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Date : 20210412


Dossier : IMM‑6039‑19

Référence : 2021 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2021

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

EVA BUDAI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Eva Budai, est une citoyenne de la Hongrie qui craint d’être persécutée en raison de son ethnicité rom. Mme Budai sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR), rejetant un appel du refus de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (SPR) au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Mme Budai dit avoir été victime d’une grande discrimination dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et des soins de santé, en plus d’avoir été intimidée et harcelée en raison de son ethnicité rom. Elle a fréquenté une [traduction] « école tzigane » pour étudiants roms où les enseignants traitaient mal les étudiants. Les étudiants hongrois non roms la traitaient toujours de noms et lui crachaient dessus sans raison. Mme Budai dit qu’elle a quotidiennement fait l’objet d’attitudes racistes contre son ethnicité, qu’elle s’est fait refuser des emplois après l’école et qu’elle a reçu des soins médicaux de seconde classe. L’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile révèle également que Mme Budai a souffert de son père violent et alcoolique, qui a aussi commis des actes violents envers sa mère et les membres de sa fratrie. Lorsque les voisins appelaient la police, cette dernière ne se présentait pas toujours. Lorsque la police venait, Mme Budai dit qu’elle ne faisait rien à moins qu’[traduction] « il y ait du sang ». Lorsque Mme Budai était âgée de 17 ans, son père l’a jetée hors de la maison et lui a dit de ne pas y retourner. Elle est restée chez un ami, mais elle a dû ensuite retourner au domicile de son parent.

[3] Mme Budai a jugé qu’elle ne pouvait pas supporter de vivre en Hongrie et elle est partie pour le Canada en novembre 2017 afin d’y demander l’asile. Elle était alors âgée de 18 ans.

[4] La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Budai en mars 2018, au motif qu’elle n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Mme Budai a interjeté appel à la SAR, et la SAR a rejeté l’appel dans une décision datée du 13 septembre 2019. Cette décision fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[5] La SAR a souligné que les motifs de la SPR s’étaient adéquatement concentrés sur la capacité de Mme Budai de demander la protection de l’État à son retour en Hongrie en tant qu’adulte, mais elle a relevé des cas où la SPR avait reproché à tort à Mme Budai son inaction pour ce qui est de demander la protection de l’État pendant qu’elle était en Hongrie en tant que mineure. Mme Budai avait 20 ans au moment de la décision de la SAR. La SAR a tenu compte du fait de savoir si son profil particulier, y compris son âge, son genre et ses vulnérabilités mentales, empêcherait Mme Budai d’accéder à une protection adéquate de l’État si elle retournait en Hongrie en tant qu’adulte. La SAR a conclu qu’il y a une présomption [traduction] « relativement forte » à l’égard de la protection de l’État en Hongrie et elle a souscrit à l’analyse de la SPR selon laquelle Mme Budai n’avait pas réfuté la présomption d’une protection de l’État pour les Roms en Hongrie.

[6] Mme Budai fait valoir que la décision de la SAR devrait être renversée, parce que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle en ne procédant pas à sa propre évaluation indépendante des éléments de preuve et en ne tenant pas compte de son profil particulier et d’éléments de preuve concernant des membres de la famille se trouvant dans une situation semblable dans son analyse visant à savoir s’il existait une protection adéquate de l’État – la question déterminante.

[7] Pour les motifs exposés ci‑après, j’estime que la SAR n’a pas commis les erreurs susceptibles de contrôle alléguées. Mme Budai n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à sa propre évaluation indépendante?

  2. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

[9] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle du bien‑fondé d’une décision administrative, conformément au cadre révisé décrit dans l’arrêt de la Cour suprême Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Voir également : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157 [Huruglica] au para 35; Ketchen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 388 au para 20.

[10] Mme Budai soutient qu’une des erreurs de la SAR concernant la question de la protection de l’État tenait à l’application par la SAR d’un critère inexact et que la norme de contrôle applicable pour une telle erreur est celle de la décision correcte : Buri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 45 [Buri] au para 17, citant Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 [Ruszo] aux para 17‑23. Je ne suis pas du même avis. La présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable concernant le bien‑fondé d’une décision administrative est réfutée uniquement lorsque le législateur prévoit l’application d’une norme de contrôle différente (en légiférant sur la norme ou en prescrivant un droit d’interjeter appel de la décision du tribunal à une cour) ou lorsque la primauté du droit commande un contrôle de la décision correcte (c.‑à‑d. pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’au moins deux organismes administratifs) : Vavilov, aux para 33 et 53. Aucune exception ne s’applique aux questions en l’espèce. Par ailleurs, les observations de Mme Budai sur la question de la protection de l’État concernent le fait de savoir si la SAR s’est trompée dans son application du critère concernant la protection de l’État aux faits de l’espèce, fait qui aurait été susceptible de contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable même avant l’arrêt Vavilov. Dans la décision Ruszo (citée dans Buri), la Cour a affirmé que la norme de contrôle qui s’applique à l’évaluation de la question de la protection de l’État dépend de la mesure dans laquelle la conclusion tirée par le tribunal découlait de sa compréhension du critère pertinent qui s’applique à la question de la protection de l’État, qui ferait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, ou de son application de ce critère aux faits de l’espèce, qui ferait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Ruszo, aux para 22‑23.

[11] La norme de contrôle qui s’applique aux deux questions en litige dans la présente demande est celle de la décision raisonnable.

III. Analyse

A. La Section d’appel des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation indépendante?

[12] Mme Budai fait valoir que la SAR s’est trompée en se fondant dans le cadre de son appel sur une norme ressemblant à celle de la décision raisonnable plutôt qu’à la norme de la décision correcte, contrairement aux principes énoncés dans l’arrêt Huruglica. Même si elle a dit que la norme de la décision correcte serait appliquée, Mme Budai soutient que la SAR a fait preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR. Elle renvoie à la déclaration de la SAR pour [traduction] « confirmer la décision de la SPR » selon laquelle Mme Budai n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, même si la SAR a conclu que la SPR s’était trompée, en lui reprochant de n’avoir pas sollicité la protection de l’État en tant qu’enfant mineure et en n’examinant pas si les mesures de l’État pour lutter contre les crimes haineux à l’endroit des Roms en Hongrie ont été efficaces sur le plan opérationnel. Qui plus est, Mme Budai fait valoir que les motifs de la SAR démontrent qu’elle n’a pas procédé à une analyse indépendante des questions en litige et des éléments de preuve ni évalué adéquatement si la SPR avait tiré des conclusions de fait, de droit et mixtes de fait et de droit correctes, au‑delà de tenir compte des éléments de preuve désignés par la SPR et des points soulevés dans les arguments de Mme Budai lors de l’appel. D’après Mme Budai, dans son analyse, la SAR a simplement résumé, puis apprécié à nouveau l’analyse de la SPR, contrairement aux principes énoncés dans l’arrêt Huruglica. Par exemple, après avoir convenu que la SPR s’était trompée en n’ayant pas adéquatement mis l’accent sur l’efficacité des mesures prises par l’État pour lutter contre les crimes haineux à l’endroit des Roms, Mme Budai affirme que la SAR s’est contentée de concilier l’erreur de la SPR avec d’autres conclusions de la SPR, écrivant ceci :

[traduction]

Lorsque j’apprécie cet aspect de l’analyse de la SPR par rapport à son analyse globale résumée plus haut, j’estime que la SPR a, de façon générale, accordé une attention adéquate à l’efficacité des mesures prises en Hongrie pour améliorer la situation des Roms.

[13] Comme autre exemple, Mme Budai soutient que la SAR s’est fondée sur la recherche de la SPR et qu’elle a simplement résumé les conclusions de la SPR sur les Roms en Hongrie. Elle soutient que la SAR n’a pas cité de documents sur les conditions dans le pays qui ne figuraient pas dans la décision de la SPR ni dans son mémoire des faits et du droit déposé dans le cadre de l’appel.

[14] Je ne suis pas convaincue que la SAR s’est trompée en ne procédant pas à une analyse indépendante.

[15] La confirmation par la SAR de la décision définitive de la SPR ne donne pas à penser que la SAR a procédé au contrôle de la décision de la SPR en se fondant sur la norme déférentielle de la décision raisonnable. La Cour d’appel fédérale a affirmé ceci au paragraphe 103 de l’arrêt Huruglica (le soulignement est ajouté) :

[103] Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle‑ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[16] À mon avis, les motifs de la SAR démontrent qu’elle a procédé à une analyse en se fondant sur les principes énoncés dans l’arrêt Huruglica. Les conclusions de la SAR selon lesquelles la SPR avait commis des erreurs reposaient sur un contrôle de la décision correcte, et non pas un contrôle déférentiel. Le fait que la SAR ait souscrit à certaines conclusions de la SPR et convenu avec Mme Budai que d’autres conclusions avaient été tirées par erreur ne démontre pas que la SAR n’a pas procédé à un examen indépendant de la décision de la SPR.

[17] Comme le souligne à juste titre le défendeur, la SAR doit répondre aux arguments qui ont été présentés en appel : alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257; Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 [Dahal] au para 30. Un appel auprès de la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo, et la SAR ne doit qu’examiner les erreurs alléguées telles qu’elles ont été présentées : Huruglica, aux para 79 et 103. Tout au long de la décision, la SAR a pris acte des arguments de Mme Budai, elle a tiré des conclusions sur les erreurs alléguées et elle est parvenue à ses propres conclusions par rapport aux éléments de preuve. La SAR n’a pas simplement adopté les conclusions de la SPR. À mon avis, la décision de la SAR dans le dossier de Mme Budai reflète son évaluation des erreurs alléguées de la SPR qu’elle a soulevées : Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 24.

[18] En résumé, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en effectuant une évaluation des erreurs alléguées de la SPR conformément à une norme de contrôle déférentielle ou en n’effectuant pas une analyse indépendante des questions qui ont été soulevées.

B. La Section d’appel des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

(1) La SAR a‑t‑elle négligé d’examiner le profil particulier de Mme Budai?

[19] Mme Budai avance que l’analyse de la protection de l’État de la SAR est déraisonnable. Elle soutient que la SAR n’a pas défini clairement un critère ni cité de jurisprudence concernant le critère relatif à la protection de l’État, ce qui rend la décision ambiguë concernant le critère appliqué par la SAR. De fait, selon elle, les motifs révèlent que la SAR a appliqué le mauvais critère, parce qu’elle a décrit la question déterminante comme étant l’existence de la protection de l’État pour les Roms en Hongrie. D’après Mme Budai, il était erroné pour la SAR d’aborder la question de la protection de l’État comme question générale de protection de l’État pour tous les Roms; Mme Budai soutient que la SAR aurait dû évaluer sa situation particulière et si une protection de l’État adéquate lui serait offerte à la lumière de son profil en tant que jeune femme célibataire qui a été violentée par son père, qui manifeste des symptômes conformes au trouble de stress post‑traumatique (TSPT) et qui éprouve des troubles mentaux.

[20] Le défendeur soutient que la SAR a tenu compte des éléments de preuve concernant le fait de savoir si l’âge et les problèmes de santé mentale de Mme Budai mineraient sa capacité de rechercher une protection de l’État et elle a conclu que Mme Budai était en mesure de demander la protection de l’État à son retour en Hongrie si elle en avait besoin. La SAR a jugé qu’un rapport médical de 2014 de la Hongrie et un rapport d’un psychothérapeute avaient une valeur limitée, et elle a expliqué ces conclusions dans ses motifs. Le défendeur soutient que la SAR a attribué, de manière raisonnable, peu de poids au rapport de 2014, parce que le rapport datait de cinq ans et qu’aucun élément de preuve ne montrait que Mme Budai avait continué de souffrir d’un trouble d’apprentissage. Le défendeur soutient également que la SAR a raisonnablement attribué peu de poids au rapport du psychothérapeute, car il reposait sur une seule évaluation de 60 à 90 minutes et ne fournissait aucune indication montrant que le TSPT nuirait à la capacité de Mme Budai de demander la protection de l’État. De plus, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement tenu compte du fait de savoir si Mme Budai avait été victime de discrimination et de harcèlement en raison de son genre et elle n’a trouvé aucun élément de preuve permettant d’établir que la violence commise par son père ou la discrimination et le harcèlement qu’elle avait subis en fonction de son ethnicité rom étaient sexospécifiques. La SAR a jugé que la violence familiale ne serait pertinente que si elle était la preuve d’une possibilité sérieuse que son père continue d’infliger de mauvais traitements à la demanderesse si elle retournait en Hongrie.

[21] Il est bien établi que le critère relatif à la protection de l’État requiert l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689; Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 30. L’accent devrait être mis sur les éléments de preuve à l’égard d’une protection réelle ou concrète en tant que réalité empirique – les efforts déployés pour régler le problème, la volonté d’un État de s’améliorer ou les mesures prises qui pourraient un jour entraîner une protection adéquate de l’État ne sont pas déterminants pour l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État : Beri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854 aux para 36‑37; Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1003 au para 66; Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 565 au para 28. Même si ce n’est pas une norme de perfection, la protection adéquate de l’État nécessite davantage que le « sérieux des efforts faits » pour réagir aux problèmes et protéger les citoyens : Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79 au para 15.

[22] Mme Budai n’a pas établi que la SAR a appliqué incorrectement le critère concernant la protection de l’État aux faits de l’espèce.

[23] Le fait que la SAR ait décrit la question déterminante comme étant [traduction] « l’existence de la protection de l’État pour les Roms en Hongrie », plutôt que pour Mme Budai en particulier, ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Les motifs de la SAR n’appuient pas l’argument de Mme Budai selon lequel la SAR a abordé la question de la protection de l’État comme une question générale, plutôt que d’évaluer la situation particulière et le profil de Mme Budai. Mme Budai avait affirmé qu’elle était exposée à de la persécution en raison de son ethnicité rom, et elle a étayé sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve dans les documents sur le pays concernant la discrimination à laquelle la population rom fait face de manière générale. En réponse aux arguments soulevés par Mme Budai, la SAR a réagi aux erreurs présumément commises par la SPR en évaluant la documentation sur le pays. Mme Budai a aussi affirmé que la SPR s’était trompée en évaluant sa propre capacité de demander la protection de l’État, car le fait qu’elle était mineure et son profil psychologique étaient des obstacles à l’obtention d’une protection efficace de l’État. La SAR a tenu compte des arguments de Mme Budai et soutenu que son profil particulier ne l’empêcherait pas de demander la protection de l’État à son retour en Hongrie, si elle se révélait nécessaire.

[24] La SAR a précisément souligné qu’une des questions en litige dans le cadre de l’appel était celle de savoir si la SPR avait évalué la documentation objective sur la protection de l’État [traduction] « sans tenir compte de son efficacité à l’échelon opérationnel ». La SAR a examiné les arguments de Mme Budai sur la question de l’efficacité opérationnelle. La SAR a résumé les conclusions de la SPR concernant les mesures prises par le gouvernement pour protéger les Roms contre la discrimination relativement au logement, à l’inclusion sociale, à l’éducation et à la formation, à l’emploi, au racisme, aux crimes haineux et à la discrimination par la police. À l’exception des mesures prises pour lutter contre les crimes haineux, la SAR a conclu que la SPR avait tenu compte de l’efficacité de ces mesures. La SAR a estimé que, à la lumière de la documentation objective dans son ensemble, la SPR avait accordé une attention adéquate à l’efficacité des mesures prises en Hongrie pour aider sa population rom, même si elle n’avait pas examiné l’efficacité opérationnelle des mesures prises pour lutter contre les crimes haineux.

[25] À l’audience de la demande de contrôle judiciaire, Mme Budai a affirmé que la SAR avait confondu les questions de la protection de l’État et de la discrimination, et que la SAR avait uniquement examiné l’efficacité opérationnelle des mesures liées à la discrimination. Je ne suis pas de cet avis. La demande d’asile de Mme Budai reposait sur la discrimination, ainsi que sur la violence qu’elle avait subie de la part de son père. En ce qui a trait à la discrimination, la SPR a souligné que Mme Budai avait dit qu’[traduction] « elle avait été victime de discrimination correspondant à de la persécution et qu’il n’y a aucune protection de l’État pour elle nulle part en Hongrie ». Toutefois, la SPR a jugé que Mme Budai n’avait pas établi qu’elle était exposée à de la discrimination assimilable à de la persécution. La SPR a reconnu que, en tant que Rom, Mme Budai avait probablement été victime d’actes discriminatoires à des moments durant sa vie; toutefois, la SPR a estimé que Mme Budai avait été victime d’incidents de discrimination sporadiques qui ne correspondaient pas à de la persécution et qu’elle n’avait pas produit d’éléments de preuve montrant que ses droits fondamentaux de la personne avaient été violés. Mme Budai n’a pas contesté ces conclusions dans le cadre de l’appel devant la SAR.

[26] Aussi à l’audience devant la Cour, Mme Budai a affirmé que, après avoir critiqué la SPR pour son défaut de tenir compte du caractère adéquat ou de l’efficacité opérationnelle de la protection de l’État, la SAR avait commis la même erreur. Cependant, comme nous l’avons souligné plus haut, la SAR a jugé que la SPR avait accordé une attention adéquate à l’efficacité des mesures prises par la Hongrie pour améliorer la situation des Roms de façon générale, malgré le fait que la SPR ne se soit pas concentrée adéquatement sur l’efficacité des mesures prises pour lutter contre les crimes haineux. Selon la SAR, Mme Budai n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il existe une protection étatique adéquate pour les Roms en Hongrie en fournissant des éléments de preuve clairs et convaincants.

[27] Enfin, Mme Budai soutient que la SAR était tenue d’examiner l’ensemble du dossier. Cependant, Mme Budai n’a pas renvoyé la Cour à des éléments de preuve particuliers dans le dossier concernant le caractère adéquat de la protection de l’État que la SAR n’a pas pris en considération.

[28] Lorsque la décision de la SAR est lue dans le contexte du dossier, y compris la décision de la SPR et les observations écrites soumises par Mme Budai à la SAR concernant les erreurs présumées de la SPR, je ne suis pas convaincue que l’analyse par la SAR de l’efficacité opérationnelle des mesures de protection de l’État était déraisonnable.

(2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve concernant des membres de la famille se trouvant dans une situation semblable?

[29] Mme Budai fait valoir que la SAR n’a pas expliqué pourquoi son profil diffère de celui de sa sœur, de son beau‑frère, de ses neveux et de ses cousins dont il a préalablement été conclu qu’ils avaient qualité de réfugié au sens de la Convention. Elle se fonde sur la décision Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 251 [Mendoza] aux paragraphes 25‑26, où la Cour a conclu qu’il incombait au tribunal de la SPR d’expliquer les raisons pour lesquelles il est parvenu à une conclusion différente de celle ayant trait à une demande d’asile présentée par un membre de la famille dans des circonstances semblables, de manière à maintenir l’intégrité des décisions de la Commission. En particulier, Mme Budai attire l’attention sur les conclusions d’une décision du 14 novembre 2017 concernant les demandes d’asile de ses cousins, qui renvoie à la protection de l’État pour les Roms de façon générale :

[traduction]

[…] selon la prépondérance des probabilités, le tribunal est d’avis que vous ne pourriez raisonnablement pas bénéficier de la protection de l’État à la lumière de vos expériences passées particulières, de celles de votre propre famille et des expériences auxquelles fait face la communauté rom. De plus, les éléments de preuve documentaire internes démontrent que, en ce qui concerne la protection de l’État, la police procède à un ciblage et à un profilage ethniques et n’enquête pas adéquatement sur les agressions motivées par la race et les crimes haineux touchant la population rom ni n’offre de protection contre ceux‑ci. À cet égard, le refus, l’omission ou la négligence d’agir pour servir et protéger tous les citoyens démontrent que, par association, l’État est devenu l’agent de persécution, et le tribunal conclut donc que la présomption de la protection de l’État a été réfutée.

[30] D’après Mme Budai, les éléments de preuve visant à établir une absence de protection efficace de l’État pour des personnes se trouvant dans une situation semblable sont pertinents par rapport au fait de savoir si elle aurait accès à une protection efficace de l’État. Elle affirme que de tels éléments de preuve sont particulièrement pertinents par rapport à son cas, puisque la SAR a conclu qu’il ne faudrait pas reprocher à Mme Budai son inaction passée pour ce qui est de demander une protection de l’État en tant que mineure dans la décision visant à savoir si elle est susceptible de se voir accorder une protection de l’État à son retour en Hongrie en tant qu’adulte.

[31] Mme Budai soutient que le fait que la SAR ne se soit pas reportée aux éléments de preuve concernant des membres de la famille se trouvant dans une situation semblable viole le principe bien connu exprimé dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) au paragraphe 17, soit que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments de preuve” ». Même si elle reconnaît que le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas nécessairement que la SPR n’en a pas tenu compte, « une décision de la Commission est viciée lorsque la Commission ne mentionne pas des éléments de preuve probants qui ont une importance cruciale pour la demande du demandeur et qui contredisent les propres conclusions de la Commission » : Lingeswaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1061 au para 9. Mme Budai se fonde également sur la décision Bledy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 210 aux paragraphes 48‑50, où la Cour a reproché à la SPR l’absence complète de toute reconnaissance d’éléments de preuve objectifs concernant la possibilité d’insuffisance de la protection offerte par l’État.

[32] Le défendeur soutient que Mme Budai soulève une nouvelle question qui n’a pas été présentée à la SAR. Quoi qu’il en soit, le défendeur fait valoir que ce risque est évalué au cas par cas, et la persécution contre un membre de la famille n’accorde pas automatiquement la détermination du statut de réfugié à tous les autres membres de la famille : Aoutlev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 111 au para 26; Mantilla Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 254 au para 10, citant Bakary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1111 au para 10 [Bakary]; Marinova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 178 au para 18. Le défendeur fait valoir que chaque cas est unique et qu’il est apprécié en propre : Perez Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 119 au para 33 [Perez Mendoza]. Dans le dossier qui nous occupe, le défendeur affirme que les allégations de Mme Budai ont toutes été prises en considération et que la SAR a fourni des explications adéquates concernant le refus de sa demande d’asile.

[33] Je suis du même avis que le défendeur. Chaque demande d’asile est évaluée au cas par cas et en fonction des faits sous‑jacents : Bakary, au para 10; Perez Mendoza, au para 33. De plus, la SAR n’a pas examiné les demandes d’asile de la famille de Mme Budai, parce que cette question n’a pas été évoquée. L’exposé du droit et des arguments soumis à la SAR se contente de mentionner que la sœur de Mme Budai s’est vu accorder la qualité de réfugié au sens de la Convention, et il n’a soulevé aucune erreur dans la conclusion de la SPR selon laquelle les conclusions favorables tirées dans les demandes d’asile des membres de la famille de Mme Budai ne suffisaient pas pour laisser entendre qu’elle aurait également dû se voir accorder qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de la LIPR.

IV. Conclusion

[34] Pour les motifs susmentionnés, Mme Budai n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[35] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6039‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6039‑19

 

INTITULÉ :

EVA BUDAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario), PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 NOVEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

David Vago

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Vago

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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