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Date : 20210413


Dossier : IMM‑1416‑20

Référence : 2021 CF 318

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2021

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

XIAOPEI ZENG,

XINTONG YE,

LUCAS YE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente demande est introduite par Xiaopei Zeng (la demanderesse) et ses deux enfants mineurs, qui attaquent la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté leur demande d’asile. La demanderesse a fondé sa revendication et celle de ses enfants sur sa prétendue pratique du Falun Gong, qui a débuté en Chine puis s’est poursuivie au Canada. La Section de protection des réfugiés (la SPR) et la SAR ont toutes deux conclu que la demanderesse n’était pas une véritable adepte du Falun Gong et ont rejeté les demandes d’asile pour ce motif.

[2] La conclusion défavorable tirée par la SAR au sujet de la crédibilité était fondée principalement sur les faiblesses que celle‑ci a perçues dans les connaissances que possédait la demanderesse au sujet des enseignements et des pratiques du Falun Gong. La SAR a également conclu que la citation à comparaître délivrée par le Bureau de la sécurité publique (PSB), qu’a invoquée la demanderesse, était un faux document, ce qui a d’autant plus miné la crédibilité de cette dernière.

[3] Les questions déterminantes qui doivent être tranchées en l’espèce sont axées sur la preuve, et donc, sont assujetties à la norme de la décision raisonnable, qui appelle la retenue. Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande et je renvoie l’affaire en vue d’un nouvel examen au fond.

[4] La demanderesse soutient que la manière dont la SAR a traité la citation à comparaître délivrée par le PSB et versée en preuve n’était pas raisonnable, car la SAR a mis l’accent sur la forme du document au détriment de son contenu. Le document versé en preuve avait été traduit, contrairement au document modèle, ce qui a rendu impossible toute comparaison entre le contenu des deux documents. Je conviens que, pour apprécier la fiabilité d’un document présenté par le demandeur, il est plus sûr de comparer à la fois le format et le contenu du document versé en preuve à ceux d’un document modèle fiable, plutôt que de recourir à la méthode employée en l’espèce. Toutefois, lorsqu’un demandeur d’asile produit un document officiel qui ne concorde pas parfaitement avec le document modèle tiré du cartable national de documentation, il lui incombe d’expliquer ou de justifier les divergences entre les deux documents. Le défaut de fournir des explications peut mener à une conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur, comme ce fut le cas en l’espèce. Il ne s’agissait pas d’une conclusion déraisonnable.

[5] En revanche, je suis préoccupé par le fait que les motifs de la SAR reprennent presque mot pour mot le libellé d’une décision précédente de la SAR rendue par la même commissaire dans le dossier TB8‑10310, y compris les pronoms reproduits tels quels et pourtant mal adaptés au contexte de l’espèce. C’est une pratique qui est à déconseiller, car elle peut donner à la partie déboutée l’impression que la décision a été rédigée sans bénéficier de la rigueur ni de l’attention au dossier qui s’imposaient.

[6] En l’espèce, la SPR et la SAR ont cherché à apprécier l’authenticité du prétendu système de croyances de la demanderesse qui se dit disciple du Falun Gong. Or, la Cour a souvent incité les décideurs en matière d’immigration à faire montre de prudence lorsqu’il s’agit de tirer des conclusions fermes sur la crédibilité du demandeur quant à l’authenticité de ses croyances religieuses ou philosophiques en se fondant sur de supposées faiblesses dans sa connaissance de la doctrine en question : voir Dong c Canada (MCI), 2010 CF 55, [2010] ACF no 54; Chen c Canada (MCI), 2007 CF 270, [2007] ACF no 395; Feradov c Canada, 2007 CF 101, [2007] ACF no 135; Huang c Canada (MCI), 2008 CF 346, [2008] ACF no 452; Ullah c Canada (MCI), [2000] ACF no 1981, 101 ACWS (3d) 792; et Wang c Canada (MCI), 2011 CF 1030, [2011] ACF no 1291.

[7] La prudence est de mise, car il est possible qu’un véritable adepte ne soit pas en mesure de comprendre parfaitement, ni d’interpréter, ni d’expliquer un code complexe de principes. Le problème est exacerbé lorsque la doctrine est obscure, ou que le décideur ne mène pas un examen suffisant de la question.

[8] Ces préoccupations sont clairement présentes en l’espèce. La SPR a souligné qu’elle avait dû inciter la demanderesse à fournir des réponses plus détaillées aux questions portant sur sa pratique. Pourtant, ce faisant, la SPR ne s’est pas pleinement enquise de l’étendue des connaissances que possédait la demanderesse au sujet de la doctrine du Falun Gong. Par la suite, la SAR a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité en se fondant sur le même dossier de preuve lacunaire. L’échange entre la demanderesse et la SPR au sujet des pensées vertueuses, reproduit ci‑dessous, illustre très bien cet enchaînement :

[TRADUCTION]

Q : Et, est‑ce que vous envoyez des pensées vertueuses?

R : Oui.

Q : Pourquoi les adeptes le font‑ils?

R : Pour élever la pratique du Gong.

Q : Y a‑t‑il d’autres raisons pour lesquelles les adeptes transmettent des pensées vertueuses?

R : Elles permettent aux adeptes de se délivrer de la menace du mal.

Q : De quoi s’agit‑il?

R : Oui, de mauvaises choses.

[9] Sur la base de ce bref échange, la SAR a tiré les conclusions défavorables suivantes en ce qui concerne la crédibilité :

[TRADUCTION]

[42] J’estime que, bien qu’incomplet, le témoignage de l’appelante à ce sujet n’est pas complètement inexact. Il a fallu l’inciter à fournir des informations plus détaillées. Si la commissaire n’avait pas poussé plus loin ses questions, l’appelante se serait limitée à répondre que de telles pensées ont pour but d’élever la pratique du Gong, ce qui n’explique pas totalement pourquoi cette action doit être posée. Sa réponse, comme elle l’a formulée, était que cette pratique visait à aider les adeptes à se débarrasser du mal. Le maître Li Hongzhi considère que c’est un principe fondamental de la pratique du Falun Gong. Les pensées vertueuses sont prises très au sérieux et il faut en envoyer quotidiennement afin de réduire la persécution que les formes de vie perverses infligent à Dafa. Compte tenu de l’importance que revêt l’envoi de pensées positives, la demanderesse devrait être en mesure de formuler une réponse plus détaillée et d’expliquer la raison d’être de cette pratique. Son incapacité à le faire mine sa crédibilité.

[Notes en bas de page omises.]

[10] La RAD a exprimé une préoccupation semblable quant à l’incapacité supposée de la demanderesse à décrire la « méthode » reconnue pour envoyer des pensées vertueuses. Ces réserves ont été suscitées par un bref échange, reproduit ci‑dessous, entre la demanderesse et la SPR :

Q : Y a‑t‑il une méthode pour envoyer des pensées vertueuses?

R : Je ne comprends pas la question madame.

Q : Quand vous envoyez des pensées vertueuses, y a‑t‑il une procédure que vous suivez afin de les envoyer?

R : Non.

[11] Il convient de noter qu’au début de l’extrait de son témoignage reproduit ci‑dessus, la demanderesse a signalé qu’elle ne comprenait pas la question. Or, elle avait déjà indiqué lors de son témoignage qu’elle pratiquait l’envoi de pensées vertueuses. En conséquence, il était déraisonnable de la part de la SAR de tirer une conclusion défavorable parce que la demanderesse s’était contentée de répondre par un non à une question posée lors de ce deuxième et bref échange. Il aurait été nécessaire de poser beaucoup plus de questions sur ce sujet afin d’évaluer l’ampleur réelle des connaissances que possédait la demanderesse. En effet, la SPR a la responsabilité, lorsqu’elle nourrit une telle inquiétude, d’interroger plus avant les demandeurs et de les inciter à lui répondre. En outre, la SAR a une responsabilité analogue de faire en sorte que la SPR respecte cette norme en matière d’interrogatoire.

[12] Il convient également de souligner que la SAR s’est fondée sur un long passage abscons de la doctrine du Falun Gong, que, selon elle, la demanderesse aurait dû être capable d’expliquer dans une certaine mesure. Toutefois, ce passage enseigne que [traduction] « certains étudiants n’ont pas réellement saisi les principes essentiels de l’envoi de pensées vertueuses ». Bien que long, le passage ne présente pas de méthode claire permettant d’envoyer des pensées vertueuses, et indique seulement qu’il faut employer la méditation hautement ciblée.

[13] Il ressort clairement du dossier dont je dispose que les connaissances de la SAR au sujet des subtilités du Falun Gong étaient beaucoup plus étendues que celles de la demanderesse. Comme dans la décision Ullah c Canada, précitée, au paragraphe 6, la SAR a appliqué une norme trop sévère à la connaissance que la demanderesse aurait dû avoir.

[14] De plus, les conclusions défavorables tirées par la SAR au sujet de la crédibilité se fondent sur un interrogatoire nettement insuffisant mené par la SPR et sont, par conséquent, déraisonnables. Pour ces motifs, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

[15] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1416‑20

LA COUR STATUE que la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1416‑20

 

INTITULÉ :

XIAOPEI ZENG, XINTONG YE, LUCAS YE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (ONtario)

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Diane Coulthard

POUR LES DEMANDEURS

 

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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