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Date : 20050128

Dossier : T-1319-04

Référence : 2005 CF 142

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                    CHINESE BUSINESS CHAMBER OF CANADA,

                             GLOBAL IMMIGRATION CONSULTING GROUP INC.

                                                   et TU CUONG ("VICTOR") LE

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

MARK DAVIDSON

et MME ET M. UNTEL

                                                                                                                                          défendeurs

                                                                             et

                LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CONSULTANTS EN IMMIGRATION

                                                                                                                                       intervenante

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le 13 avril 2004, est entré en vigueur un règlement prévoyant qui peut représenter les personnes qui sont parties à des instances d'immigration ou qui ont présenté des demandes d'immigration ou à agir comme conseil pour ces personnes. Depuis cette date, seuls les avocats, les membres de la Chambre des notaires du Québec et les membres de la Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI) peuvent représenter, contre rémunération, des clients dans les affaires d'immigration.

[2]                Les requérants sollicitent maintenant une ordonnance provisoire portant suspension de l'application du règlement, dans le but d'interdire aux défendeurs d'empêcher les consultants en immigration qui ne sont pas membres de la SCCI d'agir comme conseiller en immigration en attendant l'issue de la présente affaire.

[3]                Entre autres arguments, les requérants affirment que le nouveau règlement n'est pas autorisé par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et qu'il y a eu délégation irrégulière à une société privée, à savoir la SCCI, de la fonction législative consistant à réglementer les consultants en immigration. Les requérants soutiennent également que les droits exigés par la SCCI constituent l'exercice d'un pouvoir d'imposition inconstitutionnel, que la SCCI bénéficie d'un monopole illégal et que le processus qui a débouché sur la création de la SCCI, ainsi que le régime réglementaire lui-même, constituent une violation des articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et des autres normes constitutionnelles.

L'identification des parties

a)          Les requérants


[4]                La Chinese Business Chamber of Canada (la CBCC) est une société privée ontarienne qui a été créée pour défendre les intérêts de la communauté d'affaires chinoise, en particulier, et ceux de la communauté chinoise en général, au Canada. La CBCC compte environ 1 000 membres, dont un petit nombre travaillent comme consultants en immigration.

[5]                Tu Cuong (Victor) Le est un consultant en immigration de la ville de Toronto. M. Le est le seul dirigeant, administrateur et actionnaire de Global Immigration Consulting Group Inc. (Global). M. Le fournit des services de consultant en immigration à Global. M. Le est membre de la SCCI depuis le 13 août 2004.

b)          Les défendeurs

[6]                Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le MCI) est chargé d'administrer la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[7]                Mark Davidson est le directeur exécutif du Secrétariat sur la réglementation des activités des consultants en immigration établi par le MCI. M. Davidson est aussi actuellement un membre sans droit de vote du conseil d'administration de la SCCI, où il représente le MCI.

[8]                Les défendeurs « Mme et M. Untel » sont d'autres fonctionnaires du MCI dont l'identité est pour le moment inconnue des requérants. Il est allégué qu'ils sont les auteurs communs d'un délit dont les noms seront précisés à une date ultérieure.


c)          L'intervenante

[9]                La Société canadienne de consultants en immigration est un organisme sans but lucratif constitué en société fédérale pour réglementer les consultants en immigration, dans l'intérêt public. La SCCI a environ 1 400 membres, et elle traite actuellement 600 autres demandes d'adhésion.

Les dispositions législatives pertinentes

[10]            Si l'on veut comprendre les questions que soulève la présente affaire, il faut connaître l'historique des dispositions législatives et réglementaires du droit de l'immigration du Canada concernant les restrictions imposées aux personnes autorisées à représenter des clients dans le domaine de l'immigration.

[11]            Le point de départ de cette discussion est l'article 114 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (maintenant abrogée), qui énonçait :


paragr. 114(1)         Le gouverneur en conseil peut, par règlement

[...]

v)              exiger de quiconque comparaît devant un arbitre ou la Commission en qualité de procureur rétribué sans être membre du barreau d'une province qu'il soit titulaire d'une autorisation délivrée à cet effet par les autorités habilitées à le faire aux termes des règlements;

s. 114(1) The Governor in Council may make regulations

....

(v)            requiring any person, other than a member of the bar of any province, to make application for and obtain a licence from such authority as is prescribed before that person may appear before an adjudicator or the Board as counsel in exchange for any fee, reward or other form of remuneration whatever;


[12]            Si la Loi sur l'immigration confiait au gouverneur en conseil le pouvoir de réglementer les personnes autorisées à comparaître devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, cette attribution soulevait bien évidemment certaines questions au sujet du pouvoir du gouvernement fédéral de légiférer dans ce domaine et de savoir si cela constituerait un empiètement sur les compétences provinciales. C'est pour cette raison qu'aucun règlement n'a jamais été pris dans ce domaine.

[13]            En juin 2002, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) est entrée en vigueur. Les articles pertinents de la LIPR énoncent :


paragr. 5(1)         Le gouverneur en conseil peut, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, prendre les règlements d'application de la présente loi et toute autre mesure d'ordre réglementaire qu'elle prévoit.

[...]

s. 5(1)      Except as otherwise provided, the Governor in Council may make any regulation that is referred to in this Act or that prescribes any matter whose prescription is referred to in this Act.

.....

art. 91                  Les règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l'agent ou la Commission, ou faire office de conseil.

[...]

s. 91         The regulations may govern who may or may not represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer or the Board.

.....

paragr. 167(1)                 L'intéressé peut en tout cas se faire représenter devant la Commission, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

s. 167(1) Both a person who is the subject of Board proceedings and the Minister may, at their own expense, be represented by a barrister or solicitor or other counsel.



[14]            Entre-temps, en 2001, la Cour suprême du Canada avait rendu l'arrêt Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113. Dans l'arrêt Mangat, la Cour suprême a jugé que, si les provinces ont effectivement le pouvoir de réglementer les professions, y compris les professions juridiques, c'est le Parlement qui possède des compétences en matière d'immigration et de naturalisation. Le droit d'attribuer des pouvoirs aux tribunaux d'immigration découle de cette compétence. Un de ces pouvoirs est celui de réglementer les personnes qui peuvent représenter les parties devant ces tribunaux administratifs.

[15]            Dans l'arrêt Mangat, la Cour a également déclaré qu'en cas de conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale dans ce domaine, la loi fédérale devait l'emporter.

[16]            Une fois ces questions de compétence résolues, le Règlement modifiant le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, règlement DORS/2004-59; C.P. 2004-326, est entré en vigueur le 13 avril 2004. Les parties pertinentes de ce règlement (le règlement sur les consultants en immigration) ajoutent ce qui suit au Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés :


art. 2        "représentant autorisé" Membre en règle du barreau d'une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration constituée aux termes de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes le 8 octobre 2003.

[...]

s. 2           "authorized representative" means a member in good standing of a bar of a province, the Chambre des notaires du Québec or the Canadian Society of Immigration Consultants incorporated under Part II of the Canada Corporations Act on October 8, 2003.

.....


paragr. 13.1(1)        Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque n'est pas un représentant autorisé de représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l'agent ou la Commission, ou de faire office de conseil, contre rémunération.

s. 13.1(1)                 Subject to subsection (2), no person who is not an authorized representative may, for a fee, represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer or the Board.paragr. 13.1(2)                 Quiconque n'est pas un représentant autorisé peut, pour la période de quatre ans suivant la date d'entrée en vigueur du présent article, continuer de représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l'agent ou la Commission, ou de faire office de conseil, contre rémunération, si les conditions suivantes sont réunies :

s. 13.1(2)         A person who is not an authorized representative may, for a period of four years after the coming into force of this section, continue for a fee to represent, advise or consult with a person who is the subject of a proceeding or application before the Minister, an officer or the Board, if

a)     il agissait à ce titre à l'égard de cette personne à l'entrée en vigueur du présent article;

(a)        the person was providing any of those services to the person who is the subject of the proceedings or application on the coming into force of this section; and

b)     l'affaire est la même que celle qui était devant le ministre, l'agent ou la Commission à l'entrée en vigueur du présent article.

(b)        the proceeding or application is the same proceeding or application that was before the Minister, an officer or the Board on the coming into force of this section.


[17]            Ce sont ce règlement et les événements qui ont débouché sur la création de la Société canadienne de consultants en immigration qui sont à l'origine du présent litige.

Le contexte

[18]            Après avoir exposé l'historique législatif de cette question, j'examine maintenant les faits et les allégations à l'origine de la présente requête.


[19]            Il est reconnu depuis longtemps qu'il était nécessaire de réglementer les consultants en immigration au Canada. Il est arrivé que des consultants incompétents et peu scrupuleux aient profité de la vulnérabilité des réfugiés et des candidats à l'immigration. Cela a causé un préjudice non seulement aux victimes de ces consultants mais également à la réputation internationale du Canada, ainsi qu'à ses intérêts économiques et à la sécurité nationale.

[20]            Toutes les parties en l'espèce reconnaissent qu'il y a lieu de réglementer les activités des consultants en immigration. Les requérants s'opposent au régime mis en place pour le faire.

[21]            Un certain nombre d'études ont été effectuées pour déterminer quelle était la meilleure façon de réglementer les consultants en immigration. Ces études ont débouché sur un certain nombre de recommandations. À titre d'exemple, en novembre 1995, le sous-comité créé par le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration pour examiner cette question recommandait que le gouvernement fédéral utilise les pouvoirs de la Loi sur l'immigration pour prendre un règlement précisant qui a le pouvoir d'accorder un permis d'exercice aux consultants en immigration qui comparaissent dans les affaires d'immigration. Le Comité recommandait de créer dans ce but un organisme d'autoréglementation indépendant chargé d'accorder des permis d'exercice aux consultants en immigration.

[22]            Comme cela a été mentionné plus haut, rien n'a été fait à ce sujet pendant plusieurs années.

[23]            Le 3 octobre 2002, à la suite de l'arrêt Mangat, Citoyenneté et Immigration Canada a annoncé la création d'un comité consultatif externe chargé d'analyser les préoccupations du secteur de la consultation en immigration et de présenter des solutions au ministre de l'Immigration de l'époque, Denis Coderre. Le comité consultatif était composé de spécialistes de ce domaine, notamment d'avocats, de défenseurs des réfugiés, d'universitaires et de plusieurs consultants en immigration.

[24]            Après de longues consultations avec les intéressés, le comité consultatif a présenté son rapport en mai 2003. Parmi de nombreuses autres recommandations, le comité proposait la création, par voie législative, d'un organisme d'autoréglementation chargé de réguler les consultants en immigration.

[25]            La SCCI a été constituée en société le 8 octobre 2003. D'après ses lettres patentes, la SCCI a pour mission de réglementer les consultants en immigration dans l'intérêt du public et, ce faisant, d'établir un code de déontologie, un processus disciplinaire et de traitement des plaintes ainsi qu'un fonds d'indemnisation destiné à protéger les personnes qui ont subi des pertes en raison des actes ou omissions des consultants en immigration. La SCCI a également pour mission d'élaborer des programmes éducatifs nationaux destinés aux consultants en immigration.


[26]            Les quatre administrateurs qui ont constitué la SCCI en société étaient tous membres du comité consultatif mis sur pied par le ministre Coderre. Au moins un des premiers dirigeants était un consultant en immigration. Depuis lors, le conseil d'administration a été élargi pour y ajouter d'autres consultants en immigration.

[27]            Un communiqué de presse publié par le bureau du ministre le 31 octobre 2003 annonçait la constitution en société de la SCCI et informait les intéressés qu'à partir d'avril 2004, la SCCI serait en mesure d'accorder une protection aux demandeurs en situation de vulnérabilité. Le 19 décembre 2003, un autre communiqué de presse annonçait un projet de modification du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, d'après lequel le gouvernement du Canada ne ferait affaire avec des représentants rémunérés que s'ils étaient membres de la SCCI ou d'un barreau provincial ou territorial.

[28]            Au moment même où le communiqué de presse était diffusé, le projet de règlement était prépublié, les parties intéressées ayant 30 jours pour présenter des commentaires au sujet du projet de règlement.

[29]            Le 21 janvier 2004, la SCCI a publié un avis dans un certain nombre de journaux régionaux et nationaux informant les consultants en immigration qui n'étaient pas avocats qu'ils pouvaient déposer auprès de la SCCI, avant le 6 février 2004, une « déclaration d'intention d'y adhérer » , en joignant un montant de 500 $, de façon à pouvoir être reconnus comme consultant inscrit au moment où le règlement sur les consultants en immigration entrerait en vigueur en avril 2004.


[30]            Les règlements administratifs de la SCCI, qui décrivent en détail le régime réglementaire régissant les consultants en immigration, ont été publiés le 29 mars 2004. Le 1er avril 2004, le règlement sur les consultants en immigration a été approuvé par le gouverneur en conseil. Le règlement est entré en vigueur le 13 avril 2004.

[31]            Depuis sa constitution en société, la SCCI a loué des locaux, embauché du personnel, mis sur pied des systèmes et des infrastructures de technologie de l'information et créé un site Web.

[32]            Conformément à ses règlements administratifs, la SCCI a également élaboré des conditions d'adhésion, notamment un barème de droits. Elle a en outre préparé un code de déontologie à l'intention de ses membres et prévu un processus disciplinaire et de traitement des plaintes. La SCCI a établi des exigences en matière d'assurance pour les erreurs ainsi que les omissions et prévu des programmes de vérification des connaissances.

[33]            Près de 1 400 consultants en immigration sur les 6 000 à 7 000 qui existent au Canada sont devenus des membres « transitoires » de la SCCI depuis le 13 avril 2004. Les membres transitoires sont autorisés à représenter, contre rémunération, les réfugiés et les candidats à l'immigration. La SCCI est également en train d'examiner près de 600 autres demandes. Lorsque le processus de vérification des connaissances sera finalisé, les membres transitoires passeront un examen et ceux qui le réussiront deviendront des membres à part entière de la SCCI.


La demande d'adhésion à la SCCI présentée par M. Le

[34]            M. Le a versé un droit d'adhésion provisoire de 500 $ le 31 janvier 2004 et déposé sa déclaration d'intention d'adhérer le 21 février 2004, ce qui constituait les premières étapes de l'acquisition du statut de membre transitoire de la SCCI. Il a réussi son examen initial de vérification des connaissances le 22 mars 2004.

[35]            Le 7 avril 2004, la SCCI a envoyé à M. Le un formulaire qu'il devait remplir pour être couvert par une assurance. M. Le a versé le solde de ses droits et de ses primes d'assurance le 20 avril 2004. Le lendemain, M. Le apprenait qu'il devait encore fournir à la SCCI un certain nombre de documents pour que sa demande d'adhésion puisse être traitée.

[36]            En mai et en juin 2004, un certain nombre des clients de M. Le ont vu leurs demandes de visas retournées parce qu'il n'était pas un « représentant autorisé » au sens du règlement sur les consultants en immigration.


[37]            Le 30 juin 2004, M. Le a envoyé à la SCCI la plupart des documents demandés, mais pas tous. Le 13 juillet 2004, la SCCI a envoyé un courriel à M. Le dans lequel elle l'informait que sa demande ne pourrait être traitée tant qu'il n'aurait pas déposé le formulaire d'autorisation pour l'assurance contre les erreurs et les omissions, une attestation faisant état de ses relations d'affaires et une attestation qu'il n'a pas de dossier criminel ou, à défaut, une attestation fournissant des renseignements sur les déclarations de culpabilité dont il a pu faire l'objet. On demandait également à M. Le de fournir une attestation originale d'absence de casier judiciaire de la GRC.

[38]            Le 6 août 2004, M. Le a fourni par courrier l'information sollicitée. Sa lettre de présentation mentionne qu'il avait déjà remis à la SCCI une copie de l'attestation d'absence de casier judiciaire de la GRC, même si rien dans cette correspondance ne donne à penser que M. Le avait déjà fourni les autres renseignements que la SCCI lui avait demandés.

[39]            Le 11 août 2004, n'ayant de toute évidence pas encore reçu la lettre du 6 août de M. Le, la SCCI a envoyé un autre courriel à M. Le, en lui rappelant qu'il devait déposer certains documents pour compléter son dossier d'adhésion. La SCCI a reçu le lendemain la correspondance du 6 août de M. Le.

[40]            Le 13 août 2004, le lendemain du jour où la SCCI a reçu le dernier document demandé à M. Le, elle a approuvé sa demande d'adhésion à la SCCI. Depuis qu'il est devenu membre de la SCCI, M. Le n'a rencontré aucun problème dans ses rapports avec le gouvernement fédéral pour le compte de ses clients.


Les questions en litige

[41]            Les requérants demandaient au départ une ordonnance provisoire de prohibition, visant à empêcher l'application du règlement sur les consultants en immigration, mais il y a eu désistement de cette demande à l'audience.

[42]            Par conséquent, la seule question en litige dont je suis saisie est celle de savoir si les requérants ont le droit d'obtenir la suspension de l'application du règlement, de façon à interdire aux défendeurs d'empêcher les personnes qui ne sont pas membres de la Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI) d'agir en qualité de conseil dans les affaires d'immigration, en attendant l'issue de la présente affaire.

Les principes applicables

[43]            Dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a confirmé que le critère à utiliser en matière de demande de suspension de l'application d'une disposition législative pour des motifs constitutionnels est le critère en trois volets exposé dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.

[44]            Les parties reconnaissent que, pour obtenir gain de cause, les requérants doivent établir qu'il existe une question sérieuse à juger, qu'ils subiraient un préjudice irréparable si leur demande était rejetée et que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du prononcé de l'injonction.

Existe-t-il une question sérieuse à juger?

[45]            Le seuil applicable au volet de la question sérieuse à juger du critère en trois parties dont dépend l'octroi d'une injonction interlocutoire n'est habituellement pas très strict. En fait, comme la Cour suprême du Canada l'a noté dans l'arrêt RJR-MacDonald :

Une fois convaincu qu'une réclamation n'est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l'affaire (au paragraphe 50).

[46]            Ce principe connaît toutefois deux exceptions. La première exception est le cas où le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action. Ce n'est pas le cas ici. La seconde exception vise le cas où la question de constitutionnalité se présente uniquement sous la forme d'une pure question de droit.


[47]            Dans les cas qui tombent dans ce que la Cour suprême du Canada a qualifié de « limites très étroites » de la seconde exception, le juge n'a pas à examiner les volets du préjudice irréparable ou de la prépondérance des inconvénients du critère de l'arrêt RJR-MacDonald, dans la mesure où la question constitutionnelle est tranchée de façon définitive et rend inutile le sursis : RJR-MacDonald, au paragraphe 55.

[48]            En l'espèce, de nombreux arguments des requérants sont de nature constitutionnelle. Dans ce contexte, la SCCI m'invite à examiner le bien-fondé des arguments des requérants et à me prononcer sur le fond de l'action. D'après la SCCI, cela lui éviterait d'être obligée de fonctionner dans un climat d'incertitude en attendant qu'une décision définitive soit rendue.

[49]            Il convient de noter que cette requête émane de l'intervenante, et non pas des défendeurs dont la thèse est fondée sur l'approche traditionnelle de l'arrêt RJR-MacDonald. J'ai examiné attentivement la demande présentée par la SCCI, mais je ne suis pas convaincue que la présente affaire soit visée par la seconde exception de l'arrêt RJR-MacDonald, étant donné qu'au moins une partie des questions constitutionnelles en litige ici ne peuvent être véritablement qualifiées de pures questions de droit.

[50]            Le règlement d'un certain nombre de questions soulevées par les requérants dépendra de l'analyse qui sera faite du contexte factuel sous-jacent. Certains faits sont contestés, et même très controversés. C'est la raison pour laquelle je ne vais pas procéder à un examen approfondi du bien-fondé de la thèse des requérants.

[51]            Pour les fins de la présente requête, je suis plutôt disposée à tenir pour acquis, sans me prononcer sur ce point, que l'action sous-jacente soulève une ou plusieurs questions qui répondent au volet de la « question sérieuse à juger » du critère. Il convient donc de déterminer maintenant si les requérants ont répondu aux deuxième et troisième volets du critère de l'arrêt RJR-MacDonald. Nous allons examiner ces questions une à une.

Les requérants ont-ils rempli le volet préjudice irréparable du critère de l'arrêt RJR-MacDonald?

a)         Qui subirait le préjudice irréparable?

[52]            Les requérants soutiennent que, pour décider si le refus d'ordonner la suspension demandée entraînerait un préjudice irréparable, je ne devrais pas examiner uniquement la situation des requérants eux-mêmes, mais que je devrais également tenir compte du préjudice que subiraient les candidats à l'immigration au Canada et, d'une façon générale, la communauté chinoise d'affaires au Canada. Les requérants soutiennent également que je devrais aussi tenir compte, à cette étape de l'analyse, du dommage permanent que cause le règlement sur les consultants en immigration à l'intégrité de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[53]            Pour appuyer leur conception élargie du volet préjudice irréparable du critère de l'arrêt RJR-MacDonald, les requérants citent le paragraphe 67 de l'arrêt RJR-MacDonald, dans lequel la Cour suprême déclare qu'il faut « rejeter une méthode d'analyse qui exclut l'examen d'un préjudice non directement subi par une partie à la requête » .


[54]            Les requérants invoquent également l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302, de la Cour d'appel fédérale pour appuyer la proposition selon laquelle il est possible de remplir le volet du préjudice irréparable du critère de l'arrêt RJR-MacDonald en tenant compte du préjudice que subiraient des tiers à l'action ou à la demande. Dans l'arrêt Toth, la Cour d'appel examinait la question de savoir s'il y avait lieu d'accorder la suspension d'une mesure de renvoi dans un contexte d'immigration et elle a tenu compte du préjudice que subiraient les membres de la famille du demandeur, l'entreprise familiale et les autres personnes qui dépendaient de l'entreprise familiale pour subvenir à leurs besoins.

[55]            Un examen de l'arrêt RJR-MacDonald montre que le passage invoqué par les requérants est tiré de la partie de la décision dans laquelle la Cour suprême analyse la portée de l'examen qu'il convient d'effectuer pour l'élément prépondérance des inconvénients du critère à trois volets. Dans ce contexte, la Cour a jugé que, dans un litige constitutionnel, les requérants et les intimés devraient pouvoir invoquer des considérations axées sur l'intérêt public dans leurs arguments au sujet de la prépondérance des inconvénients.

[56]            Voici ce que la Cour suprême avait à dire au sujet de la question du préjudice irréparable, dans l'arrêt RJR-MacDonald :


À la présente étape, la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l'intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l'objet d'une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l'issue de la demande interlocutoire (au paragraphe 58). [Non souligné dans l'original.]

[57]            S'il est vrai que l'arrêt Toth semble donner à penser que la Cour peut tenir compte du préjudice que subiront des tiers à l'instance sous l'élément du préjudice irréparable, cette observation a été formulée dans le contexte d'une demande de sursis d'une mesure de renvoi du Canada plutôt que dans celui d'une contestation constitutionnelle, alors que l'arrêt RJR-MacDonald concerne une tentative de surseoir à l'exécution d'un règlement pour des motifs constitutionnels. C'est pourquoi les faits de l'affaire RJR-MacDonald coïncident parfaitement avec ceux de la présente espèce. En outre, l'arrêt RJR-MacDonald est postérieur à l'arrêt Toth et il est doté d'une autorité supérieure, puisqu'il émane de la Cour suprême du Canada.

[58]            Par conséquent, je suis convaincue qu'à cette étape de l'analyse, il incombe aux requérants de démontrer qu'ils subiront eux-mêmes un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé. Je vais maintenant examiner tour à tour la situation des différents requérants.

b)          M. Le subira-t-il un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé?


[59]            M. Le soutient qu'il a subi un préjudice en raison de ce qu'il qualifie de retards dans le traitement de sa demande d'adhésion par la SCCI. Il prétend également qu'il y a eu atteinte à sa réputation pour la raison que ses clients ont vu leurs demandes de visa retournées parce qu'il n'était pas membre de la SCCI au moment où ces demandes ont été présentées. D'après M. Le, cela a entraîné une diminution du nombre de ses clients. Cela, affirme-t-il, constitue un préjudice irréparable.

[60]            Le règlement sur les consultants en immigration est entré en vigueur le 13 avril 2004, mais M. Le n'est devenu membre de la SCCI que quatre mois plus tard. Dans la mesure où il y aurait eu atteinte à la réputation de M. Le en raison du fait qu'il n'a pu déposer de nouvelles demandes de visas avant de devenir membre de la SCCI, un examen du dossier révèle que M. Le était, dans une large mesure, l'auteur de son propre malheur, étant donné qu'il n'a fourni qu'à la mi-août les documents dont avait besoin la SCCI pour traiter sa demande. En fait, 24 heures après que M. Le a rempli les conditions de la demande, il fut accepté en qualité de membre transitoire de la SCCI.

[61]            Il convient également de noter que, si M. Le affirme qu'il y a eu atteinte à sa réputation et à ses activités commerciales parce que ses clients ont vu leurs demandes de visas retournées, il n'a pas fourni d'états financiers ou d'autres éléments de preuve pour appuyer sa prétention.

[62]            L'argument de M. Le soulève un autre problème. Pour obtenir un sursis, le requérant doit établir que le préjudice irréparable surviendra entre le moment de la présentation de la requête en sursis et le moment auquel l'affaire sera tranchée de façon définitive : Butterfield c. Canada (Procureur général), 2005 CF 19; [2005] A.C.F. no 37, et Bandzar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 186 F.T.R. 148.


[63]            Même si je devais accepter le fait qu'il y ait eu atteinte à la réputation de M. Le et un préjudice financier correspondant, je constate que M. Le a déjà subi ces dommages. Aujourd'hui, M. Le est membre de la SCCI et il peut continuer à représenter des personnes dans les dossiers d'immigration. Il est par conséquent difficile de concevoir comment le fait d'accorder un sursis pourrait réduire les dommages que M. Le affirme avoir déjà subis.

[64]            M. Le n'a pas soutenu cet argument dans son affidavit ni dans son contre-interrogatoire mais son avocat fait valoir que la réputation de M. Le serait restaurée au sein de la communauté chinoise si le sursis était accordé. Cet argument est non seulement dépourvu de fondement probatoire mais il est également de nature hypothétique. La preuve du préjudice irréparable doit être manifeste et non pas hypothétique : Nature Co. v. Sci-Tech Educational Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359, à la page 367.

[65]            Par conséquent, M. Le ne m'a pas convaincue qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé.

c)          Global subira-t-elle un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé?


[66]            En tant que société, Global n'est pas assujettie à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ni au règlement sur les consultants en immigration et elle n'a pas non plus le droit de devenir membre de la SCCI. Le préjudice allégué que Global pourrait subir si le sursis n'était pas accordé est le même préjudice que celui qu'allègue M. Le.

[67]            M. Le est le seul dirigeant, administrateur et actionnaire de Global et le seul consultant en immigration qui fournit des services à cette société. Même si Global possède un statut juridique indépendant, elle est à toutes fins pratiques l'alter ego de M. Le. Par conséquent, tous les commentaires que j'ai faits dans la partie précédente s'appliquent à Global et je conclus que cette société n'a pas démontré qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé.

d)          La CBCC subira-t-elle un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé?

[68]            Reste le cas de la CBCC. Tout comme Global, la CBCC n'est pas assujettie à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ni au règlement relatif aux consultants en immigration et elle ne peut non plus devenir membre de la SCCI. À la différence de Global, la CBCC ne s'occupe pas directement de fournir des services de consultation dans le domaine de l'immigration. En fait, un certain nombre des membres de la CBCC sont des consultants en immigration.


[69]            D'après le témoignage de Sean Hu, le président de la CBCC, la CBCC compte environ 1 000 membres. Trente à trente-cinq de ses membres s'occupent de consultation en immigration, d'après M. Hu, même si uniquement M. Le et M. Hu ont été nommément mentionnés à ce sujet. Cependant, l'affidavit de Mark Davidson montre que la page Web de la CBCC traitant des [traduction] « activités commerciales des membres » ne mentionne que deux personnes dont la consultation en immigration est le secteur d'activités. Il n'est toutefois pas nécessaire de résoudre cette contradiction à cette étape de l'instance.

[70]            Si j'ai bien compris l'argument de la CBCC, celle-ci affirme qu'elle subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé parce que les membres de cette association qui s'occupent de consultation en immigration perdent de l'argent à cause de l'introduction du règlement sur les consultants en immigration.

[71]            J'ai déjà décidé que les requérants devaient démontrer qu'ils subiraient eux-mêmes un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé et que le préjudice que pourraient subir des tiers ne pouvait être pris en compte à cette étape de l'analyse. Pour ce qui est de la CBCC, M. Hu a déclaré au cours de son contre-interrogatoire qu'aucun membre n'avait démissionné de la CBCC en raison de l'entrée en vigueur du règlement sur les consultants en immigration. Par conséquent, en tenant pour acquis, sans me prononcer sur ce point, que la CBCC a la qualité exigée pour contester le règlement sur les consultants en immigration, étant donné que ce règlement ne la touche pas directement, je conclus que la CBCC n'a pas démontré qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé.

[72]            Ayant conclu que les requérants n'ont pas établi qu'ils subiraient un préjudice irréparable si le sursis sollicité n'était pas accordé, il n'est pas strictement nécessaire d'examiner le troisième volet du critère de l'arrêt RJR-MacDonald. Je vais néanmoins examiner la question de la prépondérance des inconvénients pour parfaire mon analyse.

L'appréciation de la prépondérance des inconvénients

a)          Les principes applicables

[73]            Dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, la Cour suprême a examiné le troisième volet du critère qui consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond » (à la page 129, par le juge Beetz).

[74]            Pour apprécier la prépondérance des inconvénients dans les affaires où la constitutionnalité d'une loi est en cause, il convient d'accorder une attention particulière à l'intérêt public. Comme l'a déclaré la Cour de justice de l'Ontario dans la décision Ainsley Financial Corp. v. Ontario Securities Commission (1993), 14 O.R. (3d) 280 :

[traduction]

Une injonction interlocutoire comportant une contestation de la validité constitutionnelle d'une loi ou de l'autorité d'un organisme chargé de l'application de la loi diffère des litiges ordinaires dans lesquels les demandes de redressement opposent des plaideurs privés. Il faut tenir compte des intérêts du public, que l'organisme a comme mandat de protéger, et en faire l'appréciation par rapport à l'intérêt des plaideurs privés (aux pages 303 et 304; cité avec approbation dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, au paragraphe 64).


[75]            Le gouvernement n'a pas le monopole de l'intérêt public : les deux parties au litige peuvent s'appuyer sur des considérations liées à l'intérêt public. Dans ce contexte, « l'intérêt public » comprend à la fois les intérêts de l'ensemble de la société et les intérêts particuliers de groupes identifiables : RJR-MacDonald, aux paragraphes 65 et 66.

[76]            C'est donc dans le contexte de l'analyse portant sur la prépondérance des inconvénients que la Cour peut dûment tenir compte de l'effet que pourrait avoir l'octroi ou le refus du sursis sur les personnes qui ne sont pas directement touchées par le litige. Il faut donc procéder à un processus de pondération méticuleux.

[77]            Dans l'arrêt Harper c. Canada (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 764, la Cour suprême a déclaré que le gouvernement n'était pas tenu de démontrer que la loi attaquée favorisait le bien public. Cet aspect est présumé à la présente étape de l'instance.

[78]            Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt RJR-MacDonald :

[...] On pourra presque toujours satisfaire au critère [de la prépondérance des inconvénients] en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés. Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public (au paragraphe 71).

[79]            Par conséquent, lorsque la partie souhaite obtenir un sursis à la mise en oeuvre d'un texte législatif adopté pour protéger le public, l'intérêt public favorise largement le refus d'accorder l'injonction sollicitée. Ce n'est que dans un cas très clair que la Cour accordera une injonction interlocutoire contre l'exécution d'une loi pour un motif fondé sur l'inconstitutionnalité alléguée de celle-ci : Harper, au paragraphe 9.

b)          Analyse

[80]            Les requérants font valoir qu'il conviendrait de préserver le statu quo pendant l'instruction de la présente action. D'après les requérants, le statu quo veut dire la non-réglementation des consultants en immigration.

[81]            Sur ce point, les requérants font valoir que cela fait près de 20 ans que l'on discute de la question de la réglementation des consultants en immigration et que l'on a agi de façon trop hâtive en créant la SCCI et en prenant le règlement sur les consultants en immigration. Le régime de permis mis sur pied par la SCCI n'est pas encore tout à fait opérationnel et la SCCI n'a jusqu'ici accordé que des permis transitoires. L'examen des normes professionnelles que doivent passer les membres de la SCCI n'aura pas lieu avant le mois de juin 2005, au plus tôt.


[82]            Il faut tenir compte du dommage que subiront des consultants en immigration qui sont peut-être compétents et de bonne réputation mais qui ne sont pas en mesure de répondre aux conditions d'adhésion fixées par la SCCI, soit parce qu'ils ont une capacité limitée de parler le français ou l'anglais, soit parce qu'ils ne sont ni citoyens canadiens, ni résidents permanents.

[83]            Le règlement sur les consultants en immigration va également limiter indûment les choix offerts aux candidats à l'immigration au Canada, affirment les requérants, ce qui va nuire à ces personnes et, en général, à l'économie canadienne.

[84]            D'après les requérants, si le règlement sur les consultants en immigration continue à s'appliquer pendant l'instruction de la présente affaire, cela est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[85]            Enfin, les requérants affirment que le préjudice que cause le règlement sur les consultants en immigration est tout à fait disproportionné par rapport aux avantages obtenus jusqu'ici grâce à la réglementation des consultants en immigration. C'est pourquoi les requérants soutiennent que la prépondérance des inconvénients favorise clairement l'octroi du sursis.


[86]            Il incombe aux requérants de démontrer les avantages qu'offrirait pour l'intérêt public le fait d'accorder la réparation sollicitée : North of Smokey Fishermen's Assn c. Canada (Procureur général) (2003), 229 F.T.R. 1, au paragraphe 24. J'estime que les preuves présentées à la Cour sont bien insuffisantes pour démontrer que l'octroi du sursis apporterait un avantage suffisamment important pour l'intérêt public pour que la prépondérance des inconvénients favorise les requérants.

[87]            Les candidats à l'immigration et au statut de réfugié qui étaient représentés par des consultants en immigration au moment de l'entrée en vigueur du règlement sur les consultants en immigration ne seront pas lésés par le règlement. Les dispositions transitoires du règlement autorisent les consultants qui ne sont pas membres de la SCCI à continuer pendant quatre autres années de représenter les personnes qui ont déposé des demandes avant l'entrée en vigueur du règlement.

[88]            En ce qui concerne les candidats à l'immigration et au statut de réfugié cherchant à présenter leurs demandes depuis le 13 avril 2004, la SCCI regroupe maintenant près de 1 400 membres et elle examine actuellement 600 autres demandes d'adhésion. Rien dans la preuve dont je dispose n'indique que les candidats à l'immigration ne sont pas en mesure de trouver un consultant en immigration prêt à les représenter.


[89]            M. Hu a déclaré dans son témoignage qu'il pensait que l'édiction du règlement sur les consultants en immigration visait à essayer d'écarter de ce secteur les consultants en immigration chinois, mais aucune preuve n'a été présentée indiquant que la SCCI a refusé la demande d'adhésion de consultants en immigration chinois. Il n'existe non plus aucune preuve tangible concernant le nombre de consultants en immigration - chinois ou autres - qui ne réussiront pas à répondre aux conditions d'adhésion de la SCCI et qui seront donc obligés de cesser leurs activités dans ce domaine en raison du règlement. Les requérants n'ont donc pas démontré qu'il existait un problème généralisé dans ce secteur.

[90]            L'argument des requérants selon lequel la poursuite de l'application du règlement sur les consultants en immigration en attendant l'instruction de la présente affaire serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice se fonde sur une conclusion de droit concernant la légalité du règlement sur les consultants en immigration, conclusion qui n'a pas encore été établie.

[91]            Le règlement sur les consultants en immigration vise à protéger les personnes vulnérables et à préserver l'intégrité du processus d'immigration, deux aspects qui touchent manifestement l'intérêt public. En fait, toutes les parties reconnaissent que la réglementation de ce secteur est nécessaire et attendue depuis longtemps.


[92]            La Cour ne devrait accorder une injonction interlocutoire visant à empêcher l'application d'une loi pour des motifs d'inconstitutionnalité alléguée que dans les cas les plus clairs. À cette étape du processus, il faut présumer que l'application du règlement sur les consultants en immigration favorise le bien public. Je dispose d'éléments de preuve qui indiquent que la SCCI a fait des progrès considérables dans la mise sur pied du processus de réglementation, processus qui serait bouleversé si le sursis était accordé. Il en résulte, par conséquent, qu'il serait contraire à l'intérêt public de surseoir à l'application du règlement.

[93]            J'estime que ces considérations l'emportent largement sur le préjudice éventuel mentionné par les requérants. Par conséquent, je conclus que la prépondérance des inconvénients favorise les défendeurs.

Conclusion

[94]            Même si je tiens pour acquis aux fins de la présente requête que les requérants ont soulevé une ou plusieurs questions sérieuses, ils n'ont pas rempli l'élément préjudice irréparable du critère à trois volets et ils ne m'ont pas convaincue que la prépondérance des inconvénients favorisait l'octroi du sursis à l'application du règlement sur les consultants en immigration.

[95]            Pour ces motifs, la requête est rejetée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente requête en vue d'obtenir une injonction interlocutoire est rejetée;

2.          Les parties auront deux semaines pour signifier et déposer leurs observations écrites concernant les dépens. Les parties auront ensuite une autre semaine pour signifier et déposer des observations en réponse.

                                                                                                                         _ Anne L. Mactavish _                

                                                                                                                                                     Juge                               

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-1319-04

INTITULÉ:                                       CHINESE BUSINESS CHAMBER OF CANADA,

GLOBAL IMMIGRATION CONSULTING GROUP

INC. et TU CUONG ( « VICTOR » ) LE

c.

SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, MARK DAVIDSON et MME ET M. UNTEL

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CONSULTANTS EN IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :               TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :           LES 12 ET 13 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Rocco Galati                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Marianne Zoric                                                                       POUR LES DÉFENDEURS

Catherine Vasilaros

John Callaghan                                                                      POUR L'INTERVENANTE

Benjamin Na


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Rocco Galati                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Simms, c.r.                                                                POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Gowling Lafleur Henderson, LLP                                         POUR L'INTERVENANTE

Toronto (Ontario)


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