Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision







Date : 20000614


Dossier : T-1839-99


Ottawa (Ontario), le 14 juin 2000

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE:


DAVID IAIN TENCH


demandeur


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse




MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE O'KEEFE


[1]          Il s'agit d'une requête déposée par Sa Majesté la Reine (défenderesse) pour l'obtention, en vertu des articles 3 et 58 et des alinéas 59c), 221(1)a), c), d) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998), d'une ordonnance portant radiation de la déclaration à nouveau modifiée par le demandeur en date du 9 décembre 1999. Les motifs invoqués par la défenderesse au soutien de sa requête sont les suivants :

[TRADUCTION]

1.          La déclaration constitue un abus de procédure;

2.          La déclaration n'est pas conforme aux exigences relatives aux actes de procédure prévues dans les Règles de la Cour fédérale (1998);

3.          La déclaration ne révèle aucune cause d'action valable;

4.          La déclaration est scandaleuse, frivole ou vexatoire;

5.          La déclaration porte préjudice et nuira à l'instruction équitable de la présente action.


[2]      Pour étayer sa requête, la défenderesse a présenté les éléments de preuve suivants, sous forme de preuve documentaire et d'affidavits :

  1. )Déclaration modifiée en date du 10 mars 1999
  2. b)      Déclaration à nouveau modifiée en date du 9 juillet 1999
  3. c)      Ordonnance du juge Reed en date du 19 juillet 1999
  4. d)      Déclaration en date du 20 octobre 1999
  5. e)      Déclaration modifiée en date du 12 novembre 1999
  6. f)      Déclaration à nouveau modifiée en date du 9 décembre 1999
  7. g)      Affidavit de Ron Stolz en date du 3 novembre 1999
[3]      Le demandeur était un agent de correction travaillant pour les Services correctionnels du Canada. Selon les documents qu'il a déposés, il a travaillé pour les Services correctionnels du 20 juillet 1992 au 31 mars 1993. Cette période d'emploi a été suivie d'une période d'invalidité, qui a pris fin le 3 mars 1996. Le demandeur a eu une autre période d'emploi, qui s'est terminée le 17 octobre 1997 et qui, à son tour, a été suivie d'une seconde période d'invalidité.
[4]      Le 9 septembre 1993, le demandeur a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il alléguait dans sa plainte que les Services correctionnels du Canada avaient commis des actes discriminatoires, [TRADUCTION] « entre février 1992 et le 10 mars 1993, fondées sur les motifs de la race et de la couleur (noir) » .
[5]      Cette plainte a finalement fait l'objet d'un règlement formel hors cour en date du 27 mars 1997, qui a été subséquemment approuvé par la Commission canadienne des droits de la personne le 24 avril 1997. Le demandeur a alors signé une renonciation pour exonérer les Services correctionnels du Canada de toute responsabilité relative à son emploi.
[6]      Le 19 juillet 1999, Madame le juge Reed, de la présente Cour, a radié une déclaration produite antérieurement par le demandeur concernant sa période d'emploi au sein des Services correctionnels du Canada.
[7]      Le 20 octobre 1999, le demandeur a produit une nouvelle déclaration, qu'il a modifiée le 12 novembre 1999 et a modifiée à nouveau le 9 décembre 1999. Dans la présente requête, la Cour est saisie de cette dernière déclaration modifiée en date du 9 décembre 1999.

Question en litige

[8]      La déclaration produite par le demandeur doit-elle être radiée?

Le droit applicable

[9]      L'article 58 et l'alinéa 59c) de même que l'article 174 et les alinéas 221(1)a), c), d) et f) des Règles de la Cour fédérale (1998) sont pertinents quant à la présente requête. Ils prévoient:

58. (1) A party may by motion challenge any step taken by another party for non-compliance with these Rules.     


(2) A motion under subsection (1) shall be brought as soon as practicable after the moving party obtains knowledge of the irregularity.

59. Subject to rule 57, where, on a motion brought under rule 58, the Court finds that a party has not complied with these Rules, the Court may, by order,


(a) . . .

(b) grant any amendments required to address the irregularity; or


(c) set aside the proceeding, in whole or in part.

58. (1) Une partie peut, par requête, contester toute mesure prise par une autre partie en invoquant l'inobservation d'une disposition des présentes règles.

(2) La partie doit présenter sa requête aux termes du paragraphe (1) le plus tôt possible après avoir pris connaissance de l'irrégularité.

59. Sous réserve de la règle 57, si la Cour, sur requête présentée en vertu de la règle 58, conclut à l'inobservation des présentes règles par une partie, elle peut, par ordonnance :

a) . . .

b) autoriser les modifications nécessaires pour corriger l'irrégularité;

c) annuler l'instance en tout ou en partie.

174. Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

174. Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.

221.(1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) . . .

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).221.(1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) . . .

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

Analyse et décision
[10]      Il va de soi que les dispositions des Règles de la Cour fédérale (1998) (les articles 174 et 221) confèrent à la Cour le pouvoir de radier certains actes de procédure. Cependant, il ressort très clairement de la jurisprudence établie par la Cour que ce pouvoir ne doit être exercé que dans des cas manifestes et évidents. Le juge Rouleau, de la présente Cour, l'a exprimé succinctement dans l'affaire Glaxo Canada c. Canada et Apotex (no 2) (1987) 11 F.T.R. 121 (C.F. 1re inst.), aux pages 128 et 129 :
La jurisprudence a clairement établi que la Cour ne devrait ordonner la radiation d'une plaidoirie que dans les cas manifestes et évidents. La procédure sommaire de radiation prévue par la Règle 419 n'est appropriée que lorsqu'il est manifeste que la déclaration est insuffisante telle quelle, même si elle est prouvée, pour que le demandeur ait droit au redressement demandé. Tant qu'une déclaration révèle une certaine cause d'action ou soulève certaines questions susceptibles d'être decidées par un procès, le simple fait que la position soit faible ne justifie pas d'ordonner la radiation. Le pouvoir donné à la Cour par la Règle 419 doit être exercé rarement et seulement dans des cas exceptionnels. Par conséquent, une ordonnance ne sera prise que dans les cas où il est évident que la prétention est mal fondée et ne peut raisonnablement réussir.
[11]      Ayant cette jurisprudence à l'esprit, j'ai examiné la déclaration à nouveau modifiée en date du 9 décembre 1999 et j'en viens à la conclusion que les paragraphes 1, 2, 3, 5, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 18, 19, 20 et 21 ne devraient pas être radiés. Les paragraphes 22 à 34 demeurent inchangés, sous réserve des exceptions indiquées au paragraphe 18 des présents motifs. Dans l'affaire Glaxo, précitée, le juge Rouleau a déclaré aux pages 127 et 128 :
En aucun cas, cependant, il n'est facile pour un requérant de s'acquitter de ce fardeau. La Cour est toujours réticente à radier une déclaration et à rejeter une action en vertu de la Règle 419(1)a) et elle ne le fera que s'il est clair qu'aucun amendement ne peut modifier la déclaration de façon à révéler une cause raisonnable d'action. Ce critère est aussi rigoureux, sinon plus, lorsqu'on demande le rejet d'une action au motif que la procédure est futile ou vexatoire ou constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. La Cour ne mettra pas fin à une procédure et ne privera pas un demandeur du droit de faire entendre sa cause à moins qu'il soit clair que l'action est futile ou vexatoire ou que le demandeur n'a aucune cause raisonnable d'action et que permettre à l'action de suivre son cours constitue un emploi abusif de ses procédures.
[12]      Après examen de ces paragraphes, j'estime que bien que le demandeur ait une cause d'action difficile à établir, il n'est pas clair à la lumière des actes de procédure produits jusqu'ici qu'il ne pourra réussir à le faire. En conséquence, aucun motif ne justifie la radiation de ces actes de procédure.
[13]      J'ai passé en revue les paragraphes 4, 6, 7, 8 et 16 et je conclus qu'ils ne révèlent aucun fait substantiel que le demandeur a l'intention d'invoquer. L'article 174 exige qu'une partie expose les faits substantiels sur lesquels elle fonde sa cause d'action. Dans l'affaire Association olympique canadienne c. USA Hockey, Inc. (1997) 74 C.P.R. (3d) 348 (C.F. 1re inst.), aux pages 350 et 351, le juge en chef adjoint Jerome a déclaré ce qui suit :
Enfin, la déclaration de la demanderesse n'est tout simplement pas conforme à la règle 408(1) des Règles de la Cour fédérale, qui prévoit qu'une partie doit plaider les faits essentiels sur lesquels elle se fonde. La simple affirmation d'une conclusion sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer ne constitue pas une allégation d'un fait essentiel. Lorsqu'il est évident que l'auteur d'une allégation ne dispose d'aucun élément de preuve pour l'appuyer, la plaidoirie qui renferme cette allégation doit être rejetée.

[14]      À mon avis, ces paragraphes ne contiennent simplement aucun fait substantiel qui fonde la cause d'action et contreviennent par conséquent à l'article 174. Le protonotaire Hargrave, dans l'affaire Détenus de la prison Mountain c. Canada (1998) 146 F.T.R. 265, a déclaré à la page 267 :
La déclaration est si générale et si dénuée de détails, dont les noms et les dates, qu'elle ne permet pas à la défenderesse d'entreprendre des investigations convenables ou d'y opposer une défense convenable. Appelée à se prononcer sur plusieurs déclarations du même genre dans Murray c. Commission de la fonction publique (1978), 21 N.R. 230, la Cour d'appel fédérale a jugé qu'elles étaient fondamentalement vexatoires faute de présenter de faits suffisamment précis pour montrer quel était le fondement de la demande, ce qui fait que le défendeur ne pouvait pas la contester et que la Cour ne pouvait pas réglementer le déroulement de la procédure (p. 236). Pareille action vexatoire ne débouchera sur aucun résultat pratique. Tel est le cas en l'espèce, car la déclaration est si générale et si étendue, en même temps si dénuée de détails, que la défenderesse serait dans l'impossibilité de formuler une réponse.
[15]      Je fais mien cet énoncé du droit et je suis par conséquent d'avis de radier les paragraphes 4, 6, 7, 8 et 16 de la déclaration.
[16]      Je suis également d'avis qu'il faut radier le paragraphe 13 de la déclaration. Conformément à ce qu'a décidé Madame le juge Barbara Reed (voir David Iain Tench c. Sa Majesté la Reine, 19 juillet 1999, dossier T-426-99, et le dossier de requête de la défenderesse à la page 51), le paragraphe 13 doit être radié puisqu'il fait l'objet d'une demande distincte de contrôle judiciaire, dossier no T-2235-98.
[17]      Quant au paragraphe 17 de la déclaration, j'ordonne que les termes [TRADUCTION] « omettant de communiquer en temps utile à la défenderesse des renseignements concernant une priorité pour cause de handicap » soient radiés pour les mêmes motifs qui justifient la radiation du paragraphe 13 de la déclaration. Le reste du paragraphe 17 demeure intact.
[18]      Les paragraphes 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29 et 31 sont modifiés de manière qu'ils reflètent la suppression des paragraphes de la déclaration qui font l'objet d'une radiation.
[19]      J'ai examiné la renonciation datée du 27 mars 1997 et il m'apparaît qu'elle est liée au contenu de la plainte relative aux droits de la personne; cependant, comme je ne dispose pas d'éléments de preuve portant sur cet aspect de la cause, c'est au juge de première instance qu'il appartiendra de trancher la question.
[20]      J'ai examiné la demande de la défenderesse quant à la radiation de l'affidavit du demandeur. Je ne suis pas prêt à faire droit à cette demande, puisque le paragraphe 221(2) n'interdit le dépôt d'éléments de preuve que pour une requête présentée en application de l'alinéa 221(1)a), alors qu'en l'espèce la requête du demandeur a été présentée en application des alinéas 221(1)c), d) et f), en plus de l'alinéa 221(1)a).
[21]      Comme la requête n'a été accueillie qu'en partie, aucuns dépens ne sont adjugés.
ORDONNANCE
[20]      LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE :

  1. .      Les paragraphes 1, 2, 3, 5, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 18, 19, 20 et 21 ne doivent pas être radiés.
     2.      Les paragraphes 22 à 34 de la déclaration demeurent inchangés, sous réserve des exceptions mentionnées au paragraphe 18 des présents motifs.
     3.      Les paragraphes 4, 6, 7, 8, 13 et 16 de la déclaration sont radiés.
     4.      Les paragraphes 22, 23, 25, 26, 27, 28, 29 et 31 doivent être modifiés de manière qu'ils reflètent la suppression des paragraphes de la déclaration qui ont été radiés.
     5.      Les termes [TRADUCTION] « omettant de communiquer en temps utile à la défenderesse des renseignements concernant une priorité pour cause de handicap » , au paragraphe 17 de la déclaration, sont radiés et le reste du paragraphe 17 demeure inchangé.


[21]      PAR LA PRÉSENTE, LA COUR ORDONNE EN OUTRE QU'aucuns dépens ne soient adjugés.



     « John A. O'Keefe »

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 14 juin 2000


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.




COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE:              T-1839-99
INTITULÉ DE LA CAUSE:          DAVID IAIN TENCH

                     -et-

                     SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE:          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE:          Le 14 mars 2000     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR LE JUGE O'KEEFE

EN DATE DU:              14 juin 2000

ONT COMPARU:

David Iain Tench                      EN SON PROPRE NOM
Kathleen McManus                      POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

                    


COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
    
                     Date : 20000614
                     Dossier : T-1839-99

ENTRE :
DAVID IAIN TENCH
demandeur
-et-
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse






MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.