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Date : 20210407


Dossier : T‑716‑20

Référence : 2021 CF 301

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

LINDA SKIBSTED, RICK SKIBSTED, SPRUCE COULEE FARMS LTD., RICHARD CLARK, WENDY CLARK, HALF‑DIAMOND HC LIMITED, SAMANTHA ANDERSEN ET H&A ANDERSEN FARMS LTD.

demandeurs

et

CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE) ET CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeurs

et

BADLANDS RECREATION DEVELOPMENT CORP.

intervenante

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] L’hirondelle de rivage est un petit oiseau — la plus petite des espèces d’hirondelles en Amérique du Nord. Elle construit son nid dans des terriers qu’elle creuse dans les berges escarpées des rivières ou dans d’autres terrains similaires. En 2013, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (le COSEPAC) a déterminé que l’hirondelle de rivage était une espèce « menacée » au sens de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29 [la LEP], parce que « [c]ette espèce largement répandue a subi un grave déclin à long terme, sa population canadienne ayant chuté de 98 % au cours des 40 dernières années » (rapport du COSEPAC, dossier de la demande à la p 23). L’hirondelle de rivage a été officiellement inscrite sur la liste des espèces menacées de la LEP en novembre 2017.

[2] On trouve quelques sites de nidification de l’hirondelle de rivage sur les rives de la rivière Rosebud, en Alberta. Les demandeurs sont des propriétaires fonciers dont les propriétés bordent la rivière Rosebud, à proximité de l’emplacement où l’intervenante, Badlands Recreation Development Corp. (Badlands), propose d’aménager une piste de course automobile privée et des installations connexes (le projet de développement).

[3] Le 7 juillet 2020, les demandeurs ont déposé un avis de demande afin que la Cour ordonne au ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) de mettre en place un certain nombre de mesures visant à protéger l’hirondelle de rivage en vertu de la LEP. Les mesures de réparation que les demandeurs sollicitent dans cette demande sont :

[traduction]

1. Un bref de mandamus obligeant le ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) à élaborer un programme de rétablissement à l’égard de l’espèce connue sous le nom d’« hirondelle de rivage », ou Riparia riparia, conformément au paragraphe 37(1) de la Loi sur les espèces en péril (la LEP).

2. Un bref de mandamus obligeant le ministre à élaborer, conformément à l’article 47 de la LEP, un ou plusieurs plans d’action sur le fondement du programme de rétablissement.

3. Un bref de mandamus obligeant le ministre à définir ou à désigner l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage, ou à formuler une recommandation à cet égard, au titre de l’alinéa 41(1)c) et des paragraphes 58(5) et 58(5.1) de la LEP.

4. Un bref de mandamus obligeant le ministre à recommander que le gouverneur en conseil prenne un décret d’urgence visant la protection de l’hirondelle de rivage au titre du paragraphe 80(1) de la LEP, en particulier à l’intérieur ou à proximité des terres visées par la Water Act, RSA 2000, c W‑3, approbation no 00406489‑00‑00.

[4] L’avis de demande déposé par les demandeurs ne désignait pas Badlands comme défenderesse; celle‑ci a donc déposé une requête visant à obtenir l’autorisation d’intervenir dans l’instance compte tenu de son intérêt dans l’issue de l’affaire. Cette autorisation a été accordée le 21 décembre 2020.

[5] Le 23 février 2021, les demandeurs ont déposé un avis de requête visant à obtenir une injonction interlocutoire à l’encontre de Badlands afin d’empêcher celle‑ci d’aller de l’avant avec le projet de développement jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande de mandamus. Voici les motifs pour lesquels je rejette la requête en injonction, qui a été entendue le 9 mars 2021.

[6] Il convient de noter qu’après l’audition de la demande, le défendeur a informé les demandeurs que le ministre avait décidé de ne pas prendre de décret d’urgence en vertu de l’article 80 de la LEP, de sorte que la quatrième mesure demandée est devenue théorique. Par la suite, les demandeurs ont confirmé qu’ils abandonnaient cette quatrième mesure et qu’ils ne cherchaient plus à obtenir des mesures de protection provisoires particulières pour la propriété de Badlands dans le cadre de leur demande de mandamus. Cependant, ils ne se sont pas désistés de leur requête en injonction interlocutoire et ils ne l’ont pas abandonnée.

[7] La présente affaire comporte un certain nombre de caractéristiques quelque peu inhabituelles et liées en grande partie au fait que les demandeurs cherchent à obtenir une injonction interlocutoire, non pas contre les défendeurs désignés dans la demande de mandamus sous‑jacente (le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et le procureur général du Canada), mais plutôt contre une société tierce qui est intervenante dans l’instance.

[8] L’intervenante et les défendeurs soutiennent que la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur l’affaire puisque l’intervenante est une société privée assujettie aux lois provinciales et que l’injonction demandée a pour but de l’empêcher d’exercer ses activités sur des terres qui lui appartiennent. L’intervenante soutient également que le premier volet du critère applicable à l’octroi d’une injonction interlocutoire doit être adapté en l’espèce de façon à tenir compte du fait que les demandeurs ne peuvent pas obtenir la réparation sollicitée dans le cadre de leur demande sous‑jacente.

[9] Il n’est pas nécessaire d’aborder toutes ces questions en détail compte tenu de ma conclusion selon laquelle les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existait un risque imminent de préjudice irréparable d’ici à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de leur demande de mandamus, dont l’audition est prévue le 26 avril 2021.

I. Contexte

[10] Les demandeurs possèdent des propriétés qui se trouvent à proximité de l’emplacement proposé pour le projet de développement de Badlands et qui sont toutes traversées par la rivière Rosebud. Personne ne conteste que des sites de nidification de l’hirondelle de rivage ont été répertoriés sur les rives de la rivière Rosebud, tout près du projet de développement, et ce, même si le nombre d’hirondelles de rivage observées dans l’habitat situé à l’emplacement du projet de développement proposé fait l’objet d’un certain débat.

[11] La désignation de l’hirondelle de rivage comme espèce menacée entraîne un certain nombre d’obligations en vertu de la LEP, notamment l’obligation pour le ministre de préparer un programme de rétablissement à l’égard de cette espèce. Dans le cadre de la préparation de ce programme, Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a défini un habitat essentiel provisoire pour l’hirondelle de rivage qui comprend des sites de nidification connus et des lieux d’alimentation se trouvant à une distance pouvant aller jusqu’à 500 mètres des nids. Au moment de l’audience, le programme de rétablissement faisait l’objet de consultations. Le document montre les sites de nidification et l’aire d’alimentation situés le long de la rivière Rosebud, à proximité des propriétés des demandeurs et de l’intervenante, et on peut lire que l’habitat essentiel provisoire se trouve en partie dans les limites du projet de développement.

[12] Le projet de développement proposé par l’intervenante est décrit de la manière suivante :

[traduction]

Le Badlands Motorsports Resort sera un centre de villégiature de type « country club » qui comptera deux circuits routiers de style européen. La longueur combinée des deux circuits sera de près de 10 km. Ces circuits n’accueilleront pas de spectateurs; ils seront conçus pour la conduite récréative et seront utilisés pour des cours de conduite, ainsi que pour d’autres activités de loisirs. Le projet de développement comprendra un centre de formation des conducteurs sur un circuit d’entraînement plus petit, des installations connexes, des résidences de villégiature en copropriété, un pavillon, un hôtel, des établissements d’activités commerciales et plusieurs autres installations récréatives pour toute la famille. Le Badlands Motorsports Resort comptera deux pistes de course pouvant accueillir les véhicules à moteur immatriculés et autorisés à circuler sur la voie publique.

[13] L’intervenante s’emploie à obtenir les approbations nécessaires afin de pouvoir aller de l’avant avec le projet de développement depuis 2008. Elle dit que les demandeurs se sont opposés au projet à presque toutes les étapes, notamment en présentant des observations aux différents organismes d’approbation et en déposant des demandes de contrôle judiciaire pour contester les décisions qui leur étaient défavorables. Il n’est pas nécessaire de retracer l’historique complet de la situation, qui est présentée en détail dans les documents de l’intervenante. Pour les besoins de la présente affaire, il suffit de mentionner ce qui suit :

  • a) L’intervenante a obtenu pour son projet certaines des approbations nécessaires de la part des organismes municipaux et provinciaux. Elle a notamment obtenu une approbation en vertu de la Water Act (Loi sur les ressources en eau) de l’Alberta, RSA 2000, c W‑3 [la Water Act], sous réserve d’un certain nombre de conditions visant à atténuer les effets de son projet sur l’environnement, y compris ses répercussions sur l’hirondelle de rivage.

  • b) En réponse à l’approbation reçue en vertu de la Water Act de l’Alberta, les demandeurs et d’autres parties intéressées ont déposé des avis d’appel auprès de l’Environmental Appeals Board (l’EAB) de l’Alberta.

  • c) En avril 2020, l’EAB a rendu une décision préliminaire selon laquelle certains des appelants n’avaient pas qualité pour contester l’approbation.

  • d) Les appelants ont déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, et l’affaire a été ajournée.

  • e) L’EAB a accepté de réexaminer sa décision antérieure en raison d’un arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Alberta sur la question de la qualité pour agir devant l’EAB dans une affaire non liée. Les appelants et l’intervenante ont déposé des observations à ce sujet devant l’EAB.

  • f) L’intervenante s’est engagée à n’apporter aucune modification physique aux milieux humides visés par l’approbation accordée en vertu de la Water Act avant que le ministre de l’Alberta ait rendu une décision à la suite de l’audience de l’EAB.

  • g) Lors de l’audition de la présente demande, la date de l’audience de l’EAB n’avait pas encore été fixée, et l’EAB n’avait pas encore réexaminé sa décision sur la qualité pour agir des appelants.

[14] Les demandeurs affirment qu’ils sollicitent une injonction interlocutoire parce qu’ils craignent que les travaux relatifs au projet de développement aient déjà nui à l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage avant que la Cour puisse statuer sur la demande de mandamus. Ils soutiennent que, sans les mesures de protection prévues par la LEP, rien n’empêche l’intervenante de procéder à des travaux de construction susceptibles de nuire à l’habitat essentiel à la survie de l’hirondelle de rivage dans cette région. Les demandeurs font valoir que l’injonction est nécessaire pour combler une lacune dans les mesures de protection offertes au titre de la LEP.

[15] Plus particulièrement, les demandeurs affirment que les travaux de construction requis par le projet de développement risquent de commencer sous peu étant donné que les approbations reçues par Badlands comprennent des échéanciers pour l’achèvement de certaines parties du projet. Ils signalent, par exemple, que Badlands doit achever les travaux de réfection et de prolongement de la route d’accès existante d’ici septembre 2022; les autres travaux doivent quant à eux être effectués d’ici 2023.

[16] Les demandeurs craignent que le début des travaux sur le chantier routier ne provoque la destruction d’une partie de l’habitat essentiel défini dans le projet de désignation préparé par ECCC. Ils affirment que le ministre ne peut pas s’y opposer puisque le processus de désignation de l’habitat essentiel et de mise au point du programme de rétablissement n’est pas encore terminé. Ils soutiennent que la LEP ne confère pas au ministre le pouvoir d’ordonner à l’intervenante de remettre en état les terres touchées advenant la destruction de l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage. Ils font également valoir qu’après la destruction de cet habitat, cette zone ne sera plus considérée comme un « habitat essentiel ». C’est cette lacune importante que les demandeurs affirment vouloir combler au moyen de la présente demande d’injonction.

II. Questions en litige

[17] Il y a deux questions en litige : A) La Cour a‑t‑elle compétence pour accorder l’injonction interlocutoire demandée? B) Dans l’affirmative, la Cour doit‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder une injonction?

III. Analyse

A. La Cour a‑t‑elle compétence pour accorder l’injonction interlocutoire demandée?

[18] La compétence d’accorder une injonction est conférée à la Cour par la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi]. Il y a deux références aux injonctions dans la Loi. Premièrement, l’alinéa 18(1)a) prévoit que la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour « décerner une injonction […] contre tout office fédéral ». Il est évident que cela ne s’applique pas en l’espèce puisque les demandeurs sollicitent une injonction, non pas contre le ministre défendeur, mais plutôt contre l’intervenante Badlands, qui n’est pas un « office fédéral ».

[19] La deuxième source possible de compétence figure à l’article 44 de la Loi :

Mandamus, injonction, exécution intégrale ou nomination d’un séquestre

Mandamus, injunction, specific performance or appointment of receiver

44 Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

44 In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

[20] Les demandeurs soutiennent que la présente affaire tombe sous le coup de l’article 44, tel qu’il a été interprété par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626 [Liberty Net]. Dans cette affaire, la Commission canadienne des droits de la personne avait demandé une injonction interlocutoire en attendant qu’une plainte relative aux droits de la personne soit examinée par le Tribunal canadien des droits de la personne. Comme le Tribunal n’avait pas le pouvoir d’accorder un redressement interlocutoire, la Commission s’était adressée à la Cour fédérale afin d’obtenir une ordonnance interdisant à Canadian Liberty Net de transmettre des messages prétendument haineux jusqu’à ce que le Tribunal statue sur la plainte.

[21] La Cour suprême du Canada a statué, aux paragraphes 36 et 37, que la Cour fédérale avait compétence pour accorder une injonction compte tenu du pouvoir que lui confère l’article 44 d’accorder toute « autre forme de réparation » :

36. [L]e Parlement a voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux. Pour ce qui concerne son rôle de surveillance des décideurs administratifs, les pouvoirs confiés par une loi à la Cour fédérale à cet égard ne doivent pas être interprétés de façon restrictive. Cela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l’issue finale est laissée au décideur administratif concerné, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence.

37. En l’espèce, je suis d’avis qu’il ressort clairement de l’objet de la Loi sur la Cour fédérale et de la Loi sur les droits de la personne que l’art. 44 confère à la Cour fédérale la compétence d’accorder une injonction dans le cadre de l’application de la Loi sur les droits de la personne. Je fonde cette conclusion sur le fait que la Cour fédérale a le pouvoir d’accorder toute « autre forme de réparation » dans les affaires soumises au Tribunal des droits de la personne, et que ce pouvoir n’est pas altéré du seul fait que le Parlement a confié à un décideur administratif spécialisé le rôle de statuer sur le fond de ces affaires.

[22] Les demandeurs soutiennent que ces enseignements trouvent à s’appliquer en l’espèce parce que le ministre n’a pas le pouvoir d’accorder des mesures provisoires. Selon eux, étant donné que le ministre n’a pas le pouvoir nécessaire pour empêcher la destruction de l’habitat essentiel avant de l’avoir officiellement désigné comme tel, ils se sont tournés vers la Cour pour demander une injonction interlocutoire afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé. Il s’agit d’une « autre forme de réparation » que la Cour peut accorder en vertu de l’article 44, et les demandeurs soutiennent qu’elle est accessoire à leur demande sous‑jacente.

[23] Les défendeurs soutiennent que l’article 44 confère un pouvoir de surveillance des offices fédéraux qui trancheront en dernier ressort la question entre les parties. Selon cette interprétation, l’arrêt Liberty Net se limite aux situations où la demande sous‑jacente sera tranchée par un décideur administratif qui ne peut pas décerner d’injonction ou une autre réparation provisoire (Wasylynuk c Canada (Gendarmerie royale), 2020 CF 962 au para 63; Habitations Îlot St‑Jacques Inc. c Canada (Procureur général), 2017 CF 535 au para 50).

[24] Les défendeurs affirment également que, contrairement à l’affaire Liberty Net, où le tribunal n’avait pas le pouvoir de traiter des situations d’urgence, en l’espèce, l’article 80 de la LEP confère un tel pouvoir au ministre. Les défendeurs soutiennent que ce pouvoir d’urgence a été utilisé par le passé pour statuer sur le même type de préjudice que celui allégué par les demandeurs en l’espèce, citant à cet égard l’arrêt Groupe Maison Candiac Inc c Canada (Procureur général), 2020 CAF 88 [Groupe Maison]. Comme je l’ai mentionné, après l’audience, le défendeur a informé les demandeurs que le ministre avait décidé de ne pas exercer les pouvoirs que lui confère l’article 80, mais cela n’a aucune incidence sur l’argument des défendeurs, qui est fondé sur l’existence du pouvoir du ministre de prendre un décret d’urgence.

[25] Les demandeurs et l’intervenante invoquent le critère visant à déterminer si la Cour a compétence qui est énoncé dans l’arrêt ITO-Int'l Terminal Operators c Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a conclu que notre Cour a compétence pour statuer sur les demandes lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  • 1) Il y a une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral;

  • 2) Il existe un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence;

  • 3) La loi invoquée dans l’affaire est « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[26] Le défendeur et l’intervenante soutiennent que ce critère n’est pas respecté en l’espèce à l’égard de Badlands, qui est une société privée assujettie aux lois provinciales et proposant de mettre en valeur le terrain dont elle est propriétaire. Il n’est pas contesté que la Cour a compétence à l’égard du ministre et des obligations imposées par la LEP, qui sont l’objet de la demande sous-jacente en l’espèce. Cependant, la demande d’injonction ne vise pas le ministre et, par conséquent, la Cour n’a pas compétence pour la trancher.

[27] Comme il est mentionné plus haut, à la lumière de ma décision sur la question de l’injonction interlocutoire, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur la question de la compétence. Les demandeurs n’ont pas débattu ce point à fond : ils n’ont pas présenté d’observations écrites et ne l’ont abordé que brièvement dans leurs plaidoiries.

[28] Compte tenu de l’incidence d’une telle décision sur les affaires à venir, il vaut mieux remettre l’examen de la question à une autre occasion. Je voudrais simplement ajouter les commentaires suivants. Bien que j’accorde un certain poids à l’observation selon laquelle la présente affaire est différente de l’affaire Liberty Net, en raison du fait que le ministre dispose de certains pouvoirs d’urgence, je conclus que l’argument des défendeurs et de l’intervenante ne donne pas suffisamment de poids aux premiers mots du libellé de l’article 44 de la Loi, qui confèrent expressément à la Cour la compétence d’accorder une injonction « [i]ndépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder ». Il ne donne pas non plus de sens à la différence manifeste entre le libellé de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, qui limite la compétence de la Cour aux réparations accordées « contre tout office fédéral », et le libellé de l’article 44 de la Loi, qui ne contient pas de limite de nature similaire.

[29] Il serait préférable de délimiter les contours précis de la compétence de la Cour dans la situation où le ministre n’a pas agi en vertu de la LEP à l’égard d’une menace imminente à l’habitat essentiel protégé (ou à l’habitat essentiel potentiellement protégé), et où la menace découle des activités d’un propriétaire foncier privé, lorsqu’un tel exercice sera nécessaire à l’issue du procès. Ce n’est pas le cas en l’espèce, et je vais donc passer à l’analyse du bien‑fondé de la demande d’injonction interlocutoire.

B. L’injonction interlocutoire devrait-elle être accordée?

[30] Le critère à trois volets bien connu qui s’applique aux injonctions interlocutoires a récemment été résumé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 au para 12 [SRC] :

[…] À la première étape, le juge de première instance doit procéder à un examen préliminaire du bien‑fondé de l’affaire pour décider si le demandeur a fait la preuve de l’existence d’une « question sérieuse à juger », c’est‑à‑dire que la demande n’est ni futile ni vexatoire. À la deuxième étape, le demandeur doit convaincre la cour qu’il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction est rejetée. Enfin, à la troisième étape, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée.

[Renvois omis.]

[31] Les trois éléments du critère sont cumulatifs, mais la force d’un facteur peut compenser la faiblesse d’un autre (voir la discussion à ce sujet dans la décision Monsanto c Canada (Santé), 2020 CF 1053 au para 50 [Monsanto]). En fin de compte, il est important de se rappeler qu’une injonction interlocutoire est une mesure de redressement en equity et qu’il convient de conserver une certaine latitude afin que la mesure puisse être efficace lorsqu’elle est nécessaire pour prévenir un risque de préjudice imminent en attendant une décision sur le fond du litige. C’est ce que la Cour suprême du Canada a réaffirmé dans l’arrêt Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 [Google] au para 1, en faisant remarquer que, « [e]n définitive, il s’agit de déterminer s’il serait juste et équitable d’accorder l’injonction eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire ».

(1) La question sérieuse à juger

[32] Dans la plupart des affaires d’injonction interlocutoire, le seuil de la « question sérieuse à juger » n’est pas très élevé; on le résume souvent en disant que le juge doit simplement procéder à un examen préliminaire de l’affaire pour s’assurer que la demande n’est « ni futile ni vexatoire » : RJR - MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 337 [RJR - MacDonald]. C’est particulièrement vrai lorsque l’injonction interlocutoire vise à empêcher quelque chose de se produire. Il y a des exceptions, par exemple lorsque l’injonction est susceptible de mettre fin au litige, mais cela ne s’applique pas en l’espèce.

[33] Dans la plupart des cas, l’accent est mis sur la force de l’argumentation dans l’affaire sous‑jacente. Une injonction interlocutoire est, intrinsèquement, destinée à préserver le statu quo en attendant que le litige sous‑jacent soit tranché. Ce volet du critère vise à garantir qu’une activité par ailleurs légale n’est pas interrompue alors que l’action principale est totalement dépourvue de fondement, et donc vouée à l’échec. Comme je l’ai mentionné, la présente affaire est inhabituelle, parce que la demande d’injonction vise Badlands, mais que la demande sous‑jacente, une demande de bref de mandamus, vise le ministre. Cela dit, Badlands soutient que la force de l’argumentation doit être évaluée en fonction de la demande d’injonction et non du litige sous‑jacent, citant à cet égard la décision Fédération des indiens de Terre-Neuve c Canada, 2011 CF 683 aux para 85 et 86.

[34] Cet argument ne me convainc pas entièrement, mais je reconnais que, compte tenu de la nature inhabituelle de la présente affaire, les considérations relatives à l’équité commandent un examen de la solidité des deux demandes. La demande de mandamus sous‑jacente doit être examinée, car si la cause des demandeurs contre le ministre est sans espoir, il n’y a aucune raison valable d’empêcher Badlands de commencer les travaux relatifs au projet de développement.

[35] En outre, j’estime qu’il est essentiel de procéder à une évaluation très préliminaire de la solidité de la demande d’injonction elle‑même, car l’ordonnance qui en découlera est la seule qui aura une incidence directe sur Badlands. La demande de mandamus, si elle est accueillie, aura une incidence sur le ministre et pourrait avoir une incidence indirecte sur Badlands lorsque le ministre aura achevé les travaux nécessaires à la désignation de l’habitat essentiel et à l’élaboration du programme de rétablissement. Cependant, elle n’aura aucune incidence sur Badlands avant la fin de ces travaux, voire aucune incidence du tout (en fonction de l’étendue de l’habitat jugé essentiel et de ses répercussions sur l’emplacement du projet de développement). Il serait incongru et illogique de ne pas tenir compte de la solidité de la demande d’injonction à ce stade‑ci, en raison de son incidence possible sur Badlands.

[36] Je conclus que les demandeurs ont satisfait au critère peu exigeant permettant d’établir l’existence d’une question sérieuse à juger en ce qui concerne la demande sous‑jacente. L’évaluation en ce sens est censée être préliminaire et, à ce stade de l’instance, je juge que la demande de mandamus qu’ils ont présentée à l’encontre du ministre n’est ni futile ni vexatoire.

[37] Je conclus également que leur demande d’injonction n’est ni futile ni vexatoire. La requête en l’espèce est présentée par des propriétaires fonciers voisins qui affirment chercher à préserver l’habitat essentiel d’une espèce menacée face à un risque imminent de destruction de cet habitat par les travaux de construction effectués par Badlands. La requête est étayée par un dossier substantiel et vise l’obtention d’une injonction interlocutoire — une mesure de redressement qui peut généralement être accordée par la Cour. Il ne fait aucun doute que l’hirondelle de rivage, une espèce qui a été désignée comme étant menacée, niche dans une zone située à proximité du projet de développement. Une partie du terrain devant accueillir le projet de développement est visée par un projet de désignation d’habitat essentiel préparé par ECCC. Les demandeurs soutiennent que cet habitat risque d’être détruit par le projet de construction de l’intervenante.

[38] Sans me prononcer sur le fond quant aux autres éléments du critère, et compte tenu du critère peu exigeant de la question sérieuse à juger, qui repose sur un examen préliminaire du fond de l’affaire, je ne suis pas convaincu que la requête achoppe au premier volet du critère.

(2) Le préjudice irréparable

[39] L’expression « préjudice irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue; ce préjudice est généralement décrit comme celui auquel il ne peut être remédié ou pour lequel un dédommagement adéquat ne peut être obtenu (RJR - MacDonald, à la p 341). Il a souvent été affirmé que ce préjudice ne peut être fondé sur de simples conjectures et qu’il doit être établi au moyen d’une preuve claire et convaincante : voir Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 31; Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 aux para 15-16; Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106 aux para 28-29. En outre, la preuve doit démontrer qu’il est fort probable, et non simplement possible, que le préjudice se produise. Cela dépendra évidemment des faits de chaque affaire (voir la discussion dans Letnes c Canada (Procureur général), 2020 CF 636 aux para 49-58 [Letnes]).

[40] Toutefois, le redressement en equity doit conserver sa souplesse nécessaire, et il faut admettre que certaines formes de préjudice sont difficiles à prouver, surtout dans les procédures interlocutoires où la rapidité est cruciale et la capacité de préparer un dossier de preuve complet est nécessairement quelque peu limitée. Ce qu’il faut, en fin de compte, c’est une « preuve solide » pour l’évaluation du préjudice; de simples affirmations ou conjectures de la partie demanderesse ne seront jamais suffisantes (voir par exemple Vancouver Aquarium Marine Science Centre v Charbonneau, 2017 BCCA 395 au para 60; Première Nation de Ahousaht c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2019 CF 1116 aux para 87-88).

[41] Les demandeurs se heurtent à deux obstacles quant à ce volet du critère. Premièrement, les défendeurs et l’intervenante soutiennent que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer l’existence de quelque préjudice que ce soit à leurs propres intérêts et que, puisqu’ils n’ont jamais obtenu la qualité pour agir dans l’intérêt public dans la présente affaire, leur demande doit donc être rejetée.

[42] Dans l’arrêt RJR - MacDonald, la Cour suprême du Canada a statué qu’en ce qui concerne le préjudice irréparable, « la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation […] » (RJR - MacDonald, à la p 341), ce que la Cour d’appel fédérale a récemment confirmé dans deux arrêts : Droits des voyageurs c Canada (Office des transports), 2020 CAF 92 au para 30 (autorisation d’appel à la CSC refusée, 39266 (23 décembre 2020)) [Droits des voyageurs], et Artic Cat, Inc. c Bombardier Recreational Products Inc, 2020 CAF 116 au para 32.

[43] Les défendeurs soutiennent que, bien que le Canada ait intérêt à protéger les espèces vulnérables, il a été conclu, dans des décisions antérieures concernant la LEP, que l’injonction n’est pas l’outil approprié pour assurer cette protection. Dans l’arrêt RJR - MacDonald, la Cour suprême a jugé que la prise en compte des allégations relatives au préjudice à l’intérêt public général doit se faire dans le cadre du troisième volet du critère, celui de la prépondérance des inconvénients, de sorte que les arguments des demandeurs à cet égard ne sont pas pertinents à ce stade-ci.

[44] Les défendeurs relèvent deux décisions dans lesquelles la Cour a tranché que les objectifs de protection de la faune ne modifient pas le critère relatif au préjudice irréparable. Dans la décision Zoocheck Canda Inc. c Canada (Agence Parcs Canada), 2008 CF 540 [Zoocheck], des groupes d’intérêt public de protection des animaux ont demandé une injonction pour faire cesser l’abattage prévu d’une population de cormorans à aigrettes. La Cour a reconnu que les oiseaux subiraient un préjudice irréparable, mais a jugé que cela ne répondait pas au critère; les demandeurs devaient démontrer l’existence d’un préjudice irréparable à leurs propres intérêts (Zoocheck, au para 49).

[45] Dans le même ordre d’idées, dans la décision Zerafa c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2010 CanLII 96851 (CF), la Cour s’est fondée sur la décision Zoocheck pour conclure que le préjudice causé aux animaux qui avait été établi par la preuve ne satisfaisait pas au critère; la demanderesse devait plutôt démontrer l’existence d’un préjudice à ses propres intérêts.

[46] Les défendeurs et l’intervenante soutiennent que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’un préjudice à leurs propres intérêts. Dans sa plaidoirie, l’intervenante est allée plus loin et a soutenu que les demandeurs ont montré plus d’ardeur à freiner le projet qu’à protéger l’hirondelle de rivage, faisant remarquer que, sur les 10 000 kilomètres et plus de rivage visés par le projet de désignation de l’habitat essentiel, les demandeurs n’ont démontré un intérêt à protéger que le territoire d’environ un kilomètre qui est adjacent à l’emplacement proposé par Badlands pour le projet de développement.

[47] Les demandeurs renvoient à la preuve par affidavit de Rick Skibsted, qui déclare être [traduction] « un observateur d’oiseaux passionné qui étudie les habitudes de nidification des oiseaux dans la vallée de la rivière Rosebud depuis des décennies ». Il ajoute qu’il a vu [traduction] « de nombreuses hirondelles de rivage tuées lors de collisions avec des véhicules » le long d’une route qui longe la rivière et passe près de deux colonies d’hirondelles de rivage. Les demandeurs soutiennent qu’ils agissent pour combler le vide causé par le retard du ministre à donner suite à la désignation, par le COSEPAC, de l’hirondelle de rivage à titre d’espèce menacée.

[48] Compte tenu de ma conclusion sur l’autre élément de ce volet du critère, je ne traiterai pas de cet argument en détail. Il suffit d’indiquer que je suis d’avis que la preuve des demandeurs est insuffisante, car ils ne démontrent pas de façon tangible de quelle manière la perte de l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage dans le secteur visé nuirait à leurs propres intérêts. Le fait que l’un des demandeurs affirme être un [traduction] « observateur d’oiseaux passionné » est loin d’être suffisant.

[49] Les demandeurs n’ont pas cherché à obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public dans la présente requête ou dans la demande sous‑jacente; ils affirment plutôt qu’ils agissent en raison de leur intérêt en tant que propriétaires fonciers adjacents. Ils n’ont pas démontré en quoi une éventuelle destruction de l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage touche directement leurs intérêts, de sorte qu’ils ne satisfont pas au critère énoncé dans l’arrêt RJR - MacDonald.

[50] En ce qui concerne le fond de ce volet du critère, j’ai déjà mentionné que, selon le droit applicable, les demandeurs doivent démontrer, à l’aide d’une preuve aussi précise que possible dans les circonstances, qu’un préjudice irréparable se produira probablement si l’injonction n’est pas accordée. Le résumé suivant de la jurisprudence applicable, exposé dans la décision Letnes, sert de point de repère utile pour l’analyse qui suit :

[51] La CAF a souvent insisté sur les caractéristiques et la qualité de la preuve nécessaires pour établir le préjudice irréparable dans le contexte de mesures injonctives comme des sursis ou des injonctions interlocutoires. La preuve doit comporter plus qu’une simple suite de possibilités, de conjectures, d’hypothèses ou d’affirmations générales. Les hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par la preuve n’ont aucune valeur probante. Il faut plutôt « produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé ». Il n’est pas suffisant « d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer — et non à prouver à la satisfaction de la Cour — que le préjudice est irréparable ». Autrement dit, pour prouver qu’il y a préjudice irréparable, « la partie requérante doit établir de manière détaillée et concrète qu’elle subira un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural — qui ne pourra être redressé plus tard ».

[Renvois omis.]

[51] En l’espèce, les demandeurs soutiennent qu’il y aura préjudice irréparable si l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage, décrit dans le projet de désignation de l’habitat essentiel préparé par ECCC, est endommagé par les travaux de construction associés au projet de développement. Ils font valoir que Badlands est tenue de respecter les délais d’approbation du projet et que ces délais la pousseront à commencer ses travaux le plus tôt possible.

[52] Les demandeurs soulignent les délais que Badlands doit respecter pour la construction de la route d’accès au projet de développement, qui comprend l’élargissement d’une route de comté existante. Le dernier accord lié au projet de développement que Badlands a conclu avec l’autorité locale était notamment conditionnel à ce que la construction de la route d’accès soit terminée au plus tard le 15 septembre 2022. Les demandeurs soutiennent que l’intervenante devra commencer rapidement ses travaux de construction pour pouvoir respecter cette échéance.

[53] Le cœur de l’argument des demandeurs est qu’un préjudice irréparable se produira si la construction débute avant que le ministre désigne l’habitat essentiel situé à l’emplacement de projet de développement. Cet habitat ne pourra être restauré une fois qu’il aura été perturbé ou détruit, et les demandeurs affirment que si cela se produit, le ministre ne pourra pas le désigner comme « habitat essentiel » sous le régime de la LEP. Ils soutiennent qu’il en résultera un préjudice irréparable.

[54] De plus, les demandeurs soulignent la condition à laquelle est soumise l’approbation accordée par le ministère de l’Environnement et des Parcs de l’Alberta en vertu de la Water Act de l’Alberta : Badlands doit terminer tous les travaux de construction relatifs aux milieux humides ou au système de gestion des eaux pluviales au plus tard le 31 décembre 2023.

[55] Les demandeurs n’ont produit aucune preuve montrant que les travaux ont effectivement débuté ou qu’on avait vu sur le chantier de l’équipement de construction ou des signes d’activités préparatoires. Ils s’appuient plutôt sur le calendrier et les délais pour justifier leur conviction qu’il existe un risque réel que l’habitat essentiel soit détruit avant que leur demande de mandamus soit tranchée et que le ministre ait procédé à la désignation de l’habitat essentiel dans le cadre du programme de rétablissement. Les demandeurs font également remarquer que ce n’est pas parce que l’intervenante s’est engagée envers la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta à ne modifier aucun milieu humide qu’elle ne peut pas commencer la construction de la route, celle‑ci ne passant pas dans un milieu humide.

[56] L’intervenante et les défendeurs soutiennent tous deux que les demandeurs n’ont pas présenté le type de « preuve claire et convaincante » qui est nécessaire pour obtenir une injonction interlocutoire. L’intervenante souligne les diverses conditions qui ont été greffées aux approbations qu’elle a reçues, en plus des protections légales dont bénéficie l’hirondelle de rivage du fait qu’il s’agit d’une espèce migratoire. L’intervenante fait remarquer qu’il lui est interdit de détruire ou de perturber les sites de nidification de l’hirondelle de rivage qui, de toute façon, se trouvent à l’extérieur des limites du projet de développement. Elle souligne également que la construction est interdite dans les milieux humides pendant la saison de nidification, entre le 15 avril et le 31 août.

[57] L’intervenante soutient que ces conditions, ainsi que les autres conditions, sont suffisantes pour protéger l’hirondelle de rivage et son habitat. De plus, le représentant de Badlands affirme que la société n’a pas l’intention de commencer les travaux de construction avant que le projet soit approuvé par le ministre de l’Environnement et des Parcs de l’Alberta, en supposant que l’EAB recommande l’approbation du projet. D’un point de vue pratique, l’intervenante soutient que cela signifie que la construction ne commencera probablement pas avant l’automne 2021, au plus tôt.

[58] L’intervenante et les défendeurs font valoir que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils subiront vraisemblablement un préjudice irréparable entre la date d’instruction de la requête en injonction et la date de la décision sur la demande sous‑jacente, dont l’instruction doit avoir lieu dans quelques semaines (l’audience a été fixée du 26 au 28 avril 2021).

[59] Je suis d’accord avec les défendeurs et l’intervenante. Les éléments de preuve présentés par les demandeurs n’établissent pas l’existence d’un risque suffisamment imminent que le préjudice qu’ils craignent se produise réellement.

[60] La période pertinente pour évaluer le risque de préjudice irréparable est celle qui s’écoule entre l’audition de la requête en injonction interlocutoire et la décision sur la demande sous‑jacente (Droits des voyageurs, au para 28; Iris Technologies Inc c Canada (Revenu national), 2020 CF 1133 au para 47; Monsanto, au para 42). Par conséquent, en l’espèce, la période pertinente s’étend de la date d’audition de la présente requête à la date de la décision sur la demande de mandamus sous-jacente, dont l’audience, d’une durée de trois jours, doit commencer le 26 avril 2021.

[61] En examinant si les demandeurs ont établi l’existence d’un préjudice irréparable, je constate qu’un certain nombre de considérations militent contre leur position.

[62] Premièrement, d’un point de vue pratique, la preuve révèle que l’hirondelle de rivage migrera de nouveau vers les sites de nidification qui se trouvent sur les berges de la rivière Rosebud, et que la saison de nidification s’étend d’avril à août. Les sites de nidification ne risquent pas d’être détruits par une activité susceptible de se produire à court terme, et il n’est pas non plus clair que, à long terme, les sites de nidification sont exposés à un risque découlant du projet de développement.

[63] Deuxièmement, il n’y a aucune preuve que des travaux de construction sont sur le point de commencer sur la propriété de l’intervenante. Il n’est pas contesté que l’intervenante n’a pas encore obtenu toutes les approbations dont elle a besoin pour entreprendre le projet de développement, et il est logique qu’elle veuille attendre jusqu’à ce qu’elle soit plus certaine qu’elle obtiendra effectivement les approbations requises avant d’engager des fonds pour des travaux de construction majeurs liés au projet de développement.

[64] Bien que les demandeurs possèdent des propriétés adjacentes à l’emplacement du projet de développement, ils n’ont présenté aucun élément de preuve permettant de démontrer qu’ils ont aperçu de l’équipement de construction ou des signes de travaux préparatoires sur les lieux. À cet égard, les faits de la présente affaire peuvent être comparés à ceux de l’arrêt Groupe Maison. La date limite de septembre 2022 pour la construction de la route d’accès dont les demandeurs font état peut être reportée par consentement mutuel. Il est peu probable que cette date limite incite l’intervenante à entreprendre une activité quelconque tant qu’elle n’aura pas obtenu toutes les approbations ou presque, puisque si ces celles‑ci tardent à venir, elle pourra demander l’accord de l’autorité locale pour prolonger le délai d’achèvement des travaux de construction de la route.

[65] Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si le ministre perdrait le pouvoir de désigner l’habitat essentiel si la construction allait de l’avant, car les demandeurs n’ont pas démontré que cela était susceptible de se produire avant que la décision sur leur demande de mandamus soit rendue. La « lacune » que les demandeurs disent vouloir combler par cette demande demeure une possibilité conjecturale, plutôt qu’une probabilité claire.

[66] Je conclus donc que les demandeurs n’ont pas établi de manière détaillée et concrète qu’ils subiront un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural — qui ne pourra être redressé plus tard, comme l’exige la jurisprudence applicable (voir Letnes, au paragraphe 51).

[67] Pour ces motifs, j’estime que les demandeurs n’ont pas établi, à l’aide d’une preuve suffisamment claire et convaincante, que les actions de l’intervenante causeront un préjudice irréparable d’ici à ce que la décision sur la demande sous‑jacente soit rendue.

(3) La prépondérance des inconvénients

[68] À la troisième étape du critère, « il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, afin d’établir quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que la demande d’injonction est accueillie ou rejetée » (SRC, au paragraphe 12). L’expression qui est souvent utilisée est « la prépondérance des inconvénients » (RJR – MacDonald, à la p 342). Les facteurs à prendre en compte pour évaluer ce volet du critère sont nombreux et varient selon les circonstances de chaque cause; c’est à cette étape que les considérations d’intérêt public peuvent entrer en jeu (RJR – MacDonald, aux pp 342-43).

[69] Les demandeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients milite en leur faveur parce que si l’injonction est accordée, elle occasionnera tout au plus à l’intervenante un léger retard dans la réalisation de ses plans de construction, alors que si elle est refusée et que la construction se poursuit, il en résultera une destruction irréversible de l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage dans la région. Les demandeurs soulignent que l’habitat décrit dans le projet de désignation de l’habitat essentiel n’est pas susceptible de changer par suite des consultations qui sont en cours. Les demandeurs soutiennent que sans injonction, le dommage causé à cet habitat sera irréversible, car le ministre n’aura pas le pouvoir d’ordonner à Badlands de le rétablir dans son état original, en supposant que la remise en état soit même possible. Les demandeurs affirment qu’ils agissent pour protéger l’intérêt public et assurer le respect du processus établi dans la LEP, et que, par conséquent, la prépondérance des inconvénients les favorise.

[70] L’intervenante fait valoir que ce facteur milite fortement en sa faveur. Elle travaille sur ce projet depuis plus d’une décennie, et elle a démontré qu’elle est consciente des répercussions environnementales potentielles de chaque étape et qu’elle a pris des mesures pour les atténuer. Le projet de développement a obtenu les approbations de divers organismes de réglementation locaux et provinciaux, et est assujetti à un certain nombre de conditions qui atténueront les risques pour l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage, ainsi que d’autres répercussions environnementales. Badlands affirme que, si l’injonction est accordée, il lui sera de plus en plus difficile d’obtenir du financement pour le projet en raison de l’incertitude plus grande qui en résultera.

[71] Selon l’intervenante, deux autres facteurs militent en sa faveur. Premièrement, les demandeurs cherchent à être dispensés de l’obligation de fournir un engagement de verser des dommages-intérêts. Il s’agit d’une exigence normale pour l’obtention d’une injonction interlocutoire, et l’intervenante fait valoir que les demandeurs sont d’importants propriétaires fonciers qui ont déjà mentionné qu’ils avaient dépensé des centaines de milliers de dollars pour s’opposer au projet de développement. Badlands soutient que les demandeurs n’ont pas démontré qu’il était justifié de les dispenser de cet engagement, et que leur demande de dispense devrait donc jouer contre eux.

[72] Deuxièmement, l’intervenante soutient que la portée de l’injonction demandée par les demandeurs révèle de manière éloquente leur véritable objectif, puisqu’elle vise à faire cesser tous les travaux requis par le projet. De par sa vaste portée, l’injonction sollicitée par les demandeurs engloberait tous les travaux d’arpentage ou autres travaux préparatoires effectués sur les lieux du projet, lesquels ne présenteraient aucun risque pour l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage. L’intervenante précise qu’une ordonnance de portée aussi large pourrait également l’empêcher de prendre des mesures pour obtenir d’autres fonds ou approbations nécessaires au projet. Elle affirme que c’est là un indice que les demandeurs cherchent à mettre fin au projet, et non à protéger l’hirondelle de rivage, et que la prépondérance des inconvénients devrait donc la favoriser. Sur ce point, soulignons que les demandeurs font valoir que la portée de l’injonction relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour, mais qu’ils n’ont fait aucune suggestion concrète pour la restreindre.

[73] Les défendeurs font remarquer que, s’agissant de la mise en œuvre des mesures de protection prévues par la LEP, le ministre doit tenir compte de l’intérêt public et que, dans la présente affaire, l’élaboration du programme de rétablissement pour l’hirondelle de rivage est déjà bien avancée. Si le ministre détermine qu’il y a un risque imminent pour l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage, un décret d’urgence peut être pris en vertu de l’article 80 de la LEP, et l’expérience montre qu’une telle mesure a été prise au besoin (voir Groupe Maison). Rappelons que depuis que la présente demande a été plaidée, les défendeurs ont informé les demandeurs que le ministre avait décidé de ne pas prendre de décret d’urgence en vertu de l’article 80 de la LEP.

[74] Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existait un risque imminent, ni de quelle façon leurs propres intérêts seraient touchés par la destruction éventuelle de l’habitat essentiel de l’hirondelle de rivage. Puisqu’ils n’agissent pas dans l’intérêt public, la prépondérance des inconvénients doit favoriser l’intervenante et les défendeurs.

[75] Après avoir examiné les arguments des parties et tenu compte de la preuve au dossier, je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’intervenante et des défendeurs.

[76] Dans la mesure où l’intérêt public est une considération pertinente dans la présente affaire, la preuve montre que le ministre a entrepris les démarches nécessaires pour désigner l’habitat essentiel et mener à bien le programme de rétablissement de l’hirondelle de rivage depuis que celle‑ci a été inscrite sur la liste des espèces menacées en novembre 2017. Le dossier révèle que ce travail est complexe, en raison de la vaste répartition de l’espèce au Canada (la preuve montre que l’hirondelle de rivage est présente dans toutes les provinces et tous les territoires du Canada, sauf peut-être au Nunavut) et de la nécessité de mener des études scientifiques afin que la désignation de l’habitat essentiel repose sur une preuve solide. Il faut en outre mener des consultations auprès des fonctionnaires fédéraux et provinciaux et des intervenants du secteur privé. Ce processus est en cours, et bien que les demandeurs ne soient pas satisfaits du rythme de progression, rien ne prouve que le ministre se dérobe à ses obligations légales.

[77] J’estime que le préjudice que l’octroi d’une injonction interlocutoire porterait aux intérêts de l’intervenante l’emporte sur tout préjudice que les demandeurs pourraient subir jusqu’à ce que la décision sur leur demande sous‑jacente soit rendue. Comme Badlands le souligne, les demandeurs ont sollicité une injonction de très large portée, dont l’effet serait d’interdire pratiquement tous les travaux à l’emplacement du projet de développement. Je reconnais que l’octroi d’une injonction ajouterait à l’incertitude d’un projet qui rencontre déjà un certain nombre d’obstacles. Or, j’accorde moins de poids à ce facteur étant donné que l’injonction ne s’appliquerait que pendant quelques mois, soit jusqu’à ce que la décision sur la demande sous‑jacente soit rendue, alors que Badlands dit que, d’ici là, elle ne prévoit pas réaliser de travaux construction de toute façon.

[78] L’octroi de l’injonction demandée par les demandeurs empêcherait Badlands, un propriétaire foncier privé, d’entreprendre des travaux préparatoires sur sa propre propriété en vue de réaliser un projet qui a été approuvé par les autorités locales et provinciales. La Cour accorderait ainsi un type de redressement que les demandeurs n’ont pas sollicité dans la demande sous‑jacente. Sur ce point, je tiens à souligner que, si les demandeurs ont gain de cause et obtiennent une ordonnance de type mandamus, cette ordonnance pourrait avoir un effet indirect sur Badlands, en ce que le processus de désignation de l’habitat essentiel et la mise au point du programme de rétablissement pourraient s’en trouver accélérés. Toutefois, il convient également de souligner que, si le projet de désignation de l’habitat essentiel est approuvé dans sa forme actuelle, une partie importante de la propriété de Badlands ne sera pas incluse dans la zone protégée; on ne peut donc affirmer avec certitude que la désignation mettra fin au projet de développement.

[79] Eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’intervenante et des défendeurs.

IV. Conclusion

[80] Au terme de l’analyse, il est important de prendre du recul et de rappeler qu’« [e]n définitive, il s’agit de déterminer s’il serait juste et équitable d’accorder l’injonction eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire » (Google, au paragraphe 1).

[81] Pour les raisons exposées précédemment, je conclus qu’il ne serait pas juste et équitable de faire droit à la demande d’injonction des demandeurs eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. Le risque qu’il y ait préjudice pendant la courte période qui s’écoulera entre aujourd’hui et le jour où la décision sur la demande de mandamus sous‑jacente sera rendue n’a pas été établi; il n’a pas été prouvé qu’il serait porté atteinte aux intérêts des demandeurs; l’octroi d’une injonction empêcherait l’intervenante de réaliser tout travail lié au projet de développement sur sa propre propriété; et rien au dossier n’indique que le ministre ferme les yeux sur un risque de préjudice imminent ou ne s’acquitte des obligations générales que lui impose la LEP.

[82] La requête en injonction interlocutoire des demandeurs est donc rejetée.

[83] Exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, j’estime qu’il n’existe aucune raison de ne pas adjuger les dépens habituels. Par conséquent, les demandeurs paieront les dépens relatifs à la présente requête à l’intervenante et aux défendeurs, dépens qui seront calculés conformément à la colonne III du tableau du tarif B (article 407). Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent présenter des observations ne dépassant pas trois (3) pages (à l’exclusion d’un projet de mémoire de frais) dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance.


ORDONNANCE dans le dossier T-716-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en injonction interlocutoire des demandeurs est rejetée.

  2. Les demandeurs paieront à l’intervenante et aux défendeurs les dépens relatifs à la présente requête, conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur les dépens, elles peuvent présenter des observations n’excédant pas trois (3) pages (à l’exclusion d’un projet de mémoire de frais) dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-716-20

INTITULÉ :

LINDA SKIBSTED, RICK SKIBSTED, SPRUCE COULEE FARMS LTD., RICHARD CLARK, WENDY CLARK, HALF-DIAMOND HC LIMITED, SAMANTHA ANDERSEN, ET H&A ANDERSEN FARMS LTD. c CANADA (MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE CANADA) ET CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À CALGARY (ALBERTA), À EDMONTON (ALBERTA) ET À OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 MARS 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 7 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Richard Harrison

Robert Stack

POUR LES DEMANDEURS

Cynthia Dickins

Deborah Babiuk-Gibson

Matthew Chao

POUR LES DÉFENDEURS

R. Bruce Brander

David Campbell

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wilson Laycraft

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Brander Law

Calgary (Alberta)

POUR L’INTERVENANTE

 

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