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Date : 20210407

Dossier : IMM‑7880‑19

Référence : 2021 CF 300

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2021

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ALABI ADAM SABITU

MARIAM AROMOKE SALIU‑ADAM

SUMAYYAH TIWATOPE ADAM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES

[1] À la suite du jugement et des motifs que j’ai rendus le 23 février 2021 (2021 CF 165), la Cour se penche sur les questions certifiées qui suivent.

I. Questions certifiées

[2] La présente décision semble soulever des questions importantes qui satisfont aux exigences de certification en vue d’un appel. On peut particulièrement souligner la nouvelle interprétation de l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et du paragraphe 49(1) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 (les Règles) suivant laquelle la Cour fédérale ne peut examiner les manquements à la justice naturelle dans le cadre d’un contrôle judiciaire sans que le demandeur n’ait épuisé en premier lieu le processus d’appel de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) en présentant une demande de réouverture de l’appel instruit par la SAR. Cette jurisprudence contredit la procédure traditionnelle de la Cour suivant laquelle le demandeur qui invoque un manquement à la justice naturelle peut directement faire examiner ces questions en même temps que les autres questions soulevées dans le cadre de la demande principale de contrôle judiciaire.

[3] De même, une renonciation exceptionnelle à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes soulève une question d’intérêt général qui permettrait de régler la présente affaire. Il est vrai que la question de savoir s’il convient ou non de renoncer à cette règle pour tenir compte de la situation particulière des demandeurs pourrait être formulée de manière étroite comme une question concernant leur intérêt à la bonne administration de la justice. Il serait néanmoins également justifié d’énoncer plus largement un principe général relativement à la renonciation à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes. La question est de savoir si cette renonciation devrait être autorisée sur le fondement de considérations de principe sous‑jacentes.

[4] Il faut également fixer le critère en ce qui concerne l’effet de l’incompétence de l’avocat, comme celui qui aurait une incidence sur l’issue de la décision originale, en précisant s’il doit s’agir d’une probabilité raisonnable ou d’une possibilité sérieuse.

[5] Toutes ces questions semblent être des questions graves de portée générale qui auraient un effet déterminant sur l’issue de l’affaire.

[6] Comme la Cour est d’avis qu’il convient de certifier des questions en vue d’un appel, les parties ont reçu une copie des motifs cités plus haut et ont été invitées à proposer des questions en ce sens à certifier en vue d’un appel.

[7] Bien que les demandeurs s’opposent à la certification de questions en l’espèce, le défendeur a proposé que les questions suivantes soient certifiées :

    1. L’expression « les voies d’appel » figurant à l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés englobe‑t‑elle une demande de réouverture d’un appel pour non‑respect d’un principe de justice naturelle conformément à la règle 49(1) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, de sorte que les requérants ne peuvent pas demander un contrôle judiciaire sur cette base s’ils n’ont pas d’abord épuisé leur droit de demander une réouverture?
    2. Les requérants qui se sont vu refuser la réouverture de leur appel devant la SAR en vertu de la règle 49(1) devraient‑ils être exemptés de l’obligation de demander un contrôle judiciaire de la décision de réouverture dans le cadre d’une demande distincte, au motif qu’une dérogation à la règle sur la contestation indirecte est justifiée par des considérations politiques sous‑jacentes?
    3. Relativement à l’élément de préjudice du critère de l’incompétence de l’avocat, le seuil applicable à l’effet de l’incompétence de l’avocat sur le résultat de la décision contestée est‑il une probabilité raisonnable ou une possibilité sérieuse?

[8] Les demandeurs, quant à eux, font valoir que les questions proposées ne répondent pas aux critères de certification parce qu’elles ne sont pas de portée générale, qu’elles ne transcendent pas les intérêts des parties ou qu’elles ne sont pas déterminantes en l’espèce.

[9] Ils allèguent que la première question n’est pas de portée générale puisque la réponse à celle‑ci est démontrée par la prépondérance de son application dans la jurisprudence existante. Cependant, les affaires sur lesquelles les demandeurs ont fondé leurs observations ne portaient pas sur la question de savoir si la présentation d’une demande de réouverture en vertu du paragraphe 49(1) des Règles était une condition préalable à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire, ou elles ne tenaient pas compte de cette question. En outre, il existe des directives contradictoires de la Cour fédérale selon lesquelles, pour avoir épuisé tous les recours juridiques avant de demander un contrôle judiciaire, il faudrait notamment avoir présenté une demande de réouverture de l’appel devant la SAR (voir Brown; et plus récemment Maxamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 121). Ce qui précède témoigne de l’importance générale d’exiger des directives favorisant une application juste de la loi avant que le débat entourant la question de savoir si l’article 49 des Règles constitue une règle obligatoire ou facultative ne gagne en acceptabilité auprès de la Cour.

[10] En ce qui concerne la deuxième question proposée, les demandeurs soutiennent qu’elle ne transcende pas l’intérêt immédiat des parties puisqu’elle porte sur les faits particuliers de l’espèce. Il est reconnu que l’exemption de la règle de l’interdiction des contestations indirectes a une application particulière pour les demandeurs étant donné les circonstances exceptionnelles dans lesquelles, prétendent‑ils, les observations du défendeur les ont menés à recourir, à tort, à l’article 49 des Règles pour solliciter la réouverture de leur appel devant la SAR. Néanmoins, sur le plan des politiques, les répercussions positives sous‑jacentes sur l’administration de la justice découlant de la renonciation à la règle de l’interdiction des contestations indirectes appuient son application à toutes les demandes présentées en vertu du paragraphe 49 des Règles qui ont été rejetées.

[11] Les avantages découlent notamment de l’incitation à un recours accru aux demandes de réouverture présentées en vertu de l’article 49 des Règles à l’égard de questions de fond même si la plupart de ces demandes sont rejetées – comme en l’espèce –, mais sans les effets négatifs qu’entraîne l’obligation de présenter une demande de contrôle judiciaire distincte qui, comme l’a soutenu le défendeur, n’a pas d’utilité réelle. La demande principale de contrôle judiciaire permettrait donc d’examiner les questions de justice naturelle, d’autant plus que la Cour applique la norme de la décision correcte. Permettre que les considérations de la SAR quant à une demande de réouverture infructueuse présentée à l’égard d’une question de fond soient présentées à la Cour dans le cadre de la demande principale pourrait être utile et même favoriser l’administration de la justice plutôt que de la miner. Par conséquent, la question transcende le contexte factuel de l’espèce pour s’appliquer de manière plus générale, conformément aux exigences de certification, compte tenu des politiques et principes sous‑jacents à la doctrine de l’interdiction des contestations indirectes.

[12] Enfin, les demandeurs affirment que la troisième question proposée, qui porte sur le critère juridique applicable pour déterminer si l’effet de l’incompétence de l’avocat sur l’issue de la décision constitue une probabilité ou une possibilité, ne permettrait pas de régler l’appel. Ils soutiennent que la détermination de l’incompétence ne semblait pas s’appuyer sur le critère applicable à l’effet de l’incompétence de l’avocat. Cette affirmation est toutefois inexacte. Le point exposé dans les motifs est qu’outre le risque d’entraver la décision de la SAR, la Cour ne peut déterminer, en termes de probabilité, l’effet de l’incompétence sur l’issue, c’est‑à‑dire trancher la question avant qu’elle ne soit renvoyée, parce qu’elle ne dispose pas du dossier complet qui pourrait être présenté de nouveau à la SAR.

[13] De plus, la question du critère juridique applicable à l’incompétence de l’avocat est une question que l’on ne devrait pas laisser couver compte tenu des demandes d’autorisation accueillies qui s’accumulent dans l’attente que la Cour d’appel décide quelle norme devrait s’appliquer. Des années pourraient s’écouler avant qu’une telle question ne soit certifiée de nouveau. Les demandeurs plaideront naturellement en faveur de l’adoption de la norme la moins stricte. Ainsi, à moins qu’elle ne soit adoptée par tous les juges de la Cour, cette question continuera de tourmenter les parties et la Cour jusqu’à ce qu’elle soit définitivement réglée par la Cour d’appel.

[14] Par conséquent, la Cour ne souscrit pas aux observations des demandeurs et certifie les trois questions proposées par le défendeur.

 


JUGEMENT SUPPLÉMENTAIRE dans le dossier IMM‑7880‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvel examen.

  2. Les questions suivantes sont certifiées en vue d’un appel :

  • a) L’expression « les voies d’appel » figurant à l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés englobe‑t‑elle une demande de réouverture d’un appel pour non‑respect d’un principe de justice naturelle conformément à la règle 49(1) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, de sorte que les requérants ne peuvent pas demander un contrôle judiciaire sur cette base s’ils n’ont pas d’abord épuisé leur droit de demander une réouverture?

  • b) Les requérants qui se sont vu refuser la réouverture de leur appel devant la SAR en vertu de la règle 49(1) devraient‑ils être exemptés de l’obligation de demander un contrôle judiciaire de la décision de réouverture dans le cadre d’une demande distincte, au motif qu’une dérogation à la règle sur la contestation indirecte est justifiée par des considérations politiques sous‑jacentes?

  • c) Relativement à l’élément de préjudice du critère de l’incompétence de l’avocat, le seuil applicable à l’effet de l’incompétence de l’avocat sur le résultat de la décision contestée est‑il une probabilité raisonnable ou une possibilité sérieuse?

« Peter B. Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7880‑19

INTITULÉ :

ALABI ADAM SABITU, MARIAM AROMOKE SALIU‑ADAM, SUMAYYAH TIWATOPE ADAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 7 AVRIL 2021

COMPARUTIONS :

Soo‑Jin Lee

POUR LES DEMANDEURS

 

Amy Lambiris

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Soo‑Jin Lee

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

Amy Lambiris

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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