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Date : 20210416


Dossier : IMM-14-20

Référence : 2021 CF 336

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

PARMINDER SINGH

AMANDEEP KAUR

ARSHVIR SINGH

HARDAMANPREET SINGH

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, des citoyens de l’Inde, sont des sikhs de Ludhiana, au Pendjab, qui pratiquent l’islam, malgré le fait qu’ils ne se sont pas convertis. Ils allèguent une crainte de persécution par un politicien corrompu qui les a faussement accusés de s’être convertis du sikhisme à l’islam. Dans la présente instance, les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé celle de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), à savoir qu’ils n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), car il existe des possibilités de refuge intérieur (PRI) viables à Mumbai et à New Delhi.

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable, en raison de deux erreurs : la SAR aurait commis une erreur de droit en refusant d’admettre un article publié après l’audience devant la SPR, dans lequel il était mentionné que des accusations criminelles avaient été portées contre le politicien et que ce dernier s’était vu refuser la mise en liberté sous caution; elle aurait aussi une erreur mixte de fait et de droit en concluant que le politicien n’aurait pas la motivation pour poursuivre les demandeurs à Mumbai ou à New Delhi.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable, et, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[4] Les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  • (1) La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre la dépêche à titre de nouvel élément de preuve dans le cadre de l’appel?

  • (2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en effectuant une analyse détaillée de la documentation sur les conditions dans le pays?

[5] Les parties conviennent que les deux questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont susceptibles de contrôle selon le cadre d’analyse révisé du caractère raisonnable établi par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Voir également : Akinyemi-Oguntunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 666 au para 15; Armando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 94 au para 31; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 17.

[6] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux : Vavilov, aux para 12-13, 75, 85. La cour de révision doit décider si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

III. Analysis

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre la dépêche à titre de nouvel élément de preuve dans le cadre de l’appel?

[7] Les demandeurs craignent d’être persécutés par un député de l’Assemblée législative de l’État du Pendjab (le député).

[8] En 2015, le député a demandé que M. Singh ferme un espace de prière islamique qui générait un intérêt considérable parmi les sikhs et les hindous, et qu’il quitte la région. M. Singh a refusé. Les demandeurs affirment qu’ils ont par conséquent été persécutés par le député, qui a pris des mesures contre eux, parce qu’il craignait que l’expansion de l’islam mène les électeurs à appuyer des candidats musulmans et qu’elle compromette ses chances de réélection, puisqu’il est sikh. Les demandeurs croient que le député est responsable d’un accident impliquant M. Singh et sa femme, et qu’il a empêché un administrateur d’accepter l’inscription de leurs enfants à l’école. Les demandeurs croient aussi que le député a amené 25 personnes à porter de fausses accusations selon lesquelles M. Singh aurait tenté de les faire se convertir à l’islam. Selon les demandeurs, sur la foi de ces fausses accusations, la police a détenu illégalement M. Singh et elle l’a agressé physiquement ainsi que verbalement, avant de le relâcher par suite du versement d’un pot-de-vin.

[9] Dans le cadre de l’appel devant la SAR, les demandeurs ont cherché à faire admettre en preuve une dépêche intitulée « [District] judge: Being MLA no license to misbehave » (« Juge [de district] : être un député ne permet pas de mal se conduire »), publiée sur le site Web d’une agence d’information indienne le 19 septembre 2019. Il y était rapporté que le député faisait face à des accusations de menaces envers des représentants du gouvernement ainsi que d’entrave à leur travail dans de nombreux cas et que, la veille, il s’était vu refuser la mise en liberté sous caution. La SAR a refusé d’admettre la dépêche en preuve, au motif qu’elle ne respectait pas les conditions prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR pour les raisons suivantes : i) la dépêche avait été publiée avant que la SPR rende sa décision le 23 septembre 2019, et elle n’était donc pas survenue après le rejet de la demande des demandeurs; ii) elle était normalement accessible aux demandeurs, puisqu’ils l’avaient obtenu d’une source à la disposition du public; et iii) les demandeurs n’ont présenté ni argument ni élément de preuve pour établir qu’ils n’auraient pas normalement présenté la dépêche au moment où la SPR a rejeté leur demande.

[10] Les demandeurs soutiennent que le refus, par la SAR, d’admettre la dépêche est déraisonnable, et qu’il n’est pas conforme aux principes relatifs à l’admission de nouveaux éléments de preuve, principes établis dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), et confirmés dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 (Singh (CAF)). Bien que les demandeurs concèdent que la dépêche n’était pas un élément de preuve survenu après le rejet de leur demande, ils font valoir que cette dépêche aurait dû être admise, au motif qu’elle respectait une autre condition prévue au paragraphe 110(4), à savoir qu’elle « n’ét[ait] alors pas normalement accessibl[e] » au moment du rejet. La dépêche a été publiée après l’audience devant la SPR, tenue le 22 août 2019, et à peine deux ou trois jours, compte tenu des différents fuseaux horaires, avant que cette dernière rende sa décision; elle décrit un incident survenu après l’audience devant la SPR, et tandis que les demandeurs étaient au Canada. Les demandeurs affirment que ce sont là les mêmes facteurs qui ont amené la Cour fédérale, au paragraphe 26 de la décision Ogundipe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 771 (Ogundipe), à conclure que la SAR avait déraisonnablement exclu la preuve dans cette affaire.

[11] Selon les demandeurs, la SAR doit examiner tous les éléments de preuve qui ne sont pas exclus à juste titre selon le critère établi dans l’arrêt Raza. Ils font valoir que la dépêche n’est pas exclue selon le critère établi dans l’arrêt Raza, parce qu’il répond aux troisième et cinquième facteurs du critère :

3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

[…]

5. Conditions légales explicites :

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

(Raza, au para 13.)

[12] Étant donné que la dépêche porte sur un fait qui était inconnu d’eux au moment de l’audience devant la SPR, et démontre un fait qui est survenu après cette audience, les demandeurs soutiennent qu’elle répond à ces facteurs établis par l’arrêt Raza. Ils soutiennent également que la dépêche répond au facteur « Conditions légales explicites », au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR, parce qu’elle a été publiée après l’audience devant la SPR et deux ou trois jours avant que cette dernière rende sa décision, et qu’elle « n’ét[ait] alors pas normalement accessibl[e] » au moment de la décision. Par conséquent, les demandeurs font valoir que la preuve doit être considérée, sauf si elle est rejetée parce qu’elle n’est pas crédible, pas pertinente, pas nouvelle ou pas substantielle : Raza, au para 13.

[13] En outre, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en déclarant, d’une part, qu’ils n’avaient pas présenté d’argument selon lequel il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils aient présenté la preuve au moment du rejet de la demande, et, d’autre part, qu’aucun élément de preuve n’étayait une telle conclusion. Ils soutiennent que sept paragraphes de leur mémoire d’appel étaient consacrés à la dépêche, et qu’ils ont fait valoir qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils présentent cette dépêche à la SPR.

[14] À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre la dépêche en preuve. À ce sujet, l’arrêt Singh (CAF) de la Cour d’appel fédérale est l’arrêt de principe. Dans cet arrêt, la Cour a expliqué que le cadre législatif d’un appel interjeté auprès de la SAR témoignait de la volonté claire du législateur de baliser étroitement l’introduction de toute nouvelle preuve (au para 51). La règle de base veut que la SAR procède en se fondant sur le dossier de la SPR, et, comme le paragraphe 110(4) déroge à cette règle, une interprétation restrictive s’impose (au para 35). Fait important, la Cour d’appel fédérale a conclu que les conditions explicites énoncées au paragraphe 110(4) devaient être remplies : dans le cadre d’un appel devant la SAR, un demandeur ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet (au para 34). La Cour a conclu que les exigences énoncées au paragraphe 110(4) sont incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR (au para 35), mais que celle-ci a le loisir d’appliquer les exigences du paragraphe 110(4) avec plus ou moins de souplesse, selon les circonstances propres à chaque affaire (au para 64).

[15] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils prétendent que la SAR était tenue d’admettre la dépêche en preuve, compte tenu des facteurs établis par l’arrêt Raza. En outre, je ne souscris pas à leur observation selon laquelle la SAR doit admettre la preuve qui répond aux critères énoncés au paragraphe 110(4). En effet, dans l’arrêt Singh (CAF), la Cour d’appel fédérale a rejeté un argument similaire présenté par l’intervenante (au para 56). Il est clair, à la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Singh (CAF), que la SAR n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre un élément de preuve qui ne répond pas aux exigences prévues au paragraphe 110(4), mais elle peut refuser d’admettre un élément de preuve qui répond aux exigences prévues par la loi, compte tenu des facteurs établis par l’arrêt Raza (aux para 37, 38). À titre d’exemple, la SAR peut refuser d’admettre un élément de preuve qui n’est pas crédible (au para 44) ou pertinent (au para 45). La Cour d’appel fédérale a souligné, dans l’arrêt Singh (CAF), que les facteurs établis par l’arrêt Raza étaient quelque peu modifiés dans le contexte du paragraphe 110(4) de la LIPR, y compris le troisième facteur, à savoir la « Nouveauté », puisqu’il est redondant qu’il n’ajoute pas vraiment aux exigences explicites du paragraphe 110(4) (au para 46).

[16] Les demandeurs concèdent que la dépêche n’est pas survenue après le rejet de leur demande. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, ils font valoir que la dépêche satisfait à la condition énoncée au paragraphe 110(4), soit qu’elle « n’ét[ait] alors pas normalement accessibl[e] » au moment du rejet, parce qu’elle était postérieure à l’audience devant la SPR, le 22 août 2019, qu’elle était antérieure à la décision de cette dernière de quelques jours, qu’elle décrivait un fait survenu après l’audience devant la SPR, et que les demandeurs étaient au Canada à ce moment-là.

[17] Je suis d’avis que le libellé du paragraphe 110(4) de la LIPR est clair : les critères à respecter pour admettre un nouvel élément de preuve sont pris en compte à la date du rejet de la demande, et non pas à la date de l’audience devant la SPR. C’est cohérent avec l’article 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, qui autorise un demandeur à soumettre un nouvel élément de preuve à la SPR après l’audience, mais avant qu’une décision prenne effet.

[18] Pour expliquer en quoi la dépêche répondait aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, les demandeurs ont déclaré à la SAR [traduction] « [qu’ils] avaient présenté une dépêche postérieure à l’audition de leur demande d’asile, tenue le 22 août 2019, et qu’il était donc déraisonnable de s’attendre à ce qu’ils l’aient présentée durant cette audition ». Par conséquent, les demandeurs n’ont pas affirmé que la dépêche n’était pas normalement accessible, et il était loisible à la SAR de conclure que cette dépêche était normalement accessible, puisqu’elle avait été obtenue d’une source à la disposition du public. Les sept paragraphes du mémoire d’appel qui, affirment les demandeurs, étaient consacrés à la dépêche, portaient sur la pertinence de celle-ci, et non sur son admissibilité au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR. Dans l’arrêt Singh (CAF), la Cour d’appel fédérale a rejeté les arguments selon lesquels la SAR pouvait tenir compte du caractère probant et crédible d’un élément de preuve pour contrebalancer les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Autrement dit, la SAR peut rejeter un élément de preuve crédible, au motif qu’il est « techniquement inadmissible », du fait qu’il ne satisfait pas aux conditions légales explicites prévues au paragraphe 110(4) : Singh (FCA), aux para 36, 37.

[19] De plus, étant donné que les demandeurs avaient simplement affirmé que la dépêche était postérieure à l’audience devant la SPR, il était juste pour la SAR de déclarer que les demandeurs n’avaient présenté aucun argument ni aucun élément de preuve à l’appui de la conclusion qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’ils aient présenté la preuve au moment du rejet de leur demande.

[20] Je ne suis pas convaincue que la décision de la Cour dans l’affaire Ogundipe m’oblige à tirer une conclusion différente. Dans cette décision, il semble que la SAR a refusé d’admettre en preuve les articles alors en cause, au motif qu’ils portaient sur des faits survenus avant le rejet de la demande des demandeurs. Ces derniers soutenaient que la SAR ne s’était pas demandée, au moment de leur rejet, si on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils présentent des articles de presse. Bien que la décision rendue dans l’affaire Ogundipe ne fournisse pas de détails sur la preuve ou les observations que les demandeurs ont présentées à la SAR au sujet de l’admissibilité des articles, une distinction claire est que la SAR, dans la présente affaire, a bel et bien tenu compte des trois facteurs énoncés au paragraphe 110(4). En outre, dans l’arrêt Vavilov, il est établi clairement que le caractère raisonnable d’une décision rendue par un tribunal est contextuel — la décision doit être justifiée « au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents » : Vavilov, au para 105. De plus, les motifs de la SAR doivent être interprétés en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus, y compris des observations des parties et de la manière dont les demandeurs ont formulé leur appel : Vavilov, au para 94. Je suis d’avis que la décision rendue dans l’affaire Ogundipe était fondée sur la preuve dont disposait la SAR et sur les motifs de cette dernière dans cette affaire. Il ne découle pas des motifs exposés dans la décision Ogundipe que la preuve qui précède de peu la décision de la SPR remplira nécessairement les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR dans chaque cas.

[21] Enfin, les demandeurs font valoir que le défaut de la SAR d’admettre la dépêche en preuve a mené à une analyse incomplète du risque auquel ils seraient exposés dans les villes proposées comme PRI, car la dépêche aurait confirmé que le député avait [traduction] « un lourd passé criminel » et qu’il avait la motivation pour poursuivre les demandeurs au-delà de l’État du Pendjab. Le défendeur rétorque qu’il est conjectural de dire que les antécédents criminels du député établissent sa motivation pour poursuivre les demandeurs, en particulier parce que cette dépêche confirme simplement les allégations faites par les demandeurs devant la SPR selon lesquelles le député était corrompu. Je suis du même avis que le défendeur. Je ne vois pas en quoi le fait qu’il soit dit dans cette dépêche que des accusations criminelles ont été portées contre le député et que ce dernier s’est vu refuser la mise en liberté sous caution augmenterait le risque que les demandeurs soient persécutés par ce député corrompu dans les villes proposées comme PRI. Par conséquent, en plus de ma conclusion selon laquelle la SAR a raisonnablement refusé d’admettre la dépêche en preuve, en se basant sur les critères prévus au paragraphe 110(4) de la LIPR, ce qui représente une réponse complète à la position des demandeurs, je ne suis pas convaincue que le défaut d’admettre la dépêche en preuve ait mené à une analyse incomplète. Je suis d’avis que l’absence de cette preuve n’est pas importante au point de constituer une lacune suffisamment sérieuse pour rendre la décision de la SAR déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[22] Je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre la dépêche comme nouvel élément de preuve.

B. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en effectuant une analyse détaillée de la documentation sur les conditions dans le pays?

[23] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans sa décision relative à la PRI, en procédant à une appréciation sélective et à une analyse détaillée des renseignements sur la corruption au sein du service de police du Pendjab qui figurent dans la documentation sur les conditions dans le pays, dans le cartable national de documentation (le CND) pour l’Inde. Les demandeurs renvoient particulièrement au rapport IND104369.EF intitulé « Inde : information sur la situation des sikhs à l’extérieur de l’État du Pendjab, y compris le traitement qui leur est réservé par les autorités; la capacité des sikhs de se réinstaller ailleurs en Inde, y compris les difficultés auxquelles ils peuvent se heurter » (le rapport).

[24] Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 58 de la décision Hamdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 382, qui cite le paragraphe 17 de la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF) (Cepeda-Gutierrez), pour appuyer la proposition selon laquelle un tribunal doit examiner la totalité de la preuve et s’abstenir d’en faire une appréciation sélective. Les demandeurs soutiennent que, contrairement au principe établi dans la décision Cepeda-Gutierrez, en l’espèce, la SAR a commis une erreur en rejetant leur argument selon lequel le député pourrait obtenir l’aide de la police du Pendjab pour les retrouver n’importe où en Inde. Selon les demandeurs, la SAR a, de manière sélective, souligné un passage en particulier du rapport, où il est indiqué que la capacité de la police du Pendjab de retrouver des suspects dépendait de l’obtention d’une ordonnance d’un tribunal et de l’aide de la police d’autres États, de sorte que la police n’a recours à cette méthode que dans des cas [TRADUCTION] « extrêmes ». Les demandeurs font valoir que ce passage a par la suite été nuancé, puis contesté par de nombreuses sources dans le CND.

[25] De plus, les demandeurs s’appuient sur la dépêche non admise en preuve pour démontrer que l’agent de persécution n’est pas seulement corrompu, mais qu’il est aussi un criminel.

[26] Je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en procédant à une appréciation sélective ou à une analyse détaillée des documents sur la situation dans le pays. La SAR n’a pas fait fi de la documentation objective pertinente au point de contrevenir aux principes établis dans la décision Cepeda-Gutierrez. Aucune des sources citées par les demandeurs n’appuie leur argument selon lequel le député aurait la motivation nécessaire ou la possibilité de les rechercher dans un autre État. L’une des sources décrit l’obligation juridique de la police de poursuivre un individu dans un autre État si cet individu est recherché pour un crime. Une autre source indique que la police du Pendjab poursuivrait dans un autre État « des personnes qui militent pour les droits des victimes de la violence commise en 1984-1985 contre les sikhs, des personnes qui dénoncent la police ou le gouvernement pour leurs activités, ainsi que des membres d’organisations de la jeunesse sikhe ». En l’espèce, les demandeurs ne sont pas recherchés pour un quelconque crime et ils n’appartiennent donc pas à ce groupe de personnes. Une troisième source citée par les demandeurs parle de l’arrestation de personnes soupçonnées d’avoir des liens avec Babbar Khalsa. Or, les demandeurs ne sont pas soupçonnés d’avoir des liens avec ce groupe.

[27] Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de consulter la documentation sur les conditions dans le pays, où il était indiqué que la police du Pendjab aurait besoin d’une ordonnance d’un tribunal et de l’aide de la police d’un autre État pour poursuivre des suspects et qu’il s’agit d’une méthode employée dans des cas [traduction] « extrêmes » seulement. La SAR a raisonnablement conclu que le député n’aurait pas la motivation nécessaire pour prendre de telles mesures extraordinaires afin de trouver les demandeurs ailleurs en Inde, compte tenu du profil de ce député, à savoir un politicien au niveau de l’État intéressé par sa base d’électeurs au Pendjab, ainsi que de sa demande directe aux appelants de fermer leur commerce et leur espace de prière, et de quitter la région. Il n’existe aucun élément de preuve qui démontre que le député aurait la motivation pour poursuivre les demandeurs dans tout le pays. Pour les motifs ci-dessus, la dépêche a, à juste titre, été exclue et, de toute manière, elle ne démontrait pas que le député aurait la motivation pour poursuivre les demandeurs hors du Pendjab.

[28] Enfin, les demandeurs ne sont pas poursuivis par la police, et la preuve ne démontre pas que le député aurait la capacité d’utiliser les forces de police à son avantage, pour poursuivre les demandeurs à Mumbai ou à New Delhi.

[29] Comme le défendeur le déclare à juste titre, l’appréciation de la preuve relève de la compétence de la SAR. Cette dernière avait le droit de s’appuyer sur la preuve la plus compatible avec les profils des demandeurs et de leur agent de persécution : Marchant Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1997] ACF no 553 (CF); Tekin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 357 au para 17. Je ne suis pas convaincue que la SAR a procédé à une appréciation sélective de la preuve, et la conclusion de la SAR selon laquelle le député n’aurait pas la motivation pour rechercher les demandeurs dans un autre État était raisonnable.

IV. Conclusion

[30] Les demandeurs n’ont pas démontré que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle en refusant d’admettre un nouvel élément de preuve, et ils n’ont pas démontré que la détermination, par la SAR, de PRI viables à Mumbai et à New Delhi était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[31] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Je suis d’avis que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-14-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-14-20

 

INTITULÉ :

PARMINDER SINGH ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO) ET MONTRÉAL (QUÉBEC) PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 décembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 16 avril 2021

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Gruszczynski

Pour les demandeurs

 

Andrea Shahin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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