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Date : 20210331


Dossier : T‑79‑20

Référence : 2021 CF 279

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

NILKANTH CHOTALIA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] M. Chotalia a sollicité le contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 janvier 2020 par un agent de traitement des remboursements [l’agent] de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). L’agent a rejeté la demande de M. Chotalia visant à faire proroger le délai imparti pour déposer trois demandes au titre du paragraphe 256.2(7) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 [la LTA], concernant les remboursements de la taxe sur les produits et services (la TPS) [la décision].

[2] Les remboursements ont été demandés en relation avec trois immeubles d’habitation locatifs neufs, achetés par M. Chotalia à Edmonton en août 2015.

[3] Lors de l’audition de la présente demande, M. Chotalia s’est uniquement appuyé sur le paragraphe 281(1) de la LTA pour dire que le ministre avait un vaste pouvoir de prorogation des délais. M. Chotalia soutient que l’intention du législateur qu’exprime le paragraphe 281(1) s’applique aux faits de sa cause et offre au ministre le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour proroger son délai de dépôt.

[4] Pour les motifs qui suivent, qui sont fondés sur la loi et la jurisprudence, j’ai jugé que le ministre, bien qu’il ait un pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 281(1), n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’application de l’article 256.2 en prorogeant le délai accordé à M. Chotalia pour déposer ses demandes de remboursement pour immeubles d’habitation locatifs neufs.

II. Le contexte factuel

[5] Le droit de demander les remboursements qui est en litige se trouve à l’article 256.2 de la LTA. Les parties ne contestent pas le fait que M. Chotalia satisfaisait aux critères pour demander les trois remboursements.

[6] M. Chotalia avait présenté les demandes de remboursement pour immeubles d’habitation locatifs neufs le 19 mars 2018. Il reconnaît que les demandes ont été présentés environ sept mois après l’expiration du délai de deux ans prévu au sous‑alinéa 256.2(7)a)(iii) de la LTA :

Demande de remboursement et paiement de taxe

(7) Un remboursement n’est accordé en vertu du présent article que si, à la fois :

a) la personne en fait la demande dans les deux ans suivant la fin du mois ci‑après :

[…]

(iii) […] le mois où la taxe devient payable par elle pour la première fois, […];

Application for rebate and payment of tax

(7) A rebate shall not be paid to a person under this section unless

(a) the person files an application for the rebate within two years after

[…]

(iii) [ . . . ] the end of the month in which tax first becomes payable by the person, […];

 

[7] Le ministre avait reçu les demandes le 26 mars 2018. Une lettre avait été jointe aux demandes, dans laquelle M. Chotalia avait décrit les logements, confirmé qu’ils avaient été continuellement loués depuis la date de prise de possession et expliqué que les demandes avaient été présentées en retard, parce que ni son agent immobilier, ni son avocat, ni son comptable ne l’avaient avisé d’une possibilité de remboursement. Compte tenu du fait que tous les autres acheteurs de logements coûtant moins de 450 000 $ dans le même immeuble avaient reçu des remboursements, M. Chotalia avait affirmé que l’ARC ne subirait aucun préjudice si elle acceptait les dépôts tardifs et accueillait la demande sans engager le processus d’opposition.

[8] Les 26 et 27 avril 2018, le ministre avait rejeté les demandes, car [traduction] « [il n’avait] pas reçu la demande dans les deux ans suivant la date à laquelle la taxe était devenue payable sur l’achat […] conformément à ce qui [était] établi au paragraphe 256.2(7) de la Loi sur la taxe d’accise »

[9] Le 6 décembre 2018, le Bureau des services fiscaux de Winnipeg avait transféré la demande de prorogation de délai de M. Chotalia à l’unité responsable des demandes de renseignements détaillés et de l’évaluation complexe de la Division des remboursements du Centre fiscal de Summerside. Le message transféré indiquait que les demandes de remboursement avaient été rejetées au motif qu’elles n’avaient pas été reçues dans les deux ans suivant la date à laquelle la taxe était devenue payable.

[10] Le 9 janvier 2020, la décision a été rendue. Elle est brève :

[traduction]

Objet : Demandes de remboursement pour un immeuble d’habitation locatif neuf déposées tardivement

M. Nilkanth Chotalia,

En mars 2018, vous avez déposé trois demandes de remboursement pour un immeuble d’habitation locatif neuf, qui ont été rejetées parce que nous ne les avons pas reçues dans les deux ans suivant la date à laquelle la taxe est devenue payable sur l’achat, conformément à ce qui est établi dans la Loi sur la taxe d’accise.

Le fait que vous vous êtes informé au sujet d’une prorogation du délai imparti pour déposer des demandes de remboursement au titre des dispositions d’allègement pour les contribuables a été porté à notre attention.

La présente vise à vous informer que les remboursements de la TPS/TVH pour lesquelles une demande peut être faite au titre des dispositions d’allègement pour les contribuables se trouvent à l’article 256 de la Loi sur la taxe d’accise et qu’ils sont limités aux demandes de remboursement pour habitations neuves construites par le propriétaire (type 4) et au programme de remise sur l’achat d’une première maison de la Nouvelle‑Écosse.

Les dispositions d’allègement pour les contribuables ne s’appliquent pas aux demandes de remboursement pour un immeuble d’habitation locatif neuf.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[11] La seule question soulevée par les parties est de savoir si le ministre avait le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 281 de la LTA, de proroger le délai accordé à M. Chotalia pour déposer ses demandes de remboursement.

[12] M. Chotalia ne conteste pas la conclusion de la décision, selon laquelle les dispositions d’allègement pour les contribuables qui se trouvaient à l’article 256 de la LTA ne s’appliquaient pas à ses demandes de remboursement. La présente demande a été instruite sur le fondement que la décision démontre que le ministre avait omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai imparti pour déposer les demandes et n’avait fourni aucun motif pour cette décision.

[13] Le ministre reconnaît que, s’il avait le pouvoir discrétionnaire, la présente demande devrait être accueillie, et l’affaire devrait être renvoyée pour un nouvel examen. En revanche, s’il est conclu qu’il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire, il affirme que la présente demande devrait être rejetée.

[14] M. Chotalia soutient que la conclusion du ministre selon laquelle il n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai imparti pour déposer les demandes est une erreur de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[15] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada avait examiné de façon approfondie le droit régissant le contrôle judiciaire des décisions administratives. Elle avait confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas au vu des faits en l’espèce : Vavilov, au para 23.

[16] Quoi qu’il en soit, dans la présente affaire, la norme de contrôle est théorique, puisqu’il n’y a que deux issues possibles : le ministre avait, ou n’avait pas, le pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 281(1) de proroger le délai au titre du paragraphe 256.2(7), afin que M. Chotalia puisse présenter ses demandes de remboursement de la TPS.

IV. Analyse

A. La Loi sur la taxe d’accise

[17] Les dispositions législatives à l’origine de la TPS avaient été adoptées par le Parlement en décembre 1990 dans la partie IX de la LTA. Elles avaient reçu la sanction royale le 17 décembre 1990 (LC 1990, c 45, art 12). La TPS était entrée en vigueur dans tout le Canada le 1er janvier 1991 : Renvoi relatif à la taxe sur les produits et les services, [1992] 2 RCS 445 à la p 456 [le Renvoi relatif à la TPS].

[18] L’objectif visé par l’imposition de cette taxe est précisé dans le Renvoi relatif à la TPS, à la page 468 : « [l]a Loi sur la TPS n’a d’autre but que de procurer des recettes au gouvernement fédéral […] ».

[19] Les principes d’interprétation s’appliquant précisément à la LTA avaient été énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Cheema, 2018 CAF 45 [Cheema], où le juge Stratas a indiqué ce qui suit :

[84] À une autre occasion, la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’une disposition d’une loi fiscale est « claire et non équivoque », elle « doit simplement être appliquée » de manière ni tendancieuse ni axée sur un résultat : Shell Canada Ltd. c. Canada, 1999 CanLII 647, [1999] 3 R.C.S. 622, 178 D.L.R. (4e) 26, aux paragraphes 39 et 40.

[85] Dans l’ensemble, « la [Loi sur la taxe d’accise] comporte des règles claires et précises en vue de faciliter son application, son uniformité et sa prévisibilité » et cela « fait ressortir le rôle primordial que joue le sens ordinaire du libellé de la Loi dans le processus d’interprétation de ses dispositions » : Quinco Financial, au paragraphe 8.

[86] Lorsque, tel que dans la présente affaire, le législateur accorde un remboursement dans un article spécifique pour un motif en matière de politique, il ne formule habituellement pas son intention par un libellé approximatif, et n’oblige pas les juges à un survol tortueux, sinueux et détourné de diverses autres dispositions de la loi pour établir s’il y a lieu d’autoriser le remboursement. Pour comprendre qui peut demander un remboursement et dans quelles circonstances, il nous suffit, normalement, de lire le libellé clair qui accorde le remboursement.

[20] Dans l’arrêt Cheema, la question en litige était de savoir si un contribuable répondait aux critères législatifs pour demander le remboursement pour habitations neuves au titre du paragraphe 254(2) de la LTA.

[21] Bien que l’arrêt Cheema ne comporte pas les mêmes faits qu’en l’espèce, il traite d’une demande de remboursement au titre de la LTA. À cet égard, les paragraphes de l’arrêt Cheema reproduits ci‑dessus peuvent être directement appliqués à la présente affaire.

B. Les observations des parties

(1) L’article 281 de la LTA

[22] M. Chotalia affirme que l’article 281 de la LTA confère au ministre le pouvoir de proroger le délai imparti pour déposer ses demandes de remboursement, malgré le libellé de l’alinéa 256.2(7)a) qui fixe ce délai à deux ans.

[23] Le paragraphe 281(1) prévoit ce qui suit :

Prorogation des délais de production

281 (1) Le ministre peut en tout temps proroger, par écrit, le délai de production d’une déclaration ou de communication de renseignements selon la présente partie.

Extension for returns

281 (1) The Minister may at any time extend in writing the time for filing a return, or providing information, under this Part.

[24] La question que je dois trancher est de savoir si le paragraphe 281(1) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de passer outre au texte introductif du paragraphe 256.2(7) intégralement reproduit précédemment :

(7) Un remboursement n’est accordé en vertu du présent article que si, à la fois :

(7) A rebate shall not be paid to a person under this section unless

[25] Il est clair que le paragraphe 281(1) confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai accordé pour déposer une déclaration ou communiquer des renseignements. Toutefois, une demande de remboursement de la TPS qui a déjà été payée correspond‑elle à l’une ou l’autre de ces catégories? Si une demande de remboursement n’est pas une « déclaration » ou une communication de « renseignements » au sens du paragraphe 281(1), cela signifie que ce paragraphe ne s’applique pas en l’espèce.

[26] Le ministre reconnaît que la LTA et la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], ne définissent pas le terme « déclaration ».

(2) Les déclarations, les remboursements et la communication de renseignements

[27] M. Chotalia n’allègue pas directement que les demandes qu’il avait déposées étaient des déclarations. Il affirme plutôt qu’une « déclaration » englobe les « remboursements » et la communication de « renseignements ». Il dit qu’il en est ainsi parce que la définition d’une « déclaration » a toujours été appliquée de façon large dans la LTA et la LIR.

[28] Faisant référence à l’arrêt Bonnybrook Park Industrial Development Co Ltd c Canada (Revenu national), 2018 CAF 136 [Bonnybrook], M. Chotalia affirme que la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une disposition prévoyant une prorogation du délai imparti pour produire une déclaration s’appliquait également à une exigence qui constituait essentiellement une condition. Il note aussi que, dans l’arrêt Bonnybrook, la Cour d’appel a donné des exemples d’autres cas où le ministre avait renoncé au respect de conditions ou d’exigences auxquelles est subordonnée l’obtention de certains avantages au titre de la LIR.

[29] Le ministre répond que l’arrêt Bonnybrook ne portait pas sur une demande de remboursement. Il traitait de la question de savoir si le ministre pouvait proroger le délai accordé pour produire une déclaration de revenus des sociétés.

[30] Le ministre fait également remarquer que M. Chotalia n’a fourni aucune jurisprudence qui donne à entendre qu’une demande de remboursement pourrait être acceptée à titre de « déclaration ».

[31] M. Chotalia suit la forme des arguments avancés dans l’affaire Bonnybrook, dans laquelle le demandeur avait fait valoir qu’il ne contestait pas le fait que le délai imparti pour produire une déclaration de revenus des sociétés avait été dépassé, empêchant ainsi l’octroi d’un remboursement d’impôt partiel. L’argument invoqué était que le ministre avait, en vertu du paragraphe 220(3) de la LIR, le pouvoir de proroger le délai de trois ans qu’imposait le paragraphe 129(1).

[32] Les deux dispositions en question sont les suivantes :

Un remboursement n’est accordé en vertu du présent article que si, à la fois :

129 (1) Lorsque la déclaration de revenu d’une société en vertu de la présente partie pour une année d’imposition est faite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :

a) peut, lors de l’envoi de l’avis de cotisation pour l’année, rembourser, sans que demande en soit faite, une somme (appelée « remboursement au titre de dividendes » dans la présente loi) au titre de dividendes imposables versés par la société sur des actions de son capital‑actions au cours de l’année et à un moment où elle était une société privée, égale au total des sommes suivantes :

[…]

Dividend refund to private corporation

129 (1) Where a return of a corporation’s income under this Part for a taxation year is made within 3 years after the end of the year, the Minister

(a) may, on sending the notice of assessment for the year, refund without application an amount (in this Act referred to as its “dividend refund” for the year) in respect of taxable dividends paid by the corporation on shares of its capital stock in the year, and at a time when it was a private corporation, equal to the total of

[…]

Prorogations de délais pour les déclarations

220(3) Le ministre peut en tout temps proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi.

Extensions for returns

220(3) The Minister may at any time extend the time for making a return under this Act.

[33] La différence factuelle importante entre la situation de M. Chotalia et les circonstances de l’arrêt Bonnybrook est que l’arrêt traite clairement et précisément d’une « déclaration » de revenus. Les paragraphes 129(1) et 220(3) mentionnent tous les deux expressément et uniquement une déclaration. Ces paragraphes abordent la production d’une déclaration et le pouvoir qu’a le ministre de proroger le délai imparti pour déposer une déclaration.

[34] M. Chotalia souhaite assimiler le paragraphe 281(1) de la LTA et le paragraphe 220(3) de la LIR afin que l’arrêt Bonnybrook puisse s’appliquer à ses faits. Je juge que la différence factuelle entre une « déclaration », qui avait été en cause dans l’affaire Bonnybrook, et une « demande » de remboursement, qui est en cause en l’espèce, conjuguée aux différences très claires et précises dans le libellé de chacune des dispositions, m’empêche de conclure qu’elles s’équivalent.

[35] Pour ce motif et comme il est expliqué davantage ci‑dessous, je conclus que l’arrêt Bonnybrook ne peut être appliqué aux faits en l’espèce.

[36] M. Chotalia n’a présenté aucun document de référence à l’appui de sa position selon laquelle remplir une demande de remboursement en fournissant les renseignements prescrits relève de la définition de l’expression « communication de renseignements » telle qu’elle est utilisée au paragraphe 281(1).

[37] De façon plus générale, M. Chotalia prétend que, si la Cour examinait la LTA dans son intégralité, elle pourrait voir qu’il y a diverses dispositions traitant de l’application de la LTA et des pouvoirs considérables que le ministre possède sur les déclarations et les renseignements. Sur ce fondement, il demande à la Cour de conclure qu’il y a une [traduction] « intention du législateur » au paragraphe 281(1).

[38] Jusqu’à présent, il semble qu’aucune décision n’a expressément examiné la question de savoir si l’article 281 conférait le vaste pouvoir discrétionnaire que propose M. Chotalia.

[39] Compte tenu du caractère sommaire du contrôle judiciaire et considérant que la LTA en format de document portable (PDF) compte plus de 1100 pages, je refuse respectueusement l’invitation d’examiner la LTA dans son intégralité afin de trouver des éléments à l’appui de la position de M. Chotalia.

C. Les observations du ministre

[40] Le ministre affirme que, si la conséquence attendue du paragraphe 281(1) était de lui permettre de passer outre à l’alinéa 256.2(7)a), il aurait été plus simple d’ajouter un pouvoir discrétionnaire précis à l’alinéa 256.2(7)a), semblable à celui qui se trouve à l’alinéa 256(3)b) :

Demande de remboursement

(3) Les remboursements prévus au présent article ne sont versés que si le particulier en fait la demande au plus tard :

a) à la date qui suit de deux ans le premier en date des jours suivants :

[…]

(iii) le jour où la construction ou les rénovations majeures de l’immeuble sont achevées en grande partie;

b) à toute date postérieure à celle prévue à l’alinéa a), fixée par le ministre.

(Non souligné dans l’original)

Application for rebate

(3) A rebate under this section in respect of a residential complex shall not be paid to an individual unless the individual files an application for the rebate on or before

(a) the day (in this subsection referred to as the “due date”) that is two years after the earliest of

[…]

(iii) the day on which construction or substantial renovation of the complex is substantially completed; or

(b) any day after the due date that the Minister may allow.

(My emphasis)

[41] Je suis d’accord.

D. Interprétation du paragraphe 281(1) et de l’alinéa 256.2(7)a)

[42] L’article 281 fait partie de la LTA depuis la sanction royale. L’article 256.2, qui comprend le remboursement pour immeubles d’habitation locatifs neufs, avait été introduit à la LTA dans le budget fédéral de 2000 : David M. Sherman, Practitioner’s Goods and Services Tax Annotated 2020, 41e éd., page 663.

[43] Lorsque le Parlement avait ajouté le sous‑alinéa 256.2(7)a)(iii) à la LTA, y compris le libellé impératif « n’est accordé », il l’avait fait en toute connaissance du libellé du paragraphe 281(1). Il est raisonnable de s’attendre à ce que le Parlement, si son intention avait été d’assujettir le paragraphe 256.2(7) au paragraphe 281(1), modifie le paragraphe 281(1) ou ajoute un autre sous‑alinéa comportant un libellé clair et non équivoque comme cela avait été fait à l’alinéa 256(3)b).

[44] Le paragraphe 281(1) est une disposition générale qui confère de larges pouvoirs au ministre. L’alinéa 256.2(7)a) est une disposition particulière insérée afin de traiter d’une question précise.

[45] Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c ConocoPhillips Canada Resources Corp, 2017 CAF 243, la Cour d’appel fédérale avait appliqué ce qu’on appelle la règle de « l’exception implicite ». La juge Woods de la Cour d’appel, qui a aussi rédigé l’arrêt Bonnybrook, a décrit cette règle de la manière suivante :

[47] ConocoPhillips cherche à utiliser la disposition générale de renonciation prévue au paragraphe 220(2.1) de la Loi pour lancer le processus d’opposition sans avoir à se conformer aux conditions législatives qui s’appliquent. Cette application du paragraphe 220(2.1) aurait pour effet de conférer au ministre un pouvoir qui lui est refusé de façon détaillée au paragraphe 166.1(7).

[48] La disposition générale de renonciation ne peut pas être appliquée pour écarter une disposition plus précise. C’est ce que Ruth Sullivan appelle la règle de [traduction] « l’exception implicite » en matière d’interprétation des lois dans son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., aux pages 363 à 367 (Markham : LexisNexis Canada Inc., 2014).

[49] Le principe a été décrit dans James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1984] 1 R.C.S. 614, 84 D.T.C. 6325, à la page 6329, où la Cour a renvoyé à la décision anglaise Pretty v. Solly (1859), 53 E.R. 1032 :

[traduction] Il est de règle que, lorsqu’une même loi comporte une disposition particulière et une disposition générale et que cette dernière, prise dans son sens le plus large, l’emporte sur la première, la disposition particulière doit s’appliquer et la disposition générale doit être interprétée comme ne visant que les autres parties de la loi auxquelles elle peut s’appliquer.

(Non souligné dans l’original)

[46] Bien que je considère cela comme la réponse définitive à l’argument de M. Chotalia, je vais également aborder la jurisprudence antérieure qui avait confirmé diverses dispositions similaires qui se trouvent dans la LTA et qui concernent les délais obligatoires.

E. La jurisprudence antérieure

[47] Il existe une abondante jurisprudence de la Cour canadienne de l’impôt [la CCI] et une certaine jurisprudence de la Cour d’appel fédérale relatives aux diverses dispositions de la LTA qui imposent un délai obligatoire utilisant le même libellé que celui qui figure à l’alinéa 256.2(7)a), mais sans le paragraphe supplémentaire qui se trouve à l’alinéa 256(3)b) et qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de proroger les délais.

[48] Lorsque ces dispositions étaient prises en considération, l’issue démontrait toujours que le ministre, la CCI, notre Cour et la Cour d’appel fédérale n’avaient aucun pouvoir leur permettant de proroger les délais énoncés dans ces paragraphes. Voir, par exemple, Poirier c La Reine, 2019 CCI 8 au para 10.

[49] Suivent des exemples de ces diverses dispositions législatives et de la jurisprudence connexe.

[50] En avril 1997, dans l’arrêt Domjancic c Canada, [1997] GSTC 30 (CAF) [Domjancic], la Cour d’appel fédérale a tranché l’appel d’une décision de la CCI. Les faits étaient très similaires à ceux de M. Chotalia, en ce sens que celui qui avait déposé la demande de remboursement n’était pas au courant de l’échéance du délai de prescription énoncée au paragraphe 256(3) de la LTA avant d’en avoir été avisé. La Cour d’appel fédérale avait cité les dispositions qui figuraient au paragraphe 256(3) à ce moment‑là :

(3) Le remboursement n’est versé que si le particulier en fait la demande dans les deux ans suivant le premier en date des jours suivants []

[51] Le juge Stone, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, avait déclaré dans un arrêt très succinct que la demande de remboursement au titre du paragraphe 256(3) avait été déposée après l’expiration du délai. La Cour d’appel avait tranché le litige en une phrase :

Comme cette Cour n’a évidemment pas compétence pour prolonger le délai fixé au paragraphe 256(3), la demande fondée sur l’article 28 sera rejetée.

[52] Comme je l’ai déjà mentionné, le paragraphe 281(1), tel qu’il est rédigé actuellement, fait partie de la LTA depuis qu’elle a reçu la sanction royale. Le juge Stone aurait été au courant du libellé très précis employé au paragraphe 281(1). C’est peut‑être la raison pour laquelle le mot « évidemment » avait été utilisé dans la conclusion.

[53] Dans la décision Cairns c La Reine, 2001 GSTC 52, la CCI avait examiné un argument concernant le dépôt tardif d’une demande de remboursement de la TPS. Le délai de prescription de deux ans énoncé au paragraphe 261(3) était en cause. Il avait été modifié en 1997 afin de faire passer le délai de quatre ans à deux ans. La CCI avait cité l’arrêt Domjancic pour appuyer la déclaration suivante :

14. Je dois ajouter à ce qui précède qu’aucune disposition de la Loi ne permet au ministre ou encore à la Cour fédérale ou à notre cour de proroger ou de modifier les délais spécifiés dans une disposition législative comme le paragraphe 261(3) ou d’y déroger.

[54] À titre de référence générale, certaines des autres dispositions qui se trouvent dans la partie IX de la LTA et qui contiennent des délais obligatoires sont exposées ci‑dessous.

[55] L’article 252.2 énonce qu’un remboursement prévu à l’article 252 n’est pas effectué à moins que la demande de remboursement n’ait été présentée dans l’année suivant certains faits.

[56] L’article 254.1 comporte les exigences à remplir pour recevoir un remboursement pour habitations neuves. Le paragraphe 254.1(2) prévoit que « [l]e montant remboursable est égal au montant suivant », ce qui est suivi d’une suite de qualificateurs et de la formule permettant de calculer le montant à payer. Le paragraphe (3) comprend la restriction selon laquelle « [l]e montant des remboursements prévus au présent article n’est versé que si le particulier en fait la demande dans les deux ans suivant le jour où la possession de l’immeuble lui est transférée ».

[57] Le même délai de prescription, c’est‑à‑dire « dans les deux ans » suivant un fait donné, figure aussi aux paragraphes 255(3), 256(3), 256.1(2) et 256.2(7).

V. Résumé et conclusion

[58] Je conclus que le fait que le paragraphe 281(1) soit une disposition générale et que l’alinéa 265.2(7)a) soit une disposition particulière répond adéquatement à l’argument de M. Chotalia et explique, comme je l’ai indiqué ci‑dessus, pourquoi cette demande devra être rejetée.

[59] Toutefois, au cas où je me tromperais et afin de répondre aux arguments avancés par les parties, je les ai également passés en revue.

[60] L’argument de M. Chotalia au titre du paragraphe 281(1) est largement fondé sur l’assimilation d’une demande de remboursement de la TPS qu’il a payée à l’achat des logements locatifs à une « déclaration » ou à la « communication de renseignements », soit les deux cas dans lesquels ce paragraphe confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai. Il n’a pas avancé d’argument convaincant pour expliquer pourquoi il en serait ainsi et n’a pas fait référence à la jurisprudence, à un texte ou à un autre document qui pourrait expliquer comment une demande de remboursement peut être intégrée au sens d’un article qui mentionne expressément une « déclaration » et la « communication de renseignements ».

[61] La rédaction législative est plus précise que ne le permet l’argument de M. Chotalia. L’interprétation législative exige que les mots soient lus dans leur contexte et en harmonie avec l’esprit de la LTA. Elle exige également que les mots soient interprétés de façon cohérente dans le contexte d’une loi donnée.

[62] À ce stade, en plus de la jurisprudence antérieure, l’analyse citée précédemment de l’arrêt Cheema est pertinente :

[86] Lorsque, tel que dans la présente affaire, le législateur accorde un remboursement dans un article spécifique pour un motif en matière de politique, il ne formule habituellement pas son intention par un libellé approximatif, et n’oblige pas les juges à un survol tortueux, sinueux et détourné de diverses autres dispositions de la loi pour établir s’il y a lieu d’autoriser le remboursement. Pour comprendre qui peut demander un remboursement et dans quelles circonstances, il nous suffit, normalement, de lire le libellé clair qui accorde le remboursement.

(Non souligné dans l’original)

[63] Le libellé clair de l’alinéa 256.2(7)a) est sans équivoque. Il n’est pas vague, il est limpide et précis. M. Chotalia a présenté sa demande de remboursement avec sept mois de retard. Il n’a pas respecté le délai et n’a pas droit à un remboursement.

[64] Si l’on considère les premiers principes, la rédaction législative concerne l’utilisation de mots précis. Si les rédacteurs législatifs et le Parlement avaient voulu qu’une demande de remboursement soit visée par le paragraphe 281(1), ils auraient pu faire expressément référence à une « demande » en plus d’une « déclaration » et de la « communication de renseignements ». Le Parlement ne l’a pas fait. M. Chotalia a donc effectué un « un survol tortueux, sinueux et détourné » pour tenter de transformer une demande — un mot très précis — en une déclaration, qui est un mot tout aussi précis, mais entièrement différent.

[65] Selon une simple lecture des nombreuses dispositions de la LTA dont le libellé est similaire ou identique à celui de l’alinéa 256.2(7)a), je juge que l’interprétation du paragraphe 281(1) proposée par M. Chotalia ne peut s’harmoniser avec les dispositions précises sur les délais de prescription qui exigent que les demandes de remboursement soient produites dans un délai précis.

[66] L’interprétation de M. Chotalia, selon laquelle le ministre a le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai imparti pour déposer les demandes de remboursement, aurait pour effet d’annuler la disposition non équivoque de l’alinéa 256.2(7)a), qui prévoit un délai de prescription obligatoire de deux ans, ainsi que toutes les dispositions de la LTA libellées de façon similaire.

[67] Dans l’unique cas où le Parlement a décidé de prévoir une exception au délai de dépôt obligatoire, il ne s’est pas appuyé sur le paragraphe 281(1), mais a plutôt modifié le paragraphe 256(3) pour ajouter un alinéa précis, 256(3)b), indiquant clairement que le ministre peut autoriser une date d’échéance différente. Cela n’aurait pas été nécessaire si le paragraphe 281(1) avait conféré au ministre le pouvoir discrétionnaire nécessaire.

[68] Selon les notes techniques du ministère des Finances (novembre 2006), la modification du paragraphe 256(3) [traduction] « reconnaît que des circonstances exceptionnelles peuvent empêcher un propriétaire‑constructeur de produire sa demande de remboursement dans le délai imparti ».

[69] Si le ministre devait proroger le délai en vertu du paragraphe 281(1), il passerait outre à l’impératif législatif clair du paragraphe 256.2(7) qui fait du dépôt de la demande dans un délai donné une condition d’obtention du remboursement. Il ne tiendrait pas compte non plus de la jurisprudence contraignante mentionnée précédemment.

[70] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai accordé à M. Chotalia pour déposer ses demandes de remboursement.

[71] La présente demande sera rejetée.

[72] Aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑79‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée, sans dépens.

  2. Dès maintenant, le nom du défendeur dans l’intitulé est remplacé par « Procureur général du Canada ».

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T‑79‑20

 

INTITULÉ :

NILKANTH CHOTALIA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR ZOOM ENTRE

OTTAWA (ONTARIO) ET EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 OCTOBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Shirish Chotalia

 

Pour le demandeur

 

Alexander Millman

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pundi & Chotalia

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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