourni un addenda aux certificats délivrés au titre de l’article 318 des Règles, en réponse au dépôt des avis de demande modifiés. Seize documents ont ensuite été fournis, dont des lettres échangées entre l’ARC et la Banque Toronto‑Dominion [la Banque TD].

[15] Le 20 janvier 2020, madame la juge Walker a décidé, entre autres choses, que la requête en modification serait entendue en même temps que les demandes sur le fond. Elle a souligné que les parties avaient convenu d’un échéancier et des étapes de procédure sur la base des ébauches des avis de demande modifiés, sous réserve de la contestation par le PGC des modifications proposées.

[16] Le 4 février 2020, le PGC a déposé un autre affidavit de Mme Asselin [le deuxième affidavit de Mme Asselin], et les 24 et 25 février 2020, Mme Asselin a été contre‑interrogée par les avocats des demandeurs. Les demandeurs ont présenté les affidavits de Mme Asselin et la transcription de son contre‑interrogatoire dans leur dossier de demande.

[17] Les 20 et 21 janvier 2021, la Cour a entendu les observations des parties sur le fond des demandes. Au début de l’audience, les parties ont confirmé à la Cour que la requête en modification avait été déposée en vertu de l’article 369 des Règles, qu’aucune audience n’était nécessaire et qu’elles s’étaient fondées sur leurs observations écrites.

III. La requête visant à modifier les avis de demande et à faire accepter l’affidavit pour dépôt

A. Les avis de demande modifiés

[18] Ayant eu l’avantage de consulter le premier affidavit de Mme Asselin et ses pièces, les documents transmis par l’ARC au titre de l’article 318 des Règles ainsi que les versions non caviardées des notes de service courtes pour le dossier (T2020), les demandeurs demandent à la Cour de leur accorder l’autorisation de modifier leurs avis de demande et d’ajouter cinq motifs aux demandes, énoncés aux paragraphes (C), (D), (E), (G) et (H) de leurs avis de demande modifiés. Les demandeurs s’appuient sur l’article 75 des Règles, qui prévoit que la Cour peut, à tout moment, autoriser une partie à modifier un document. Ils citent notamment l’arrêt Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 (CA), qui déclare que des modifications devraient être autorisées de manière à assurer que la Cour est saisie des véritables questions, à condition que de telles modifications puissent être apportées sans causer d’injustice que des dépens ne pourraient réparer.

[19] Les demandeurs soutiennent que les modifications qu’ils proposent devraient être autorisées, car elles clarifient les questions litigieuses entre les parties, ne retarderont pas indûment l’issue des dossiers, ne soulèveront pas de nouvelle question ou ne créeront pas de nouvelle cause d’action, et ne causeront pas de préjudice au défendeur.

[20] Le PGC s’oppose aux modifications proposées, sauf celles décrites au paragraphe 14 de ses observations écrites. Il soutient que le critère consiste à déterminer s’il est [traduction] « plus conforme à l’intérêt de la justice que la [...] modification soit autorisée ou soit refusée » et énumère certains facteurs dont la Cour peut tenir compte. Il soutient essentiellement que les autres modifications ne devraient pas être acceptées, car elles constituent de nouveaux motifs de contrôle judiciaire, ne sont pas fondées sur des faits et sont inopportunes.

[21] Les demandeurs m’ont convaincue que l’intérêt de la justice militait en faveur de l’acceptation de la requête en modification et de la possibilité pour les demandeurs de modifier leurs avis de demande.

[22] Le PGC n’a subi aucun préjudice, car il a eu l’occasion de répondre pleinement aux nouveaux arguments soulevés. Le PGC a confirmé que c’était le cas à l’audience.

B. Le dépôt de l’affidavit complémentaire

[23] Les demandeurs présentent également leur requête en vertu de l’article 312 des Règles, qui prévoit que la Cour peut permettre à une partie de déposer un affidavit complémentaire, en l’occurrence l’affidavit souscrit par Me Charles Leibovich le 19 août 2019. Me Leibovich affirme ceci [traduction] : « J’ai connaissance des faits et des questions en jeu [...], à l’exception des faits qui m’ont été relatés ou que j’ai lus, que je crois sincèrement être véridiques ». Il présente comme pièces la correspondance entre l’ARC et Me David Assor, entre l’ARC et Me Steve Levy, entre l’ARC et Mme Cathy Bensmihan, ainsi qu’entre l’ARC et Mme Nathalie Bensmihan. Il présente également deux lettres qu’il a envoyées à l’ARC. Enfin, il joint une lettre de l’Autorité des marchés financiers [l’AMF] du Québec adressée à divers avocats concernant une enquête et des notes pour le dossier (T2020) concernant les demandeurs.

[24] Les demandeurs soutiennent d’abord que l’affidavit n’est pas un affidavit complémentaire au sens de l’article 312 des Règles, puisqu’il a été signifié et déposé dans le délai prévu et autorisé par l’ordonnance de la Cour datée du 28 juin 2019 (par la protonotaire Molgat) [l’ordonnance]. Si, toutefois, l’affidavit constitue un affidavit complémentaire, les demandeurs soutiennent que l’ordonnance leur a déjà accordé l’autorisation de le déposer. Subsidiairement, les demandeurs demandent l’autorisation de déposer l’affidavit en vertu de l’article 312 des Règles, au motif que les faits sont pertinents aux arguments soulevés dans les avis de demande modifiés.

[25] Le PGC cite l’alinéa 312a) des Règles, qui prévoit qu’une partie peut être autorisée à déposer un affidavit complémentaire si la preuve est admissible et pertinente. Si ce critère est respecté, les demandeurs doivent convaincre la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder l’autorisation en fonction d’un certain nombre de facteurs. Il s’agit notamment de la disponibilité de la preuve au moment du dépôt de l’affidavit, de la diligence raisonnable dont les demandeurs ont fait preuve pour l’obtenir, de l’aide que la preuve peut apporter à la Cour et de la possibilité d’un préjudice important ou grave pour l’autre partie.

[26] Le PGC soutient que, pour l’essentiel, l’affidavit complémentaire proposé de Me Leibovich, daté du 19 août 2019, est inadmissible, car il n’a pas une connaissance personnelle des questions sur lesquelles porte l’affidavit. Le PGC ajoute que, dans une demande de contrôle judiciaire, un déposant ne peut pas déposer des renseignements qu’il croit véridiques sans enfreindre l’interdiction de la preuve par ouï‑dire (au sens du paragraphe 81(1) des Règles et de l’arrêt Moldeveanu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 55 (C.A.F.). Le PGC ajoute que Me Leibovich n’est pas partie aux lettres qu’il joint en tant que pièces A, B, C, E, F, G et I, et qu’il n’a pas personnellement reçu les notes pour le dossier (T2020) qu’il joint en tant que pièce K, le tout étant décrit au paragraphe 44 des observations écrites du PGC.

[27] Le PGC ajoute que, si l’affidavit de Me Leibovich est admis en preuve, seules les pièces D et H ainsi que les paragraphes 11 et 15 sont admissibles. Toutefois, le PGC soutient que ces paragraphes font référence à des lettres (pièces D et H) datées du 13 mars 2017 et du 19 avril 2017, lettres qui étaient accessibles aux demandeurs. Le PGC soutient que les demandeurs n’ont pas expliqué ni déposé d’éléments de preuve expliquant pourquoi les lettres n’avaient pas été déposées plus tôt.

[28] Je suis convaincue que les demandeurs peuvent déposer l’affidavit. Toutefois, je suis d’accord avec le procureur général pour dire que seuls les pièces D et H et les paragraphes 11 et 15 sont admissibles.

[29] Selon le paragraphe 81(1) des Règles, les affidavits « se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire ». Par conséquent, dans une demande, le déposant, Me Leibovich, ne pouvait que fournir des renseignements dont il avait connaissance.

[30] Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Éthier c Canada (Commissaire de la GRC), [1993] 2 CF 659 (CA), l’article 81 des Règles ne crée pas une interdiction absolue de l’admission d’une preuve par ouï‑dire. Toutefois, l’interdiction relative à l’information fondée sur des croyances trouve son origine dans les règles de common law contre la preuve par ouï‑dire. En fait, dans la décision Bressette c Conseil de la bande de Kettle and Stony Point, [1997] ACF no 1130, notre Cour a déclaré :

Cette disposition incorpore la règle de common law en matière de ouï‑dire, laquelle interdit l’admission de déclarations faites par une personne qui n’est pas citée comme témoin, sauf lorsque pareilles déclarations sont présentées à une fin autre que pour établir leur exactitude. Ces deux principes sont fondés sur ce que la preuve par affidavit doit pouvoir être vérifiée pendant le contre‑interrogatoire du déposant. [...] (Au para 3.)

[31] Les demandeurs n’ont présenté aucune justification pour leur décision de demander à Me Leibovich d’attester des faits et des documents dont il n’avait pas une connaissance personnelle. De même, ils n’ont pas fourni d’indication que les témoins des faits appropriés, à savoir les parties aux lettres et aux documents que Me Leibovich joint à son affidavit, n’étaient pas disponibles. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi ces documents étaient admissibles en tant que pièces jointes à l’affidavit de Me Leibovich, que ce soit dans l’affidavit même ou dans leurs observations.

[32] Je suis convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice de radier du dossier les paragraphes 6, 7, 8 (en ce qui concerne Me Levy), 9, 10 (en ce qui concerne Me Levy), 12, 13, 14, 16 et 18 de l’affidavit de Me Leibovich, et de radier du dossier les pièces mentionnées dans ces paragraphes, c’est‑à‑dire les pièces A, B, C, E, F, G, I, J et K.

[33] Les paragraphes 11 et 15 ainsi que les pièces D et H de l’affidavit d’août 2019 de Me Leibovich ne seront pas radiés du dossier.

[34] Au paragraphe 11 de son affidavit, Me Leibovich affirme avoir envoyé à l’ARC une copie du grand livre de compte en fiducie de Me David Assor, ainsi qu’une copie du relevé bancaire de son compte en fiducie pour la période pertinente, comme l’indique sa lettre à l’ARC datée du 13 mars 2017, lettre qui est jointe à son affidavit en tant que pièce D. Selon le texte de la lettre, les documents sont envoyés en réponse à la [traduction] « question 16 » de l’ARC. Me Leibovich ajoute qu’il n’a pas reçu le consentement de sa cliente, Mme Nathalie Bensmihan, à la transmission de ces documents à l’ARC.

[35] Au paragraphe 15, Me Leibovich affirme avoir informé l’ARC que les copies demandées des documents à l’appui provenant de la Banque TD (de transferts électroniques de fonds) n’étaient pas disponibles pour lui et sa cliente, Mme Nathalie Bensmihan, comme l’indique la lettre qu’il a envoyée à l’ARC le 19 avril 2017, en réponse à celle du 21 mars 2017 de l’ARC et jointe à son affidavit en tant que pièce H.

[36] Comme il est précisé plus loin, les autres pièces jointes à l’affidavit de Me Leibovich, si elles avaient été admises, n’auraient pas eu d’incidence sur ma conclusion sur le fond des demandes.

IV. Le contexte

A. Les vérifications de MM. Levett et Baazov par l’ARC

[37] Mme Danielle Asselin, une vérificatrice de l’ARC, a été affectée aux vérifications de M. Levett et de M. Baazov dès leur début. Selon l’information qu’elle a fournie dans son affidavit, Mme Asselin a reçu des renseignements d’un pays partenaire au sujet de Zhapa Holdings, une société des îles Vierges britanniques. Elle a également recueilli des renseignements sur MM. Baazov et Levett dans des forums de discussion en ligne. Cette information l’a amenée à croire que MM. Levett et Baazov pourraient avoir des actifs étrangers non déclarés.

[38] Dans une lettre datée du 30 juin 2015, l’ARC a informé M. Levett qu’il avait été choisi pour une vérification en vertu de l’article 231.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LRC 1985, c 1 (5e suppl)) pour les années d’imposition 2011 à 2013. Dans une lettre datée également du 30 juin 2015, l’ARC a informé M. Baazov qu’il avait été sélectionné pour une vérification pour les années d’imposition 2010 à 2013.

[39] Dans ces lettres de juin 2015, l’ARC a informé individuellement MM. Levett et Baazov qu’elle possédait des renseignements qui l’avaient amenée à déterminer qu’ils pourraient avoir des avoirs à l’étranger qu’ils avaient omis de divulguer pour les besoins de l’impôt canadien, comme l’exige la Loi de l’impôt sur le revenu. L’ARC a joint aux lettres des questionnaires que MM. Levett et Baazov devaient remplir aux termes de l’article 231.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Une copie de ces questionnaires se trouve au dossier, et nous y voyons un certain nombre de questions posées au contribuable, à savoir si lui ou des membres de sa famille possèdent des résidences, des biens, des comptes bancaires ou des comptes de placement à l’extérieur du Canada, et si lui ou des membres de sa famille ont eu affaire à des entreprises, des fiducies et d’autres entités à l’extérieur du Canada.

[40] Il n’est pas contesté que pour les années faisant l’objet de la vérification, MM. Levett et Baazov n’ont pas déclaré d’actifs étrangers évalués à plus de 100 000 $CAN, puisqu’ils n’ont pas rempli les formulaires d’impôt T1134 ou T1135 pour ces années‑là.

[41] Le 8 septembre 2015, MM. Levett et Baazov ont retourné à l’ARC leurs questionnaires remplis et les documents à l’appui. MM. Levett et Baazov ont répondu par la négative à toutes les questions concernant leurs rapports ou ceux de membres de leur famille avec des entités et la propriété d’actifs à l’extérieur du Canada.

[42] Le 8 mars 2016, Mme Asselin a interrogé MM. Levett et Baazov à la suite des vérifications et, selon leurs observations (au paragraphe 17 du mémoire des faits et du droit des demandeurs [le mémoire des demandeurs]), MM. Levett et Baazov se sont engagés à fournir des renseignements et des documents supplémentaires liés à leur affiliation ainsi qu’à leurs liens avec des entités canadiennes. MM. Levett et Baazov ont été interrogés sur un certain nombre d’entités, y compris Zhapa Holdings et Kilworthy Limited, et ont confirmé qu’ils n’avaient rien à voir avec elles et qu’ils n’étaient pas au courant de leur existence (pages 639 et 650 du dossier des demandeurs).

[43] Le 15 mars 2016, Mme Asselin a communiqué avec MM. Levett et Baazov, envoyant à chacun une lettre demandant de plus amples renseignements au sujet des entités dont ils avaient discuté. Mme Asselin leur a aussi demandé des renseignements sur leurs épouses et, entre autres, sur la cession d’actions par leurs épouses en 2011.

[44] Certains des documents demandés par Mme Asselin n’étaient pas accessibles à MM. Levett et Baazov. En effet, au cours de la même période, MM. Levett et Baazov étaient l’objet d’une enquête de l’AMF. Dans le cadre de cette enquête, l’AMF avait saisi tous les documents relatifs à leurs transactions sur les titres d’une société canadienne cotée en bourse. Par conséquent, MM. Baazov et Levett n’ont pas pu fournir à l’ARC certains des documents demandés.

[45] Le 6 avril 2016, Mme Asselin a tenté en vain de joindre son agent de liaison à l’AMF. Elle n’a pas mentionné les contribuables dans son message vocal (pages 2261 et 2264 du dossier des demandeurs).

[46] En avril et mai 2016, l’AMF a remis à MM. Levett et Baazov certains documents, aucun concernant des entités étrangères, et MM. Levett et Baazov ont à leur tour fourni des documents à l’ARC.

[47] Le 19 août 2016, Mme Asselin a encore une fois communiqué avec l’agent de liaison de l’AMF pour savoir si les contribuables pouvaient recevoir une copie des documents saisis et pour obtenir des renseignements sur la procédure à suivre à cet égard, rendant compte à l’avocat de l’époque de MM. Levett et Baazov le même jour.

[48] En août 2016 et en mars 2017, MM. Levett et Baazov ont remis encore plus de documents à l’ARC.

[49] Selon leurs propres observations (mémoire des demandeurs, au par. 21), rien dans les renseignements ou les documents fournis par MM. Levett et Baazov n’indiquait à l’ARC qu’ils avaient des liens avec des entités étrangères ou qu’ils avaient des placements, des comptes bancaires ou d’autres actifs à l’étranger.

[50] Le 27 avril 2017, Mme Asselin a communiqué avec le directeur des enquêtes de l’AMF afin d’obtenir des renseignements sur l’enquête, notamment pour savoir elle serait bientôt terminée. Le directeur a répondu qu’aucune information ne pouvait être fournie, car l’enquête était en cours, mais il a envoyé à Mme Asselin une décision du Tribunal administratif des marchés financiers [la décision du Tribunal de l’AMF et le Tribunal de l’AMF] (sous l’intitulé Autorité des marchés financiers c Baazov, 2017 QCTMF 32). Dans sa décision, le Tribunal de l’AMF reprend les allégations soulevées par l’AMF, notamment concernant l’existence possible de deux comptes bancaires en Suisse, l’un détenu par Kilworthy Limited avec Hyposwiss Private Bank Ltd. [Hyposwiss] et l’autre détenu par Optivilla Holding, une société des îles Vierges britanniques, avec l’Union Bancaire Privée [l’UBP].

[51] Le 12 mai, le 7 juin, le 8 juin et le 21 juin 2017, l’ARC a envoyé à diverses institutions financières des demandes péremptoires pour obtenir des renseignements sur les comptes bancaires et les cartes de crédit du demandeur Craig Levett. Elle a également demandé une liste des actionnaires d’Amaya Inc. auprès d’une société de transfert d’actions, ainsi qu’une liste des transactions effectuées par diverses personnes et entités, y compris MM. Levett et Baazov, Optivilla Holding, Kilworthy Limited et Zhapa Holdings.

[52] Le 12 mai 2017, l’ARC a envoyé de semblables demandes péremptoires à la Banque TD pour obtenir des renseignements sur les comptes bancaires et les cartes de crédit du demandeur Ofer Baazov.

B. Les vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan par l’ARC

[53] La décision de la Cour sur l’inadmissibilité d’une partie de l’affidavit du 29 août 2019 de Me Leibovich et de certaines pièces qu’il a cherché à présenter en preuve influe surtout sur la preuve présentée à l’égard de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[54] Essentiellement, il reste donc, en ce qui concerne Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, les renseignements contenus dans le premier affidavit de Mme Asselin et sa pièce 5, notes pour le dossier (T2020); les renseignements contenus dans l’affidavit d’août 2019 de Me Leibovich et ses pièces D et H; les documents remis dans le cadre de l’addenda aux certificats émis au titre de l’article 318 des Règles en janvier 2020.

[55] La preuve révèle que l’ARC a interrogé séparément M. Baazov et M. Levett au sujet de la vente des actions de leurs épouses en 2011, et que, en novembre 2016, l’ARC a communiqué séparément avec Mme Cathy Bensmihan et Mme Nathalie Bensmihan pour les informer qu’une vérification avait été entreprise à l’égard de leurs années d’imposition 2008 à 2013. L’ARC s’intéressait à la vente des actions de 9191‑1982 Québec Inc. à une société espagnole en novembre 2011 (voir les paragraphes 46 à 48 du premier affidavit de Mme Asselin). Comme il a été mentionné précédemment, ces renseignements ont été demandés dans les questionnaires que l’ARC a envoyés à MM. Levett et Baazov dans le cadre de leurs vérifications, après la réunion de mars 2016.

[56] M. François Bergeron a été le vérificateur de l’ARC chargé des vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan jusqu’en août 2018, lorsque Mme Asselin l’a remplacé comme vérificatrice chargée de ces vérifications (premier affidavit de Mme Asselin, au par. 49). Le dossier indique (selon les notes pour le dossier (T2020) de Mme Cathy Bensmihan) que M. Bergeron a communiqué avec Mme Asselin le 16 novembre 2016 afin de lui demander si elle avait dans son dossier des renseignements sur les comptes bancaires personnels de Mme Cathy Bensmihan. Selon le dossier, Mme Asselin a répondu qu’elle n’en avait pas, mais qu’elle avait des renseignements sur les comptes conjoints de Mme Bensmihan et de son époux et qu’elle pouvait voir un dépôt pour le montant que M. Bergeron cherchait.

[57] Encore une fois, selon les notes pour le dossier (T2020), en novembre 2016, Me Shlomi Steve Levy, avocat de Mme Cathy Bensmihan, et Me Charles Leibovich, avocat de Mme Nathalie Bensmihan, ont demandé individuellement que leurs clientes reçoivent des questions auxquelles elles devraient répondre par écrit au lieu de se soumettre à une entrevue individuelle. Le superviseur de M. Bergeron a acquiescé à cette demande le 21 novembre 2016 (pages 688, 689, 695 et 696 du dossier des demandeurs). Les questionnaires de M. Bergeron ont été achevés, approuvés par son superviseur et envoyés aux contribuables en janvier 2017.

[58] En ce qui concerne Mme Cathy Bensmihan, le dossier indique que Me Levy a envoyé le questionnaire rempli le 10 février 2017 (note pour le dossier (T2020) à la page 696 du dossier des demandeurs). Le 17 février 2017, M. Bergeron a fait un suivi auprès de Me Levy concernant le moment où il recevrait le relevé de compte en fiducie de l’avocat, ce dernier n’étant pas nommé. Me Levy a par la suite confirmé avoir demandé ce relevé de compte (pages 696 et 697 du dossier des demandeurs).

[59] En ce qui concerne Mme Nathalie Bensmihan, le 14 mars 2017, M. Bergeron a reçu une copie du relevé de compte en fiducie de Me David Assor (page 689 du dossier des demandeurs). Cette inscription est contemporaine de la lettre du 13 mars 2017 adressée à l’ARC par MCharles Leibovich et jointe en tant que pièce D à son affidavit de 2019 (page 532 du dossier des demandeurs). Dans la lettre, Me Leibovich déclare qu’il joint une copie du grand livre de compte en fiducie de Me Assor, ainsi que le relevé bancaire correspondant. Dans la même lettre à l’ARC, Me Leibovich mentionne également que ces documents sont fournis [traduction] « en réponse à la question 16 », ce qui renvoie vraisemblablement au questionnaire de l’ARC adressé à sa cliente, Mme Nathalie Bensmihan.

[60] Le 20 mars 2017, M. Bergeron a demandé à sa personne‑ressource au ministère de la Justice de le conseiller quant à la possibilité de demander des renseignements à une banque. La personne‑ressource au ministère de la Justice l’a informé qu’il devrait attendre l’avis de l’avocat‑conseil et continuer de demander ces renseignements directement aux contribuables, puisque dans l’affaire Canada (Procureur général) c Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20 [Chambre des notaires], il avait été question de demander des renseignements « par en arrière », sans demander aux contribuables de renoncer au privilège (le nom et l’intitulé complets de l’affaire ne sont pas indiqués dans les notes de M. Bergeron).

[61] Toujours le 20 mars 2017, M. Bergeron a rencontré son superviseur. Ils ont convenu qu’il demanderait les renseignements directement aux contribuables. Ils feraient également une demande auprès de la banque au sujet d’un autre compte (et non celui de l’avocat), pour éviter de soulever des préoccupations chez l’avocat‑conseil.

[62] Pour des raisons évidentes, l’opinion que M. Bergeron a pu obtenir de l’avocat‑conseil ne figure pas au dossier.

[63] Le 22 mars 2017, Me Leibovich a communiqué avec M. Bergeron pour lui mentionner qu’il préférerait que la lettre adressée à sa cliente (Mme Nathalie Bensmihan) lui soit envoyée. Cela semble confirmer que M. Bergeron a effectivement demandé les renseignements directement aux contribuables.

[64] Le 23 mars 2017, l’ARC a envoyé à la Banque TD une demande de documents justificatifs concernant deux virements électroniques d’environ 425 000 $, dans le cadre de sa vérification de Mme Nathalie Bensmihan.

[65] Les 20 avril et 4 juillet 2017, la Banque TD a envoyé les renseignements à l’ARC.

[66] En août 2018, Mme Asselin, la vérificatrice de l’ARC responsable de la vérification de MM. Levett et Baazov, a été chargée des vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[67] En contre‑interrogatoire, Mme Asselin a confirmé que les demandes concernant le grand livre de compte en fiducie de Me Assor avaient été envoyées directement à Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan séparément, et que les documents avaient été fournis à l’ARC au moins deux fois, y compris par les avocats de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[68] Toujours en contre‑interrogatoire, Mme Asselin a confirmé qu’en octobre 2017, elle n’avait pas encore été affectée aux vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan. Elle a déclaré qu’elle n’était pas au courant de ce qui s’était fait dans leurs dossiers de vérification avant la réaffectation (page 1513 du dossier des demandeurs). Elle a déclaré que les épouses étaient nommées dans les demandes de renseignements dans le cadre des vérifications de leurs maris (pages 1507 et suivantes du dossier des demandeurs). Elle a attiré l’attention sur les questionnaires envoyés à MM. Levett et Baazov en juin 2015 et en mars 2016, qui contenaient des questions sur les actifs ainsi que les activités de l’épouse et de la famille de chaque contribuable, et elle a fait référence à des dépôts et des ventes d’actions inexpliqués.

[69] Enfin, en contre‑interrogatoire, Mme Asselin a décrit le processus à l’origine des demandes de renseignements et a confirmé le fait que l’autorité compétente qui avait signé les demandes s’était appuyée uniquement sur les renseignements du vérificateur (pages 1371 à 1375, 1380, 1385, 1390, 1437, 1438, 1513, 1526, 1527 et 1559 du dossier des demandeurs). Mme Asselin confirme que l’autorité compétente, qui émet les demandes de renseignements, est une équipe distincte d’employés de l’ARC située à Ottawa.

C. La vérification de la société 9179 par l’ARC

[70] En décembre 2016, l’ARC a également effectué une vérification de la société 9179, qui appartient à M. Levett, pour ses années d’imposition 2012 à 2014. Cela s’explique par le fait que l’ARC, vers février 2016, a obtenu de l’Agence du revenu du Québec des renseignements selon lesquels la société 9179 avait reçu en 2007 un prêt d’environ 1,3 million de dollars d’une entité suisse appelée Socimbal AG [Socimbal].

[71] Mme Asselin était aussi responsable de cette vérification. Son examen des dossiers financiers de la société a révélé que la société 9179 n’avait jamais remboursé de capital ou d’intérêt à Socimbal depuis 2007 (soit pendant une période de 10 ans à l’époque).

[72] Le 21 novembre 2017, Mme Asselin a envoyé des questions à Me Leibovich, avocat de la société 9179. Le 22 janvier 2018, il (1) a répondu que le contribuable (la société 9179) avait été présenté à Socimbal par un avocat de Montréal, en fournissant le nom et le numéro de téléphone d’une personne‑ressource chez Socimbal (à l’étranger); (2) a indiqué qu’aucun capital ni intérêt n’avait encore été remboursé, [traduction] « parce que le prêteur était satisfait du prêt »; (3) a fourni le document de décaissement de la société, ainsi que le contrat de prêt (pages 130 et suivantes du dossier des demandeurs).

[73] Le 1er février 2018, Mme Asselin a rencontré le représentant de la société 9179 pour obtenir des précisions et a été informée de nouveau que Socimbal était satisfaite du prêt.

[74] Le 19 avril 2018, l’ARC a émis les demandes de renseignements faisant l’objet du contrôle.

V. Les demandes de renseignements faisant l’objet du contrôle

A. M. Levett et Mme Nathalie Bensmihan/M. Baazov et Mme Cathy Bensmihan

[75] Le 31 octobre 2017, les deux couples, M. Craig Levett et Mme Nathalie Bensmihan ainsi que M. Ofer Baazov et Mme Cathy Bensmihan, ont chacun fait l’objet d’une demande de renseignements de l’ARC adressée aux autorités suisses (pages 59 à 62 du dossier des demandeurs).

[76] Les deux demandes de renseignements sont présentées dans une lettre du directeur de la Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes de la Division des services relatifs à l’autorité compétente de l’ARC, qui informe les autorités suisses que l’ARC mène deux vérifications interreliées et que les renseignements sollicités dans les deux demandes, bien qu’identiques, doivent faire l’objet de deux demandes distinctes.

[77] Le formulaire de demande de renseignements comporte sept sections : (1) Contribuable canadien; (2) Renseignements sur le conjoint; (3) Personne en possession des renseignements demandés; (4) Autres renseignements connexes (les années 2011 à 2015 étant indiquées comme étant les années visées par la vérification); (5) Contexte; (6) Lien (motifs de la demande de renseignements); (7) Renseignements demandés.

[78] La section Contexte indique, entre autres choses, que a) l’ARC effectue une vérification des contribuables et de leurs conjoints; b) l’AMF a saisi tous les documents des contribuables et, compte tenu de cette enquête en cours au Canada, il a été impossible pour l’ARC d’obtenir les renseignements demandés; c) les soupçons de l’ARC découlent en partie d’une décision rendue en avril 2017 par le Tribunal de l’AMF, jointe aux demandes de renseignements, et dont certains éléments sont décrits dans les demandes de renseignements; d) l’ARC a des préoccupations au sujet du revenu imposable et des dépôts inexpliqués de Mme Nathalie Bensmihan.

[79] L’ARC demande des renseignements à Hyposwiss Private Bank pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2015 concernant les comptes détenus par les contribuables, Zhappa Holdings ou Kilworthy Limited. L’ARC demande également des renseignements sur les comptes détenus par les contribuables ou Optivilla Holding.

B. La société 9179

[80] Le 19 avril 2018, la société 9179 a fait l’objet d’une demande de renseignements de l’ARC adressée à l’Administration fiscale fédérale suisse (pages 100 à 103 du dossier des demandeurs). M. Levett est un actionnaire de la société 9179.

[81] Encore une fois, la demande de renseignements est présentée dans une lettre du directeur de la Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes de la Division des services relatifs à l’autorité compétente de l’ARC, qui souligne que la demande de renseignements se rapporte à une vérification du contribuable pour les années d’imposition 2012 à 2014.

[82] La demande de renseignements contient 6 sections (les sections précitées, moins celle des [traduction] « Renseignements sur le conjoint »), et l’ARC demande essentiellement aux autorités suisses de solliciter de Socimbal sa liste d’actionnaires, la documentation relative au prêt et une explication des raisons pour lesquelles il n’a pas été remboursé.

[83] Il semble que les demandeurs aient contesté en vain les demandes de renseignements devant les tribunaux suisses en 2019. En effet, le défendeur présente dans son dossier une décision ayant pour référencce A et al v Swiss Federal Tax Administration (ESTV), A‑223/2019 [la décision de la cour suisse].

VI. Le cadre législatif

[84] Selon le mémoire des faits et du droit du PGC [le mémoire du PGC], le processus d’échange de renseignements entre le Canada et la Suisse a d’abord été inclus dans l’article 25 de la Convention Canada‑Suisse en matière d’impôt sur le revenu de 1976, incorporée dans le droit canadien au moyen de la Loi sur la Convention Canada‑Suisse en matière d’impôt sur le revenu (1976) (SC 1976‑77, c 29).

[85] Tel qu’il a été mentionné ci‑dessus, l’article 25 a été modifié par la Convention entre le Gouvernement du Canada et le Conseil fédéral suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, adoptée à Berne le 5 mai 1997, et modifiée par l’inclusion du Protocole interprétatif du 22 octobre 2010 (au moyen de l’article XI du Protocole amendant la Convention entre le Gouvernement du Canada et le conseil Fédéral Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, fait à Berne le 5 mai 1997) [le Protocole interprétatif]. L’amendement visait à rendre l’article 25 plus conforme à l’article 26 (intitulé « Échange de renseignements ») du Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE [le Modèle de Convention de l’OCDE].

[86] La version actuelle de l’article 25 se lit ainsi (dossier des demandeurs, page 2424) :

Échange de renseignements

1. Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements vraisemblablement pertinents pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou pour l’administration ou l’application de la législation interne relative aux impôts visés par la Convention, dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. L’échange de renseignements n’est pas limité par l’art. l.

2. Les renseignements reçus en vertu du par. 1 par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet État et ne sont communiqués qu’aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l’administration, l’établissement ou le recouvrement des impôts sur le revenu ou sur la fortune, par les procédures ou poursuites concernant ces impôts ou par les décisions sur les recours relatifs à ces impôts. Ces personnes ou autorités n’utilisent ces renseignements qu’à ces fins. Elles peuvent révéler ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements. Malgré ce qui précède, les renseignements reçus par un État contractant peuvent être utilisés à d’autres fins si la législation des deux États et l’autorité compétente de l’État requis autorisent pareille utilisation.

3. Les dispositions des par. 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l’obligation :

a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l’autre État contractant;

b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre État contractant

c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public.

4. Si des renseignements sont demandés par un État contractant conformément à cet article, l’autre État contractant utilise les pouvoirs dont il dispose pour obtenir les renseignements demandés, même s’il n’en a pas besoin à ses propres fins fiscales. L’obligation qui figure dans la phrase précédente est soumise aux limitations prévues au par. 3 sauf si ces limitations sont susceptibles d’empêcher un État contractant de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux‑ci ne présentent pas d’intérêt pour lui dans le cadre national.

5. En aucun cas les dispositions du par. 3 ne peuvent être interprétées comme permettant à un État contractant de refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux‑ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu’agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent aux droits de propriété dans une personne. Pour obtenir ces renseignements, les autorités fiscales de l’État contractant requis ont le droit, si l’exécution des obligations de celui‑ci en vertu du présent paragraphe le requiert, d’exiger la divulgation des renseignements visés par le présent paragraphe, malgré le par. 3 ou toute disposition contraire de la législation interne de cet État.

[87] L’article 25 doit être interprété conformément à la Loi sur l’interprétation des conventions en matière d’impôts sur le revenu (LRC 1985, c I‑4), à la Convention complémentaire de 2012, mise en œuvre en tant que partie 6 de la Loi de 2013 pour la mise en œuvre de conventions fiscales, LC 2013, c 27, au Protocole interprétatif annexé à la Convention, aux commentaires sur le Modèle de Convention de l’OCDE (selon Pacific Network Services Ltd c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CFPI 1158 [Pacific Network]; Société de fiducie Blue Bridge Inc c Canada (Revenu national), 2020 CF 893 [Blue Bridge] au para 20) et au Manuel de mise en œuvre des dispositions concernant l’échange de renseignements à des fins fiscales (Paris, OCDE, 2006), [le Manuel de l’OCDE].

[88] L’article 2 du Protocole interprétatif annexé à la Convention se lit ainsi :

2. En ce qui concerne l’article 25 :

a) Il est entendu qu’une demande de renseignements n’est présentée qu’une fois que l’État contractant requérant a utilisé tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements.

b) Il est entendu que l’autorité compétente de l’État requérant qui présente une demande de renseignements en vertu de l’art. 25 de la Convention fournit les renseignements suivants à l’autorité compétente de l’État requis :

i) le nom et, dans la mesure où ils sont connus, d’autres renseignements, comme l’adresse, le numéro de compte ou la date de naissance, permettant d’identifier la ou les personnes faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête,

ii) la période visée par la demande de renseignements,

iii) les indications concernant les renseignements recherchés, notamment leur nature et la forme sous laquelle l’État requérant souhaite recevoir les renseignements de l’État requis,

iv) le but fiscal dans lequel les renseignements sont demandés,

v) le nom et, dans la mesure où elle est connue, l’adresse de toute personne dont il y a lieu de penser qu’elle est en possession des renseignements demandés.

c) Il est entendu que la norme de « pertinence vraisemblable » a pour but d’assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible tout en indiquant clairement qu’il n’est pas loisible aux États contractants « d’aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé. Bien que le par. 2 let. b) contienne d’importantes exigences de procédure qui ont pour but d’empêcher la « pêche aux renseignements », les ch. i) à v) de cet alinéa doivent néanmoins être interprétés de façon à ne pas nuire à l’échange effectif de renseignements.

d) Bien que l’art. 25 de la Convention ne limite pas les méthodes possibles d’échange de renseignements, les États contractants ne sont pas tenus par cet article de procéder à un échange de renseignements spontané ou automatique.

e) Il est entendu que, en cas d’échange de renseignements, les règles de procédure administrative concernant les droits accordés aux contribuables dans l’État contractant requis demeurent applicables avant que les renseignements soient échangés avec l’État contractant requérant. Il est également entendu que la présente disposition a pour but d’assurer au contribuable une procédure juste et non d’empêcher ou de retarder indûment le processus d’échange de renseignements.

[89] Conformément à ces textes faisant autorité, la Convention doit être interprétée de manière large et libérale, pour donner effet à ses dispositions (voir, par exemple, le Manuel de l’OCDE, aux p 9‑11).

[90] Je suis donc convaincue que l’ARC avait une certaine marge de manœuvre quant aux renseignements qu’elle pouvait demander aux termes de la Convention pour s’assurer que les contribuables canadiens paient leurs impôts conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu.

[91] Conformément à l’article 14 de la Loi de 2013 pour la mise en œuvre de conventions fiscales, la Convention a préséance sur la législation interne lorsque celle‑ci est incompatible avec la Convention.

[92] Aux termes du paragraphe 1 de l’article 25 de la Convention, la norme à appliquer consiste à déterminer si les renseignements demandés sont « vraisemblablement pertinents » pour l’application par le pays requérant de ses propres lois.

[93] L’objectif de la norme voulant que les renseignements soient « vraisemblablement pertinents » est de maximiser l’étendue des renseignements qui peuvent être échangés. Notre Cour a récemment interprété cette norme dans la décision Blue Bridge :

[90] [...] Partant, le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable, eu égard d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

[91] Accepter l’interprétation de Blue Bridge irait à l’encontre de l’objectif premier de l’article 26 de la Convention, qui, répétons‑le, est de favoriser dans la mesure la plus large possible la portée de l’échange de renseignements. L’article 26 précise que les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements « vraisemblablement pertinents » pour appliquer les dispositions de la Convention.

[92] Dans ces circonstances, il était tout à fait indiqué que l’analyse du ministre porte sur la pertinence vraisemblable des renseignements requis par la France, tel que prévu au paragraphe 1 de l’article 26 de la Convention et en accord avec les principes issus des travaux de l’OCDE ainsi que du Forum mondial.

[94] Conformément à l’alinéa 2a) du Protocole interprétatif, précité, avant de présenter une demande de renseignements, le Canada doit épuiser tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements. Conformément à l’alinéa 2b), l’autorité compétente de l’État requérant doit fournir certaines informations à l’autorité compétente de l’État requis. Les renseignements sont tenus secrets et ne peuvent être utilisés qu’aux fins qui ont justifié la demande.

[95] Dans le droit canadien, l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu protège la confidentialité des renseignements des contribuables :

Communication de renseignements

241 (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance‑chômage ou de la Loi sur l’assurance‑emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

[96] Toutefois, le sous‑alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi de l’impôt sur le revenu crée une exception pour les renseignements fournis aux termes d’une « disposition d’un traité fiscal ou d’un accord international désigné ».

VII. Les questions soumises à la Cour

[97] La Cour doit déterminer la norme de contrôle appropriée et examiner les huit arguments soulevés par les demandeurs dans leurs avis de demande modifiés, c’est‑à‑dire :

1. L’ARC a demandé et obtenu illégalement auprès de l’AMF des renseignements confidentiels concernant MM. Levett et Baazov;

2. L’ARC a agi en se fondant sur de simples soupçons non documentés de l’AMF;

3. L’ARC a demandé et obtenu illégalement des renseignements privilégiés et confidentiels concernant Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, en violation de leurs droits au secret professionnel, au privilège des communications entre client et avocat ainsi qu’à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives;

4. L’ARC a agi en se fondant sur des allégations de faits non pertinentes;

5. Les demandes de renseignements sont invalides, parce que l’ARC n’a pas épuisé les recours nationaux;

6. L’ARC a agi en se fondant sur des allégations de faits qui étaient fausses et qu’elle savait être fausses;

7. Les demandes de renseignements sont invalides, parce que l’ARC a divulgué illégalement des renseignements confidentiels sur les contribuables;

8. L’ARC n’a pas fait une communication entière et franche des renseignements aux autorités suisses.

VIII. Observations des parties et analyse

A. La norme de contrôle

[98] Les demandeurs reconnaissent que la norme de contrôle présumée, selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], est la décision raisonnable. Ils soutiennent que le caractère raisonnable s’applique à toutes les questions, sauf la question du secret professionnel de l’avocat concernant Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[99] Toutefois, en ce qui concerne le caractère raisonnable, les demandeurs ajoutent que deux cadres d’analyse différents s’appliquent, selon la question. Ils soutiennent que le cadre du caractère raisonnable énoncé dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré] s’applique aux questions liées aux renseignements confidentiels prétendument obtenus par l’ARC auprès de l’AMF et aux allégations de divulgation de renseignements sur les contribuables aux autorités suisses, alors que le cadre établi dans l’arrêt Vavilov s’applique à toutes les autres questions.

[100] Le PGC répond que, bien qu’une demande de renseignements [traduction] « ne constitue pas une décision », la norme présumée de la décision raisonnable s’applique (mémoire du PGC, au par. 15). Le PGC ajoute que les demandes de renseignements justifient [traduction] « une très grande déférence », car les pouvoirs d’enquête de l’ARC sont exercés conformément à son mandat de protéger l’assiette fiscale canadienne (citant Schreiber c Canada (Procureur général), [2000] 1 CF 427 au par. 39).

[101] Le PGC n’est pas d’accord pour dire que la norme de la décision correcte s’applique à certains des arguments des demandeurs. Le PGC soutient que le simple fait que les demandes de renseignements touchent leurs droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte], ne justifie pas l’application de la norme de la décision correcte (selon Doré et Vavilov). Le PGC fait valoir que le pouvoir d’émettre une demande de renseignements est discrétionnaire et que son incidence sur les droits garantis par la Charte n’est qu’un des facteurs qui entrent en jeu dans son exercice.

[102] Le PGC soutient donc que toutes les questions sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable.

[103] Comme il est précisé ci‑dessous, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que les articles 7 et 8 de la Charte étaient en cause ou que l’allégation de violation du privilège des communications entre client et avocat était pertinente à la présente demande. Par conséquent, la norme applicable à toutes les questions est celle du caractère raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[104] Je conviens avec le PGC que la décision d’émettre une demande de renseignements sera raisonnable si l’ARC avait le pouvoir de le faire et s’est conformée aux exigences de la loi. Les demandes de renseignements doivent être examinées avec beaucoup de retenue. Elles sont examinées globalement, en tenant compte des contraintes juridiques et factuelles pertinentes auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 99‑101).

B. Le premier argument : l’ARC a demandé et obtenu illégalement auprès de l’AMF des renseignements confidentiels concernant MM. Levett et Baazov

(1) Les observations des parties

[105] Les demandeurs soutiennent que l’ARC a pris des raccourcis illégaux pour présenter ses demandes de renseignements concernant MM. Levett et Baazov. Ils font valoir que l’ARC a demandé des renseignements à l’AMF au sujet d’une enquête en cours sur les délits d’initié, alors qu’elle savait ou aurait dû savoir que la communication de ces renseignements était interdite par la loi applicable, puisqu’elle a fondé ses demandes de renseignements uniquement sur des renseignements non confirmés, contenus dans la décision du Tribunal de l’AMF qu’elle a reçue de l’AMF. Les demandeurs soulignent en particulier les renseignements concernant un compte bancaire qui serait contrôlé par Kilworthy Limited avec Hyposwiss Private Bank, ainsi qu’un compte bancaire qui serait contrôlé par Optivilla Holding avec l’UBP.

[106] Les demandeurs soutiennent que tout renseignement obtenu par l’AMF dans le cadre d’une enquête est confidentiel aux termes de l’article 15.2 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers, RLRQ, c A‑33.2 [la Loi sur l’AMF], (renommée en 2018 la Loi sur l’encadrement du secteur financier, RLRQ, c E‑6.1) et l’article 297 de la Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c V‑1.1 [la LVM]. Ils ajoutent qu’il n’y avait aucune disposition dans la Loi sur l’AMF, dans la LVM ou dans leurs règlements d’application qui aurait permis à l’AMF de communiquer des renseignements ou des documents à l’ARC.

[107] Les demandeurs soulignent que l’ARC s’est non seulement appuyée sur la décision obtenue illégalement auprès du Tribunal de l’AMF, mais qu’elle a aussi présenté de façon inappropriée dans ses demandes de renseignements la fiabilité des renseignements contenus dans la décision, présentant de simples soupçons comme des faits et tentant de discréditer MM. Baazov et Levett, alors que l’AMF, une fois son enquête approfondie terminée, a simplement fermé le dossier sans poursuivre MM. Levett et Baazov.

[108] Les demandeurs soutiennent que la conduite de l’ARC a porté atteinte à leur droit à la liberté et à la sécurité de leur personne et à leur droit de ne pas en être privé, sauf conformément aux principes de justice fondamentale, droits qui sont garantis par l’article 7 de la Charte, ainsi que leur droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte.

[109] Les demandeurs soutiennent que les demandes de renseignements, les affidavits de Mme Asselin et les documents transmis ne tiennent pas compte des objectifs de la loi, de la nature confidentielle des renseignements que l’ARC a demandés à l’AMF, des droits de MM. Baazov et Levett garantis par les articles 7 et 8 de la Charte, de la meilleure façon de protéger les valeurs de la Charte, ou ne font ressortir aucune tentative de la part de l’ARC pour les équilibrer en fonction de l’arrêt Doré.

[110] Par conséquent, les demandeurs soutiennent que les demandes de renseignements sont déraisonnables et qu’il y a lieu de les annuler au titre de l’article 24 de la Charte, afin de remédier aux présumées violations de la Charte.

[111] Le PGC répond que (1) les renseignements obtenus de l’AMF n’étaient pas confidentiels, car la décision du Tribunal de l’AMF était un document public aux termes des articles 15.1, 16 et 107 de la Loi sur l’AMF; (2) la vérificatrice de l’ARC savait qu’aucune preuve documentaire provenant d’une institution financière ou d’un organisme de réglementation étranger concernant les comptes bancaires de Kilworthy Limited et d’Optivilla Holding n’avait été présentée au Tribunal de l’AMF (page 452 du dossier du défendeur) et qu’on ne peut lui reprocher d’avoir présenté des renseignements non confirmés aux autorités suisses ou d’avoir tenté de discréditer MM. Levett et Baazov; (3) le libellé utilisé dans les demandes de renseignements montre que les renseignements présentés au Tribunal de l’AMF n’ont pas été pris au pied de la lettre et n’ont pas été présentés comme des faits; (4) en tout état de cause, la décision du Tribunal de l’AMF était jointe aux demandes de renseignements; (5) les demandes de renseignements ne sont pas uniquement fondées sur les renseignements figurant dans la décision du Tribunal de l’AMF, la vérificatrice ayant reçu des renseignements d’un pays partenaire et recueilli d’autres renseignements sur des forums de discussion. Ses soupçons ont également été causés par des dépôts et des placements importants inexpliqués, compte tenu du revenu imposable des demandeurs.

(2) Décision

[112] Voici ce que dit l’article 15.2 de la Loi sur l’AMF :

Malgré toute autre disposition de la présente loi ou d’une loi visée à l’article 7, un renseignement ou document obtenu conformément à l’article 15.1 est confidentiel et ne peut être utilisé ou communiqué à moins que cette utilisation ou communication ne soit conforme aux articles 15.3 à 15.7.

La divulgation d’un tel renseignement ou document, de même que son utilisation ou sa communication effectuée conformément à l’un des articles 15.3 à 15.7, ne peut avoir pour effet d’affecter, à tout autre égard, le droit au respect du secret professionnel

[113] L’article 107 de la Loi sur l’AMF dispose que la « décision du Tribunal [de l’AMF] est publiée au Bulletin prévu à l’article 34 ».

[114] Les demandeurs soutiennent à juste titre que la vérificatrice de l’ARC a communiqué avec l’AMF au cours de son enquête, et le PGC le confirme. Cependant, je n’ai pas été convaincue que l’ARC avait demandé et obtenu illégalement des renseignements confidentiels de l’AMF concernant MM. Levett et Baazov.

[115] Je conclus que :

1. Les demandeurs n’ont pas démontré que, selon le libellé de la Loi sur l’AMF, il était illégal pour l’ARC de solliciter de l’AMF des renseignements, même des renseignements confidentiels;

2. Quoi qu’il en soit, les demandeurs n’ont pas établi que l’ARC avait sollicité de l’AMF des renseignements confidentiels, car la preuve montre qu’elle a sollicité des renseignements sur la procédure que peuvent suivre les contribuables pour récupérer des copies de documents saisis et sur l’état de l’enquête (essentiellement des renseignements sur la question de savoir si l’enquête était terminée ou non);

3. L’ARC n’a pas obtenu de renseignements confidentiels, car le seul document qu’elle a obtenu est la décision du Tribunal de l’AMF, qui n’est pas confidentielle au sens des articles 15.1 et 107 de la Loi sur l’AMF;

4. Quoi qu’il en soit, le dossier montre que l’ARC ne s’est pas fondée uniquement sur les renseignements contenus dans la décision du Tribunal de l’AMF au moment d’émettre les demandes de renseignements concernant MM. Levett et Baazov. En contre‑interrogatoire (et comme il a été mentionné ci‑dessus), Mme Danielle Asselin a déclaré que les soupçons de l’ARC, selon lesquels les demandeurs n’avaient pas déclaré des actifs étrangers, étaient également fondés sur des opérations inexpliquées, compte tenu des actifs et du revenu canadiens des demandeurs ainsi que des renseignements extraits d’Internet, notamment sur des forums allemands;

5. Il ne semble pas que l’ARC ait présenté de simples soupçons comme des faits et, de toute façon, l’ARC a joint la décision du tribunal de l’AMF aux demandes de renseignements. La décision était donc à la disposition des autorités suisses, qui ont pu apprécier la nature et la fiabilité des allégations;

6. Les demandeurs n’ont pas démontré comment les articles 7 et 8 de la Charte entraient en jeu. Les demandeurs n’ont présenté aucun texte faisant autorité permettant de croire que la protection des renseignements confidentiels sous le régime de la Loi sur l’AMF a été acceptée comme principe de justice fondamentale ou que le fait de demander ou d’obtenir ces renseignements, s’ils étaient confidentiels, équivalait à une perquisition ou saisie abusive.

[116] De plus, les demandeurs n’ont pas expliqué comment certains des concepts et principes influent sur la validité ou la légalité des demandes de renseignements. Par exemple, ils affirment que le fait que l’ARC se soit appuyée sur la décision administrative était [traduction] « inapproprié » (mémoire des demandeurs, au par. 80) et que l’ARC a cherché, dans les demandes de renseignements, à [traduction] « discréditer » les demandeurs (mémoire des demandeurs, au par. 82). Les demandeurs n’ont pas expliqué en détail en quoi cela correspondait à des concepts juridiques, et ils n’ont cité aucun texte faisant autorité en ce sens. Même si leurs observations étaient fondées, ils n’ont pas démontré comment ces allégations générales auraient une incidence sur les présentes demandes.

[117] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue qu’il était illégal pour l’ARC de demander les renseignements qu’elle demandait à l’AMF, ni qu’il était illégal pour l’ARC d’obtenir une copie de la décision du Tribunal de l’AMF. Comme les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la Charte entrait en jeu, il n’est pas nécessaire de tenir compte du cadre énoncé dans l’arrêt Doré, comme l’ont laissé entendre les demandeurs.

C. Le deuxième argument : l’ARC a agi en se fondant sur de simples soupçons non documentés de l’AMF

(1) Les observations des parties

[118] Les demandeurs soutiennent que certaines allégations faites par l’ARC dans la section [traduction] « Contexte » des demandes de renseignements concernant MM. Levett et Baazov, concernant un compte bancaire supposément contrôlé par une entité connue sous le nom de Kilworthy Limited avec Hyposwiss et une autre connue sous le nom d’Optivilla Holding avec l’UBP, étaient fondés sur les soupçons de l’AMF, détaillés dans la décision du Tribunal de l’AMF.

[119] Comme il a été mentionné précédemment, le PGC soutient qu’on ne peut pas reprocher à la vérificatrice de l’ARC d’avoir présenté des renseignements non confirmés, car elle se retrouverait autrement dans une impasse, n’étant pas en mesure de vérifier les renseignements ni de les utiliser pour calculer les impôts dus par les demandeurs, parce que les renseignements n’ont pas été confirmés.

(2) Décision

[120] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que cet argument peut être retenu pour les motifs énoncés par le PGC.

[121] Comme je l’ai mentionné, je conclus que les soupçons de l’AMF n’ont pas été présentés comme étant plus fiables qu’ils ne l’étaient et que, de toute façon, l’ARC a joint la décision du Tribunal de l’AMF aux demandes de renseignements pour que les autorités suisses puissent apprécier la fiabilité des renseignements. Les demandeurs ne m’ont pas non plus convaincue que ces soupçons constituaient [traduction] « le cœur » des demandes de renseignements concernant MM. Levett et Baazov (mémoire des demandeurs, au par. 90).

[122] Je conclus en outre que rien n’empêchait la vérificatrice de l’ARC de présenter fidèlement des renseignements non confirmés ou des soupçons.

[123] Par conséquent, le deuxième argument des demandeurs ne me convainc pas qu’il était déraisonnable de la part de l’ARC de présenter les renseignements comme elle l’a fait, ni que leur présentation entache fatalement les demandes de renseignements.

D. Le troisième argument : l’ARC a demandé et obtenu illégalement des renseignements privilégiés et confidentiels concernant Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, en violation de leurs droits au secret professionnel, au privilège des communications entre client et avocat ainsi qu’à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives

(1) Les observations des parties

[124] Les demandeurs soutiennent que l’ARC a violé les droits constitutionnels de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan au secret professionnel, au privilège des communications entre client et avocat ainsi qu’à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, lorsqu’elle a demandé et obtenu illégalement des renseignements privilégiés et confidentiels, en violation de la loi et de ses propres lignes directrices internes concernant le privilège des communications entre client et avocat.

[125] Ils citent l’arrêt Chambre des notaires et soutiennent que l’ARC était pleinement au courant de la nature privilégiée du grand livre de compte en fiducie de Me Assor et des relevés bancaires concernant son compte bancaire ainsi que des opérations correspondantes dans les comptes de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan. Ils ajoutent que l’ARC a quand même contrevenu à l’avis de l’avocat‑conseil du ministère de la Justice et a émis une demande au titre de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[126] Les demandeurs ajoutent que les renseignements obtenus par l’ARC à la suite de ces violations ont été recueillis avant l’émission des demandes de renseignements concernant MM. Levett et Baazov, qu’ils faisaient partie du dossier mis à la disposition de l’ARC au moment de l’émission des demandes de renseignements, et qu’ils constituaient la base sur laquelle l’ARC a fait un certain nombre de déclarations concernant les actifs bancaires ou revenus étrangers prétendument non déclarés de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan. Dans la section contexte des deux demandes de renseignements, ils relèvent trois exemples de dépôts bancaires et de placements qui, selon l’ARC, ne peuvent trouver leur explication dans les revenus et actifs canadiens de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[127] Les demandeurs soulignent, à cet égard, que la réponse de l’ARC faite au titre de l’article 318 des Règles comprenait les renseignements sur Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, et que les notes pour le dossier (T2020) concernant les vérifications des Bensmihan indiquent que Mme Asselin a discuté du dossier avec M. Bergeron le 16 novembre 2016 (page 695 du dossier des demandeurs). Ainsi, font‑ils valoir, comme les vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan faisaient partie du dossier utilisé pour préparer et envoyer les demandes de renseignements, une violation de la Charte dans le cadre des vérifications est fatale aux demandes mêmes de renseignements.

[128] Les demandeurs font valoir que les décisions sont incorrectes, appliquant en cela la norme de la décision correcte énoncée dans Vavilov à l’égard des questions de privilège des communications entre client et avocat (qui est une question d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, selon les paragraphes 59 et 60).

[129] Les demandeurs ajoutent que, puisque l’ARC n’a pas tenu compte des supposées violations de la Charte lorsqu’elle a émis les demandes de renseignements, les décisions devraient être annulées (selon l’arrêt Vavilov). Subsidiairement, les demandeurs soutiennent encore une fois que les décisions devraient être annulées au titre de l’article 24 de la Charte.

[130] Le PGC répond que l’ARC n’a pas obtenu de renseignements en violation du privilège des communications entre client et avocat.

[131] Le PGC soutient d’abord que l’argument des demandeurs n’est pas pertinent aux demandes de renseignements, puisque le grand livre de compte en fiducie de Me Assor et les dossiers bancaires correspondants ont été obtenus uniquement dans le cadre des vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, qui, à l’époque, étaient effectuées par un autre vérificateur (M. Bergeron). Mme Asselin a été affectée à leurs vérifications en 2018, après l’émission des demandes de renseignements. Au moment de l’émission des demandes, elle n’était pas au courant de ces renseignements concernant Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[132] Le PGC soutient en outre que le ministre n’a pas violé le droit des demandeurs à la protection du privilège des communications entre client et avocat. Il cite la définition du « privilège des communications entre client et avocat » énoncée à l’article 232 de la Loi de l’impôt sur le revenu et soutient qu’un compte en fiducie n’est pas, en soi, toujours protégé par le privilège des communications entre client et avocat. Au lieu de cela, les transactions sous‑jacentes qui y sont reflétées peuvent être assujetties au privilège, et, en l’espèce, les transactions ne semblent pas être objectivement liées aux demandeurs qui demandent ou reçoivent des conseils juridiques.

[133] Le PGC soutient que, de toute façon, l’état de compte a été remis à l’ARC par MCharles Leibovich et, par la suite, par MSteve Levy (avocat de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan) volontairement et sans que soit revendiqué le privilège. De plus, le PGC répond que la demande péremptoire subséquente de renseignements faite à la Banque TD au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu découle des documents sources fournis volontairement par les représentants de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

(2) Décision

[134] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que leur argument pouvait être retenu, étant donné ce qui suit : (1) ils n’ont pas démontré que tous les critères requis pour établir le privilège des communications entre client et avocat avaient été remplis; (2) de toute façon, le grand livre de compte en fiducie a été demandé aux contribuables mêmes et, ce qui est important, a été remis volontairement à l’ARC par leurs avocats, bien que la demande de renseignements subséquente soumise à la Banque TD ait découlé des documents sources; (3) le grand livre de compte en fiducie et les relevés bancaires correspondants ont été obtenus uniquement dans le cadre des vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, qui ne sont pas liées aux vérifications ayant mené à l’émission des demandes de renseignements.

[135] Premièrement, les demandeurs n’ont pas expliqué comment les renseignements pertinents étaient assujettis au privilège. Ils ont confirmé que Me Assor était l’avocat de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, mais n’ont pas expliqué en détail comment les documents relatifs au compte en fiducie se rapportaient à la demande ou à la prestation de conseils juridiques (Pritchard c Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31 au para 15).

[136] Deuxièmement, s’il s’agissait de renseignements protégés par le privilège, je comprends que, en vertu des arrêts Chambre des notaires et R c McKinlay Transport Ltd, [1990] 1 RCS 627, la Charte peut entrer en jeu dans des questions de privilège des communications entre client et avocat (1) au titre de l’article 7, puisque le privilège a été reconnu comme un principe de justice fondamentale; (2) au titre de l’article 8, puisque les demandes émises sous l’article 231 de la Loi de l’impôt sur le revenu peuvent constituer une saisie, qui sera généralement qualifiée de déraisonnable si elle est exécutée en violation du privilège des communications entre client et avocat.

[137] En ce qui concerne le privilège, la preuve montre que l’ARC a reçu les documents deux fois, des avocats respectifs de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, qui étaient autorisés à communiquer avec l’ARC (pages 688 et 696 du dossier des demandeurs).

[138] En outre, la note pour le dossier (T2020) concernant Mme Nathalie Bensmihan indique que le vérificateur a décidé d’envoyer ses demandes directement aux contribuables, Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, afin de répondre aux préoccupations soulevées dans l’arrêt Chambre des notaires. Comme il a déjà été mentionné, Mme Asselin a confirmé en contre‑interrogatoire que les demandes avaient été envoyées aux contribuables, et les demandeurs n’ont pas soutenu le contraire. Les contribuables ont donc été clairement informés des demandes de l’ARC, et rien n’indique qu’en tant que détenteurs du privilège, ils n’ont pas renoncé à ce dernier.

[139] La préoccupation déterminante soulevée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chambre des notaires, concernant l’absence d’un système permettant de s’assurer que le contribuable était au courant de la demande faite à son avocat, n’est pas en jeu ici. En formulant leur question, les demandeurs tentent d’aligner les faits sur ceux de l’affaire Chambre des notaires. Est défendu dans cette affaire le principe selon lequel l’ARC ne peut généralement pas présenter une demande à caractère coercitif (une demande péremptoire, ou le fait d’« exiger » au sens de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu) à un tiers pour obtenir des renseignements qui sont ou peuvent être assujettis au privilège. Comme le laissent entendre les demandeurs, le vérificateur de l’ARC semble avoir été avisé par l’avocat‑conseil, au moment où il a demandé les renseignements, qu’il devrait demander les renseignements au contribuable, et non pas les obtenir par l’entremise d’un tiers, ce qui ferait entrer en jeu l’arrêt Chambre des notaires.

[140] Deux choses se sont produites en l’espèce. Ni l’une ni l’autre ne fait entrer en jeu l’arrêt Chambre des notaires.

[141] Premièrement, l’ARC a demandé les renseignements directement aux contribuables, et les représentants des contribuables ont remis les renseignements demandés à l’ARC. Selon l’arrêt Chambre des notaires, il est interdit de soumettre des demandes à de tiers avocats lorsqu’elles ont un caractère coercitif et (contrairement à ce qui se passe ici) qu’il n’existe pas de mécanisme visant à assurer que le contribuable en est informé. Il n’est satisfait à ni l’une ni l’autre exigence.

[142] Compte tenu des faits présentés en preuve dans la présente instance, lorsqu’elle a obtenu les documents relatifs au compte en fiducie de Me Assor, l’ARC pouvait raisonnablement conclure, soit que (1) le privilège ne s’appliquait pas, puisque les documents relatifs au compte en fiducie ne contenaient aucun renseignement relatif à des conseils juridiques, d’autant plus que les états de compte en fiducie ne sont pas toujours assujettis au privilège; soit que (2) Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, ayant reçu la demande directement, ont renoncé au privilège, qui est leur, et ont autorisé leurs représentants à remettre le document à l’ARC.

[143] Deuxièmement, après avoir obtenu l’état de compte et les renseignements concernant les transferts en 2017, l’ARC a cherché à confirmer (encore une fois en 2017) les transactions avec la Banque TD (pages 2300 et suivantes du dossier des demandeurs). L’ARC a obtenu les renseignements sous‑jacents de l’avocat des demandeurs, qui les a fournis volontairement. Ensuite, elle a confirmé les renseignements auprès de la banque, comme elle le fait généralement, en application de sa politique. Comme les renseignements ont d’abord été communiqués volontairement, il était raisonnable de supposer que l’arrêt Chambre des notaires ne s’appliquait pas.

[144] Troisièmement, et de toute façon, même si les renseignements avaient été transmis par les avocats des contribuables à l’ARC en violation du privilège des communications entre client et avocat, je suis convaincue que la preuve au dossier établit que ces renseignements n’ont pas été utilisés pour prendre ou étayer la décision d’émettre les demandes de renseignements.

[145] La preuve montre que Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan ont été mentionnées dans les demandes de renseignements afin de vérifier si leurs maris les avaient utilisées comme prête‑noms pour ouvrir des comptes bancaires à l’étranger ou pour détenir des actifs à l’étranger. Cela se reflète dans les questionnaires que l’ARC a envoyés à MM. Levett et Baazov en juin 2015 et en mars 2016 dans le cadre de leurs vérifications.

[146] Mme Asselin, la vérificatrice qui a préparé le rapport pour l’autorité compétente qui a officiellement émis les demandes de renseignements, n’était pas impliquée dans les vérifications de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan au moment de l’émission des demandes de renseignements, et elle a confirmé qu’elle n’était pas au courant de ce qui se passait dans leur dossier.

[147] Le fait qu’elle ait répondu à certaines questions et fourni des renseignements à M. Bergeron en novembre 2016 ne remplace ni ne contredit cette preuve ni son témoignage. Les renseignements figurant dans le grand livre de compte en fiducie de l’avocat et les relevés de compte de la Banque TD étaient donc inconnus du vérificateur qui a préparé les demandes de renseignements, et l’autorité compétente s’est appuyée uniquement sur le rapport du vérificateur pour émettre les demandes de renseignements. Les demandeurs n’ont pas établi que les renseignements contenus dans les dossiers de vérification de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, même s’ils avaient été obtenus en violation du secret professionnel de l’avocat, ont joué un rôle dans l’émission des demandes de renseignements.

[148] Enfin, il semble que les renseignements relatifs au grand livre de compte en fiducie de l’avocat n’ont pas été déposés avec les certificats émis au titre de l’article 318 des Règles, mais qu’ils ont été joints au premier affidavit de Mme Asselin à titre de pièces.

[149] La seule preuve indiquant le contraire se trouve dans les pièces du deuxième affidavit de Me Leibovich, que j’ai radié du dossier. Les demandeurs ont choisi de ne pas présenter d’affidavit de Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan ou de Me Assor, et ils n’ont pas expliqué pourquoi ces témoins n’étaient pas disponibles. Comme je l’ai mentionné précédemment, même avec les éléments de preuve que j’ai jugés inadmissibles, l’allégation de violation du privilège des communications entre client et avocat échouerait.

E. Le quatrième argument : l’ARC a agi en se fondant sur des allégations de faits non pertinentes

(1) Les observations des parties

[150] Les demandeurs soutiennent que l’ARC a agi de façon inappropriée en se fondant sur des allégations de faits non pertinentes concernant MM. Levett et Baazov ainsi que Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan.

[151] En ce qui concerne MM. Levett et Baazov, les demandeurs qualifient de non pertinents le fait que des documents aient été saisis par l’AMF, car ces documents concernaient des sociétés et des actifs canadiens, et le fait que MM. Levett et Baazov étaient soupçonnés par l’AMF d’enfreindre les lois sur les valeurs mobilières, ce qui n’était pas pertinent pour les besoins des demandes de renseignements.

[152] En ce qui concerne Mmes Cathy et Nathalie Bensmihan, les demandeurs font valoir que les demandes de renseignements contiennent six énoncés précis qui ne sont pas pertinents.

[153] Le PGC répond que les demandes de renseignements ne sont pas fondées sur des ajouts non pertinents de renseignements. Il soutient que l’ajout de renseignements contextuels aux demandes de renseignements n’a aucune incidence sur leur validité. Bien que l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif énumère les renseignements à fournir à l’autorité compétente, le PGC soutient que les éléments prétendument non pertinents ont été fournis dans le but de donner un contexte global aux demandes de renseignements. Le PGC ajoute que la Cour ne peut se prononcer sur le caractère raisonnable des demandes de renseignements sur la base d’une perception de l’influence ou des effets prévus de ces éléments sur les autorités suisses.

(2) Décision

[154] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que les renseignements n’étaient pas pertinents et que, de toute façon, le fait de fournir des renseignements non pertinents aux autorités suisses influe sur le caractère raisonnable des demandes de renseignements. J’explique plus loin (par rapport au septième argument des demandeurs) pourquoi une interprétation restrictive de la Convention est inappropriée.

F. Le cinquième argument : les demandes de renseignements sont invalides, parce que l’ARC n’a pas épuisé les recours nationaux.

(1) Les demandes de renseignements concernant MM. Baazov et Levett

a) Les observations des parties

[155] Les deux parties conviennent qu’aux termes de l’alinéa 2a) du Protocole interprétatif, avant d’envoyer une demande de renseignements au titre de l’article 25 de la Convention, l’ARC doit avoir « utilisé tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements ».

[156] Les demandeurs soutiennent que l’ARC ne l’a pas fait. Le PGC répond qu’elle l’a fait.

[157] En ce qui a trait aux demandes de renseignements et aux vérifications concernant MM. Baazov et Levett, les demandeurs soutiennent que l’ARC aurait pu (1) présenter une demande écrite de renseignements aux demandeurs; (2) utiliser ses pouvoirs de vérification en vertu de l’article 231.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour inspecter, vérifier ou examiner leurs livres et registres, afin de tenter de trouver les renseignements; (3) utiliser les pouvoirs en matière d’observation de la loi que lui confère l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour exiger des renseignements; (4) demander une ordonnance enjoignant d’observer, au titre de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour les obliger à fournir les renseignements ou documents visés dans les demandes de renseignements.

[158] Les demandeurs ajoutent que l’ARC ne leur a jamais demandé de renseignements concernant les années d’imposition 2014 et 2015, qui ne sont pas visées par la vérification de l’ARC, mais qui le sont par les demandes de renseignements.

[159] Le PGC répond que le ministre a épuisé tous les recours nationaux raisonnables disponibles. En ce qui concerne les vérifications de MM. Baazov et Levett, le PGC insiste sur le fait que l’ARC a essayé d’obtenir plus de renseignements de MM. Levett et Baazov, qui, bien qu’ils aient eu de nombreuses occasions de divulguer les intérêts étrangers qu’ils ont pu avoir, ont toujours nié en avoir.

[160] Enfin, le PGC soutient que la décision de la cour suisse (mentionnée ci‑dessus et ayant pour référence A et al v Swiss Federal Tax Administration (ESTV), A‑223/2019) appuie la conclusion selon laquelle le ministre a épuisé tous les recours raisonnables pour obtenir les renseignements.

b) Décision sur les demandes de renseignements concernant MM. Baazov et Levett

[161] Je suis d’accord pour dire que l’ARC n’a pas l’obligation de recourir à tous les recours nationaux disponibles. Au lieu de cela, conformément à l’alinéa 2a) du Protocole interprétatif, l’ARC devait prendre « tous les moyens raisonnables et disponibles selon sa procédure fiscale interne pour obtenir les renseignements ». L’interprétation des demandeurs n’est pas conforme au libellé de la Convention (voir également la Mise à jour de l’article 26 du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE et du commentaire s’y rapportant (Paris, OCDE, 2012); comme mentionné, le Modèle de Convention fiscale et le commentaire s’y rapportant sont pertinents selon les décisions Pacific Network et Blue Bridge, au para 20).

[162] En l’espèce, je suis convaincue que l’ARC a épuisé tous les recours nationaux raisonnables disponibles, étant donné ce qui suit :

1. Comme les renseignements relatifs aux comptes bancaires en Suisse étaient détenus par des sociétés étrangères, l’ARC ne pouvait pas leur demander directement des renseignements au titre de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu;

2. Comme MM. Levett et Baazov ont affirmé qu’ils n’avaient aucun lien avec Zhapa Holdings ou Kilworthy Limited, la vérificatrice ne pouvait pas leur demander de renseignements au titre des articles 231.1 et 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu;

3. Comme MM. Levett et Baazov avaient répondu aux questionnaires envoyés au titre de l’article 231.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, la vérificatrice ne pouvait pas alléguer qu’ils avaient manqué à leur obligation et, par conséquent, ne pouvait pas demander une ordonnance enjoignant d’observer, au titre de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu;

4. Bien que les questionnaires n’aient pas porté expressément sur les comptes bancaires d’Hyposwiss et de l’UBP, ils contenaient des questions sur tout compte bancaire ou placement détenu à l’extérieur du Canada, ce à quoi les demandeurs ont répondu qu’ils n’en avaient pas;

5. La vérificatrice ne pouvait pas utiliser le pouvoir de vérification que lui confère l’article 231.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, puisqu’elle n’avait aucune indication qu’un contribuable canadien pourrait fournir les renseignements demandés au sujet d’entités étrangères;

6. La vérificatrice ne pouvait pas s’adresser à l’AMF pour obtenir des documents ou renseignements liés aux indices tirés de la décision du Tribunal de l’AMF, parce que l’enquête de l’AMF était en cours;

7. Le ministre pouvait inclure des renseignements sur les années d’imposition qui n’étaient pas visées par la vérification, puisqu’il n’y a aucune interdiction à cet égard. Cela est particulièrement vrai dans les circonstances, c’est‑à‑dire que le compte bancaire allégué avait été fermé en 2016, que les demandeurs avaient confirmé ne rien savoir au sujet des sociétés nommées dans les demandes de renseignements et que les demandeurs n’avaient pas divulgué d’intérêts étrangers dans leurs déclarations de revenus de 2014 et de 2015, à l’exception du revenu étranger total de 3 467 $ déclaré par M. Levett en 2015, ce qui n’est pas pertinent en l’espèce;

8. L’ajout des années d’imposition 2014 et 2015 ne modifie pas la nature des renseignements demandés ni n’élargit de façon significative la portée des demandes de renseignements. De plus, à l’audience, le PGC a confirmé que les autorités suisses étaient au courant que les deux années d’imposition ne faisaient pas l’objet d’une vérification de l’ARC;

9. De toute évidence, il aurait été préférable que l’ARC utilise les bons termes dans ses demandes de renseignements. Toutefois, l’ARC a expliqué que l’utilisation du terme [traduction] « vérification » dans les demandes de renseignements faisait référence à la demande présentée aux autorités suisses et à la demande de renseignements plutôt qu’à une vérification fiscale en tant que telle menée au Canada sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu. Dans les circonstances et à la lumière du dossier, cette explication n’est pas déraisonnable.

(2) La demande de renseignements concernant la société 9179

a) Les observations des parties

[163] En ce qui concerne la société 9179, les demandeurs dénoncent le fait que l’ARC a demandé le nom et les coordonnées d’une personne‑ressource à Socimbal, qui ont été fournis, mais avec qui l’ARC n’a jamais communiqué. En outre, ils soulignent que l’ARC n’a pas demandé de renseignements supplémentaires à la société 9179.

[164] Le PGC répond que les renseignements fournis n’expliquaient pas comment une société avec lien de dépendance a pu prêter une somme d’argent aussi importante sans demander le paiement d’intérêts ou le remboursement du capital pendant environ 10 ans, et que la vérificatrice n’avait aucun autre moyen raisonnable d’obtenir les renseignements au pays.

[165] Enfin, le PGC soutient que la décision de la cour suisse appuie la conclusion selon laquelle le ministre a épuisé tous les moyens raisonnables pour obtenir les renseignements.

b) Décision relative à la demande de renseignements concernant la société 9179

[166] Encore une fois, je suis d’accord avec le PGC pour dire que l’ARC a épuisé tous les moyens raisonnables à sa disposition pour obtenir les renseignements au pays, étant donné ce qui suit :

1. Comme les renseignements demandés étaient en la possession de Socimbal, une société étrangère, l’ARC ne pouvait pas demander ces renseignements en vertu des pouvoirs que lui conféraient les articles 231.1 ou 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, et la vérificatrice ne pouvait pas non plus invoquer l’article 231.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, car elle n’avait aucune indication qu’un contribuable canadien pouvait fournir les renseignements demandés;

2. La vérificatrice n’avait pas le pouvoir légal d’exiger des renseignements de la personne‑ressource chez Socimbal, puisqu’elle n’était ni un résident canadien ni une personne qui exploitait une entreprise au Canada;

3. Quoi qu’il en soit, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que l’ARC avait l’obligation légale de communiquer avec la personne à l’étranger simplement parce qu’on lui en avait fourni les coordonnées. À la lumière tout particulièrement de l’explication laconique fournie à maintes reprises par la société 9179 selon laquelle [traduction] « le prêteur était satisfait du prêt », il n’était pas déraisonnable pour l’ARC de recourir au processus de demande de renseignements sans communiquer avec la personne‑ressource chez Socimbal. De plus, il aurait été raisonnable pour l’ARC de conclure, dans les circonstances, que la personne‑ressource (1) ne fournirait pas les renseignements demandés ou (2) fournirait des renseignements insuffisants ou non fiables pour expliquer le prêt suspect.

[167] Par conséquent, je conclus qu’aucune des déclarations des demandeurs ne résiste à l’examen. Il est essentiel d’apprécier toutes les déclarations des demandeurs à la lumière du fait que ceux‑ci n’ont déclaré aucun actif, aucun revenu, ni aucune activité à l’étranger, à l’exception du revenu étranger total de 3 467 $ déclaré par M. Levett en 2015. Les demandeurs ont expressément nié avoir des actifs ou des relations à l’étranger.

G. Le sixième argument : l’ARC a agi en se fondant sur des allégations de faits qui étaient fausses et qu’elle savait être fausses

(1) Les observations des parties

[168] Les demandeurs allèguent que l’ARC a fait de fausses déclarations aux autorités suisses et que, du fait de l’application de la norme du caractère raisonnable imposée par l’arrêt Vavilov à l’égard de cette question, les demandes de renseignements sont invalides. Ils soulignent que les demandes de renseignements étaient fondées sur des allégations de fait qui étaient fausses, et que l’ARC savait être fausses, et qu’elles seraient donc indéfendables à la lumière des contraintes factuelles et juridiques pertinentes imposées au décideur, ce qui les rendrait déraisonnables (Vavilov, aux para 85, 99‑101).

[169] Ils citent comme faux (1) l’impossibilité d’obtenir les documents saisis par l’AMF; (2) le défaut de MM. Levett et Baazov de fournir des renseignements sur les années d’imposition 2014 et 2015; (3) l’épuisement de tous les recours nationaux par l’ARC pour obtenir ces renseignements.

[170] Le PGC répond que l’allégation des demandeurs selon laquelle la demande de l’ARC reposait sur des renseignements inexacts est non seulement prise hors contexte, mais aussi fragmentée. Sur le premier point, le PGC note que la vérificatrice a reconnu avoir reçu des représentants des demandeurs certains des documents saisis par l’AMF, mais ajoute que ces documents ne concernaient que les sociétés nationales. Le PGC ajoute que, par rapport à l’ensemble des demandes de renseignements, il est clair que l’énoncé [traduction] « Étant donné cette enquête en cours au Canada, il a été impossible pour l’ARC d’obtenir les documents demandés » [non souligné dans l’original] désigne les documents sollicités par l’ARC dans ses demandes de renseignements.

(2) Décision

[171] J’ai reconnu que l’ARC aurait pu se montrer plus précise dans le choix des termes. Toutefois, rien dans les allégations soulevées ici par les demandeurs n’a pour effet, comme il a été donné à entendre, de vicier de façon fatale les demandes de renseignements. En effet, rien n’indique (1) que les documents remis par l’AMF aux contribuables concernaient des activités à l’étranger; (2) que, comme il a été mentionné précédemment, les autorités suisses savaient que MM. Levett et Baazov n’avaient pas fait l’objet d’une vérification au Canada par l’ARC pour les années 2014 et 2015; (3) qu’il n’est pas faux de dire que l’ARC a épuisé les recours nationaux raisonnables disponibles pour obtenir les renseignements.

H. Le septième argument : les décisions sont invalides, parce que l’ARC a divulgué illégalement des renseignements confidentiels sur les contribuables.

(1) Les observations des parties

[172] Les demandeurs soutiennent que l’ARC est allée au‑delà de ce qui pouvait être communiqué aux autorités suisses aux termes de la Convention. Les demandeurs font référence à l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif, qui énumère les renseignements que l’ARC doit fournir aux autorités suisses, et au paragraphe 241(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui, comme il a été mentionné précédemment, protège la confidentialité des renseignements sur les contribuables. La définition des renseignements sur les contribuables donnée au paragraphe 241(10) ne comprend pas les renseignements qui ne révèlent pas directement ou indirectement l’identité du contribuable qu’ils concernent.

[173] Les demandeurs reconnaissent l’exception à l’interdiction de communiquer des renseignements sur les contribuables prévue au sous‑alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet la communication de renseignements au titre d’une disposition d’une convention fiscale, mais soutiennent qu’elle est limitée par la liste de renseignements qui se trouve à l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif.

[174] Essentiellement, les demandeurs soutiennent que l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif énumère de façon exhaustive et limitative les renseignements qui peuvent être divulgués (dans leur observation, ils utilisent le mot « plafond », au sens d’une limite supérieure). Les renseignements effectivement divulgués par l’ARC aux autorités suisses vont au‑delà de ce qui est exigé par le Protocole interprétatif et ne sont donc pas visés par l’exception prévue au sous‑alinéa 241(4)e)(xii). Par conséquent, ils soutiennent que les renseignements ont été fournis en contravention du paragraphe 241(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[175] Les demandeurs font valoir que l’ARC n’a pas tenu compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Doré et que les demandes de renseignements sont donc déraisonnables. Ils font valoir que les demandes de renseignements devraient être annulées, au titre de l’arrêt Doré et de l’article 24 de la Charte.

[176] Le PGC répond que l’ARC n’a pas enfreint l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu, parce que l’article 241 ne s’applique pas à la Convention, compte tenu de l’exception prévue au sous‑alinéa 241(4)e)(xii), qui permet la divulgation de renseignements autrement protégés par l’article 241 aux termes d’une convention fiscale.

[177] Le PGC souligne que les renseignements énumérés à l’alinéa 2b) du Protocole interprétatif constituent un seuil plutôt qu’un maximum et que la Convention a préséance sur l’article 241. La décision de notre Cour dans Rémillard c Canada (Revenu national), 2020 CF 1061, ne s’applique pas dans les présentes circonstances.

(2) Décision

[178] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que l’exception claire et précise prévue au sous‑alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne visait pas tous les renseignements communiqués par l’ARC aux autorités suisses. Comme je l’ai mentionné précédemment, je conclus que les articles de la Convention devraient recevoir une interprétation large et libérale. Cette approche est conforme aux directives d’interprétation des conventions internationales (voir, par exemple, le Manuel de l’OCDE, aux p 9‑11) et constitue le meilleur moyen de donner effet à l’objet de la Convention.

[179] Je suis donc convaincue que la liste de renseignements fournie dans le Protocole interprétatif n’est pas limitative et n’empêchait pas l’ARC de communiquer des renseignements supplémentaires. Je suis également convaincue que l’exception prévue au sous‑alinéa 241(4)e)(xii) de la Loi de l’impôt sur le revenu s’appliquait à ces renseignements.

[180] Enfin, je fais remarquer que l’article 25 de la Convention (aux termes duquel les renseignements sont échangés) prévoit expressément une protection de la confidentialité des renseignements communiqués. Il stipule que « [l]es renseignements ainsi échangés sont tenus secrets et ne sont communiqués qu’aux personnes concernées par l’établissement ou le recouvrement des impôts visés par la Convention ».

[181] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que l’ARC avait divulgué illégalement des renseignements confidentiels sur les contribuables.

I. Le huitième argument : l’ARC n’a pas fait une communication entière et franche des renseignements aux autorités suisses

(1) Les observations des parties

[182] Les demandeurs ont d’abord soutenu dans leur mémoire que les demandes de renseignements étaient des actes de procédure ex parte qui avaient déclenché une obligation de divulgation complète et franche, et que l’ARC ne s’était pas acquittée de son obligation, parce qu’elle n’avait divulgué qu’une partie des renseignements et du contexte de ses processus de vérification et qu’elle l’avait fait de façon trompeuse et injuste. Toutefois, à l’audience, les demandeurs ont abandonné cet argument et en ont soulevé un nouveau, qui ne figurait pas dans leur mémoire.

[183] Ils ont fait valoir qu’il existait un principe de bonne foi en matière fiscale qui empêchait l’ARC de faire de fausses déclarations ou de soulever des faits non pertinents.

[184] Le PGC a d’abord répondu que les demandes de renseignements n’étaient pas des actes de procédure ex parte. Il s’agit de demandes de renseignements, sur la base desquels l’ARC peut par la suite décider d’agir ou non. Quoi qu’il en soit, l’ARC fait valoir que tous les renseignements pertinents ont été divulgués intégralement et franchement.

(2) Décision

[185] Je n’ai pas besoin d’aborder l’argument initial des demandeurs, car ils l’ont abandonné. Pour ce qui est de l’argument qu’ils ont soulevé à l’audience, il n’était ni fondé ni convaincant en tant qu’élément viciant les demandes de renseignements.

[186] De plus, pour les raisons susmentionnées, je n’ai pas été convaincue que les renseignements contenus dans les demandes de renseignements étaient faux, incomplets ou trompeurs.

IX. Conclusion

[187] Pour les motifs exposés ci‑dessus, les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision de l’ARC d’émettre les demandes de renseignements était déraisonnable ou erronée. Les demandeurs n’ont pas démontré que l’ARC ne s’était pas conformée aux exigences légales.

[188] Les demandes de contrôle judiciaire seront donc rejetées, avec dépens calculés selon le barème habituel.


JUGEMENT dans les dossiers T‑1333‑18, T‑1334‑18 et T‑1335‑18

LA COUR STATUE :

  1. La requête en modification de l’avis de demande est accueillie;

  2. L’affidavit souscrit par Me Charles Leibovich le 19 août 2019 est accepté pour dépôt;

  3. Toutefois, les paragraphes 6, 7, 8 (en ce qui concerne Me Levy), 9, 10 (en ce qui concerne Me Levy), 12, 13, 14, 16 et 18 de l’affidavit de Me Leibovich du 19 août 2019, et les pièces mentionnées dans ces paragraphes, c.‑à‑d. les pièces A, B, C, E, F, G, I, J et K, sont radiés du dossier;

  4. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées;

  5. Les dépens sont accordés en faveur du défendeur, selon le barème habituel;

  6. Le greffe doit verser une copie du présent jugement dans chacun des dossiers connexes.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑1333‑18, T‑1334‑18 et T‑1335‑18

 

INTITULÉ :

CRAIG LEVETT ET NATHALIE BENSMIHAN
OFER BAAZOV ET CATHY BENSMIHAN

9179‑3786 QUÉBEC INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (par vidéoconférence)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 janvier 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST‑LOUIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 12 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

François Barette

Nicolas Simard

POUR LES DEMANDEURS

 

Ian Demers

Dominique Castagne

Justine Allaire‑Rondeau

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.