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Date : 20210319


Dossiers : T-389-21

T-392-21

T-393-21

Référence : 2021 CF 242

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2021

En présence de monsieur le juge Pentney

Dossier : T-389-21

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

2276230 ONTARIO INC.

défenderesse

Dossier : T-392-21

ET ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

2417916 ONTARIO INC.

défenderesse

Dossier : T-393-21

ET ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

2466778 ONTARIO INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

VU la demande sommaire déposée par le ministre du Revenu national (le demandeur) en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défenderesses de fournir les renseignements ou documents demandés au cours de sa vérification;

CONSIDÉRANT QUE :

[1] Le demandeur a entrepris les vérifications des trois sociétés défenderesses, 2276230 Ontario Inc. (227), 2417916 Ontario Inc. (241) et 2466778 Ontario Inc. (246) à la fin juin 2020. Ces vérifications ont été classées présentant un [traduction] « risque élevé » parce que le demandeur a relevé des montants d’impôt importants dus par les défenderesses pour des années d’imposition antérieures relativement à une allégation de fraude carrousel dans le domaine des résidus d’or. Il convient de noter dès le départ que les défenderesses contestent ce fait et qu’elles ont produit une série d’oppositions à ces cotisations.

[2] Dans des lettres en date du 9 juillet 2020 (concernant 241) et du 14 juillet 2020 (concernant 227 et 246), un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a informé les défenderesses que les vérifications avaient commencées et leur a demandé de fournir certains renseignements commerciaux, énumérés ci-après conformément au paragraphe 288(1) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC (1985), c E-15 [LTA]. Dans les lettres, des délais étaient fixés pour que les défenderesses fournissent les renseignements demandés : 241 était priée de fournir les renseignements au plus tard le 10 août 2020, tandis que 227 et 246 devaient répondre au plus tard le 14 août 2020.

[3] À la suite d’une série d’échanges entre les représentants de l’ARC de même qu’avec l’avocat du ministère de la Justice, plusieurs prorogations de délai ont été accordées aux défenderesses, dont la dernière expirait le 25 janvier 2021. Bien que les défenderesses aient fourni certains des renseignements demandés, plusieurs éléments demeurent en suspens.

[4] Le demandeur a donc présenté une demande sommaire en application de l’article 289.1 de la LTA, en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant aux défenderesses de fournir les renseignements manquants. Les affaires ont été inscrites au rôle pour audition le 16 mars 2021. Le demandeur a présenté trois demandes distinctes relativement à chacune des sociétés défenderesses désignées. Compte tenu du lien entre les affaires, ces demandes ont été instruites ensemble et les présents motifs portent sur les trois demandes. Une copie de l’ordonnance et des motifs sera versée dans chacun des dossiers.

[5] Après examen du dossier, y compris les éléments de preuve produits par le demandeur et les défenderesses ainsi que leurs observations, j’accueille la demande du demandeur pour les motifs exposés ci-après.

[6] L’article 289.1 de la LTA dispose que le ministre peut présenter une demande sommaire en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à une personne de fournir les renseignements demandés par le ministre en vertu des articles 288 et 289 si la Cour est convaincue de ce qui suit :

  • a) la personne était tenue par les articles 288 ou 289 de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents;

  • b) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents;

  • c) le privilège des communications entre client et avocat ne peut être invoqué à leur égard.

[7] Les parties ne contestent pas que le premier et troisième critères sont satisfaits en l’espèce : les défenderesses étaient tenues de fournir les renseignements demandés en vertu de l’article 288 de la LTA et elles n’ont invoqué aucune revendication du privilège entre client et avocat pour expliquer le défaut de fournir les renseignements demandés.

[8] Le différend entre les parties porte sur le deuxième critère.

[9] Le demandeur indique que les défenderesses n’ont pas fourni les renseignements demandés ni donné aucune raison adéquate pour expliquer ce retard, qui, à la date de l’audience, était de huit mois. Le demandeur soutient que le ministre avait de bonnes raisons de donner suite à la vérification puisqu’il a déterminé que des montants d’impôt étaient dus, et également compte tenu des résultats des cotisations antérieures des défenderesses et du montant d’impôt important censément exigible (qui comprend des millions de dollars dans certains cas).

[10] Malgré le fait que le demandeur ait accordé aux défenderesses trois prorogations de délai distinctes, elles n’ont toujours pas fourni tous les renseignements demandés. Le demandeur souligne que les périodes visées par ces vérifications sont assez récentes et que les renseignements demandés comprennent les registres opérationnels courants que les défenderesses étaient tenues de conserver et qui devraient facile à obtenir. Plus précisément, dans ses lettres, le vérificateur sollicitait les renseignements suivants : [traduction]

  • a) toutes les données comptables électroniques sous une forme électronique intelligible;

  • b) une description des activités commerciales [des défenderesses];

  • c) les statuts constitutifs et les documents à l’appui des modifications apportées ultérieurement aux dirigeants et aux administrateurs de la société;

  • d) des renseignements au sujet des actionnaires, y compris le registre des actions et les résolutions de l’administrateur relatives aux actions;

  • e) un aperçu des fonctions et responsabilités [de l’administrateur] au sein des activités commerciales [des défenderesses];

  • f) des documents confirmant l’emplacement de l’entreprise, c.-à-d. un contrat de location ou d’achat signé;

  • g) tous les livres-journaux et les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;

  • h) une liste des actifs de l’entreprise, y compris les factures ou les documents relatifs aux actifs immobilisés qui ont été acquis ou aliénés au cours de la période de déclaration;

  • i) des copies des déclarations de TPS/TVH [des défenderesses] pour la période de déclaration ainsi que tous les documents justificatifs;

  • j) tous les relevés bancaires, les chèques annulés, les duplicatas de bordereaux de dépôt et les livrets de dépôt pour la période de déclaration;

  • k) tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;

  • l) le registre des procès-verbaux de la société;

  • m) les documents de travail de fin d’exercice du comptable [des défenderesses];

  • n) la liste des personnes occupant des fonctions administratives;

  • o) une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes, y compris tous les détails relatifs aux opérations;

  • p) toutes les factures de vente et tous les registres des ventes;

  • q) une liste détaillée des [crédits de taxe sur les intrants (CTI)] demandés, y compris tous les détails relatifs aux opérations;

  • r) tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;

  • s) les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or;

  • t) tout autre registre ou document de travail qui n’est pas énuméré et qui a trait aux activités commerciales [des défenderesses].

[11] À la date de l’audience, sur les 60 demandes de renseignements distinctes à l’endroit des défenderesses, le demandeur soutient que ces dernières n’ont pas du tout répondu à 19 d’entre elles, tandis qu’elles n’ont répondu que partiellement à 13 autres demandes. Cela comprend certains éléments qui sont au cœur de la vérification effectuée, y compris les copies des déclarations de TPS/TVH et les documents justificatifs (élément i), la liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes (élément o) ainsi que la liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants demandés (élément q); tous ces éléments demeurant en suspens.

[12] Le demandeur souligne que les défenderesses ont demandé à maintes reprises que les vérifications actuelles soient suspendues en attendant le règlement du différend portant sur les cotisations antérieures établies par l’ARC quant à aux différentes périodes visées par la vérification. En outre, les défenderesses ont demandé des prorogations de délai générales et illimitées pour fournir les renseignements et les documents demandés, ce qui leur a été refusé. Le demandeur fait cependant remarquer que les trois prorogations de délai ont été accordées, et qu’à plusieurs reprises, les défenderesses ont été informées que, si elles étaient en mesure de donner des raisons précises expliquant leur retard à obtenir certains des documents demandés, il était disposé à discuter d’un délai convenable pour l’obtention de ces renseignements. Le demandeur note que les défenderesses n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour appuyer les prorogations de délai expliquant les difficultés à obtenir ces documents.

[13] Les défenderesses font valoir que la demande d’ordonnance est prématurée. Elles affirment qu’elles ont continuellement cherché à se conformer aux diverses demandes et obligations qui leur ont été imposées par une série de vérifications et de nouvelles cotisations établies par l’ARC, y compris les demandes de renseignements qui constituent le fondement de la présente instance. Elles soutiennent que l’ARC aurait dû suspendre ces vérifications en attendant le règlement du différend portant sur les cotisations antérieures, puisqu’elles concernent toutes les mêmes questions fondamentales, mais visent des dates différentes. À titre subsidiaire, elles affirment que l’ARC aurait pu élargir la portée de certaines de ses vérifications antérieures puisqu’il existe un certain chevauchement dans les délais, ce qui aurait allégé leur fardeau de conformité.

[14] En ce qui a trait aux retards à fournir les renseignements demandés, objet de la présente instance, les défenderesses affirment qu’elles n’ont pas refusé d’obtempérer et que, par conséquent, le deuxième critère de l’article 289.1 n’a pas été satisfait. Les défenderesses soutiennent plutôt qu’elles ont déployé beaucoup d’efforts pour se conformer aux demandes et qu’elles ont divulgué les renseignements de façon continue, au fur et à mesure de leur disponibilité, y compris d’autres divulgations faites peu avant l’audience.

[15] Elles soulignent qu’elles ont le fardeau général de protéger leurs droits en préparant et en présentant des avis d’opposition détaillés relatifs aux cotisations antérieures, tout en réunissant et en transmettant des quantités importantes de documents demandés par l’ARC relativement aux vérifications actuelles. Les défenderesses soutiennent également que leur banque et leur comptable ont tardé à leur fournir divers documents en raison des problèmes associés à la pandémie de COVID-19 et aux mesures de santé publique en place.

[16] Elles mentionnent également que le demandeur n’a pas satisfait au deuxième volet du critère énoncé à l’article 289.1 et que les demandes qu’il a présentées devraient donc être rejetées. Enfin, elles font valoir que la demande du demandeur équivaut à un abus de procédure, parce que ses exigences en matière de vérification et ses demandes de renseignements sont oppressives compte tenu des répercussions financières à leur endroit, surtout si l’on tient compte du ralentissement de leur activité en raison de la pandémie de COVID-19 et des diverses mesures de santé publique qui ont été imposées.

[17] Je ne suis pas convaincu.

[18] Premièrement, je rejette l’argument avancé par les défenderesses selon lequel l’article 289.1 ne peut être invoqué que lorsqu’un contribuable a [traduction] « refusé » de fournir les renseignements demandés, parce que ce n’est pas l’objet du libellé précis de cet article. Même si la jurisprudence fait état de cas où une demande d’ordonnance a été sollicitée en raison du fait que le contribuable a refusé d’obtempérer, ce n’est pas ce qui est techniquement requis. La disposition prévoit plutôt qu’une demande d’ordonnance peut être accordée si la Cour est convaincue que « a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 288 ou 289 » [Non souligné dans l’original]. La version anglaise du libellé confirme cette interprétation : « is satisfied that (a) the person was required under section 288 or 289 to provide the... information or document and did not do so » [Non souligné dans l’original].

[19] Deuxièmement, bien que les défenderesses aient fourni certains des renseignements demandés, elles ne contestent pas le fait que plusieurs éléments demandés demeurent en suspens. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67 [Cameco], la collaboration préalable à une vérification n’est pas un moyen de défense valable contre une demande d’ordonnance (para 39) ni un litige en cours portant sur d’autres questions (para 41). De plus, le fait que les demandes sont susceptibles de viser de nombreux documents que le contribuable peut considérer comme étant non proportionnels à la question n’est pas un facteur pertinent (para 42). Comme l’a déclaré le juge Donald Rennie dans cet arrêt :

[43] Le ministre a le droit de déterminer la portée d’une vérification, la méthode utilisée et son orientation. Comme il est indiqué dans BP Canada, au paragraphe 82, « les vérificateurs doivent procéder à une foule de contrôles et ne peuvent compter essentiellement que sur leur propre initiative lorsqu’ils vérifient les sommes déclarées par le contribuable ». Les vérificateurs ne sont pas liés par les actes de procédure ou les règles de la pertinence. Le déroulement d’une vérification dépend d’une multitude de facteurs, notamment l’expérience et la formation du vérificateur, l’état des registres, l’histoire fiscale du contribuable ainsi que des facteurs externes au contribuable visé.

[20] Les défenderesses invoquent leurs difficultés financières, mais aucun élément de preuve n’étaye leur prétention. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire qu’à cet égard et au sujet d’autres questions semblables, il y a lieu d’accorder peu de poids à l’affidavit des défenderesses souscrit par l’auxiliaire juridique du cabinet de leurs avocats, parce ce que cet affidavit est de nature très générale, qu’il est truffé d’affirmations qui constituent du ouï-dire ou du double ouï-dire et qu’il ne renferme aucune explication adéquate de la raison pour laquelle de meilleurs éléments de preuve n’ont pas été présentés.

[21] Il n’est pas nécessaire que je décide s’il convient en l’espèce de tirer une conclusion défavorable aux défenderesses en application du paragraphe 81(2) des Règles (voir les décisions Ottawa Athletic Club Inc (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group Inc, 2014 CF 672 aux para 117 à 119 et O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CF 9 aux para 17 à 24). Il suffit de souligner que je conclue que les défenderesses n’ont pas fourni les meilleurs éléments de preuve quant à leurs principaux arguments sur leur situation financière, les efforts qu’elles ont déployés pour tenter d’obtenir les renseignements demandés et les difficultés qu’elles ont connues en raison des contraintes liées à la pandémie actuelle. Les défenderesses ont également omis d’expliquer pourquoi ces éléments de preuve ne pouvaient être fournis (Apotex Inc c Canada (Santé), 2018 CAF 147, aux para 67 et 68). Je ne radierai pas l’affidavit des défenderesses, mais je n’accorde moins de poids à ces questions, parce que l’affidavit est fondé en grande partie sur du ouï-dire et qu’il renferme de nombreuses déclarations générales plutôt que des éléments de preuve précis sur les événements spécifiques survenus à ceux qui sont directement concernés.

[22] Cela est suffisant pour statuer sur la plupart des observations des défenderesses.

[23] J’ajouterais simplement que, relativement à l’affirmation des défenderesses selon laquelle les documents leur ont été fournis en retard en raison des difficultés que suppose, sur le plan pratique, l’accès à leurs documents pendant la pandémie (y compris les renseignements provenant de tiers, comme leur banque ou leur comptable), elles n’ont pas produit d’éléments de preuve à cet égard. Les défenderesses reconnaissent avoir demandé plusieurs prorogations de délai, qui leur ont été accordées, pour fournir les renseignements demandés. Elles ne contestent pas l’affirmation du demandeur voulant que ces renseignements soient des registres opérationnels courants qu’elles sont tenues de conserver. Les avocats des défenderesses ont présenté des éléments de preuve quant aux efforts qu’ils ont déployés pour obtenir les renseignements auprès de la banque et du comptable, mais il s’agit de mesures prises longtemps après les demandes initiales du vérificateur de l’ARC. Ces éléments de preuve ne renferment aucun détail précis expliquant comment et pourquoi la pandémie serait à l’origine des retards.

[24] Pour ce motif, je ne retiens pas l’argument des défenderesses selon lequel la demande d’ordonnance devrait être rejetée parce que le demandeur n’a pas satisfait au deuxième volet du critère, ou qu’elles ont présenté un motif valable pour justifier leur retard à fournir les renseignements demandés.

[25] La dernière question à examiner est l’argument des défenderesses selon lequel la demande d’ordonnance du demandeur équivaut à un abus de procédure. Bien que les défenderesses aient invoqué plusieurs motifs à ce sujet dans leurs observations écrites, lors de l’audience, l’argument a été restreint. Les défenderesses affirment maintenant que la question de l’abus de procédure se pose parce que le demandeur a tout de même présenté sa demande d’ordonnance, même après avoir été informé des efforts des défenderesses pour se conformer aux demandes (démontrés par la divulgation supplémentaire peu avant l’audience). Elles affirment également qu’il y a abus de procédure parce que le demandeur est au courant de leur difficulté à réunir et à transmettre les renseignements demandés dans la présente instance, tout en assumant les coûts et le fardeau de la protection de leurs intérêts relativement aux cotisations antérieures lors de la préparation et du dépôt des avis d’opposition.

[26] Les défenderesses invoquent la jurisprudence sur l’abus de procédure, dans laquelle sont énoncées les circonstances où les mesures prises par le gouvernement ont été jugées inéquitables, contraires aux intérêts de la justice ou oppressives. Elles renvoient à la façon dont a été prononcé le principe de l’abus de procédure dans les motifs dissidents de l’arrêt R c Scott, [1990] 3 RCS 979, à la p 1006 : « Un juge a le pouvoir d’arrêter des procédures ou de les annuler si elles sont oppressives ou vexatoires et si elles violent les principes fondamentaux de la justice selon lesquels la société définit son sens du franc‑jeu et de l’équité ». Elles soutiennent que la présente affaire entre dans cette catégorie et demandent le rejet de la demande d’ordonnance.

[27] Je ne suis pas convaincu.

[28] Le dossier ne contient aucun élément de preuve pour corroborer cette allégation. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale, « [l] orsqu’on plaide la mauvaise foi ou l’abus de pouvoir, il ne suffit pas d’utiliser des formulations laconiques et catégoriques telles que [traduction] « délibérément ou négligemment », « indifférence complète » ou « s’est procuré illégalement par le vol ou la fraude [...] Faire des déclarations laconiques ou catégoriques qui ne reposent sur aucun élément de preuve constitue un abus de procédure [...] » (Merchant Law Group c Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, au para 34 [renvois omis]).

[29] En l’espèce, rien ne prouve que la vérification de l’ARC a été entreprise à d’autres fins que celle de se conformer à la LTA, ou que la demande de renseignements était à ce point générale, extraordinaire ou inhabituelle qu’elle soulèverait des questions sur sa légitimité dans le contexte de la vérification (tenant pour acquis qu’une telle demande peut être présentée en dépit du vaste pouvoir accordé au ministre d’établir le moment, l’étendue et la nature de la vérification : voir les arrêts Cameco et Saipem Luxembourg S.V c Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218, au para 36).

[30] Les défenderesses font valoir que la demande d’ordonnance est abusive et oppressive parce que le demandeur est conscient qu’elles ont consacré beaucoup de temps et d’argent à s’occuper d’affaires antérieures, ce qui a mené au dépôt de leurs avis d’opposition et de leurs déclarations selon lesquelles elles ont l’intention d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt relativement à ces questions.

[31] Les éléments de preuve ne corroborent pas cet argument. Les avis d’opposition ont été produits avant la réception des lettres concernant les vérifications actuelles, et les défenderesses reconnaissent qu’elles n’ont pas encore interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Bien que je reconnaisse qu’elles ont assumé un certain [traduction] « fardeau de conformité » relativement aux diverses questions concernant les nouvelles cotisations et les avis d’opposition, la preuve est loin d’établir que les vérifications actuelles équivalent à de l’abus ou de l’oppression. Le dossier contient très peu d’information sur la taille des sociétés défenderesses, mais je constate que les avis d’opposition ont trait aux cotisations antérieures où d’importantes sommes d’argent sont en jeu.

[32] Je conclus que les éléments de preuve n’étayent pas l’allégation d’abus de procédures formulée par les défenderesses et je rejette catégoriquement cet argument. Il n’y a rien d’autre à ajouter à ce sujet.

PAR CONSÉQUENT, LA COUR CONCLUT :

[33] Pour tous ces motifs, les demandes d’ordonnances du demandeur en application de l’article 289.1 de la LTA sont accueillies.

[34] Les défenderesses sont tenues de fournir les renseignements et les documents qui n’ont pas encore été transmis au demandeur dans un délai de 45 jours suivant la date de la présente ordonnance. Le demandeur avait initialement demandé que les défenderesses disposent d’un délai de 20 jours pour lui communiquer les renseignements et les documents. Les défenderesses ont indiqué qu’un délai de 90 jours était plus approprié compte tenu de toutes les circonstances. En tenant compte du temps déjà écoulé, comme les défenderesses savent exactement ce qu’on leur a demandé de fournir depuis huit mois maintenant et compte tenu de l’historique de l’affaire jusqu’à présent, j’ai décidé qu’un délai de 45 jours suffisait amplement à permettre aux défenderesses de prendre tous les dispositions nécessaires pour transmettre les documents restants.

[35] Les autres renseignements et documents qui n’ont pas encore été transmis sont présentés en détail dans les paragraphes ci-dessous, pour chacune des sociétés défenderesses désignées.

[36] En ce qui concerne le numéro de dossier de la Cour T-389-21, 2276230 Ontario Inc. est par les présentes tenue de produire les renseignements suivants visés par la période de vérification, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance :

  1. toutes les données comptables électroniques;
  2. tous les livres-journaux, comme les journaux des ventes et des achats, le journal des encaissements, le journal général, le grand livre général et le journal synoptique; les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;
  3. les copies des déclarations de TPS/TVH et tous les documents justificatifs, y compris les documents de travail conciliant les déclarations de TPS/TVH aux dossiers;
  4. tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;
  5. le registre des procès-verbaux de la société;
  6. une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes;
  7. toutes les factures de vente et tous les registres des ventes, y compris les rubans de caisse enregistreuse, le rapprochement des ventes, les registres d’expédition, les devis, les estimations, les contrats et les conciliations de projets;
  8. une liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants (CTI) demandés;
  9. tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;
  10. les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or.

[37] En ce qui concerne le numéro de dossier de la Cour T-392-21, 2417916 Ontario Inc. est par les présentes tenue de produire les renseignements suivants visés par la période de vérification, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance :

  1. toutes les données comptables électroniques;
  2. tous les livres-journaux, comme les journaux des ventes et des achats, le journal des encaissements, le journal général, le grand livre général et le journal synoptique; les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;
  3. les copies des déclarations de TPS/TVH et tous les documents justificatifs, y compris les documents de travail conciliant les déclarations de TPS/TVH aux dossiers;
  4. tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;
  5. le registre des procès-verbaux de la société;
  6. une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes;
  7. toutes les factures de vente et tous les registres des ventes, y compris les rubans de caisse enregistreuse, le rapprochement des ventes, les registres d’expédition, les devis, les estimations, les contrats et les conciliations de projets;
  8. une liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants (CTI) demandés;
  9. tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;
  10. les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or.

[38] En ce qui concerne le numéro de dossier de la Cour T-393-21, 2466778 Ontario Inc. est par les présentes tenue de produire les renseignements suivants visés par la période de vérification, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance :

  1. toutes les données comptables électroniques;
  2. des documents confirmant l’emplacement de l’entreprise, comme un contrat de location ou d’achat signé;
  3. tous les livres-journaux, comme les journaux des ventes et des achats, le journal des encaissements, le journal général, le grand livre général et le journal synoptique; les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;
  4. les copies des déclarations de TPS/TVH et tous les documents justificatifs, y compris les documents de travail conciliant les déclarations de TPS/TVH aux dossiers;
  5. tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;
  6. le registre des procès-verbaux de la société;
  7. les documents de travail de fin d’exercice du comptable;
  8. une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes;
  9. toutes les factures de vente et tous les registres des ventes, y compris les rubans de caisse enregistreuse, le rapprochement des ventes, les registres d’expédition, les devis, les estimations, les contrats et les conciliations de projets;
  10. une liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants (CTI) demandés;
  11. tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;
  12. les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or.

[39] Sur la question des dépens, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-196, compte tenu du fait que le demandeur a dû présenter la présente demande après de longs retards et malgré plusieurs prorogations de délai accordées aux défenderesses et compte tenu de l’issue, j’ordonne par les présentes aux défenderesses de verser au demandeur des dépens sous la forme d’une somme globale de 1 000 $, y compris tous les débours et honoraires.

[40] Compte tenu du fait que les affaires ont été instruites ensemble, que les défenderesses sont des entreprises familiales et qu’il existait d’importants chevauchements entre les dossiers dans les présentes affaires, je me limite à une seule adjudication des dépens qui s’appliquera aux trois demandes.


ORDONNANCE dans les dossiers T-389-21, T-392-21 et T-393-21

LA COUR ORDONNE :

  1. Les demandes sommaires en vue d’obtenir une ordonnance en vertu de l’article 289.1 de la Loi sur la taxe d’accise sont accueillies.

  2. La Cour ordonne par les présentes aux défenderesses de produire les renseignements énumérés ci-dessous en ce qui a trait à chacun des dossiers de la Cour et à chacune des sociétés défenderesses, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance.

    1. En ce qui concerne le numéro de dossier de la Cour T-389-21, 2276230 Ontario Inc. est par les présentes tenue de produire les renseignements suivants visés par la période de vérification, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance :

      1. toutes les données comptables électroniques;

      2. tous les livres-journaux, comme les journaux des ventes et des achats, le journal des encaissements, le journal général, le grand livre général et le journal synoptique; les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;

      3. les copies des déclarations de TPS/TVH et tous les documents justificatifs, y compris les documents de travail conciliant les déclarations de TPS/TVH aux dossiers;

      4. tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;

      5. le registre des procès-verbaux de la société;

      6. une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes;

      7. toutes les factures de vente et tous les registres des ventes, y compris les rubans de caisse enregistreuse, le rapprochement des ventes, les registres d’expédition, les devis, les estimations, les contrats et les conciliations de projets;

      8. une liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants (CTI) demandés;

      9. tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;

      10. les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or.

    2. En ce qui concerne le numéro de dossier de la Cour T-392-21, 2417916 Ontario Inc. est par les présentes tenue de produire les renseignements suivants visés par la période de vérification, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance :

      1. toutes les données comptables électroniques;

      2. tous les livres-journaux, comme les journaux des ventes et des achats, le journal des encaissements, le journal général, le grand livre général et le journal synoptique; les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;

      3. les copies des déclarations de TPS/TVH et tous les documents justificatifs, y compris les documents de travail conciliant les déclarations de TPS/TVH aux dossiers;

      4. tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;

      5. le registre des procès-verbaux de la société;

      6. une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes;

      7. toutes les factures de vente et tous les registres des ventes, y compris les rubans de caisse enregistreuse, le rapprochement des ventes, les registres d’expédition, les devis, les estimations, les contrats et les conciliations de projets;

      8. une liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants (CTI) demandés;

      9. tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;

      10. les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or.

    3. En ce qui concerne le numéro de dossier de la Cour T-393-21, 2466778 Ontario Inc. est par les présentes tenue de produire les renseignements suivants visés par la période de vérification, dans un délai de 45 jours suivant la présente ordonnance :

      1. toutes les données comptables électroniques;

      2. des documents confirmant l’emplacement de l’entreprise, comme un contrat de location ou d’achat signé;

      3. tous les livres-journaux, comme les journaux des ventes et des achats, le journal des encaissements, le journal général, le grand livre général et le journal synoptique; les dossiers relatifs aux comptes créditeurs et aux comptes débiteurs;

      4. les copies des déclarations de TPS/TVH et tous les documents justificatifs, y compris les documents de travail conciliant les déclarations de TPS/TVH aux dossiers;

      5. tous les relevés de cartes de crédit, les relevés de la marge de crédit, les documents hypothécaires et de prêt, y compris les calendriers de remboursement et l’objet des prêts;

      6. le registre des procès-verbaux de la société;

      7. les documents de travail de fin d’exercice du comptable;

      8. une liste détaillée des ventes totales et de la TPS/TVH perçue sur ces ventes;

      9. toutes les factures de vente et tous les registres des ventes, y compris les rubans de caisse enregistreuse, le rapprochement des ventes, les registres d’expédition, les devis, les estimations, les contrats et les conciliations de projets;

      10. une liste détaillée des crédits de taxe sur les intrants (CTI) demandés;

      11. tous les bons d’approvisionnement et toutes les factures de dépenses justifiant les CTI;

      12. les copies de tous les rapports de règlement et de tous les registres des fontes pour l’ensemble des opérations portant sur des résidus d’or.

  3. Les défenderesses verseront au demandeur des dépens sous la forme d’une somme globale de 1 000 $, y compris tous les débours et honoraires qui couvriront les frais relatifs aux trois dossiers de la Cour.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

T-389-21, T-392-21 et T-393-21

 

DOSSIER :

T-389-21

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c 2276230 ONTARIO INC.

ET DOSSIER :

T-392-21

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c 2417916 ONTARIO INC.

ET DOSSIER :

T-393-21

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c 2466778 ONTARIO INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À OTTAWA ET À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MARS 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 19 MARS 2021

COMPARUTIONS :

Rita Araujo

Ben Mitchell

POUR LE DEMANDEUR

Jason Rosen

Arad Moslehi

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Rosen Kirshen Tax Law

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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