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Date : 20040629

Dossier : IMM-5026-03

Référence : 2004 CF 938

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL                               

ENTRE :

                                                         JASPREET SINGH BRAR

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 12 juin 2003 dans laquelle Yves Boisrond de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse, Jaspreet Singh Brar, n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.


NORME DE CONTRÔLE

[2]                La présente demande porte uniquement sur les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité. La Commission a rejeté la demande d'asile de la demanderesse parce qu'elle a conclu que la preuve qu'elle avait présentée n'était pas crédible. La Commission est un tribunal spécialisé pour statuer sur les demandes d'asile, elle a un accès direct au témoignage des témoins et elle est habituellement la mieux placée pour évaluer leur crédibilité. En conséquence, la norme de contrôle applicable aux conclusions tirées par la Commission relativement à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable, comme l'a établi la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) :

Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

FAITS

[3]                La demanderesse est une citoyenne indienne sikhe qui prétend craindre avec raison d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social. Plus particulièrement, son beau-père et l'oncle de son mari sont membres du Parti Akali Dal Amritsar, et le cousin de son mari est membre de la All Indian Sikh Student Federation. Ces deux derniers ont été arrêtés par la police indienne et accusés d'aider des terroristes et d'être impliqués dans des incidents violents survenus au Penjab et à Delhi. Le cousin et l'oncle de son mari étaient tous deux recherchés par la police et ont été arrêtés et torturés à diverses reprises.


[4]                La demanderesse soutient que la police, en essayant de retrouver le cousin de son mari, a arrêté son beau-père et son mari et les a torturés. Lorsque son beau-père a déposé une plainte contre la police en raison de son arrestation, la police a fait d'autres descentes au domicile familial. La demanderesse prétend que, lors de l'une de ces descentes, sa belle-mère et elle ont été battues par la police, et son mari a été arrêté. Le 3 mai 2001, la police a fait une autre descente au domicile familial, a arrêté le beau-père de la demanderesse et a demandé à la demanderesse d'amener son mari au poste de police. La police est retournée au domicile familial le même jour et a arrêté la demanderesse, qui était alors enceinte d'environ trois mois. Elle affirme avoir été emmenée au poste de police, où elle aurait été battue, torturée et violée. La demanderesse prétend avoir été libérée après qu'elle eut signé un blanc-seing et qu'on lui eut donné un mois pour livrer son mari.

[5]                Après cet incident, la demanderesse, sur l'avis de son père, a décidé de quitter le Penjab et s'est rendue à Chandigarh, où son mari est venu plus tard la rejoindre. Au mois d'août 2001, la demanderesse et son mari se sont rendus à Delhi, où ils ont obtenu de faux documents afin de pouvoir quitter l'Inde. Le 30 septembre 2001, le mari de la demanderesse a été arrêté alors que lui et son épouse essayaient de quitter l'Inde avec de faux documents. La demanderesse s'est toutefois rendue au Canada.


DÉCISION DE LA COMMISSION

[6]                Après avoir analysé le témoignage de vive voix de la demanderesse, son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et les documents qu'elle avait soumis, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible et a donné plusieurs motifs, notamment :

a.          La demanderesse a allégué avoir été violée par la police; toutefois, ce fait ne figurait pas dans la lettre de son conseiller municipal qui avait été soumise à l'appui de sa demande. La demanderesse a dit à l'audience que son conseiller savait fort bien qu'elle avait été violée et l'avait mentionné dans sa lettre. Toutefois, lorsqu'on lui a montré la lettre en question, la demanderesse a été incapable d'indiquer à quel endroit dans la lettre le conseiller avait parlé de l'agression;

b.          La demanderesse a témoigné avoir reçu un traitement médical après son viol, mais la Commission a conclu que les réponses qu'elle avait données à ses questions n'étaient pas claires et indiquaient qu'elle n'avait jamais été violée ni amenée chez un médecin;


c.          La Commission a également conclu que la réponse donnée par la demanderesse à la question de savoir pourquoi, si son mari avait été arrêté, la police s'intéresserait toujours à elle, n'était pas convaincante, et elle a jugé que l'affirmation tardive par la demanderesse dans son témoignage que la police l'avait également accusée d'avoir des liens avec les terroristes fournissait une raison supplémentaire de mettre en doute sa crédibilité. La Commission a noté aussi que la demanderesse n'avait pas mentionné ce fait dans son FRP. Cela a amené la Commission à conclure que, comme le mari de la demanderesse avait été arrêté le 30 septembre 2001, la police ne s'intéresserait pas à elle, et qu'elle n'avait aucune raison de craindre de retourner en Inde.

ANALYSE

Crédibilité

[7]                La crédibilité de la demanderesse était en cause en l'espèce et la Commission était tenue de déterminer, compte tenu des éléments de preuve soumis, si la demande était fondée. La demanderesse soutient que la Commission a tiré sa conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant uniquement sur deux parties de la preuve qu'elle avait soumise et que la Commission avait jugées non plausibles. Plus particulièrement, sur la base de la prétendue contradiction entre son témoignage de vive voix quant au fait qu'elle avait été violée et la lettre du conseiller municipal produite à l'appui de sa demande, la Commission a décidé de n'accorder aucun poids à la lettre, ce qui l'a amenée à douter de la crédibilité de la demanderesse dans son ensemble. Ayant examiné la preuve, y compris la transcription de l'audience, je ne crois pas qu'une telle conclusion soit manifestement déraisonnable. Si un tel incident s'était produit, son importance aurait exigé qu'on le mentionne.

[8]                De plus, en rendant sa décision, la Commission a également souligné que le FRP de la demanderesse contenait une description du traitement extrêmement dur qu'elle aurait subi aux mains de la police, mais qu'il ne mentionnait que de façon superficielle les soins médicaux qu'elle aurait reçus par la suite. D'après les réponses données par la demanderesse aux questions posées à cet égard, la Commission a conclu que, compte tenu de la manière dont elle s'était conduite, la demanderesse n'avait, à son avis, jamais été violée ni examinée par un médecin. Encore une fois, mon interprétation de la transcription d'audience appuie la conclusion de la Commission suivant laquelle le témoignage de la demanderesse était « laborieux » sur ce point. Le témoignage produit au sujet du traitement médical ayant suivi le viol est extrêmement limité et les réponses données ne l'ont pas été spontanément. Encore une fois, cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.

[9]                La Commission a également relevé la contradiction entre son témoignage de vive voix relativement au viol et au traitement médical qui avait suivi, et la réponse qu'elle avait donnée à la question 16 de l'Avis de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention (l'Avis de revendication), suivant laquelle elle n'avait jamais eu de « maladie grave » ni de « troubles physiques ou mentaux » . La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur dans cette appréciation et qu'elle a également omis de tenir compte du reste de la preuve, qui, selon ce qu'elle avait conclu antérieurement, était cohérent et s'appuyait sur la preuve documentaire dont elle était saisie, comme par exemple le rapport d'Amnesty International.

[10]            Pour ce qui est de l'allégation de contradictions entre le témoignage de vive voix et le FRP, je note que la question 16 de l'Avis de revendication du 1er octobre 2001 était formulée comme suit :

Have you ever had any serious disease, physical or mental disorder?

Avez-vous déjà souffert d'une maladie grave ou de troubles physiques ou mentaux?

De plus, à la page 37 de la transcription de l'audience, on constate que, lorsqu'on a demandé à la demanderesse pourquoi elle avait répondu « non    » , elle a répondu :

Oui, j'avais ... j'avais aucune maladie, mais j'étais seulement violée et je remercie le Dieu que mon enfant était correct.


La demanderesse ajoute également que depuis son arrivée au Canada, elle a été admise à l'hôpital. Je crois donc qu'en raison de la formulation de la question 16 de l'Avis de revendication et des réponses qu'elle a fournies à l'audience, la demanderesse a considéré que la question 16 de l'Avis de revendication ne visait pas le viol. À mon avis, la question 16 vise à obtenir des réponses relatives à des maladies, qu'elles soient d'ordre mental ou physique. Le viol n'est pas une maladie ni un trouble physique ou mental. Il s'agit plutôt d'un acte vicieux qui s'attaque à ce qu'il y a de plus intime chez une personne. Les réponses données par la demanderesse étaient pertinentes et la Commission a mal compris l'objet de la question 16. Ayant tiré cette conclusion, je ne crois qu'une telle erreur justifie une conclusion suivant laquelle, dans l'ensemble, la décision rendue par la Commission est manifestement déraisonnable. Les autres conclusions sont d'une importance telle qu'elles l'emportent sur toute conclusion d'interprétation erronée de la question 16.

[11]            Quoi qu'il en soit, la conclusion suivant laquelle la demanderesse n'a aucune raison de craindre de retourner dans son pays, puisque la raison pour laquelle elle était maltraitée par la police a disparu lors de l'arrestation de son mari, s'appuie sur la preuve et est raisonnable.

CONCLUSION

[12]            Après avoir examiné l'ensemble de la preuve dont je suis saisi, je conclus, en me fondant sur la norme de la décision manifestement déraisonnable, que la Commission a rendu une décision qui ne justifie aucune intervention de ma part.

[13]            On a demandé aux parties s'ils avaient des questions à proposer aux fins de certification et ils n'en avaient pas.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5026-03

INTITULÉ :                                                    JASPREET SINGH BRAR

c.

MCI     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 29 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

           

Rezaur Rahman                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Lynn Marchildon                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rezaur Rahman                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)          

                       

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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