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                                                                                                                           Date : 20011101

                                                                                           Dossier : T-1167-01

                                                                     Référence neutre : 2001 CFPI 1185

ENTRE :

                 SYNTEX (U.S.A.) L.L.C., HOFFMANN-LA ROCHE LIMITED,

                               ALLERGAN, INC. et ALLERGAN INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                            et

                                              LE MINISTRE DE LA SANTÉet

                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                         défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN


[1]         Il s'agit d'une requête que la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) a présentée en vue de faire radier la demande de contrôle judiciaire (la demande) que les demanderesses avaient présentée conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction et un jugement déclaratoire pour le motif que la demande ne révèle aucune cause d'action valable, qu'elle est scandaleuse, frivole et vexatoire, qu'elle est redondante et qu'elle consiste un abus de procédure.

[2]         Les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé défendeur de délivrer un avis de conformité (l'AC) à Apotex à l'égard du médicament connu sous le nom d'Apo-Ketorolac pour le motif que cette dernière a signifié un avis d'allégation qui renferme des renseignements [TRADUCTION] « trompeurs et mensongers » .

[3]         Les demanderesses sollicitent également un jugement déclaratoire portant que la défenderesse Apotex doit [TRADUCTION] « se conformer pleinement » au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) pour qu'un avis de conformitépuisse être délivré par le ministre de la Santé défendeur à l'égard de l'Apo-Ketorolac.

[4]         La demande est fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et non sur le Règlement étant donné que le droit des demanderesses de se fonder sur le Règlement est prescrit, le délai de quarante-cinq (45) jours prévu à l'article 6 du Règlement étant expiré.

Position des demanderesses


[5]         Les demanderesses affirment que l'avis d'allégation d'Apotex qui a été signifiéconformément au Règlement renferme [TRADUCTION] « des renseignements trompeurs et mensongers » . L'avis d'allégation est une lettre d'Apotex en date du 28 février 2001, qui dit que l'Apo-Ketorolac ne contient pas l'un des principaux ingrédients du médicament breveté de la demanderesse, visé par les lettres patentes canadiennes no 1328614. Les demanderesses affirment que cela est incompatible avec la présentation de drogue nouvelle qui a été déposée aux États-Unis pour le même médicament.

[6]         Selon la preuve fournie par les demanderesses, les renseignements [TRADUCTION] « trompeurs et mensongers » n'ont été portés à leur attention qu'après l'expiration du délai de quarante-cinq (45) jours prévu au Règlement. Les demanderesses ne sollicitent pas une prorogation de délai en vertu du Règlement puisque, selon la jurisprudence, pareilles prorogations ne sont pas accordées.

Position d'Apotex

[7]         Apotex s'est opposée à cette description de son allégation. Dans une lettre en date du 30 mai 2001, Apotex déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] Nous nous opposons à l'allégation que vous avez faite, à savoir que notre avis d'allégation daté du 28 février 2001 est délibérément trompeur.

Le libellé de notre avis d'allégation est clair. L'avis prévoit expressément que notre « formulation ne contient pas l'élément b) [...] »

[8]         Lorsque la présente requête a été entendue, Apotex a soutenu :

i)           que la position des demanderesses est fondée sur la supposition erronée selon laquelle le médicament canadien est identique au médicament américain; et

ii)          que le dossier ne révèle pas qu'il y a eu [TRADUCTION] « tromperie » ou qu'il existe une incohérence.


Apotex a soutenu qu'il n'est pas nécessaire que le médicament canadien soit identique au médicament américain. Les produits peuvent être différents dans les deux pays. À l'audience, Apotex a réitéré que son médicament canadien ne contiendrait pas [TRADUCTION] l' « élément b) » .

[9]         Apotex soutient que le Règlement prévoit un code complet à l'égard d'une soumission aux fins de la délivrance d'une ordonnance d'interdiction en vertu du Règlement. Conformément au paragraphe 6(1) du Règlement, les demandeurs peuvent demander à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC, mais ce droit doit être exercé dans les quarante-cinq (45) jours qui suivent la signification d'un avis d'allégation. En l'espèce, les demanderesses n'ont pas agi dans ce délai de quarante-cinq jours. Apotex soutient que les demanderesses ne peuvent pas présenter maintenant leur demande d'interdiction conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

Position du ministre de la Santé


[10]       Le ministre de la Santé appuyait Apotex. Il a soutenu que le fait qu'un avis d'allégation est inexact ne veut pas dire qu'un breveté peut éviter le délai imparti par le Règlement en présentant une demande en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction ou un certiorari en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Le ministre affirme que le breveté qui ne sait pas si une présentation de drogue nouvelle contrefait son brevet doit présenter une demande d'interdiction dans un délai de quarante-cinq (45) jours en vertu du Règlement. Le but visé par le Règlement serait inefficace si une partie était autorisée à contester un AC en soutenant qu'il a été obtenu au moyen de faux renseignements.

Analyse du droit

[11]       Dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 170 (C.A.F.), la Cour a statué que le Règlement est un code complet, qu'il reconnaît le droit du breveté d'obtenir une ordonnance d'interdiction et qu'il « l'emporte » sur toute autre loi ou sur tout autre règlement, y compris la Loi sur la Cour fédérale. Toutefois, les demanderesses ont le droit d'un breveté lorsqu'elles engagent des poursuites fondées sur la contrefaçon du brevet ou en vue d'obtenir une injonction interlocutoire, et peut-être également en vue d'obtenir des dommages-intérêts punitifs si Apotex a fait de fausses déclarations à l'égard du médicament pour l'application du Règlement. Dans cette décision, la Cour a statué que la partie qui ne respecte pas un délai prévu au Règlement doit intenter une action ordinaire en contrefaçon de brevet si elle veut protéger ses intérêts.

[13]       Cette décision de la Cour d'appel a été suivie par Monsieur le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) (1997),72 C.P.R. (3d) 453 (C.F. 1re inst.); le juge a dit ce qui suit, à la page 459 :

[...] le Règlement met à la disposition des brevetés pharmaceutiques un moyen extraordinaire de protection contre la contrefaçon qui s'ajoute à l'action en contrefaçon. Si ce n'était du Règlement, le fait qu'un concurrent générique puisse contrefaire un brevet ne conférerait pas au breveté le droit d'empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité, parce qu'un tel avis ne constitue qu'une approbation ministérielle aux fins de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27.


Le juge Rothstein a refusé de délivrer un certiorari annulant un AC fondé sur de faux renseignements. Dans cette affaire-là , la Cour a examiné la question de la possibilité d'accorder un certiorari, qui, comme l'ordonnance d'interdiction, découle d'un contrôle judiciaire.

[14]       Dans la décision Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) (1998), 85 C.P.R. (3d) 50 (C.F. 1re inst.), les demanderesses avaient sollicité une ordonnance d'interdiction à l'égard d'un avis d'allégation qui renfermait de faux renseignements au sujet des ingrédients du médicament. Le juge Rothstein (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, à la page 55 :

Certes, si le chlorhydrate de ticlopidine de Pro Doc atteint le marché, il sera alors possible pour les demanderesses de l'analyser. Si l'on démontrait que ce produit renferme un des acides énumérés dans la revendication no 1, contrairement à ce qu'affirme Pro Doc dans son avis d'allégation, les conséquences pourraient effectivement être très graves pour Pro Doc. Eu égard aux circonstances de l'espèce, qui sont identiques à celles des affaires antérieures portant sur le brevet 170, j'accepte que Pro Doc désire que son avis d'allégation soit exact.

En l'espèce, si la drogue renferme un ingrédient qui, selon l'avis d'allégation d'Apotex, ne devait pas se trouver dans l'Apo-Ketorolac, les demanderesses peuvent intenter une action en contrefaçon de brevet; comme le juge Rothstein l'a dit : « [L]es conséquences pourraient effectivement être très graves. »


[15]       Dans l'arrêt Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (2000), 9 P.R. (4th) 439 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a refusé de délivrer un certiorari annulant un AC en vertu du Règlement parce qu'il existait des incohérences entre l'énoncé détaillé fourni par Apotex dans son avis d'allégation et le contenu de la présentation de drogue nouvelle (la PDN) déposée par Apotex auprès du ministre à l'appui de sa demande d'AC. Dans cette affaire-là , l'appelante avait allégué que l'avis d'allégation était trompeur. Monsieur le juge Evans, qui a prononcé les motifs au nom de la Cour, a dit ce qui suit, à la page 442 :

Il suffit de dire que le certiorari est une mesure de redressement extraordinaire qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Même s'il est possible d'établir que l'acte administratif est vicié en raison d'une erreur, cette réparation ne sera habituellement pas accordée lorsque l'appelant dispose d'un autre recours adéquat.

En l'espèce, l'ordonnance d'interdiction est elle aussi une mesure de redressement extraordinaire. Le juge Evans a ajouté ce qui suit :

Selon nous, même si le Ministre, comme le prétend Lilly, a délivré un ADC alors qu'Apotex n'avait pas signifié un énoncé détaillé complet et exact conformément au Règlement, le juge des requêtes pouvait conclure que Lilly ne peut exercer que les droits et recours prévus par le droit privé qui lui sont offerts en qualité de titulaire d'un brevet.

Dans ce cas-ci, le ministre n'a pas délivré d'avis de conformité et le produit d'Apotex ici en cause n'a pas été commercialisé. S'il est mis en marché, le produit pourra être analysé. S'il est constaté que le produit contient « l'élément b » , les demanderesses pourront intenter une action en contrefaçon de brevet et elles pourront solliciter une injonction et des dommages-intérêts punitifs.


[16]       Dans l'arrêt Eli Lilly, précité, la question de la fraude a été examinée. L'avocate des demanderesses a veillé à ne pas employer le mot [TRADUCTION] « fraude » en décrivant l'avis d'allégation d'Apotex et la présumée incohérence. L'avocate des demanderesses a été interrogée et il est clair que les demanderesses n'allèguent pas qu'il y a eu fraude. La preuve par affidavit et les documents ont été examinés; on ne sait pas trop si la description canadienne et la description américaine du médicament sont cohérentes. Toutefois, il est clair qu'Apotex déclare qu'elle n'a pas l'intention de vendre au Canada le médicament qui contiendrait [TRADUCTION] « l'élément b » . En l'espèce, je n'ai donc pas à déterminer si la Cour a compétence lorsqu'une partie commet une fraude en vue d'obtenir un avis de conformité. Dans l'arrêt Eli Lilly, précité, le juge Evans a statué ce qui suit (page 443, paragraphe 14) :

Nous faisons également remarquer que Lilly n'allègue pas qu'Apotex se soit rendue coupable de fraude ou de tromperie. Une allégation de cette nature, si elle était prouvée, pourrait justifier l'octroi d'un certiorari lorsque la première personne ou le Ministre a été trompé. Or, les faits en l'espèce ne nous autorisent pas à annuler l'ADC pour préserver l'intégrité du régime législatif instauré par le Règlement ou pour remédier à une quelconque injustice que Lilly aurait subie.

[17]       Dans la décision Hoffman-Laroche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206, les demanderesses avaient présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction en vertu du Règlement. Une question semblable à celle qui se pose ici avait été soulevée. Dans cette affaire-là , l'intimée avait allégué qu'elle n'utilisait pas l'un des éléments énumérés dans le brevet. Monsieur le juge Stone, qui a prononcé les motifs au nom de la Cour, a dit ce qui suit (page 213) :

Néanmoins, je suis convaincu que cette allégation doit être exacte. Une fois que le produit d'une deuxième personne atteint le marché, la première personne est en mesure de vérifier l'exactitude de l'énoncé détaillé; si celui-ci devait s'avérer inexact, les conséquences pourraient effectivement être très graves pour la deuxième personne.

Conclusion


[18]       Les différentes affaires indiquent l'existence d'une tendance, le breveté alléguant que la présentation de drogue nouvelle du fabricant des médicaments génériques renferme des renseignements inexacts ou trompeurs. La Cour d'appel fédérale a statué à maintes reprises qu'un breveté est en mesure de vérifier l'exactitude des énoncés d'un fabricant de médicaments génériques à l'égard de la drogue une fois que le produit a atteint le marché et que, si ces énoncés s'avèrent inexacts, les conséquences pour le fabricant de produits génériques « pourraient effectivement être très graves » . Le breveté peut intenter une action en contrefaçon de brevet fondée sur la common law, et il peut en pareil cas solliciter une injonction et des dommages-intérêts punitifs.

[19]       La jurisprudence établit que les demandes fondées sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale visant à l'obtention d'une ordonnance d'interdiction ou d'un jugement déclaratoire ne peuvent pas normalement être présentées à l'égard d'un avis d'allégation signifié en vertu du Règlement. Quoi qu'il en soit, une demande visant à l'obtention d'un jugement déclaratoire portant qu'une partie doit observer la loi est redondante et inutile. Il n'existe pas de demande visant à l'obtention d'un jugement déclaratoire portant qu'une partie doit observer la loi.

Requête en radiation

[20]       Il n'existe pas de règles de la Cour fédérale se rapportant aux requêtes visant la radiation de demandes de contrôle judiciaire. Dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada Inc.) c. Pharmacia Inc. [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), la Cour a statué qu'elle avait une compétence inhérente :


[...] pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.

[21]       En l'espèce, je suis convaincu que la demande que les demanderesses ont présentée en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction et un jugement déclaratoire n'a aucune chance d'être accueillie. Le breveté qui ne sait pas si l'avis d'allégation décrit une drogue nouvelle ou s'il décrit une drogue nouvelle d'une façon suffisamment détaillée pour qu'il soit possible de déterminer si le brevet sera contrefait, doit, en vertu de l'article 6 du Règlement, intenter une action dans un délai de quarante-cinq (45) jours s'il veut protéger ses droits. Le breveté doit ensuite attendre que la drogue nouvelle soit commercialisée et analyser la drogue nouvelle; il intente ensuite l'action en contrefaçon appropriée si la drogue nouvelle viole effectivement son brevet. Si le fabricant de médicaments génériques a fait une fausse déclaration au sujet de la drogue nouvelle dans un avis d'allégation signifié en vertu du Règlement, le breveté a une cause d'action. Le but du Règlement est de prévoir une procédure rapide à l'égard des drogues nouvelles, tout en protégeant les droits des brevetés. Si une question se pose après l'expiration des délais prévus par le Règlement, le breveté doit se prévaloir des droits qu'il possède en common law.


                                                                     ORDONNANCE

[22]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est radiée puisqu'elle n'a aucune chance d'être accueillie et qu'elle constitue un abus de procédure. La requête en radiation est accueillie avec dépens.

            « Michael A. Kelen »         

             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 1er NOVEMBRE 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1167-01

INTITULÉ :                                             Syntex (U.S.A.) L.L.C., Hoffman-La Roche Limited

Allergan, Inc. et Allergan Inc.

c.

Le ministre de la Santé et Apotex Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    les 20 septembre et 9 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              Monsieur le juge Kelen

DATE DES MOTIFS :             le 1er novembre 2001

COMPARUTIONS :

Mme Hélène D'Iorio (514) 392-9564

Mme Florence Lucas (514) 392-9564

POUR LES DEMANDERESSES

M. Andrew Brodkin (416) 979-2211 (pour la défenderesse Apotex)

M. F.B. Woyiwada (613) 941-2353 (pour le ministre de la Santé défendeur)

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Hélène D'Iorio (514) 392-9564

POUR LES DEMANDERESSES

M. Andrew Brodkin (416) 979-2211 (pour la défenderesse Apotex)

M. F.B. Woyiwada (613) 941-2353 (pour le ministre de la Santé défendeur)

POUR LES DÉFENDERESSES

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