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Date : 20210409


Dossier : T‑1716‑19

Référence : 2021 CF 304

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

DWIGHT CREELMAN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 septembre 2019 [la décision] par le conseiller spécial du commissaire du Service correctionnel du Canada [le SCC] en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. La décision a rejeté le grief au dernier palier déposé en juillet 2018 par M. Creelman [le demandeur] concernant les analyses d’urine à l’établissement de Warkworth [Warkworth].

[2] Le demandeur soutient que le conseiller spécial a fait de fausses déclarations et a utilisé une fausse justification pour trancher les questions du grief au dernier palier. Il demande à la Cour d’annuler la décision. Il demande également une ordonnance de suspension du programme d’analyse d’urine à Warkworth.

[3] La décision analyse chacune des questions soulevées par le demandeur et y répond en détail. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve, mais d’évaluer la décision dans le contexte du dossier dont disposait le conseiller spécial. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Historique et contexte

[4] Le demandeur est détenu à Warkworth. Il est diabétique et souffre d’autres problèmes de santé qui l’obligent à prendre de l’insuline et d’autres médicaments.

[5] En mars 2018, le demandeur a déposé une plainte du délinquant concernant l’utilisation d’un formulaire de consentement à la divulgation de renseignements médicaux [le formulaire de consentement]. En avril 2018, un gestionnaire correctionnel a rejeté la plainte, en affirmant que la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC, 1985 c P‑21 [Loi sur la protection des renseignements personnels] et l’article 67 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le RSCMLC] exigent le consentement pour communiquer des renseignements médicaux au laboratoire qui effectue les analyses d’urine.

[6] Le demandeur a ensuite déposé un grief au palier initial. Il a soulevé les préoccupations suivantes :

  • (1) Warkworth a omis d’informer le laboratoire des médicaments que le demandeur prend, ce qui contrevient à l’alinéa 67a) du RSCMLC;

  • (2) Warkworth utilise incorrectement un formulaire de consentement, ce qui contrevient au paragraphe 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels;

  • (3) les formulaires d’analyse d’urine [formulaires de demande] sont utilisés frauduleusement parce qu’ils sont d’abord indûment signés par le coordonnateur du programme de prise d’échantillon d’urine [le coordonnateur], et ensuite remplis par l’échantillonneur;

  • (4) les résultats de laboratoire ne sont pas communiqués aux détenus, ce qui contrevient au paragraphe 68(2) du RSCMLC;

  • (5) le nombre de personnes présentes au moment de la prise d’échantillon contrevient au paragraphe 66(1) du RSCMLC.

[7] Le 6 juillet 2018, un directeur adjoint a rejeté le grief au palier initial en déclarant ce qui suit :

  • (1) le laboratoire reçoit les antécédents pharmaceutiques des détenus au moyen du formulaire de consentement;

  • (2) l’interprétation juridique de la Loi sur la protection des renseignements personnels dépasse la compétence du directeur adjoint;

  • (3) il n’y a pas de preuve de fraude et le RSCMLC n’établit pas de processus obligatoire pour remplir les formulaires;

  • (4) rien ne prouve que les détenus ne reçoivent pas leurs résultats de laboratoire. On rappellera également au coordonnateur de veiller à ce que les résultats soient communiqués aux détenus;

  • (5) l’échantillonneur supervise le donneur, qui est à l’écart des autres pendant la prise d’échantillon.

[8] Le 29 juillet 2018, le demandeur a déposé un grief au dernier palier et a reformulé ses observations en ces termes :

  • (1) Le SCC enfreint volontairement la loi en omettant d’informer le laboratoire des médicaments que le demandeur prend, ce qui contrevient à l’alinéa 67a) du RSCMLC;

  • (2) le formulaire de consentement contrevient à l’alinéa 67a) du RSCMLC;

  • (3) l’utilisation du formulaire de consentement contrevient à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la LSCMLC].De plus, le médecin du demandeur l’a espionné et l’a soumis à une analyse d’urine non autorisée;

  • (4) conformément au paragraphe 24(1) de la LSCMLC, les accusations disciplinaires relatives au refus du demandeur de signer le formulaire de consentement doivent être retirées de son dossier;

  • (5) le formulaire de demande contrevient aux articles 60 et 61 du RSCMLC en raison de la façon dont le coordonnateur et l’échantillonneur le signent et le remplissent;

  • (6) le demandeur ne reçoit pas ses résultats. Il a déjà déposé un grief relativement à cette question en mai 2019, en janvier 2013 et en mars 2015. Le demandeur soutient que ce problème surviendra de nouveau;

  • (7) trop de détenus sont appelés en même temps à subir une analyse d’urine, ce qui contrevient à l’alinéa 66(1)e) du RSCMLC;

  • (8) Warkworth a refusé une entrevue au demandeur, ce qui contrevient au paragraphe 74(2) du RSCMLC.

[9] Dans une décision rendue le 4 septembre 2019, le conseiller spécial a rejeté le grief au dernier palier du demandeur pour les motifs suivants :

  • (1) les questions de consentement et de divulgation de renseignements médicaux ont été traitées en réponse à un grief final (V10R00000117) et examinées à la lumière de la décision Creelman c Canada (Procureur général), 2018 CF 1033;

  • (2) le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer qu’il a été soumis à des analyses inappropriées;

  • (3) le dossier contient les renseignements les plus à jour et les éléments ne peuvent en être supprimés, conformément au paragraphe 24(1) de la LSCMLC;

  • (4) le paragraphe 61(1) du RSCMLC permet au coordonnateur d’accorder une autorisation préalable au personnel pour les analyses d’urine des délinquants. Les articles 54 et 55 de la LSCMLC permettent aux membres du personnel d’exiger que les délinquants se soumettent à une analyse d’urine. Par conséquent, les formulaires d’analyse d’urine et la façon dont ils sont signés et remplis ne contreviennent pas au RSCMLC ou à la LSCMLC;

  • (5) le demandeur n’a pas fourni de preuve d’un moment précis où il n’a pas pu obtenir les résultats des analyses. Le grief final (V10R00000117) a abordé cette question après le dépôt du grief au dernier palier actuel. Aucune autre mesure n’était requise;

  • (6) la surveillance des donneurs et la prise d’échantillons sont conformes au paragraphe 66(1) du RSCMLC;

  • (7) une entrevue a eu lieu le 4 juin 2018 en réponse au grief au palier initial, bien que le SCC reconnaisse que la partie [traduction] « entrevue avec le délinquant tenue par » de la présentation du grief au palier initial n’a pas été remplie. Le paragraphe 41 des Lignes directrices 081‑, Processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants [Lignes directrices 081‑1] est respecté. Il n’y a aucune preuve d’un manque d’efforts dans le règlement de la plainte du demandeur.

  • (8) Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[10] Le demandeur soutient qu’il y a huit questions en litige et il a souligné plusieurs sous‑questions. Le demandeur fait également valoir que le défendeur a violé une ordonnance judiciaire relative à une décision antérieure.

[11] Le défendeur soutient que les questions à trancher sont de savoir si le conseiller spécial peut rejeter un grief au dernier palier s’il n’a pas été rejeté au palier inférieur et si la décision est raisonnable.

[12] Après avoir examiné les observations et entendu les plaidoiries, j’ai établi les questions en litiges suivantes :

1) Le défendeur a‑t‑il violé les principes d’équité procédurale en ne tenant pas une entrevue?

2) La décision était‑elle déraisonnable?

[13] La première question porte sur l’équité procédurale et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est variable, souple et tributaire du contexte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 77 [Vavilov]; Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653 à la page 682; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 22 et 23 [Baker]). Les exigences procédurales imposées par cette obligation sont déterminées par l’examen de l’ensemble des faits. Dans le cas de circonstances particulières qui donnent lieu à une obligation d’équité procédurale, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances dans le contexte décisionnel administratif (Vavilov, au para 77; Baker, au para 21).

[14] La seconde question est soumise à la norme de la décision raisonnable. Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner la décision, ce qui inclut à la fois le processus de raisonnement et le résultat obtenu (Vavilov, au para 83). Il ne s’agit pas d’effectuer un nouvel examen de l’affaire, mais bien d’évaluer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les motifs écrits du décideur doivent être interprétés de façon globale et contextuelle (Vavilov, au para 97).

IV. Observations des parties

A. Le demandeur

[15] Le demandeur soutient que l’approche du SCC à l’égard de son système de règlement des griefs contrevient à l’alinéa 4f) de la LSCMLC, qui exige « des mécanismes efficaces de règlement de griefs », et au paragraphe 74(2) du RSCMLC, qui exige que « [l]es agents et le délinquant [...] doivent prendre toutes les mesures utiles pour régler la question de façon informelle ».

[16] Le demandeur soutient que le défendeur a refusé de traiter de nombreuses questions en raison de la fausse allégation selon laquelle les griefs précédents les avaient réglées. De plus, il affirme que le défendeur a utilisé des renseignements inexacts pour refuser ses demandes et qu’il n’avait pas accès à des mécanismes efficaces de règlement des griefs.

B. Le défendeur

[17] Le défendeur affirme que le SCC peut rejeter une question qui a déjà été abordée dans un grief distinct. Il soutient que le SCC a traité de la question des formulaires de consentement dans la décision relative au grief au dernier palier (V10R00000117) en donnant des motifs clairs pour le rejet. Le défendeur affirme que, même si le demandeur aurait pu présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision relative au grief au dernier palier (V10R00000117), il ne l’a pas fait.

[18] En ce qui concerne les questions supplémentaires, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve ni de fondement juridique adéquat pour justifier la prise de mesures ou l’approbation de son grief au dernier palier. La décision sur ces questions était donc raisonnable et justifiée en vertu du RSCMLC et de la LSCMLC.

V. Analyse

[19] Les observations du demandeur sur la présente demande reflètent essentiellement son grief au dernier palier avec quelques détails supplémentaires. Étant donné que le demandeur se représente lui‑même, je tenterai d’aborder ses observations au moyen de l’analyse des deux questions ci‑après.

[20] À l’audience, le défendeur a présenté un tableau pour aider la Cour et le demandeur à comprendre clairement les processus en question. Le défendeur a mentionné qu’il avait de la difficulté à suivre le tableau. Aux fins de la présente décision et des présents motifs, je ne me fonde pas sur le tableau, mais sur les observations écrites et orales des parties. La Cour est en mesure de comprendre les questions en se fondant sur ces observations.

A. Le défendeur a‑t‑il violé les principes d’équité procédurale en refusant de tenir une entrevue?

[21] Le demandeur cite le paragraphe 74(2) du RSCMLC, qui, selon lui, établit une façon de faire obligatoire pour un acte de règlement qui comprend une entrevue au dernier palier d’un grief. Le demandeur soutient que le refus d’une entrevue à un moment ou à un autre de la période du grief contrevient au paragraphe 74(2) du RSCMLC puisqu’il équivaut à un défaut de prendre les mesures pour régler une affaire.

[22] En ce qui concerne la nécessité de mener une entrevue, le paragraphe 41 des Lignes directrices 081‑1, dans sa version antérieure à la modification du 26 juillet 2019, est mentionné dans la décision. Il stipule que, lorsque « la plainte ou le grief au palier initial » est d’abord reçu, il faut tenir une entrevue si le délinquant en fait la demande « sauf s’il y a des circonstances exceptionnelles qui ne le permettent pas ou si le délinquant refuse de s’y soumettre ». Au dernier palier du grief, une « entrevue avec le délinquant peut avoir lieu si celle‑ci est jugée essentielle à la tenue d’une analyse et d’un examen exhaustifs ».

[23] La décision mentionne que, au moment de déposer sa plainte le 6 mars 2018, le demandeur a demandé une entrevue. Le 4 juin 2018, le défendeur a tenu une entrevue avec le demandeur. Le 29 juillet 2018, le demandeur a déposé son grief final et a demandé une autre entrevue, mais aucune n’a eu lieu.

[24] Compte tenu de la nature discrétionnaire des Lignes directrices 081‑1 sur la question de tenir ou non une entrevue à l’étape du grief au dernier palier, ainsi que des documents indiquant qu’une entrevue avec le demandeur a eu lieu au grief initial, je ne vois aucune violation des Lignes directrices 081‑1 au fait de ne pas tenir de deuxième entrevue. Je ne vois pas non plus au paragraphe 74(2) du RSCMLC l’obligation de tenir une entrevue lors d’un grief au dernier palier.

[25] Le demandeur a également soutenu que les événements susmentionnés démontrent que les décideurs de Warkworth ne prennent pas toutes les mesures utiles pour régler les questions de façon informelle. Aucun élément de preuve n’étayait cette affirmation dans le grief au dernier palier du demandeur. La décision fait état de certaines lacunes dans la tenue des dossiers relativement aux entrevues, mais il a été déterminé que le directeur adjoint a tenu une entrevue avec le demandeur au niveau de la plainte.

[26] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les droits du demandeur à l’équité procédurale n’ont pas été violés et qu’il n’y avait pas d’obligation de tenir une autre entrevue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

B. La décision était‑elle raisonnable?

[27] Le demandeur a soulevé plusieurs questions qui remettaient en question le caractère déraisonnable de la décision dans son ensemble. Je résumerai ses observations détaillées et je les aborderai ci‑après.

(1) Préoccupations au sujet du formulaire de consentement

[28] Le demandeur soutient que le défendeur a refusé de donner suite à ses préoccupations au sujet du formulaire de consentement et a faussement prétendu qu’un grief antérieur avait traité la question. Le demandeur affirme que le défendeur a créé de façon inappropriée un formulaire de consentement qui n’existait pas dans la Directive du commissaire 566‑10, et que son utilisation contrevient à l’alinéa 67a) du RSCMLC. De plus, il a soulevé une préoccupation au sujet de la conformité des formulaires de consentement à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[29] Le conseiller spécial a conclu que la décision relative au grief au dernier palier (V10R00000117) portait sur la question du formulaire de consentement et qu’il n’était donc pas nécessaire de la réexaminer. Le défendeur cite le paragraphe 5 des Lignes directrices 081‑1 :

5. La question en cause est en voie d’être traitée ou a déjà été traitée dans le cadre d’une plainte ou d’un grief distinct.

5. The issue is being, or has been, addressed in a separate complaint/grievance.

Au cours de l’analyse d’une plainte ou d’un grief à quelque palier que ce soit, s’il est établi que la doléance est en voie d’être traitée ou a déjà été traitée en réponse à une plainte ou un grief distinct, la plainte ou le grief peut être rejeté. Toutefois, si une plainte ou un grief est rejeté pour ces raisons, on doit clairement établir que la doléance était identique et qu’elle a été traitée dans le cadre d’une plainte ou d’un grief distinct. La réponse doit également clairement énoncer les motifs du rejet de la plainte ou du grief ainsi que le numéro du ou des dossiers faisant déjà mention de cette question.

If, during the analysis of a complaint/grievance at any given level, it is established that the issue is being, or has been, addressed in a separate complaint/grievance, the complaint/grievance may be rejected. However, if a submission is going to be rejected on this basis, it must be clear that the issue was the same and was addressed in the separate complaint/grievance. The response should also clearly outline the reason(s) for rejecting the complaint/grievance as well as the reference number(s) of the submission that already addressed the issue.

[30] Bien que, dans ses documents, le demandeur ait expliqué en détail pourquoi il conteste le formulaire de consentement, la question dont la Cour est saisie se limite à la question de savoir si le défendeur a omis de répondre à la préoccupation, menant ainsi à une décision déraisonnable.

[31] Après avoir examiné la décision concernant le grief au dernier palier V10R00000117, qui se trouve dans le dossier certifié du tribunal, il est évident que le défendeur a déjà traité et réglé la question du formulaire de consentement. Le grief au dernier palier V10R00000117 a été présenté en réponse au contrôle judiciaire du grief au dernier palier V40R00024015 (Creelman c Procureur général du Canada, 2018 CF 1033). La décision concernant le grief au dernier palier V10R00000117 explique les raisons pour lesquelles un formulaire de consentement rempli est nécessaire avant de communiquer les renseignements personnels d’un délinquant. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un contrôle judiciaire.

[32] Après examen du dossier, la décision du délégué spécial selon laquelle la question avait déjà été réglée est raisonnable.

(2) Préoccupations au sujet des demandes d’échantillons pour analyse et du moment où les résultats sont fournis

[33] Dans son grief au dernier palier, le demandeur s’est dit préoccupé par la façon dont le directeur de l’établissement signe et photocopie des formulaires d’analyse vierges, puis les remet à l’échantillonneur d’analyses d’urine pour qu’il les remplisse. Il affirme que cette méthode de signature contrevient aux articles 60 et 61 du RSCMLC.

[34] Le défendeur soutient que la décision énonce le pouvoir d’un membre du personnel d’exiger qu’un délinquant se soumette à une analyse d’urine.

[35] Les observations du défendeur m’ont convaincu. En examinant la décision, le conseiller spécial a analysé les interactions entre l’article 54 de la LSCMLC et le paragraphe 61(1) du RSCMLC. Ensemble, ces dispositions donnent le pouvoir d’entreprendre et d’exécuter des tests de dépistage de drogues. L’article 54 de la LSCMLC confirme que « [l]’agent peut obliger un détenu à lui fournir un échantillon d’urine ». L’article 55 de la LSCMLC confirme également que « [l]’agent ou toute autre personne autorisée par le Service peut obliger un délinquant à lui fournir un échantillon d’urine [...] ». L’article 56 et le paragraphe 57(2) de la LSCMLC ne sont pas en cause dans la présente instance.

[36] De plus, le paragraphe 61(1) du RSCMLC confirme que « le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine peut exercer le pouvoir conféré au directeur du pénitencier, aux termes de l’article 54 de la Loi, d’accorder l’autorisation préalable à une prise d’échantillon d’urine ». Le conseiller spécial a examiné ces dispositions pour répondre aux préoccupations du demandeur. Les dispositions mentionnées précédemment et abordées par le conseiller spécial dans la décision répondent aux préoccupations du demandeur. La décision est raisonnable sur ce point.

(3) Préoccupations concernant les analyses non autorisées

[37] Le demandeur a soulevé une préoccupation selon laquelle un médecin l’a espionné et l’a soumis à une analyse d’urine non autorisée ou [traduction] « illégale ». Le demandeur a fourni un compte rendu détaillé des raisons pour lesquelles il croyait que cela s’était produit.

[38] Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui de ces allégations et qu’il était donc raisonnable de rejeter cet aspect du grief.

[39] La décision faisait ressortir une absence de preuve et une incohérence dans la date à laquelle la prétendue analyse [traduction] « illégale » a été faite et soulignait, après examen du dossier du demandeur, qu’il a été choisi au hasard pour l’analyse, conformément à l’alinéa 54b) de la LSCMLC. À la lumière du dossier, je ne vois aucune erreur dans le traitement que le conseiller spécial a réservé à cette question.

(4) Le retrait des accusations disciplinaires

[40] Le demandeur a soulevé la question du retrait des accusations disciplinaires liées à son refus de signer les formulaires de consentement de son dossier. Il cite le paragraphe 24(1) de la LSCMLC, qui prévoit ceci :

Exactitude des renseignements

Accuracy, etc., of information

24 (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

24 (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

[41] Le défendeur affirme que l’interprétation faite par le conseiller spécial du paragraphe 24(1) de la LSCMLC est raisonnable et que cet article exige seulement que le dossier contienne les renseignements les plus exacts concernant le délinquant. Ces renseignements comprendraient le retrait des accusations.

[42] Après examen de la décision, je conclus que le conseiller spécial a abordé cette question et a souligné que le paragraphe 24(1) de la LSCMLC, en exigeant que les dossiers soient à jour, révélera également que les accusations en question ont en fait été retirées. Le conseiller spécial a également conclu qu’il était hypothétique d’affirmer que ces accusations retirées seraient utilisées contre le demandeur à l’avenir. La décision du conseiller spécial sur cette question est également raisonnable.

(5) Réception des résultats des analyses

[43] Le grief au dernier palier du demandeur portait sur la question de savoir s’il recevait ses résultats comme l’exige l’article 68 du RSCMLC. Le demandeur soutient qu’il a présenté cinq exemples de défaut de lui fournir automatiquement ses résultats. Le demandeur affirme que de devoir demander des résultats de laboratoire contrevient au paragraphe 68(2) du RSCMLC. L’article 68 stipule ceci :

Rapports des résultats d’analyses

Reporting of Test Results

68 (1) Le laboratoire doit remettre une attestation du résultat de l’analyse au coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine et, sur demande du directeur du pénitencier, en fournir une copie par transmission électronique.

68 (1) A laboratory shall submit to the urinalysis program co‑ordinator a certificate and, where requested by the institutional head, an electronically transmitted copy of the certificate, that states the results of the test.

(2) Le coordonnateur du programme de prises d’échantillons d’urine doit remettre une copie de l’attestation du laboratoire à la personne qui a fourni l’échantillon d’urine.

(2) The urinalysis program co‑ordinator shall give the donor a copy of the laboratory certificate respecting the sample

[44] Le défendeur affirme que le demandeur se plaint d’une question soulevée dans des plaintes et des griefs antérieurs.

[45] La décision soulignait que le demandeur n’avait fourni aucune preuve selon laquelle il n’avait pas reçu les résultats d’une analyse particulière depuis le grief précédent. L’examen du dossier le confirme également. Le conseiller spécial a aussi examiné les processus concernant les résultats des analyses. Le conseiller spécial a donc conclu qu’aucune autre mesure n’était requise. La décision est raisonnable sur cette question.

(6) Le nombre de détenus appelés à subir une analyse

[46] Le demandeur affirme que trop de détenus sont appelés en même temps à subir une analyse d’urine, ce qui contrevient à l’alinéa 66(1)e) du RSCMLC. Le demandeur soutient que l’alinéa 66(1)e) exige que l’échantillonneur supervise le donneur pendant toute la période de deux heures et qu’aucune autre personne ne soit présente. Les alinéas 66(1)d) et e) sont libellés ainsi :

Prises des échantillons d’urine

Collection of Samples

66 (1) La prise d’échantillon d’urine se fait de la manière suivante :

66 (1) A sample shall be collected in the following manner:

d) il doit accorder un délai de deux heures à la personne pour fournir l’échantillon d’urine à compter du moment de sa demande;

(d) the collector shall give the donor up to two hours to provide a sample, from the time of a demand;

e) il doit veiller à ce que la personne soit gardée à l’écart de toute autre personne que lui‑même et reste sous surveillance pendant le délai de deux heures prévu à l’alinéa d);

(e) the collector shall ensure that the donor is kept separate from any other person except the collector and is supervised during the two hour period referred to in paragraph (d);

[47] Le défendeur concède que l’échantillonneur peut ne pas être la partie qui supervise le donneur pendant la période complète de deux heures si le donneur n’est pas activement engagé à fournir un échantillon. L’échantillonneur peut plutôt demander à d’autres membres du personnel de superviser pendant cette période. Le défendeur soutient que l’exigence de séparation s’applique spécifiquement à la période au cours de laquelle l’échantillon est recueilli, ce qui se produit.

[48] Après examen de la décision, qui met en évidence la législation et le processus pertinents, je constate qu’il n’est pas nécessaire que l’échantillonneur supervise personnellement le donneur si celui‑ci n’est pas activement engagé à fournir un échantillon. L’échantillonneur doit plutôt s’assurer que la supervision a lieu. Aucun élément de preuve ne démontre que le processus décrit au paragraphe 66(1) n’a pas été suivi. En fait, la preuve fournie par le demandeur confirme que ce processus est suivi, mais le demandeur conteste l’étendue ou la distance de la séparation. Cette affirmation ne suffit pas à rendre la décision déraisonnable sur ce point.

VI. Conclusion

[49] Le demandeur a fourni beaucoup de détails dans ses documents. Toutefois, la majorité des observations visent à reformuler son témoignage pour chacune des questions du grief au dernier palier, plutôt qu’à expliquer pourquoi la décision elle‑même était déraisonnable ou quelles erreurs sont survenues.

[50] Je conclus que les droits à l’équité procédurale du demandeur n’ont pas été violés et que la décision est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier T‑1716‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑1716‑19

 

INTITULÉ :

DWIGHT CREELMAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

L’AUDIENCE A EU LIEU PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET CAMBELLFORD (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

Le 9 avril 2021

COMPARUTIONS :

Dwight Creelman

LE DEMANDEUR

 

Diya Bouchedid

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Diya Bouchedid

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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