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Date : 20210413


Dossier : IMM‑6332‑19

Référence : 2021 CF 321

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 13 avril 2021

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

GRABIEL GARCIA DIAZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente demande de contrôle judiciaire découle d’une décision d’un agent des visas relative à une demande de résidence permanente fondée sur une demande de parrainage ou, subsidiairement, sur une demande de résidence permanente fondée sur une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), LC 2001, c 27, pour des motifs d’ordre humanitaire.

[2] Le demandeur, M. Grabiel Garcia Diaz, est un citoyen de Cuba qui réside là‑bas. Sa mère, Mme Margalis Diaz Rodriguez, est une citoyenne de Cuba et réside au Canada. Mme Diaz Rodriguez était la répondante proposée du demandeur, qui est son seul enfant. Elle est une résidente permanente du Canada et vit ici depuis 2004. Elle vit seule depuis son divorce avec son époux canadien en 2013. Elle n’a pas d’autres parents au Canada et elle a présenté une demande en vue de parrainer son fils au titre de l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), c’est‑à‑dire la disposition concernant le « répondant canadien seul ».

[3] En 2016, Mme Diaz Rodriguez a présenté une demande en vue de parrainer le demandeur pour qu’il vienne au Canada en tant que résident permanent. L’agent des visas a conclu que Mme Diaz Rodriguez ne pouvait pas parrainer M. Garcia Diaz au titre des dispositions applicables du RIPR. L’agent a également refusé d’accorder au demandeur une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[4] Le demandeur soutient que, en rejetant la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a manqué à l’équité procédurale. Le demandeur affirme qu’il aurait dû avoir la possibilité de présenter des observations au sujet de l’intérêt supérieur de son enfant avant que l’agent ne rende une décision défavorable relative aux motifs d’ordre humanitaire. Le fils du demandeur est né en 2008 et réside avec sa mère à Cuba. La mère de l’enfant a la garde exclusive de l’enfant, mais une entente de garde permet au demandeur de voir son fils [traduction] « normalement » (un week‑end sur deux, la moitié des congés scolaires et la moitié des vacances).

[5] En l’espèce, même si des éléments de preuves ont été présentés au sujet de l’enfant dans le cadre de la demande pour des motifs d’ordre humanitaire, les deux observations écrites présentées au nom du demandeur ne contenaient pas d’arguments concernant l’intérêt supérieur de cet enfant. Devant la Cour, le demandeur a soutenu que, si l’agent avait eu l’intention d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent aurait dû lui offrir la possibilité de faire valoir que, dans les faits, il est dans l’intérêt supérieur de son enfant cubain que lui‑même quitte Cuba pour venir au Canada en tant que résident permanent grâce à une dispense fondée sur des motifs humanitaires afin d’être aux côtés de sa mère seule, la grand‑mère biologique de l’enfant.

[6] Le demandeur a également contesté le caractère raisonnable de la décision de l’agent concernant son évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant et des éléments de preuve relatifs à la santé mentale de sa mère, Mme Diaz Rodriguez.

[7] Pour les motifs qui suivent, je dois conclure que, selon les faits de l’espèce, le demandeur était au courant de ce qu’il devait prouver et a eu amplement l’occasion de présenter des observations dans sa demande, tout particulièrement en ce qui concerne l’intérêt supérieur de son enfant à Cuba. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale à l’égard du demandeur.

[8] Je conclus également que l’agent n’a pas commis une erreur sujette à révision qui justifie l’intervention de la Cour dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[9] Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

I. Faits et événements à l’origine de la présente demande

[10] D’emblée, je souhaiterais reconnaître les difficultés auxquelles a fait face Mme Diaz Rodriguez. Depuis qu’elle s’est séparée de son ex‑époux en 2012, elle vit seule au Canada sans famille et surtout sans l’amour et le soutien de son fils bien‑aimé. Même avant sa séparation et durant plus d’une décennie jusqu’à ce jour, elle a tenté de se réunir avec son fils au Canada. Sa santé mentale s’est détériorée. Malgré les défis auxquels elle a fait face, elle a persévéré et a réussi à mettre sur pied sa propre petite entreprise de couturière hautement qualifiée afin de subvenir à ses besoins et à ceux de son fils.

[11] À la fin de 2003, Mme Diaz Rodriguez a épousé un homme canadien à Cuba. Elle a obtenu le droit d’établissement au Canada en septembre 2004. Le couple s’est séparé en janvier 2012 et a divorcé à Cuba en 2013.

[12] Le demandeur n’a pas été en mesure d’accompagner sa mère au Canada lorsqu’elle a déménagé en 2004. Toutefois, il était inscrit comme personne à charge n’accompagnant pas Mme Diaz Rodriguez sur la demande de résidence permanente de cette dernière. À l’époque, le demandeur avait 17 ans et n’avait pas terminé son service militaire obligatoire de deux ans à Cuba. Pour cette raison, il ne pouvait pas accompagner immédiatement sa mère au Canada. Lorsque le demandeur a terminé son service militaire, Mme Diaz Rodriguez et son époux ont présenté une demande de parrainage afin qu’il puisse venir au Canada. Mme Diaz Rodriguez a été approuvée en tant que répondante à la fin de mai 2008 et a envoyé la demande en juin 2008 aux fins du traitement.

[13] Par la suite, plusieurs cachotteries et malentendus regrettables, quoique bien intentionnés, ont eu des répercussions sur les tentatives du demandeur d’obtenir la résidence permanente. Pendant que la première demande (2008) était en instance, le demandeur a informé Mme Diaz Rodriguez que sa copine et lui étaient tombés amoureux et attendaient un enfant. Le demandeur n’a pas dit toute la vérité à sa mère à ce moment‑là. Mme Diaz Rodriguez avait d’abord compris que son fils et cette femme vivaient ensemble comme un couple à Cuba et entretenaient une relation qui serait qualifiée d’union « de fait » au Canada. Mme Diaz Rodriguez a également déclaré avoir mal traduit de l’espagnol les mots « vivaient ensemble » par le terme « common law » (de fait) en anglais, même si le demandeur n’était pas dans une union « de fait » telle qu’elle la comprend maintenant selon le droit canadien. Mme Diaz Rodriguez a appris plus tard que le demandeur avait en réalité seulement eu une relation de nature sexuelle avec cette femme, qui était tombée enceinte. Ils habitaient sous le même toit durant la grossesse, mais n’entretenaient pas de relation romantique.

[14] Après avoir été informée de l’union « de fait » présumée de son fils, Mme Diaz Rodriguez l’a déclarée aux responsables de l’immigration canadienne aux fins de la demande de résidence permanente en instance du demandeur. À cette époque‑là, soit en 2008 et 2009, Mme Diaz Rodriguez a compris que la relation de son fils le rendait inadmissible au parrainage et elle a fini par retirer la demande de son fils. Ce n’est que plus tard, après avoir appris la vérité au sujet de la relation du demandeur, et après son propre divorce, qu’elle s’est rendu compte qu’elle avait mal compris les exigences canadiennes en matière de parrainage et que son fils pouvait toujours être parrainé.

[15] Étant donné qu’elle comprenait désormais que la relation qu’entretenait son fils avec la mère de son enfant à Cuba n’était pas une union « de fait » ou son équivalent, Mme Diaz Rodriguez a présenté une nouvelle demande en vue de le parrainer. Elle a présenté une deuxième demande de résidence permanente à son nom en 2016.

[16] La deuxième demande de résidence permanente du demandeur est celle qui est en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[17] Le demandeur (ou plus précisément Mme Diaz Rodriguez) a présenté bon nombre de documents pour soutenir la deuxième demande, y compris une déclaration solennelle de Mme Diaz Rodriguez datée du 14 septembre 2016 et deux lettres de représentants professionnels (un consultant en immigration et un avocat), l’une datée de 2016 et l’autre de 2019. Je vais décrire le contenu pertinent de ces trois documents. D’autres documents liés à la garde de l’enfant et à des éléments de preuve médicaux ont été présentés, lesquels j’aborderai plus loin dans les présents motifs. Le demandeur n’a pas fait de déclaration ni présenté de déclaration solennelle.

Déclaration solennelle de madame Diaz Rodriguez

[18] Dans sa déclaration solennelle, Mme Diaz Rodriguez a décrit sa rencontre et son mariage avec son époux à Cuba, ainsi que son arrivée au Canada en septembre 2004. Comme il a déjà été mentionné, Mme Diaz Rodriguez a expliqué que, au moment où elle était parrainée, son fils (le demandeur) était inscrit dans sa demande comme personne à charge ne l’accompagnant pas. Elle pouvait encore le parrainer après son service militaire de deux ans à Cuba.

[19] Aux paragraphes 5 à 13 de sa déclaration solennelle, Mme Diaz Rodriguez a expliqué que, durant son service militaire, le demandeur avait rencontré une femme lors d’un de ses congés et qu’ils avaient commencé une relation de nature sexuelle. Elle a affirmé qu’il ne prévoyait pas entretenir une relation à long terme avec cette femme. À la fin de son service militaire, le demandeur est retourné vivre chez sa grand‑mère. La femme a affirmé être enceinte de lui. Mme Diaz Rodriguez a déclaré que la femme [traduction] « l’a pourchassé encore et encore jusqu’à ce qu’il devienne évident qu’elle n’allait pas lâcher prise, et que le demandeur s’est alors résigné à l’idée qu’il pourrait être le père » et a décidé d’inviter la femme à habiter avec lui et sa grand‑mère pour l’aider et lui offrir du soutien. Mme Diaz Rodriguez a déclaré avoir été bouleversée par ces événements puisqu’elle pensait que le demandeur était dans une union « de fait » alors qu’il vivait sous le même toit que la mère de son enfant sans être en couple avec elle. Mme Diaz Rodriguez a déclaré que [traduction] « cet arrangement avait été pris uniquement pour offrir à la mère un endroit où habiter pendant sa grossesse et son accouchement et prendre soin du bébé dans les mois suivant sa naissance ». Le fils de Mme Diaz Rodriguez lui a fait croire que cette femme et lui étaient amoureux pour ne pas la mettre trop en colère et la décevoir.

[20] Mme Diaz Rodriguez a déclaré ce qui suit : [traduction] « Mon fils s’est attaché à son enfant, mais savait qu’il devait l’abandonner parce que la mère n’aurait pas permis qu’il [l’enfant] parte » [c’est‑à‑dire au Canada]. Le demandeur a permis à la mère de son enfant de rester chez sa grand‑mère plus longtemps que prévu pour qu’il puisse offrir à son fils un semblant de famille, mais le demandeur et la mère de son enfant n’entretenaient pas de liens et ne se considéraient pas comme un couple.

[21] Selon le témoignage de Mme Diaz Rodriguez, la mère partait souvent, en prenant [traduction] « avec elle [son] petit‑fils lorsqu’elle entrait en relation avec d’autres hommes ». Mme Diaz Rodriguez a déclaré qu’une entente [traduction] « avait accordé la garde de [son] petit‑fils Gabriel à sa mère ».

[22] Mme Diaz Rodriguez a ensuite expliqué en détail les événements à l’origine de la deuxième demande visant le parrainage du demandeur afin qu’il vienne au Canada. Elle a décrit sa relation avec son unique enfant, sa culpabilité lorsque son fils est resté à Cuba en raison de l’erreur qu’elle avait commise au sujet de son admissibilité au parrainage et la culpabilité et la tristesse qu’elle a éprouvées du fait qu’il n’a pas pu profiter avec elle de toutes les choses merveilleuses et des possibilités qu’elle a eues au Canada. Elle a mentionné que son époux et elle s’étaient séparés et avaient ensuite divorcé, et qu’elle se retrouvait maintenant [traduction] « toute seule ». Elle a déclaré qu’elle n’a aucune famille au Canada ni aucun soutien émotionnel de sa famille. Mme Diaz Rodriguez a affirmé que le demandeur était la seule personne au monde qui était proche d’elle et qu’ils communiquaient ensemble presque chaque jour par téléphone ou messagerie. Elle lui fournit un certain soutien financier. Elle se rend à Cuba aussi souvent que possible, compte tenu de ses obligations professionnelles, et lorsqu’elle peut se permettre de voyager.

[23] Mme Diaz Rodriguez a également fait savoir qu’elle possède sa propre maison, grâce à une entente avec son ex‑époux, et qu’elle est complètement autonome sur le plan financier parce qu’elle a un emploi de couturière à temps plein. Elle a déclaré que, si le demandeur était autorisé à venir au Canada, il habiterait avec elle jusqu’à ce qu’il soit établi et qu’elle le soutiendrait. Elle a affirmé que le demandeur a la possibilité de travailler dans l’industrie de la construction et a les qualifications pour le faire. Le dossier comprenait une offre d’emploi et une offre d’entrevue envoyées au demandeur par les propriétaires de deux entreprises de construction.

La lettre du consultant

[24] Comme il a été mentionné, Mme Diaz Rodriguez a présenté deux lettres de ses représentants professionnels pour appuyer la demande concernant son fils.

[25] Tout d’abord, Mme Diaz Rodriguez a présenté une demande de parrainage afin que le demandeur obtienne la résidence permanente au Canada au moyen d’une lettre datée du 14 septembre 2016 envoyée par un consultant réglementé en immigration canadienne et parajuriste (« la lettre du consultant »). Elle a demandé que la demande soit traitée au titre de la catégorie du regroupement familial et de l’alinéa 117(1)h) du RIPR. Elle a fait valoir que, lorsque ses parents étaient toujours vivants à Cuba, elle n’avait pas été en mesure de les parrainer en raison de leur très mauvais état de santé physique et mentale et de leur incapacité à voyager de Cuba vers le Canada. Étant donné qu’elle n’avait aucun autre membre de sa famille ni aucun parent au Canada, elle a soutenu qu’elle pouvait parrainer le demandeur. À titre subsidiaire, elle a demandé une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[26] La lettre du consultant contenait cinq pages à simple interligne et décrivait la situation de Mme Diaz Rodriguez à l’origine de la demande. La lettre expliquait pourquoi ses parents n’avaient pas pu être parrainés en raison de leur âge avancé (77 et 83 ans à l’époque) et de leur mauvaise santé, et que leur santé les empêchait de voyager au Canada même s’ils étaient parrainés et approuvés. La lettre du consultant précisait que Mme Diaz Rodriguez et le demandeur entretiennent une relation très étroite et qu’elle a pratiquement élevé son fils seule, en lui offrant à la fois un soutien émotif et financier. Elle a continué à entretenir une relation étroite avec son fils pendant qu’elle vivait au Canada avec son époux. Après son divorce, Mme Diaz Rodriguez a continué à dépendre énormément du demandeur pour son soutien émotionnel. La lettre expliquait qu’elle s’est rendue 23 fois à Cuba pour rendre visite à son fils entre 2004 et 2016.

[27] La lettre du consultant décrivait la vie de Mme Diaz Rodriguez au Canada, puis la [traduction] « vie du demandeur à Cuba ». La lettre du consultant indiquait que le demandeur a un enfant dont il s’est [traduction] « récemment éloigné », mais que l’enfant et sa mère sont [traduction] « récemment revenus dans [l]a ville natale [du demandeur] », après avoir vécu un certain temps dans une autre ville avec le conjoint de fait de la mère. La lettre indiquait que le demandeur [traduction] « ne sait pas combien de temps son enfant restera dans sa vie cette fois‑ci ». La lettre confirmait que la mère a la garde de l’enfant et qu’elle fait partie de la vie du demandeur par intermittence et en sort lorsqu’elle rencontre un nouvel homme avec qui elle veut être. La lettre du consultant mentionne que le demandeur [traduction] « n’a jamais envisagé d’entretenir une relation à long terme avec la mère de son enfant. Il l’avait accueillie chez lui à ce moment‑là uniquement pour le bien‑être de son enfant à naître. La mère a la garde exclusive et ne souhaite aucunement inclure le demandeur dans la vie de son fils. »

[28] Je tiens à souligner que la lettre du consultant ne présente aucune observation explicite concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, le fils du demandeur. Comme il vient d’être mentionné, elle abordait certains aspects de la vie de l’enfant et de sa relation avec le demandeur en 2016.

[29] La lettre du consultant décrivait ensuite la documentation à l’appui liée aux évaluations de la santé mentale de Mme Diaz Rodriguez. Elle citait des passages d’un rapport d’un psychologue qui a diagnostiqué chez Mme Diaz Rodriguez un trouble dépressif majeur [traduction] « très grave », jumelé à un stress anxieux. Le psychologue a clairement prévenu que, si son fils n’obtenait pas l’autorisation d’entrer au Canada, Mme Diaz Rodriguez [traduction] « pourrait très bien souffrir d’une dépression invalidante prolongée et d’un effondrement psychologique […] Lui refuser la possibilité de se réunir avec son fils lui causerait de très graves difficultés psychologiques. »

[30] Par la suite, la lettre du consultant abordait l’embauche potentielle du demandeur, son intégration dans la société canadienne et des facteurs financiers. La lettre se concluait par un résumé de la demande, mentionnant que le demandeur avait déjà été admissible pour venir au Canada, mais que, en raison d’un malentendu, Mme Diaz Rodriguez avait cessé d’appuyer le parrainage de son fils.

La lettre de l’avocat

[31] Plus de deux ans plus tard, l’avocat de Mme Diaz Rodriguez a envoyé une observation supplémentaire dans une lettre datée du 15 avril 2019 (« la lettre de l’avocat »). La lettre de l’avocat mentionnait d’abord que les services d’un avocat avaient été retenus afin que Mme Diaz Rodriguez soit représentée dans le cadre de sa demande de parrainage du demandeur en tant que membre de la « catégorie du regroupement familial » en vertu de l’alinéa 117(1)h) du RIPR. La lettre de l’avocat indiquait que ce dernier fournissait [traduction] « des observations et des éléments de preuve supplémentaires » et que [TRADUCTION] « ces observations et ces éléments de preuve complétaient les observations et les éléments de preuve antérieurs et ne les remplaçaient d’aucune manière » [souligné dans l’original]. La lettre de l’avocat abordait les deux positions prises par Mme Diaz Rodriguez, soit que le demandeur était membre de la catégorie du regroupement familial conformément à la LIPR et que, s’il ne l’était pas, le demandeur demandait une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[32] Aux pages 2 à 4, la lettre de l’avocat décrivait les faits pertinents, y compris les antécédents personnels de Mme Diaz Rodriguez et du demandeur et de nombreux faits exposés ci‑dessus. La lettre de l’avocat confirmait que, durant le traitement de la demande, en 2008, le demandeur avait annoncé à Mme Diaz Rodriguez qu’il avait rencontré une femme avec qui il avait une relation [traduction] « purement physique », qui a donné lieu à une grossesse. La lettre de l’avocat mentionnait que le demandeur et sa partenaire ne se sont jamais mariés, ni n’ont été conjoints de fait, ni n’avaient l’intention d’entretenir une relation à long terme. Ils ont vécu sous le même toit durant un certain temps parce que le demandeur voulait pourvoir aux besoins de la mère et de l’enfant. La lettre de l’avocat confirmait que le demandeur n’avait pas révélé à Mme Diaz Rodriguez la véritable nature de sa relation avec la mère de son enfant, de sorte que Mme Diaz Rodriguez a cru à tort qu’ils étaient éperdument amoureux. La lettre de l’avocat expliquait la méprise de Mme Diaz Rodriguez à l’égard de la relation du couple.

[33] La lettre de l’avocat décrivait le divorce de Mme Diaz Rodriguez et les tentatives du demandeur de visiter le Canada muni d’un visa de résident temporaire. Le demandeur a présenté plusieurs demandes pour obtenir ce visa, qui ont toutes été refusées. Dans l’une des demandes de visa, le demandeur a indiqué qu’il avait [traduction] « une conjointe de fait, un fils à charge […] ».

[34] Aux pages 4 à 10 de la lettre de l’avocat, il était soutenu que le demandeur était membre de la catégorie du regroupement familial conformément à l’alinéa 117(1)h) du RIPR. Les pages 10 à 14 contenaient des observations concernant la demande présentée par le demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire. La lettre de l’avocat comprenait des observations au sujet du droit qui s’applique à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et au sujet de la santé mentale de Mme Diaz Rodriguez, indiquant qu’elle avait reçu un diagnostic de dépression majeure et que des antidépresseurs lui avaient été prescrits. Elle a été dirigée vers un psychothérapeute. L’impossibilité de faire venir le demandeur au Canada au cours des 13 années précédentes avait été [traduction] « extrêmement traumatisante » pour elle. La lettre présentait en détail certains extraits d’un rapport sur la santé mentale préparé par un psychologue et soulignait que Mme Diaz Rodriguez vivait seule, sans aucun membre de sa famille pour l’aider ou lui fournir le soutien émotionnel nécessaire dont elle avait tant besoin. Elle avait un réseau de soutien très limité. La lettre de l’avocat faisait mention du sentiment de culpabilité occasionné par l’erreur qu’elle avait commise dans la première demande de parrainage. La lettre indiquait que la solitude et la frustration de longue date découlant de l’impossibilité de retrouver le demandeur avaient eu un effet néfaste sur sa santé et qu’elle envisageait d’abandonner tout ce qu’elle avait construit au Canada pour retourner à Cuba, où elle aurait une qualité de vie moindre et ne gagnerait pas le même salaire qu’au Canada. Le demandeur perdrait le soutien financier qu’elle lui apporte, et ils vivraient probablement dans la pauvreté. La lettre présentait également Mme Diaz Rodriguez comme un membre productif de la société canadienne, travaillant comme couturière à son compte et possédant sa propre maison.

[35] En conclusion, la lettre de l’avocat mentionnait les difficultés vécues par le demandeur à Cuba en soulignant qu’il n’est pas nécessaire d’établir que le demandeur a été personnellement touché par les conditions à Cuba.

[36] La lettre de l’avocat ne présentait aucune observation explicite concernant l’intérêt supérieur du fils du demandeur (c’est‑à‑dire le petit‑fils de Mme Diaz Rodriguez).

II. La décision de l’agent

[37] La décision en cause dans la présente demande est décrite dans l’avis de demande comme une [traduction] « décision rendue par un agent de la Section de l’immigration [à l’ambassade canadienne à Mexico] […], datée du 29 août 2019 et communiquée à la même date, rejetant une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et présentée à titre de membre de la catégorie du regroupement familial […] ».

[38] La lettre susmentionnée datée du 29 août 2019 et envoyée au demandeur l’avisait de ce qui suit :

[traduction]

  • « Votre répondante ne gagne pas le revenu minimal nécessaire pour vous parrainer. »

  • « De plus, vous n’avez pas satisfait aux exigences de la catégorie du regroupement familial, telles qu’énoncées à l’article 117 du Règlement […] »

  • « Vous ne répondez pas aux exigences de l’alinéa 117(1)h) du Règlement étant donné que votre répondante a des parents qu’elle pourrait par ailleurs parrainer. Vous n’êtes donc pas membre de la catégorie du regroupement familial. »

  • « J’ai tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire en cause dans votre demande, mais j’estime qu’ils ne suffisent pas pour passer outre à votre défaut de respecter les exigences relatives au parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial. »

Je note que la conclusion selon laquelle Mme Diaz Rodriguez avait des parents (ses parents âgés et invalides) qu’elle aurait pu d’ailleurs parrainer n’était pas en cause dans la présente demande, même si la raison pour laquelle l’agent a décidé qu’ils pouvaient être parrainés n’est pas claire, compte tenu de leur mauvaise santé et de leur incapacité à voyager.

[39] En réponse à une demande, un représentant de l’ambassade canadienne au Mexique a fourni, dans une lettre datée du 29 octobre 2019, une copie des données du Système mondial de gestion des cas (le SMGC) relatives aux décisions décrites dans la lettre du 29 août 2019, ainsi que de multiples communications antérieures. Les données du SMGC du 19 août 2019 concernaient la décision défavorable quant à la demande d’inclusion dans la catégorie du regroupement familial.

[40] Les notes du SMGC du 29 août 2019 comprenaient les entrées suivantes :

[traduction]

Date déterminante : 19 septembre 2016. À la date déterminante, le DP [demandeur principal] était âgé de 29 ans. Son fils avait 8 ans.

[…]

Le principal motif d’ordre humanitaire énoncé dans la présente demande est l’état mental de la répondante, qui aurait passé 13 ans à tenter de se réunir avec son fils […] Après sa séparation et son divorce (2012‑2013), elle s’est retrouvée seule et a appris qu’elle pourrait peut‑être parrainer son fils. Les efforts déployés pour le retrouver, semble‑t‑il, consistent en la présentation de la demande de parrainage en 2016 et de deux demandes de VRT [visa de résident temporaire] en 2017.

Les lettres du médecin généraliste de la répondante datées de juin 2016 et août 2017, figurant au dossier, indiquent que la répondante souffre de stress émotionnel grave (2016) et de dépression majeure et d’un « traumatisme sévère » dû à l’impossibilité de faire venir son fils au Canada (2017).

La psychologue J. Pilowsky écrit le 6 juillet 2016 que Mme Diaz Rodriguez souffre de dépression et d’anxiété et ressent de la culpabilité du fait qu’elle est séparée de son fils et vit dans de meilleures conditions que lui à Cuba (entre autres). Mme Pilowsky affirme qu’elle répond aux critères du « trouble dépressif majeur très grave » (un épisode) jumelé à de la « détresse anxieuse »; elle a eu des idées suicidaires. Elle a dit à la psychologue qu’elle avait reçu un diagnostic de dépression « il y a de nombreuses années ». Au moment de l’évaluation, la psychologue affirme qu’elle semblait au bord de l’effondrement psychologique […] « Je tiens à signaler que, si le fils de Mme Diaz Rodriguez n’obtient pas la permission d’entrer au Canada, elle pourrait très bien souffrir d’une dépression invalidante prolongée et d’un effondrement psychologique. Cela serait extrêmement difficile et injustifié, compte tenu des efforts qu’elle fait pour travailler et subvenir à ses besoins, tout en tentant de parrainer son fils. »

Le grand‑père paternel de la répondante s’est suicidé, selon les informations au dossier concernant la famille, et sa mère a fait une tentative de suicide, selon son rapport médical. La psychologue et le médecin généraliste n’indiquent pas s’ils ont été informés de ces événements. La répondante a reçu un diagnostic de dépression « il y a de nombreuses années ».

Je ne suis pas convaincu que l’état mental de la répondante est entièrement ou principalement dû au fait d’être séparée de son fils.

Selon les documents au dossier concernant la garde d’enfants, la mère a la garde de l’enfant du DP; le demandeur peut le voir normalement, quoiqu’il soit question de son départ pour le Canada. En examinant l’intérêt supérieur de cet enfant, je note que son père et lui avaient une « bonne communication » (en date du 30 janvier 2015) lorsqu’il avait 6 ans, et que le père en avait la garde un week‑end sur deux, la moitié des congés scolaires et la moitié des vacances. Sa mère déclare que le DP assume ses responsabilités. Je ne suis pas convaincu qu’il serait dans l’intérêt supérieur de ce jeune garçon que son père quitte Cuba.

Le DP n’est pas membre de la catégorie du regroupement familial. La répondante ne gagne pas le salaire minimum nécessaire pour le parrainer. Il a des responsabilités envers son fils à Cuba. Je ne suis pas convaincu que les facteurs d’ordre humanitaire énoncés dans cette demande l’emportent sur le défaut de répondre aux exigences des alinéas 117(1)h) et 133(1)j) du Règlement.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Comme on le voit dans cet extrait du SMGC, l’agent a pris des notes détaillées sur deux questions : 1) la santé mentale de Mme Diaz Rodriguez (notamment ses diagnostics, certains faits liés à ces diagnostics et le fait qu’elle s’est retrouvée seule au Canada après son divorce); et 2) la présence du fils du demandeur à Cuba.

III. Principes juridiques généraux

Demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire

[42] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’exempter les ressortissants étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. Ces considérations englobent l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit le paragraphe 25(1) se veut donc une exception souple et sensible à l’application habituelle de la LIPR et du RIPR permettant de mitiger la sévérité de la loi selon le cas : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy] (la juge Abella) au para 19.

[43] Les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout[e] [personne] raisonnable […] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la [LIPR] » : Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 338, à la page 350, tel que cité dans l’arrêt Kanthasamy, aux para 13 et 21. Cette disposition relative aux motifs d’ordre humanitaire vise à offrir une mesure à vocation équitable dans ces circonstances : Kanthasamy, aux para 21 et 22, 30 à 33 et 45.

[44] Le paragraphe 25(1) a été interprété comme exigeant que l’agent évalue les difficultés que subiront le ou les demandeurs en quittant le Canada. Même si ces mots ne sont pas utilisés dans la loi comme telle, la jurisprudence des cours d’appel a confirmé qu’il conviendrait de qualifier d’« inhabituelles », « injustifiées » et « démesurées » les difficultés envisagées par la disposition qui donneraient lieu à une dispense. Ces adjectifs sont instructifs, mais non décisifs, et permettent au paragraphe 25(1) de répondre avec plus de souplesse aux objectifs d’équité qui le sous‑tendent : Kanthasamy, aux para 33 et 45. Un demandeur peut soulever une grande diversité de facteurs pour établir l’existence de difficultés dans le cadre d’une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. L’examen des considérations d’ordre humanitaire fondé sur le paragraphe 25(1) est global, et les considérations pertinentes sont soupesées cumulativement pour déterminer si la dispense est justifiée dans les circonstances : Kanthasamy, aux para 27 et 28.

[45] Le pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 25(1) doit être exercé de manière raisonnable. L’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire doit véritablement examiner et soupeser tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker] (la juge L’Heureux‑Dubé) aux para 74 et 75; Kanthasamy, aux para 25 et 33.

[46] Pour ce qui est de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché aux termes au paragraphe 25(1), un agent doit toujours être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant : Baker, au para 75; Kanthasamy, au para 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 au para 10. Un agent doit également suivre la mise en garde éclairante selon laquelle les enfants méritent rarement, voire jamais, d’être exposés à des difficultés : Kanthasamy, au para 59.

[47] Le demandeur a le fardeau d’établir que l’exemption est justifiée : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 [Kisana] (le juge Nadon) aux para 35, 45 et 61. Le manque d’éléments de preuve ou l’omission de renseignements utiles à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire se fait au péril du demandeur : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635 [Owusu] (le juge Evans) aux para 5 et 8.

Normes de contrôle

[48] À l’égard des questions d’équité procédurale, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Plus précisément, qu’il soit question de la norme de contrôle de la décision correcte ou de l’obligation de la Cour de s’assurer que le processus a été équitable sur le plan procédural, le contrôle judiciaire d’une question relative à l’équité procédurale ne laisse aucune marge de manœuvre à la cour de révision ni n’autorise cette dernière à faire preuve de déférence. La question fondamentale demeure celle de savoir si la partie visée connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu une occasion réelle et équitable d’y répondre : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [2019] 1 RCF 121 [CFCP] (le juge Rennie), particulièrement aux para 49, 54 et 56; Baker, au para 28. Dans l’arrêt Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny a affirmé que « [c]e qui importe, en fin de compte, c’est de savoir si l’équité procédurale a été respectée ou non » (au paragraphe 35).

[49] Pour rendre sa décision relative aux motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit se fonder sur la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]; Baker, aux para 57 à 62; Kanthasamy, au para 44. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision tient compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75 et 100.

[50] L’examen du caractère raisonnable est axé sur la décision prise par le décideur, y compris le processus de raisonnement (c.‑à‑d. la justification) qui a mené à la décision et à l’issue : Vavilov, aux para 83 et 86; Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6 au para 12. Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ : Vavilov, au para 84. La cour de révision doit interpréter les motifs de façon globale et contextuelle, parallèlement au dossier dont disposait le décideur : Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31; Vavilov, aux para 91 à 96, 97 et 103.

[51] Au moment d’évaluer le caractère raisonnable, la Cour se demande si la décision présente les caractéristiques d’une décision raisonnable (soit la justification, la transparence et l’intelligibilité) et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : Vavilov, au para 99. La cour de révision n’interviendra que si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » à un point tel qu’elle ne satisfait pas aux exigences en matière de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[52] La cour de révision ne doit pas déterminer comment elle aurait tranché une question en s’appuyant sur les éléments de preuve ni réévaluer et soupeser de nouveau les éléments de preuve sur le fond : Vavilov, aux para 75, 83, 125 et 126; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [Khosa] aux para 59, 61 et 64; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, [2015] 1 RCF 335 au para 9; Owusu, au para 12. La cour de révision a pour tâche d’évaluer si le décideur a procédé à un examen et tiré des conclusions en se fondant sur les éléments de preuve et les observations selon les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov.

IV. Analyse

[53] Je vais maintenant aborder tour à tour chacune des questions soulevées par le demandeur.

Intérêt supérieur de l’enfant

Équité procédurale

[54] Même si la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est axée sur la santé mentale de la mère du demandeur, ce dernier a mis l’accent devant la Cour sur la question de l’équité procédurale en lien avec l’évaluation par l’agent de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[55] Le demandeur a soutenu que l’agent avait commis une erreur lorsqu’il a examiné l’intérêt supérieur de son enfant ne l’accompagnant pas sans lui offrir la possibilité de présenter des observations à cet égard. Le demandeur a souligné qu’il n’avait pas soulevé l’intérêt supérieur de l’enfant comme étant un facteur d’ordre humanitaire qui méritait d’être examiné par l’agent dans le contexte de sa demande de résidence permanente. Le demandeur a soutenu que, en droit, un agent a le devoir d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, sur lequel le renvoi d’un parent du Canada peut avoir des conséquences préjudiciables, mais que cette obligation n’existe que lorsqu’il apparaît suffisamment clairement, dans les documents produits dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, que le demandeur se fonde sur ce facteur, du moins en partie (citant Owusu, au para 5). Le demandeur a également soutenu que, dans l’arrêt Kisana, la Cour d’appel fédérale [traduction] « a clairement établi » que l’équité exige qu’un agent obtienne de plus amples informations sur l’intérêt supérieur de l’enfant, par exemple en envoyant une lettre relative à l’équité procédurale, selon les faits de chaque espèce.

[56] Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas demandé à l’agent d’examiner l’intérêt supérieur de son enfant dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il n’avait donc présenté [traduction] « aucun élément de preuve quant à l’intérêt supérieur de son enfant ». Au regard de cette observation, la conclusion de l’agent, selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être soupesé par rapport à d’autres facteurs d’ordre humanitaire soulevés dans la demande, [traduction] « n’aurait pu être anticipée ». Suivant ce raisonnement, le demandeur a soutenu que l’agent aurait dû au moins l’aviser que l’intérêt supérieur de son enfant soulevait une préoccupation et aurait dû lui offrir la possibilité de présenter des observations sur cette question. Selon le demandeur, ces observations auraient peut‑être changé l’issue de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[57] Le défendeur n’était pas d’accord. Il a soutenu que le demandeur devait savoir que le paragraphe 25(1) de la LIPR exige qu’un agent tienne compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché et que l’intérêt supérieur de son enfant pourrait ou devrait être examiné dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur a soutenu que le demandeur devait être conscient de la pertinence de son enfant quant à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, étant donné qu’il a fourni des documents relatifs à la garde qui confirmaient qu’il avait obtenu le droit de voir son fils de manière régulière. Le défendeur a également souligné que le demandeur a présenté des éléments de preuve provenant de la mère de l’enfant selon lesquels il avait assumé ses responsabilités à l’égard de son fils. Selon le défendeur, la question de l’intérêt supérieur de son enfant a été clairement soulevée, étant donné les éléments de preuve produits avec la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et le demandeur a eu la possibilité d’aborder ces questions. Dans ce contexte, l’agent n’avait pas l’obligation de demander de l’information supplémentaire.

[58] Le défendeur a également fait valoir que la Cour et la Cour d’appel fédérale ont conclu que la disposition relative aux motifs d’ordre humanitaire oblige le décideur à tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il décide si des motifs d’ordre humanitaire justifient d’exempter un demandeur de l’application des critères de sélection normaux et de lui accorder le statut de résident permanent. Le défendeur a fait référence à certaines décisions, y compris les arrêts de Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 RCF 655 (le juge Evans) au para 105 et Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358 (le juge Décary) aux para 11 et 12. Le défendeur a également fait valoir que, dans l’arrêt Owusu, la Cour d’appel fédérale soutient seulement qu’un agent n’a pas l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché si la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne soulève pas cette question ni n’est fondée sur ce facteur; la Cour n’a pas tranché que l’agent ne peut pas le faire. Il incombait au demandeur de fournir les éléments de preuve sur l’intérêt supérieur de son fils à Cuba qu’il souhaitait faire examiner par l’agent. Son propre défaut de formuler ou de présenter des observations juridiques adéquates à l’égard de l’intérêt supérieur de son enfant n’a pas donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.

[59] En réponse, le demandeur a cherché à établir une distinction entre les décisions sur lesquelles le répondeur s’est fondé sur le plan des faits. Le demandeur a soutenu que la Cour est priée, pour la première fois, de traiter le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant énoncé au paragraphe 25(1) de la LIPR comme s’il s’agissait d’un [traduction] « critère réglementé » s’appliquant aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, semblable aux critères concernant les demandes de résidence permanente présentées au titre d’autres catégories en vertu de la LIPR ou du RIPR. Le demandeur a affirmé qu’il serait ainsi tenu de présenter des éléments de preuve même s’il n’a pas fondé sa demande sur l’intérêt supérieur de son enfant, ce que la loi n’exige pas. Le demandeur soutient également que la jurisprudence invoquée par le défendeur établit que, lorsqu’une préoccupation soulevée par un agent ne découle pas directement des exigences de la loi ou d’un règlement, comme c’est le cas en l’espèce, l’agent a l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre (citant Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501 [Hassani] (le juge Mosley) aux para 21 à 24). Le demandeur contestait que les éléments de preuve soulevaient la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le défendeur l’a affirmé.

[60] Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je suis dans l’ensemble d’accord avec le défendeur au regard des éléments de preuve et des circonstances de l’espèce. Pour ce qui est des éléments de preuve versés au dossier, l’agent n’avait pas l’obligation d’offrir à nouveau au demandeur la possibilité de présenter des observations relatives à l’intérêt supérieur de son enfant et d’expliquer pourquoi cet intérêt devrait être évalué dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Comme je l’expliquerai, les éléments de preuve présentés par le demandeur ont bel et bien soulevé la question de l’intérêt supérieur de son enfant à Cuba. Le demandeur a produit deux observations écrites à plus de deux ans d’écart l’une de l’autre, période durant laquelle il a eu la possibilité de présenter des observations sur la raison pour laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant ne devrait pas l’empêcher de devenir un résident permanent du Canada, ce qu’il n’a pas fait. Dans les circonstances, il n’y a pas eu manquement aux principes d’équité procédurale.

[61] Je dois souligner plusieurs points que le demandeur n’a pas contestés. Premièrement, le demandeur n’a pas soutenu qu’il aurait produit davantage d’éléments de preuve relatifs à l’intérêt supérieur de l’enfant ni mentionné un élément de preuve en particulier qu’il aurait présenté, si l’agent avait attiré son attention sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le demandeur a seulement affirmé que l’agent aurait dû lui demander de fournir des observations supplémentaires sur cette question. Deuxièmement, le demandeur n’a pas soutenu que l’enfant n’était pas « directement touché » au sens du paragraphe 25(1) de la LIPR. Troisièmement, le demandeur n’a pas affirmé qu’un enfant vivant à Cuba et qui n’est jamais venu au Canada ne devrait pas être pris en compte dans le cadre d’une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant : voir Owusu, au para 13.

[62] Comme il a été mentionné, lorsqu’il est question d’équité procédurale, la question fondamentale demeure celle de savoir si la partie visée connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : CFCP, particulièrement au para 56; Baker, au para 22. L’obligation d’équité procédurale « est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte » : Vavilov, au para 77; Baker, aux para 22 et 23. Lorsque la question de l’équité procédurale se pose, les exigences procédurales applicables sont déterminées eu égard au contexte et à l’ensemble des circonstances, notamment les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker : Vavilov, au para 77; Baker, aux para 21 à 28; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 CF 413 [Khan].

[63] La Cour d’appel fédérale et notre Cour ont statué que, selon les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, l’obligation d’équité procédurale dont doit s’acquitter un agent à l’égard d’un demandeur de visa qui est un non‑résident se trouve à l’extrémité inférieure du spectre : Khan, aux para 30 à 32; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 [Hamza] (la juge Bédard) au para 23; Asanova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1173 (le juge Norris) au para 28; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 509, [2017] 1 RCF 39 (la juge Kane) aux para 24 à 28; Patil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 495 (le juge Ahmed) au para 37. Voir également l’arrêt Vavilov, au para 133.

[64] En l’espèce, le demandeur est citoyen de Cuba; il n’est pas un résident du Canada et n’était pas présent au Canada lorsque la demande a été présentée. Il n’avait aucun droit acquis en lien avec ce pays. Il a présenté une demande de visa de résident permanent en vertu de l’alinéa 117(1)h) du RIPR et, dans l’éventualité où la demande serait refusée, une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le droit du demandeur à un visa en vertu de l’alinéa 117(1)h) du RIPR a été décrit comme découlant et étant tributaire des circonstances de sa répondante; ceci dit, l’alinéa 117(1)h) vise entre autres à améliorer la situation du répondant qui n’a pas de parent au Canada : Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 1 CF 563 (le juge Evans) au para 16; Bousaleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 143, [2019] 2 RCF 787 (la juge Gauthier) au para 67. Compte tenu de toutes les considérations juridiques et factuelles, je suis d’avis que l’obligation relative à l’équité procédurale demeure à l’extrémité inférieure du spectre. Le niveau des protections liées à l’équité procédurale accordées au demandeur éclairera l’analyse de la Cour quant à la question de savoir si l’agent avait l’obligation d’obtenir du demandeur des observations supplémentaires.

[65] Je réitère ici qu’il incombe au demandeur de produire tous les éléments de preuve pertinents que l’agent doit examiner dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : Kisana, au para 45. Le demandeur qui ne présente pas ces éléments de preuve le fait à ses risques et périls : Owusu, aux para 5 et 8.

Analyse

[66] Le demandeur a soutenu qu’il n’avait pas soulevé la question de l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa demande et que, du point de vue juridique, l’agent devait donc, avant même de pouvoir évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant, lui offrir une autre possibilité de présenter des observations à cet égard.

[67] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur compte tenu des circonstances de l’espèce. Bien que les observations et les éléments de preuve présentés dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soient déterminants quant à la question de l’équité procédurale soulevée devant la Cour, je vais d’abord traiter de l’argument juridique formulé par le demandeur.

[68] Le demandeur a fondé son argument sur la notion selon laquelle un agent a l’obligation d’effectuer une évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant seulement lorsqu’il est suffisamment clair que cette question est soulevée dans la demande : Owusu, au para 5. Par cette observation, le demandeur suggère essentiellement que, si la question de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas explicitement soulevée dans les observations de sa demande, l’agent ne peut donc pas évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant ou, du moins, n’aurait pu le faire en l’espèce sans lui offrir la possibilité de présenter des observations supplémentaires.

[69] Toutefois, comme le défendeur l’a fait remarquer, dans certaines décisions (notamment des décisions liant la Cour), un libellé contraignant semble être lié à l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant : voir Kanthasamy, au para 10; de Guzman, au para 105; Legault, aux para 11 et 12; Kandiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1096 (la juge Walker) au para 37; Mebrahtom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 821 (le juge McHaffie) au para 7, et Faisal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1078 (la juge Strickland) au para 18. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur qu’il faut obligatoirement prendre en compte dans chaque affaire qui concerne des motifs d’ordre humanitaire. Il va de soi que l’intérêt supérieur de l’enfant peut ne pas être une question pertinente dans certaines demandes, par exemple si aucun enfant n’est touché. Lorsque la question de l’intérêt de l’enfant est soulevée par les éléments de preuve présentés dans le cadre de la demande, le libellé du paragraphe 25(1) prévoit que le ministre peut accorder une dispense s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » [non souligné dans l’original]. Comme il a déjà été mentionné, aucune des parties en l’espèce n’a contesté le fait que l’enfant était « directement touché » aux fins du paragraphe 25(1).

[70] De plus, en général, un agent n’est pas tenu d’informer le demandeur des lacunes de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou de demander des clarifications ou d’autres informations avant de rendre une décision : Kisana, au para 45; Alameddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1285 (la juge Walker) aux para 31 et 32; Salamanca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 259 au para 7 ainsi que la jurisprudence qui y est citée; Thandal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 489 (le juge Phelan). De même, si une loi ou un règlement énoncent des critères qu’un décideur doit prendre en compte et qu’un demandeur n’a pas abordé au moins un de ces critères, le décideur n’a pas l’obligation de demander des renseignements avant de rendre une décision : Hassani, au para 24; Hamza, au para 22; Gomes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 451 [Gomes] (le juge Favel) au para 20.

[71] Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit expressément que l’intérêt supérieur de l’enfant soit pris en compte si l’enfant est directement touché. Il s’agit de l’intention expresse du législateur depuis plus de 20 ans, période durant laquelle la disposition a toujours inclus le libellé relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant qui s’applique à la présente demande. À mon avis, la reconnaissance expresse par le législateur, dans la loi, de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que l’importance de ce facteur et le contenu obligatoire de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que décrit dans l’arrêt Kanthasamy, supposent que l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut être passé sous silence si l’agent décide que l’enfant est directement touché. Par conséquent, même s’il ne s’agit pas d’une exigence dans le cadre de chaque demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, lorsque les éléments de preuve indiquent à l’agent qu’un enfant est directement touché comme le prévoit le paragraphe 25(1), le défaut d’un demandeur de présenter des arguments au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant n’oblige pas l’agent à demander des renseignements ou d’autres observations au demandeur avant de rendre une décision relative à des motifs d’ordre humanitaire. Quoi qu’il en soit, un agent peut décider de demander d’autres renseignements au demandeur, mais je suis d’avis qu’il n’est pas, sur le plan juridique, tenu de le faire dans tous les cas. Je constate que cette approche concorde avec l’arrêt Kisana, dans lequel la Cour d’appel fédérale refusait de répondre à la question certifiée, soulignant que l’obligation d’obtenir de plus amples informations dépendra des faits de chaque espèce : Kisana, aux paragraphes 2 et 62.

[72] L’observation du demandeur était fondée sur la décision de la Cour d’appel fédérale rendue dans l’arrêt Owusu. Dans cette affaire, le demandeur n’avait « pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l’intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l’agente n’ait d’autre choix que d’en tenir compte » (Owusu, au para 8). Comme l’a souligné le juge Nadon dans l’arrêt Kisana, la conclusion dans l’arrêt Owusu était que l’agent chargé de se prononcer sur une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire n’a aucune obligation positive de s’enquérir davantage de l’intérêt supérieur des enfants lorsque la question est soulevée de façon « trop indirecte, succincte et obscure » : Kisana, au para 45, citant Owusu, au para 9.

[73] Dans l’arrêt Kisana lui‑même, la question était celle de savoir s’il incombait à l’agente d’aller plus loin dans son enquête pour découvrir l’existence d’éléments supplémentaires permettant de conclure que la séparation des enfants d’avec leurs parents leur avait occasionné des difficultés. La Cour d’appel fédérale a soutenu d’une part que l’absence complète d’éléments de preuve était due au fait que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau de la preuve qui leur incombait plutôt qu’à l’entrevue inefficace de l’agente auprès des enfants (particulièrement aux para 56 et 57). La Cour d’appel a soutenu que, puisque l’agente avait demandé aux enfants d’apporter de l’information supplémentaire à une entrevue et qu’elle a également mené une entrevue auprès de leur tante (avec qui ils vivaient), l’agente n’était pas tenue d’aller plus loin dans ses questions et que, dans les circonstances, l’équité n’exigeait pas que l’agente leur accorde une autre possibilité de produire des documents et/ou des renseignements à l’appui de leur demande (au para 60). Voir également les motifs concordants de la juge Trudel, aux para 70 et 71.

[74] Dans ce contexte, le juge Nadon, rédigeant au nom de la majorité, n’a « [pas écarté] la possibilité qu’il puisse exister des situations dans lesquelles l’équité commande que l’agent obtienne de plus amples informations. La réponse à la question de savoir si l’équité exige une telle chose dépend donc des faits de chaque espèce » : Kisana, au para 62.

[75] Pour en revenir aux éléments de preuve et aux observations en l’espèce, les observations écrites énoncées dans la lettre du consultant et dans la lettre de l’avocat ne présentaient aucun argument explicite au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, une section de la lettre du consultant traitait de la « vie du demandeur à Cuba » ainsi que de sa relation avec son fils. En ce sens, l’ancien avocat du demandeur s’était efforcé de présenter et de définir les éléments de preuve liés au demandeur et à son fils, sans toutefois formuler des observations explicites au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[76] Une évaluation du contenu de la lettre du consultant et de la lettre de l’avocat ne met pas un terme à l’analyse puisque, à mon avis, les documents présentés par le demandeur comprenaient des éléments de preuve concernant son enfant où la question de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas soulevée de manière indirecte, succincte et obscure. Comme je l’expliquerai, il apparaissait « suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur » (pour reprendre une phrase de l’arrêt Owusu, au para 5) que l’enfant était directement touché et qu’il fallait examiner l’intérêt supérieur de celui‑ci.

[77] Les faits liés à l’enfant du demandeur étaient un élément central de l’exposé circonstancié de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La naissance de l’enfant et la relation du demandeur avec la mère de l’enfant expliquaient le retrait de la demande de résidence permanente de 2008 et 2009 et l’incompréhension de Mme Diaz Rodriguez au sujet de la relation du demandeur avec la mère de l’enfant.

[78] Il importe toutefois de souligner que les éléments de preuve présentés par le demandeur dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ont mis à jour la situation de l’enfant et certains faits relatifs à sa relation avec le demandeur bien après la période de 2008 et 2009, soit jusqu’à la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en 2016. La lettre du consultant mentionnait le retour récent de l’enfant et de sa mère dans la ville natale du demandeur. Les éléments de preuve présentés par le demandeur dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire comprenaient une décision rendue par le tribunal municipal populaire de la République de Cuba, datée du 30 janvier 2015 (que les parties ont appelée l’entente de garde). Selon cette décision, l’enfant resterait [traduction] « sous la garde et les soins » de sa mère et [TRADUCTION] « les règles de communication avec son père [le demandeur] seront établies selon un régime normal, permettant [au demandeur] de garder l’enfant un week‑end sur deux, durant la moitié des congés scolaires et la moitié des vacances ». De plus, le demandeur a présenté une déclaration de la mère de l’enfant faite en juin 2016 selon laquelle le demandeur avait [traduction] « assumé ses responsabilités de père jusqu’à présent » et qu’elle avait [traduction] « la garde exclusive de [l’enfant] et que ce dernier ne voyagera pas à l’extérieur » (c.‑à‑d. à l’extérieur de Cuba). De plus, la mère de l’enfant a fourni une déclaration écrite datée du 3 mai 2016 (pour laquelle il n’y a aucune traduction dans le dossier certifié du tribunal (DCT) ni dans le dossier à la disposition de la Cour, quoiqu’une traduction soit mentionnée dans l’index du DCT).

[79] Compte tenu de la preuve au dossier, je conclus que l’intérêt supérieur de l’enfant a été suffisamment évoqué dans les documents dont disposait l’agent pour soulever la question juridique de l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur à Cuba et celle de savoir en quoi le déménagement du demandeur de Cuba au Canada à titre de résident permanent toucherait l’intérêt de l’enfant. En présentant ces éléments de preuve au sujet de son enfant et de sa relation avec lui, dans le cadre de sa demande de visa et de sa demande de dispense présentée à titre subsidiaire pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1), le demandeur devait avoir compris que l’intérêt supérieur de son enfant était pertinent quant à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[80] Dans certaines circonstances, un agent est tenu de divulguer des préoccupations, des questions, des faits ou des documents particuliers dont le demandeur n’a pas connaissance, de sorte que celui‑ci connaisse la preuve à réfuter et qu’il ait une possibilité raisonnable de produire d’autres éléments de preuve ou de présenter des observations en lien avec cette divulgation. Dans les décisions de la Cour, ces principes peuvent s’appliquer, par exemple, lorsque :

  • l’agent relève des éléments de preuve soulevant des préoccupations relatives à la crédibilité : voir p. ex. Hassani, aux para 24 à 28; Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 (le juge Mosley) aux para 37 et 38; Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 [Likhi] (la juge Fuhrer) aux para 33 à 35 et 38;

· l’agent relève des éléments de preuve relatifs à une potentielle fausse déclaration faite par le demandeur, y compris une fausse déclaration qui pourrait entraîner l’inadmissibilité : voir p. ex. Khan; Asanova, au para 30; Likhi, aux para 26, 27 et 41; Mohammed c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 326 (la juge St‑Louis), au para 30; Ntaisi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 73079 (CF) (le juge Barnes) au para 10; Toki c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 606 (le juge Diner) au para 17;

· l’agent relève de nouveaux renseignements internes pertinents ou des éléments de preuve extrinsèques qui ne sont pas accessibles au demandeur : voir p. ex. Khan, au para 28; Gomes, au para 19; Krishnamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342 (le juge Mosley) aux para 32 à 39; Rukmangathan, aux para 22 et 23; Mekonen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1133 (la juge Dawson) aux para 12 à 27. Une obligation peut ne pas s’appliquer si les documents sont les propres documents du demandeur, au moins en ce qui concerne un facteur de la disposition appliquée par l’agent ou lorsque c’est directement lié à cette disposition : Gomes, aux para 20 et 21.

Je souligne que plus d’une question peut être soulevée dans une affaire donnée (comme dans l’affaire Likhi). Ces affaires ne doivent pas non plus être vues comme donnant une classification exhaustive ou une description des circonstances auxquelles ces principes peuvent s’appliquer.

[81] Dans chaque affaire, les circonstances précises doivent être évaluées avec attention et imposeront (s’il y a lieu) les divulgations requises et ce qui constituera une véritable possibilité d’y répondre; il faut garder à l’esprit que l’équité procédurale n’est pas une norme de perfection : Khan, au para 22. Ce faisant, il est pertinent que le demandeur (et ses représentants) ait connaissance des préoccupations de l’agent : voir, par exemple, Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), [2001] 2 CF 297 (CA) et Khan, aux para 29, 33 et 34.

[82] En l’espèce, l’agent n’a pas tiré une conclusion relative à la crédibilité (explicitement ou implicitement), ne s’est pas fondé sur une fausse déclaration ou sur un motif quelconque d’inadmissibilité et n’a pas fait mention de documents nouveaux ou extrinsèques ni ne s’est fondé sur de tels documents. De plus, à mon avis, les circonstances de l’espèce ne sont pas similaires à celles de la jurisprudence précitée et n’obligeaient pas l’agent à divulguer des renseignements au demandeur. L’agent a examiné le dossier et s’est fondé sur les éléments de preuve présentés par le demandeur dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, y compris les déclarations de la mère de l’enfant et les documents liés aux modalités de garde à Cuba. Il ne s’agissait pas d’éléments de preuve extrinsèques ni de renseignements recueillis de manière indépendante par l’agent, dont le demandeur n’avait pas connaissance. Tous les éléments de preuve ont été présentés par le demandeur, par l’intermédiaire d’un consultant en immigration et, ensuite, d’un avocat, pour soutenir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. De plus, les éléments de preuve de 2016 concernant l’enfant sont essentiellement, pour ne pas dire uniquement, pertinents quant à l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant découlait des éléments de preuve au sujet de l’enfant du demandeur, puisque celui‑ci était directement touché par la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[83] L’information concernant l’intérêt supérieur de l’enfant provenait du demandeur, et le sujet de préoccupation, soit l’intérêt supérieur de l’enfant, a été expressément présenté par le législateur comme un facteur important au regard du paragraphe 25(1) de la LIPR. Étant donné que le demandeur a présenté des éléments de preuve importants au sujet de son enfant à Cuba, lui et ses conseillers professionnels ne peuvent avoir été surpris que l’agent examine l’intérêt supérieur de l’enfant avant de rendre sa décision. L’agent ne peut être blâmé d’avoir examiné l’intérêt supérieur de l’enfant sans avoir demandé d’autres observations au demandeur, compte tenu de la nature et du contenu des éléments de preuve présentés par ce dernier dans le cadre de la demande ainsi que des exigences de la LIPR.

[84] Je conclus donc que le demandeur connaissait la preuve à réfuter relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant. De plus, le demandeur a eu une de véritables possibilités de répondre et de défendre sa position à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant dans deux observations écrites présentées en son nom, c’est‑à‑dire la lettre du consultant de 2016 et la lettre de l’avocat de 2019 (écrite par un avocat qui a jeté un [traduction] « regard nouveau » sur la demande).

[85] Il y a deux autres points à aborder. Comme il a été mentionné, les deux observations écrites présentées par les représentants professionnels du demandeur étaient axées sur les difficultés vécues par la mère de celui‑ci et n’abordaient pas explicitement le sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que question dont l’agent devait tenir compte. L’absence d’observations au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant pourrait être une omission, mais aussi un choix conscient étant donné que la demande portait sur la santé mentale de Mme Diaz Rodriguez. Nous ignorons pourquoi il y a eu omission, puisque le demandeur n’a présenté à la Cour aucun élément de preuve pour l’expliquer. Cependant, ni une omission ni le choix de diminuer l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa demande n’enlèvent de pertinence à la décision de l’agent de se pencher sur cette question dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1).

[86] Dans le cadre de la présente demande, le demandeur a soutenu que sa résidence permanente au Canada pourrait en fait bénéficier à son fils à Cuba, dans la mesure où il pourrait lui offrir un meilleur soutien financier grâce à un emploi bien rémunéré au Canada. Le demandeur a fourni des éléments de preuve indiquant qu’il pourrait travailler dans le domaine de la construction au Canada, et sa mère, Mme Diaz Rodriguez, a fourni des éléments de preuve indiquant qu’un emploi l’attendait. Il s’agissait certainement d’un argument que le demandeur aurait pu formuler avant la décision de l’agent, mais il ne soutient pas l’affirmation selon laquelle il a été traité de manière inéquitable.

[87] Pour ces motifs, je conclus que, au regard des éléments de preuve présentés, le demandeur a suffisamment soulevé la question de l’intérêt supérieur de son enfant à Cuba. La référence explicite au paragraphe 25(1) de la LIPR à l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la jurisprudence concernant l’obligation d’un agent d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant concordent, selon les éléments de preuve en l’espèce, avec la conclusion selon laquelle l’agent n’était pas tenu d’exiger du demandeur ou de ses représentants d’autres observations, et appuient cette conclusion. Il apparaissait suffisamment clairement dans les documents dont disposait l’agent que l’enfant était directement touché et que son intérêt supérieur était en cause. Les cas qui exigent qu’un agent demande d’autres renseignements ou observations au demandeur ne s’appliquent pas et leurs circonstances ne sont pas semblables à celles de l’espèce. Le demandeur connaissait, ou devait connaître, la preuve à réfuter quant à l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des éléments de preuve qu’il a présentés dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. Il a eu une véritable possibilité d’y répondre dans deux observations écrites présentées à l’agent. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale dans les circonstances.

Caractère raisonnable de la décision de l’agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant

[88] Dans l’observation suivante, le demandeur a contesté le caractère raisonnable de la décision de l’agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément aux principes de l’arrêt Vavilov. Le demandeur a soutenu que l’agent n’a pas respecté l’obligation, confirmée dans l’arrêt Kanthasamy, d’être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant, en se fondant principalement sur deux points, soit que l’agent ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant et aurait dû demander d’autres renseignements et que l’agent a mal apprécié les éléments de preuve à sa disposition.

[89] Plus particulièrement, le demandeur a soutenu que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant les perspectives d’emploi du demandeur à son arrivée au Canada et du fait qu’il serait plus en mesure d’améliorer les conditions de vie de son enfant à Cuba en envoyant de l’argent; l’agent n’a pas tenu compte de la possibilité que l’enfant puisse être parrainé plus tard à titre de membre de la catégorie du regroupement familial une fois que le demandeur se serait établi financièrement au Canada, ce qui n’est pas mentionné dans les motifs de l’agent; l’agent a fait mention à tort du [traduction] « renvoi » du demandeur de Cuba; l’agent n’a pas abordé la question de savoir si la relation de l’enfant avec le demandeur pourrait être maintenue par des visites à Cuba; et, avant d’accorder du poids à l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent aurait dû examiner la relation entre le demandeur et son enfant et la nature de la dépendance émotionnelle de l’enfant envers le demandeur, ainsi que l’incidence de l’immigration au Canada. Ces questions ne figuraient pas dans les éléments de preuve.

[90] Le défendeur a soutenu que la décision de l’agent était raisonnable, compte tenu des faits et des éléments de preuve contenus dans la demande, tout particulièrement les éléments de preuve touchant la garde de l’enfant et la déclaration de la mère de celui‑ci. Quoi qu’il en soit, le défendeur affirme qu’il était [traduction] « raisonnable de conclure qu’il est préférable, pour l’intérêt supérieur d’un enfant âgé d’environ 10 ans, que son père fasse partie de sa vie de manière régulière, constante et concrète au lieu d’habiter dans un autre pays, même s’il peut lui envoyer plus d’argent ».

[91] À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur sujette à révision en évaluant l’intérêt supérieur de l’enfant. Premièrement, compte tenu du fardeau qui incombait au demandeur quant à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, comme il est décrit dans les arrêts Kisana et Owusu, je ne suis pas d’accord pour dire que la décision de l’agent était déraisonnable en raison de l’absence d’éléments de preuve. Bien entendu, d’autres éléments de preuve auraient pu servir la cause du demandeur et être utilisés par l’agent dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, si le demandeur avait présenté de tels éléments de preuve. Toutefois, le demandeur n’a fourni que certains documents, comme l’entente de garde conclue en cour, ainsi que des déclarations de sa mère et de la mère de l’enfant décrivant sa relation avec son fils. Il n’a pas présenté de témoignage ni de déclaration à l’agent pour expliquer sa relation avec son fils et la manière dont celle‑ci pourrait être touchée par son départ de Cuba et sa résidence permanente au Canada. De plus, tout défaut de l’agent d’examiner certains arguments pouvant être favorables au demandeur découlait du défaut de présenter de manière proactive des observations concernant l’intérêt supérieur de l’enfant dans la lettre du consultant ou la lettre de l’avocat. Étant donné qu’il était dans l’intérêt du demandeur de minimiser l’importance des difficultés que pourrait vivre son fils à Cuba, le demandeur ne peut désormais se plaindre du fait que l’agent ne disposait pas de suffisamment d’information pour évaluer l’absence de difficultés. Le demandeur aurait pu lui‑même expliquer en détail sa relation avec son fils, mais ne l’a malheureusement pas fait.

[92] Deuxièmement, il est bien établi que la Cour, en contrôle judiciaire, ne peut soupeser de nouveau ou réévaluer les éléments de preuve produits dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire : Vavilov, aux para 75, 83, 125 et 126; Kanthasamy, ci‑dessus, à 2014 CAF 113, au para 99. Le demandeur a présenté plusieurs observations demandant à la Cour de le faire, mais elles ne peuvent donc pas être retenues.

[93] Troisièmement, dans sa décision, l’agent a conclu, au bout du compte, que l’intérêt de l’enfant devrait se voir accorder un poids considérable dans l’évaluation générale des facteurs d’ordre humanitaire. Cette conclusion relevait du pouvoir discrétionnaire de l’agent et concordait avec les motifs de la Cour suprême dans les arrêts Kanthasamy et Baker, exigeant qu’un agent accorde « de l’importance » à l’intérêt supérieur de l’enfant (aux para 57 et 65 respectivement). Une telle conclusion cadrait également avec le principe énoncé dans les arrêts Kanthasamy et Hawthorne selon lequel les enfants méritent rarement, voire jamais, d’être exposés à des difficultés (aux para 59 et 9 respectivement).

[94] Le demandeur ne m’a donc pas convaincu que les motifs de l’agent concernant l’intérêt supérieur de l’enfant contenaient une erreur sujette à révision selon les principes de l’arrêt Vavilov.

Difficultés psychologiques et éléments de preuve concernant la santé mentale

[95] Le demandeur a soutenu que l’agent n’a pas analysé adéquatement les éléments de preuve liés aux problèmes psychologiques et à la santé mentale de sa mère. Le demandeur a avancé que l’agent a écarté à la légère les éléments de preuve établissant que les problèmes de santé mentale de sa mère étaient aggravés par le fait qu’elle continuait d’être séparée de lui et que l’agent n’a accordé aucun poids aux éléments de preuve de nature médicale. Le demandeur a également contesté la conclusion apparente de l’agent selon laquelle son état de santé mentale était davantage lié à ses antécédents familiaux de problèmes de santé mentale qu’à son isolement et au fait qu’elle était séparée de lui. Le demandeur a maintenu que l’agent a implicitement déduit, à tort et en contradiction avec les éléments de preuve médicale, que sa mauvaise santé mentale était d’origine génétique plutôt que liée à la situation très regrettable où elle s’est retrouvée seule au Canada, souffrant depuis longtemps d’une dépression en raison de son sentiment de culpabilité pour n’avoir par parrainé le demandeur afin qu’il la rejoigne au Canada. Les observations du demandeur faisaient mention d’extraits de rapports médicaux concernant la santé mentale de la mère et son lien étroit avec l’absence de son fils du Canada. Le demandeur a également fait valoir que l’agent devait tenir compte de l’incidence de sa séparation continue d’avec sa mère de la même manière qu’un agent doit examiner, dans le cadre d’une demande, l’incidence d’un renvoi sur la santé psychologique ou mentale d’un demandeur (tel que décrit dans l’arrêt Kanthasamy, aux para 46 à 50).

[96] En réponse, le défendeur a soutenu que, plutôt que de n’avoir accordé aucun poids à la détresse émotionnelle et mentale de Mme Diaz Rodriguez, l’agent n’était pas convaincu que son état mental était entièrement ou principalement dû à sa séparation d’avec son fils. Le défendeur a soutenu qu’il s’agissait d’une évaluation raisonnable de tous les éléments de preuve. L’agent a tenu compte de l’opinion d’un médecin de famille et du fait que la psychologue avait déclaré que les problèmes de santé mentale de Mme Diaz Rodriguez s’expliquaient par la séparation d’avec son fils. L’agent a pris en considération le fait qu’elle avait reçu un diagnostic de dépression « il y a de nombreuses années » et a conclu que son diagnostic actuel ne découlait pas clairement de sa séparation d’avec son fils ou s’expliquait par d’autres raisons. Le défendeur a mis l’accent sur l’important pouvoir discrétionnaire des agents qui rendent des décisions relatives à des motifs d’ordre humanitaire et sur la déférence qui doit leur être accordée. Le défendeur a également souligné que l’agent avait conclu qu’il n’était pas convaincu que l’état de santé mentale de la mère était « entièrement ou principalement » dû à sa séparation d’avec son fils, ce qui ne revient pas à dire qu’il a conclu que sa détresse mentale et sa dépression étaient héréditaires ou génétiques.

[97] La Cour a soutenu, conformément à l’arrêt Vavilov, que l’évaluation des rapports cliniques et des opinions psychologiques sont examinés selon la norme de la décision raisonnable : Sutherland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1212 [Sutherland] (le juge Gascon) au para 12; Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 (le juge Zinn) au para 37. En outre, un agent n’a pas à être d’accord avec les rapports psychologiques soumis avec une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’agent peut décider de leur accorder peu de poids, tant qu’il fournit des explications claires et bien fondées à cet égard : Sutherland, au para 24; Jesuthasan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142 (le juge Crampton) aux para 43, 44 et 48.

[98] Il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait tirées par un agent. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait d’un décideur : Vavilov, au para 125; Khosa, au para 89.

[99] Le raisonnement de l’agent à cet égard se trouve dans les notes du SMGC, qui doivent être interprétées à la lumière du dossier : Vavilov, aux para 91 à 95. Ces notes indiquaient clairement que l’agent comprenait que le motif principal de la demande était [traduction] « l’état mental de la répondante », qui avait consacré 13 ans de sa vie à tenter de se réunir avec son fils. L’agent a également démontré qu’il était bien conscient des éléments clés des opinions du médecin et de la psychologue présentées par le demandeur en lien avec la santé mentale de Mme Diaz Rodriguez et de l’incidence prévue du rejet de la demande de résidence permanente (c.‑à‑d. la séparation continue d’avec son fils).

[100] Plus précisément, l’agent a fait mention des (très brèves) lettres du médecin de Mme Diaz Rodriguez, datées de juin 2016 et août 2017, soulignant à la fois sa déclaration indiquant qu’elle souffrait d’un grave stress émotionnel et d’une dépression majeure et le fait que sa première lettre confirmait que son incapacité à faire venir son fils au Canada [traduction] « avait été très traumatisante ». De plus, l’agent a énoncé dans les notes du SMGC les conclusions et les extraits du rapport psychologique daté du 6 juillet 2016, notamment que Mme Diaz Rodriguez « souffre de dépression et d’anxiété et ressent de la culpabilité du fait qu’elle est séparée de son fils ». L’agent a noté que Mme Diaz Rodriguez avait eu des idées suicidaires et qu’elle avait dit à sa psychologue qu’elle avait reçu un diagnostic de dépression « il y a de nombreuses années ». L’agent connaissait clairement et a mentionné les conclusions de la psychologue selon lesquelles Mme Diaz Rodriguez « semblait être au bord de l’effondrement psychologique » ainsi que sa mise en garde, selon laquelle Mme Diaz Rodriguez « pourrait très bien souffrir d’une dépression invalidante prolongée et d’un effondrement psychologique » si son fils n’était pas autorisé à entrer au Canada.

[101] L’agent a fourni les raisons pour lesquelles il n’était pas convaincu que l’état mental de Mme Diaz Rodriguez était « entièrement ou principalement » dû à la séparation d’avec son fils. L’agent a pris note des antécédents familiaux de suicide ou de tentative de suicide de Mme Diaz Rodriguez, qu’il a trouvés dans le dossier relatif aux motifs d’ordre humanitaire. L’agent a constaté qu’elle n’avait pas divulgué ses antécédents familiaux aux professionnels de la santé et a souligné que Mme Diaz Rodriguez avait reçu un diagnostic de dépression « il y a de nombreuses années ». (Les documents liés à la demande n’indiquent pas la date à laquelle Diaz Rodriguez avait initialement reçu le diagnostic de dépression. Cela pourrait être en 2004, après son départ de Cuba, ou avant cette date.)

[102] Après avoir examiné les motifs de l’agent de façon globale et contextuelle et au regard du dossier, comme l’exige l’arrêt Vavilov (aux para 91 à 96, 97 et 103), j’ai conclu que l’agent n’a pas commis d’erreur sujette à révision.

[103] Premièrement, il est clair, selon les notes du SMGC, que l’agent a lu et entièrement analysé les éléments de preuve pertinents et, plus particulièrement, les principaux éléments de preuve de nature médicale. Deuxièmement, d’après mon interprétation des motifs de l’agent, ce dernier ne faisait pas abstraction du diagnostic de dépression posé par la psychologue, mais avait adopté un point de vue différent sur les causes factuelles de l’état de Mme Diaz Rodriguez. Dans ses observations, le demandeur exige essentiellement que la Cour examine la conclusion de l’agent quant à une question de causalité. La causalité est une question de fait ou une conclusion fondée sur les éléments de preuve et suppose une évaluation et une appréciation des éléments de preuve (en l’espèce, une combinaison des faits et des éléments de preuve concernant l’opinion du médecin et de la psychologue). Plus particulièrement, la question relevée par l’agent était celle de savoir si la cause de la dépression et des problèmes de santé mentale de Mme Diaz Rodriguez était uniquement sa séparation d’avec son fils ou si d’autres facteurs présentaient un lien de causalité; les facteurs comprenaient des antécédents familiaux de dépression, de suicide ou de tentative de suicide, ainsi qu’un diagnostic antérieur selon lequel Mme Diaz Rodriguez avait souffert de dépression « il y a de nombreuses années » et en souffrait encore.

[104] Interprétées à la lumière du dossier, les déclarations de l’agent selon lesquelles Mme Diaz Rodriguez avait eu des idées suicidaires et avait dit à sa psychologue avoir reçu un diagnostic de dépression « il y a de nombreuses années » semblent faire référence à une déclaration figurant dans la lettre de la psychologue (à la page 3) voulant que Mme Diaz Rodriguez [traduction] « a reçu un diagnostic de dépression il y a de nombreuses années après s’être confiée à son médecin au sujet de sa détresse et de ses idées suicidaires ». La lettre de la psychologue semble établir un lien entre son diagnostic de dépression posé il y a de nombreuses années et ses idées suicidaires à l’époque.

[105] L’agent n’était pas certain non plus que les professionnels de la santé connaissaient les antécédents familiaux, et j’ai confirmé qu’aucune des trois lettres de nature médicale versées au dossier n’en faisait mention (même si la lettre de la psychologue mentionnait de nombreux autres faits). Le défendeur a noté que l’absence d’une connaissance complète des faits, dans l’opinion d’un psychologue a été considérée comme un motif raisonnable pour ne pas se fonder sur cette opinion : Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1168 (le juge Martineau) aux para 3 et 7.

[106] Même si la Cour n’a pas tiré la même conclusion que l’agent qui a évalué les éléments de preuve sur cette question, une cour de révision n’est pas autorisée à réévaluer ou à soupeser de nouveau ces éléments. Il faut faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation par l’agent des éléments de preuve en général et des éléments de preuve relatifs à la causalité plus particulièrement. Selon l’arrêt Vavilov, la Cour ne peut intervenir que lorsqu’il y a des lacunes fondamentales dans le raisonnement suivi par l’agent ou si ses conclusions sont indéfendables compte tenu des contraintes imposées par les éléments de preuve : Vavilov, aux para 99 à 101, 105, 125 et 126. À mon avis, les éléments de preuve présentés en l’espèce n’étaient pas suffisamment contraignants pour empêcher l’agent de tirer la conclusion énoncée dans les notes du SMGC. Je ne crois pas non plus que les motifs de l’agent allaient jusqu’à fournir un « diagnostic amateur » de rechange, comme le demandeur l’a affirmé de vive voix dans un argument (faisant référence à la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 545 (le juge Phelan) au para 12).

[107] Troisièmement, l’agent a fourni les motifs pour lesquels il a rejeté le lien de causalité proposé dans la lettre de la psychologue. Ces motifs, surtout pour ce qui est du diagnostic reconnu de dépression posé « il y a de nombreuses années », sont logiques et suffisamment liés aux faits et aux éléments de preuve de nature médicale versés au dossier. Les motifs ne sont pas indéfendables selon le cadre de l’arrêt Vavilov.

[108] Il est vrai que, dans le paragraphe de conclusion des notes du SMGC, l’agent n’a pas repris l’examen des conclusions au sujet des éléments de preuve de nature médicale pour décider s’il fallait accorder une dispense au titre du paragraphe 25(1). Cependant, étant donné que l’agent a expressément reconnu dans ces notes l’importance de la question et de l’analyse des éléments de preuve de nature médicale, j’estime que cette omission n’est pas grave au point de justifier l’intervention de la Cour.

[109] Pour ces motifs, je ne peux pas conclure, en appliquant avec déférence la norme de la raisonnabilité énoncée dans Vavilov, que le raisonnement suivi par l’agent comportait des lacunes fondamentales ou était indéfendable à cet égard, ou qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Rien ne justifie donc l’intervention de la Cour.

Isolement de la répondante

[110] Le demandeur a fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte de l’isolement dans lequel vit Mme Diaz Rodriguez, qui n’a aucune famille au Canada. Comme l’a souligné le défendeur, l’agent indiquait expressément dans ses motifs qu’elle était « seule » au Canada. Dans le contexte de l’espèce, cette reconnaissance suffisait, compte tenu du fondement sur lequel reposent les éléments de preuve touchant la santé mentale qui ont été présentés à l’agent et sa compréhension de ces éléments de preuve. Je ne retiens pas cette observation du demandeur.

Autres arguments soulevés par le demandeur

[111] Le demandeur a formulé des arguments au sujet du défaut de l’agent d’avoir soupesé adéquatement les éléments de preuve au moment de rendre une décision à l’égard des facteurs d’ordre humanitaire. Comme il a déjà été mentionné, il ne s’agit pas d’un motif permettant à la Cour d’intervenir.

[112] Le demandeur a également soutenu que l’agent n’avait pas suivi les principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy ni respecté l’exigence prévue par l’arrêt Chirwa d’examiner les facteurs d’ordre humanitaire et non pas seulement les difficultés (citant Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72 (le juge Brown) au para 33). Après avoir examiné minutieusement les notes du SMGC, je ne suis pas disposé à conclure que l’agent a agi ainsi. Les notes de l’agent ne reflètent pas un manque considérable de sensibilité à l’égard des circonstances vécues par Mme Diaz Rodriguez ou le demandeur.

[113] Le demandeur soutient également que l’agent a commis diverses erreurs lorsqu’il a évalué si le demandeur et sa mère (à titre de répondante proposée) répondaient aux exigences de l’appartenance à la catégorie du regroupement familial selon le RIPR. Toutefois, le demandeur a également admis dans ses observations que Mme Diaz Rodriguez ne respectait pas à titre de répondante les exigences financières relatives au parrainage. Cela conclut l’argument à cet égard. De plus, selon mon interprétation des observations, l’argument touchant les exigences financières renvoie à l’évaluation par l’agent des motifs d’ordre humanitaire sur le fond. À ce titre, le reste des observations du demandeur entre dans la catégorie de la « chasse au trésor » à la recherche d’une erreur, que la cour de révision n’est pas autorisée à entreprendre : Vavilov, aux para 91 et 102; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, [2013] 2 RCS. 458 au para 54.

V. Conclusion et questions proposées à des fins de certification

[114] Par conséquent, je conclus que la demande doit être rejetée.

[115] Compte tenu des circonstances inhabituelles donnant à lieu à l’argument concernant l’équité procédurale, les deux parties ont demandé de présenter des observations portant sur la possibilité de certifier une question après l’examen de l’issue et des motifs quant à la demande. La Cour a fourni aux avocats des parties une ébauche des motifs pour leur permettre de formuler des observations écrites, ce que les deux parties ont fait.

[116] Pour être certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR, une question proposée doit être une « question grave » qui i) est déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcende les intérêts des parties au litige et iii) porte sur des questions ayant des conséquences importances ou qui sont de portée générale : Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 RCF 229 (la juge Gleason) au para 36. Dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 RCF 674, le juge Laskin expliquait au paragraphe 46 que le critère énoncé dans l’arrêt Lewis :

[…] signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle‑même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux paragraphes 15 et 35).

[117] En l’espèce, le demandeur a proposé trois questions aux fins de certification :

[TRADUCTION]

  • 1) L’intérêt supérieur de l’enfant peut‑il être évalué comme un facteur défavorable à l’autorisation d’une demande présentée au titre du paragraphe 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

  • 2) Dans l’affirmative, l’équité procédurale exige‑t‑elle que, avant de refuser une demande, un agent préoccupé par la possibilité que l’octroi d’un visa de résident permanent puisse nuire à l’intérêt supérieur de l’enfant offre au demandeur la possibilité d’aborder ces préoccupations?

  • 3) L’isolement d’une personne correspondant à la définition de répondant aux termes du sous‑alinéa 117(1)h)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est‑il un facteur à prendre en compte au moment d’évaluer si une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est justifiée, lorsque les exigences des sous‑alinéas 117(1)h)(ii) ou 133(1)j)(i)(A) du RIPR ne sont pas remplies?

[118] Le défendeur s’est opposé à la certification de l’une ou l’autre de ces questions.

[119] À mon avis, la première question ne peut être certifiée parce qu’elle n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel. Une question certifiée « [doit être] une question qui a été soulevée et qui a été examinée dans la décision d’instance inférieure » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 (le juge Pelletier) au para 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kassab, 2020 CAF 10 (la juge Dawson) au para 72; Lewis, au para 46. Dans le cadre de la présente demande, le demandeur n’a pas soutenu que l’agent ne pouvait pas, du point de vue juridique, évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant comme un facteur défavorable à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Je n’aborde pas non plus dans mes motifs cette question juridique, qui est considérablement plus vaste que la question en cause et tranchée (c.‑à‑d. la question de savoir si l’agent aurait dû offrir au demandeur une (autre) possibilité de présenter des observations avant d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant).

[120] La deuxième question proposée à des fins de certification concerne l’équité procédurale. La Cour d’appel fédérale a soutenu dans l’arrêt Kisana que ce genre de question relative à l’équité procédurale doit être réglée selon les faits de chaque espèce, comme c’est le cas dans le cadre de la présente demande. La Cour d’appel fédérale a refusé de répondre à une question de cette nature qui avait été certifiée dans cet appel : Kisana, aux para 2 et 62. Par conséquent, la question en l’espèce ne soulève pas une question pouvant être certifiée en vue d’un appel puisque sa résolution dépend des circonstances particulières de l’espèce : Lunyamila, au para 46; Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 au para 15.

[121] La troisième question proposée ne peut pas non plus être certifiée étant donné que l’issue de l’appel ne dépendra pas de la réponse à cette question. Dans ses motifs, l’agent a reconnu que la répondante était seule au Canada. En l’espèce, le poids à accorder à ce facteur ne soulève pas une question susceptible d’être certifiée.

[122] Par conséquent, je conclus qu’aucune question ne peut être certifiée en vue d’un appel dans le cadre de la présente demande.

[123] Il n’y aura pas d’ordonnance quant aux dépens.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6332‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. La Cour ne certifie aucune question en vertu de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés à l’égard de la présente demande.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6332‑19

 

INTITULÉ :

GRABIEL GARCIA DIAZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A. D. LITTLE.

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Shannon Black

pOUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shannon Black

Avocate

 

pOUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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