Dossier : IMM-6692-19
Référence : 2021 CF 305
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Ottawa (Ontario), le 8 avril 2021
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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OLUSHOLA WAZZI POPOOLA
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demandeur
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et
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Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
M. Popoola est citoyen du Nigéria et un ancien membre de la force policière nigériane. Il a été déclaré interdit de territoire au Canada parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il s’est livré à des crimes contre l’humanité dans l’exercice de ses fonctions de policier au Nigéria. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de son interdiction de territoire. Je rejette sa demande, parce que le décideur a soupesé de façon raisonnable les facteurs pertinents pour déterminer si M. Popoola avait apporté une contribution consciente et significative aux crimes commis par la force policière nigériane.
[2]
M. Popoola a terminé sa formation et s’est joint à la force policière nigériane en 2002. De 2002 à 2005, il a été membre de la brigade spéciale de lutte contre le banditisme [Special Anti-Robbery Squad ou SARS] à Abuja. Il a ensuite été muté à l’unité de lutte contre le banditisme (à ne pas confondre avec la SARS) à Lagos, où il a travaillé jusqu’en 2009, date à laquelle il a réintégré la SARS, à Lagos cette fois.
[3]
En 2011, à la suite du décès de son père, M. Popoola a démissionné de la force policière nigériane. Selon son témoignage, cependant, la force policière n’a jamais officiellement accepté sa démission et il a dû continuer de se présenter au travail. À partir de 2011, il a été affecté à Iju à titre de policier ordinaire. Il a été promu au grade de sergent en 2015 et a quitté la force policière la même année.
[4]
En 2016, il a quitté le Nigéria pour les États-Unis. Ensuite, il est venu au Canada, où il a présenté une demande d’asile. Sa demande d’asile a été suspendue lorsque son dossier a été renvoyé à la Section de l’immigration [la SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour que celle-ci se prononce sur la question de l’interdiction de territoire.
[5]
Le 15 octobre 2019, la SI a déclaré M. Popoola interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SI a examiné la preuve documentaire et a conclu que la force policière nigériane, et plus particulièrement la SARS, avait commis des crimes contre l’humanité de 2002 à 2015. En effet, les sévices et les actes de torture infligés aux personnes détenues par la police sont endémiques au Nigéria pour diverses raisons, dont la corruption et l’impunité. Les exécutions extrajudiciaires sont fréquentes. La SARS, plus particulièrement, est désignée dans la preuve documentaire comme étant l’une des unités les plus brutales de la force policière.
[6]
Dans la majeure partie de sa décision, la SI s’est employée à déterminer si M. Popoola avait apporté une contribution consciente et significative aux activités criminelles de la SARS. Pour conclure que M. Popoola s’est livré à des crimes contre l’humanité, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il a personnellement torturé des détenus, ce que M. Popoola nie avoir fait. Sa contribution aux crimes de l’organisation doit plutôt être évaluée selon le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40, [2013] 2 RCS 678 [Ezokola]. À cet égard, la SI a tenu compte du fait que M. Popoola s’était joint volontairement à la force policière nigériane; qu’il avait passé cinq ans au sein de la SARS, une unité reconnue pour être particulièrement brutale; qu’il a admis avoir été au fait de l’envergure des actes de torture et des sévices dont les détenus étaient victimes dans l’organisation, même s’il a tenté d’en minimiser la portée dans son témoignage; et qu’il avait démissionné pour des raisons personnelles, et non parce qu’il avait appris l’existence de violations des droits de la personne. Pour ce qui est de sa contribution aux crimes de l’organisation, la SI a conclu ce qui suit :
[traduction]
Étant donné qu’il est raisonnable de présumer que M. Popoola savait, lorsqu’il faisait partie de la SARS, que les suspects qu’il livrait au service des enquêtes criminelles seraient victimes de violations des droits de la personne, le tribunal conclut qu’il s’agit là d’une contribution significative au dessein criminel de l’organisation, car M. Popoola savait ce qui pouvait arriver à la personne visée par une enquête.
[7]
La présente demande de contrôle judiciaire ne porte que sur une question : la SI a-t-elle appliqué correctement le critère énoncé dans l’arrêt Ezokola à la situation de M. Popoola? La Cour contrôle la décision de la SI selon la norme de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un tel contrôle, la Cour ne soupèse pas à nouveau les facteurs pertinents; ce rôle appartient à la SI. Pour avoir gain de cause, le demandeur doit démontrer que le décideur a commis une erreur importante dans le traitement de la preuve. Un demandeur ne peut se contenter de réitérer les arguments rejetés par le décideur.
[8]
En l’espèce, M. Popoola demande simplement à la Cour d’accorder plus de poids aux facteurs qui lui sont favorables et de préférer son témoignage à la preuve documentaire. Il insiste donc sur le fait qu’il avait l’intention de quitter la force policière en 2011, mais que sa démission n’a jamais été acceptée de sorte que, compte tenu du contexte particulier du Nigéria, il devait continuer de se présenter au travail. Il met l’accent sur son grade relativement peu élevé dans l’organisation. Il soutient que, pendant la majeure partie de son emploi au sein de la force policière, il faisait partie d’autres unités que la SARS, et que la période de cinq ans pendant laquelle il a été membre de la SARS est relativement courte. Enfin, il affirme que sa contribution aux crimes de l’organisation n’était pas significative.
[9]
Ces arguments ont été présentés devant la SI, qui les a rejetés en fournissant une justification adéquate. M. Popoola ne fait état d’aucune erreur grave qui rendrait la décision de la SI déraisonnable. De plus, aux termes de l’article 33 de la Loi, la SI devait seulement avoir des « motifs raisonnables de croire »
que M. Popoola avait contribué à des crimes contre l’humanité. À mon avis, la SI a appliqué le critère exposé dans l’arrêt Ezokola de manière raisonnable à la situation de M. Popoola.
[10]
Enfin, M. Popoola soutient que la SI a manqué à l’équité procédurale en rejetant son témoignage sans fournir de motifs convenables. L’insuffisance des motifs, toutefois, est maintenant intégrée au contrôle judiciaire sur le fond : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux paragraphes 21-22, [2011] 3 RCS 708. Elle n’est pas considérée comme une question d’équité procédurale. Comme je l’ai déjà mentionné, les motifs pour lesquels la SI a préféré la preuve documentaire à certains aspects du témoignage de M. Popoola étaient convenables. M. Popoola invoque également l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Université du Québec à Trois-Rivières c Larocque, [1993] 1 RCS 471. Dans cette affaire, il était question du refus d’un arbitre d’entendre une preuve pertinente. La situation est très différente en l’espèce, où la SI a entendu le témoignage de M. Popoola, l’a soupesé et a accordé plus de poids à la preuve documentaire à certains égards. Il ne s’agit pas d’un manquement à l’équité procédurale.
[11]
Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Popoola est rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-6692-19
LA COUR ORDONNE :
1. L’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur.
2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
3. Aucune question n’est certifiée.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER :
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IMM-6692-19
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INTITULÉ :
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OLUSHOLA WAZZI POPOOLA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) et Montréal (québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 31 MARS 2021
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JUGEMENTS ET MOTIFS :
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LE JUGE GRAMMOND
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DATE DES MOTIFS :
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LE 8 AVRIL 2021
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COMPARUTIONS :
Alain Tayeye
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POUR LE DEMANDEUR
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Michel Pepin
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Alain Tayeye
Avocat
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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