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Date : 20210326


Dossier : IMM-7411-19

Référence : 2021 CF 266

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ADEBISI ANDEKUNYIN SUNDAY

(alias ADEBISI ANDEKUN SUNDAY)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Vue d’ensemble

[1] Le 8 novembre 2019, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel interjeté par M. Adebisi Andekunyin Sunday [M. Sunday] de la décision datée du 14 juin 2019 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait rejeté sa demande d’asile. La SPR et la SAR ont toutes les deux conclu que M. Sunday disposait d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Lagos, au Nigéria.

[2] M. Sunday conteste la conclusion tirée par la SAR au sujet de l’existence d’une PRI viable à Lagos et le refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve.

[3] En résumé, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de la SAR, tant en ce qui a trait à l’admission des nouveaux éléments de preuve qu’à sa conclusion que M. Sunday disposait d’une PRI viable à Lagos. M. Sunday demande essentiellement à la Cour de réévaluer la preuve, ce que la Cour n’est pas disposée à faire.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter la demande.

II. Les faits

[5] M. Sunday est un citoyen nigérian qui professe la foi chrétienne. Il affirme que des pasteurs fulani [les pasteurs], un groupe de nomades et semi-nomades de confession musulmane s’adonnant principalement à l’élevage du bétail, ont attaqué à plusieurs reprises son village agricole en revendiquant des droits de pâturage sur les terres. Il déclare que l’attaque la plus récente remonte au 19 avril 2018, alors qu’il se trouvait aux États-Unis pour assister à une conférence. M. Sunday ajoute qu’au cours de cette attaque, les pasteurs auraient complètement détruit son village, déplacé sa famille et assassiné son oncle et un ami proche.

[6] M. Sunday soutient qu’il est exposé à un risque parce qu’il est au nombre des villageois qui ont signalé à la police les attaques perpétrées par les pasteurs et que la police s’est par la suite avérée impuissante à empêcher d’autres attaques. Il affirme qu’il est également exposé à un risque accru de la part des pasteurs et de Boko Haram en raison de sa foi chrétienne.

[7] La SPR a rejeté la prétention de M. Sunday au motif qu’il disposait d’une PRI viable à Lagos. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR.

[8] En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve que M. Sunday tentait de présenter, la SAR a jugé (1) que certains étaient admissibles, (2) que d’autres n’étaient pas admissibles parce qu’ils ne satisfaisaient pas aux conditions explicites du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et (3) que, même s’ils satisfaisaient aux conditions explicites de ce paragraphe, certains autres éléments de preuve ne respectaient pas les conditions implicites d’admissibilité — en l’espèce, la question de la crédibilité — énoncées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2007 CAF 385 [Raza].

[9] Enfin, la SAR a refusé la demande d’audience de M. Sunday, après avoir conclu que les nouveaux documents qui avaient été admis en preuve ne soulevaient pas de question importante en ce qui concerne la crédibilité de M. Sunday.

III. Norme de contrôle

[10] Les questions en litige sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 et 83; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 23 [Singh]).

IV. Analyse

A. La SAR a-t-elle déraisonnablement refusé d’examiner les nouveaux éléments de preuve?

[11] Voici les nouveaux éléments de preuve que M. Sunday souhaitait présenter :

  • 1) un affidavit souscrit par le cousin de M. Sunday auquel étaient joints une lettre de menace et un rapport de police;

  • 2) un avis juridique d’un avocat nigérian;

  • 3) une série d’articles de journaux et d’articles en ligne;

  • 4) une enveloppe DHL.

[12] Le paragraphe 110(4) de la LIPR permet au demandeur de présenter à la SAR de nouveaux éléments de preuve dans certaines circonstances bien précises :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

 

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

 

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that rose alter the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[13] Si les nouveaux éléments de preuve proposés satisfont aux conditions explicites du paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR doit procéder à l’analyse énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza conformément à la reformulation que la Cour en a donnée dans l’arrêt Singh pour déterminer l’admissibilité de ces nouveaux éléments de preuve, lesquels doivent également satisfaire aux conditions implicites d’admissibilité énoncées par la juge Sharlow dans l’arrêt Raza (Singh, au para 44).

B. L’affidavit du cousin de M. Sunday, avec, en pièces jointes, une lettre de menace et un rapport de police

[14] M. Sunday a cherché à déposer devant la SAR un affidavit souscrit le 17 juin 2019, soit trois jours avant le rejet de sa demande par la SPR, par son cousin qui vit au Nigéria et qui affirmait que, le 12 juin 2019, une lettre manuscrite de menace avait été remise au chef de la communauté d’origine de M. Sunday à Rufu. M. Sunday a également tenté de soumettre un rapport de police daté du 15 juillet 2019, qui était censé exposer en détail la plainte faite à la police par le cousin de M. Sunday concernant la lettre de menace.

[15] La SAR a conclu que les documents respectaient les conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR; elle a toutefois refusé d’examiner ces trois documents parce qu’ils n’étaient pas suffisamment crédibles selon elle. La SAR a expressément cité le critère de la crédibilité énoncé dans l’arrêt Raza et confirmé dans l’arrêt Singh : « Les preuves sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer » (Raza, au para 13; Singh, au para 38).

[16] Pour conclure que les documents n’étaient pas admissibles, la SAR a exposé en détail ses doutes quant à la crédibilité de ces documents, et notamment les préoccupations suivantes :

  1. l’affidavit n’était accompagné d’aucune pièce d’identité qui aurait contribué à corroborer l’identité du cousin de M. Sunday;

  2. il n’y avait aucune explication quant à la façon dont le cousin de M. Sunday avait pu obtenir la lettre de menace alors qu’elle ne lui était pas adressée, ni quant à la façon dont le cousin avait appris l’existence de la lettre et comment M. Sunday avait pu communiquer avec son cousin;

  3. le moment où l’affidavit et la lettre de menace ont été produits était suspect étant donné qu’il était très rapproché — quelques jours à peine — du rejet de la demande d’asile de M. Sunday par la SPR, d’autant plus que la lettre de menace, qui indiquait que les pasteurs avaient l’intention de retrouver M. Sunday et de s’en prendre à lui [traduction] « partout au pays », semblait être une réponse directe à la question déterminante de la PRI pour laquelle la demande d’asile de M. Sunday avait été rejetée;

  4. la lettre de menace était adressée aux [traduction] « habitants du village de Rufu », mais rien ne permettait de savoir qui l’avait réellement envoyée, et encore moins d’affirmer qu’elle provenait des pasteurs. En outre, même si M. Sunday avait déclaré qu’il n’était pas le seul à avoir signalé à la police les attaques des pasteurs, la SAR a jugé qu’il était « très suspect » que le nom de M. Sunday soit le seul nom mentionné dans la lettre de menace, laquelle était simplement apparue quelques jours après le rejet de la demande d’asile par la SPR;

  5. la preuve documentaire objective confirmait la prolifération généralisée de documents frauduleux au Nigéria, et notamment le fait que les affidavits sont « très souvent falsifiés » au Nigéria.

[17] Je rejette l’argument de M. Sunday suivant lequel la SAR s’est fondée sur un [traduction] « examen à la loupe des questions en litige » et des [traduction] « inférences hypothétiques » pour parvenir à sa décision. J’estime que la SAR a amplement motivé les préoccupations qu’elle avait au sujet de la crédibilité.

[18] M. Sunday cite une décision rendue par notre Cour, Warsame c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 118 [Warsame], à l’appui de son argument selon lequel la SAR s’attendait de façon déraisonnable à ce que l’affidavit de son cousin aborde toutes les questions particulières liées à sa demande (Warsame, aux para 16-18).

[19] J’accepte l’argument voulant que les affidavits doivent être examinés en fonction de ce qui y est déclaré, et non en fonction de ce qui n’y est pas déclaré (Warsame, au para 16; Teganya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 42 au para 25 [Teganya]). Ce ne sont pas toutefois seulement les lacunes de la preuve qui ont amené la SAR à conclure que l’affidavit du cousin de M. Sunday était déficient. La SAR a examiné la preuve dans son ensemble, y compris l’affidavit, la lettre de menace qui y était annexée, le rapport de police, les éléments de preuve objectifs, ainsi que les circonstances pour conclure que les documents n’étaient pas crédibles; de toute évidence, l’analyse à laquelle a procédé la SAR était conforme à la démarche proposée par le juge Hughes dans la décision Teganya : « [i]l faut considérer la preuve dans son ensemble » (Teganya, au para 25; Warsame, au para 18).

[20] M. Sunday soutient également qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de remettre en question l’identité de l’auteur de l’affidavit simplement parce qu’il n’avait pas produit de pièces d’identité, d’autant plus que, dans son affidavit, M. Sunday déclarait que l’auteur de l’affidavit était effectivement son cousin et que le dossier ne renfermait aucun élément de preuve qui contredisait cette affirmation (Ouya c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2017 CF 55 au para 17).

[21] J’accepte l’argument voulant que rien n’oblige une personne à joindre une pièce d’identité à un affidavit. Toutefois, après examen de la décision de la SAR, et en particulier de la crédibilité de la lettre de menace et du rapport de police sous-jacents, je ne suis pas convaincu que la question de la non-production d’une pièce d’identité du cousin de M. Sunday a joué un rôle déterminant dans la décision globale de la SAR.

[22] M. Sunday soutient également qu’il était déraisonnable de conclure que le fait qu’aucun nom à part le sien ne figurait dans la lettre de menace signifiait que ce document était frauduleux. Il ajoute qu’il lui est impossible de savoir pourquoi son nom était expressément mentionné dans la lettre alors que d’autres villageois avaient également signalé les attaques à la police; il affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SAR de lui demander de fournir des explications à ce sujet (Kong c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 101 au para 11 [Kong]. En d’autres termes, M. Sunday fait valoir qu’il était déraisonnable de lui poser des questions sur des faits qu’il ne pouvait manifestement pas connaître.

[23] Je ne vois pas en quoi la décision Kong est utile pour M. Sunday. Dans cette décision, la juge Reed a conclu qu’il était déraisonnable de tirer une forte conclusion défavorable quant à la crédibilité à partir d’une question sur laquelle le demandeur ne pouvait qu’émettre des hypothèses (Kong, aux para 10-11). En l’espèce, la crédibilité de M. Sunday n’était pas en cause. Certes, on ne pouvait s’attendre à ce qu’il sache ce que les pasteurs avaient en tête lorsqu’ils ont écrit la lettre de menace, mais là n’est pas la question étant donné que la SAR ne s’attendait pas à ce qu’il soit au courant. En l’espèce, le fait que seul le nom de M. Sunday est mentionné dans la lettre n’est qu’un des nombreux autres facteurs qui permettaient de s’interroger sur l’authenticité de la lettre. Après avoir moi-même examiné la lettre de menace, je peux certainement comprendre pourquoi la SAR avait de sérieux doutes quant à sa crédibilité.

[24] M. Sunday affirme ensuite que la SAR ne devrait conclure à l’invraisemblance des nouveaux éléments de preuve que dans les cas les plus évidents, et que les doutes déraisonnables exprimés par la SAR relevaient de la conjecture et ne devraient pas être confirmés (Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2018 CF 170 aux para 7-8, 11 [Mohamud]).

[25] Dans l’affaire Mohamud, la SPR avait conclu qu’un document était frauduleux en raison d’une erreur typographique mineure. Notre Cour a estimé que cette raison était insuffisante et a conclu que la décision de la SPR était déraisonnable (Mohamud, aux para 6-8). En l’espèce, nous sommes à mille lieues d’une simple erreur typographique. Comme nous l’avons déjà mentionné, les nouveaux éléments de preuve soulèvent plusieurs préoccupations et, même en tenant compte du fait que « [l]es conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents, et doivent tenir compte des réalités du contexte culturel du demandeur » (Mohamud, au para 8), force m’est de conclure que la conclusion rendue en l’espèce par la SAR n’était pas déraisonnable.

[26] M. Sunday fait valoir que le fait que l’existence de documents frauduleux est très répandue dans un pays ne signifie pas que chaque document provenant de ce pays est un faux, ajoutant que les documents délivrés par des autorités étrangères sont présumés valides (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133; Jacques c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 423; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration)), 2015 CF 814 aux para 30-31).

[27] Je suis d’accord avec M. Sunday pour dire que la SAR ne devrait pas présumer que chaque document provenant du Nigéria est frauduleux simplement parce qu’il existe des éléments de preuve objectifs suivant lesquels la fraude documentaire est très répandue dans ce pays. Ce n’est cependant pas ce que la SAR a fait en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, la SAR a fait preuve de plus de vigilance pour analyser des documents provenant d’un pays où, selon la preuve documentaire objective, les documents frauduleux sont plus fréquents. Cette vigilance accrue n’a aucune incidence sur la présomption de validité des documents émanant d’autorités étrangères. La preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays ne signifie pas, à elle seule, que tous les documents provenant de ce pays sont des faux, mais elle démontre que M. Sunday pouvait se procurer de faux documents (Cheema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224 aux para 7-8).

[28] En définitive, la SAR a conclu ce qui suit :

Pour les motifs qui précèdent, lesquels tiennent compte des sources, de la preuve documentaire, des circonstances dans lesquelles les éléments de preuve sont apparus et des préoccupations quant à l’authenticité des éléments de preuve, la SAR conclut que l’affidavit, le rapport de police et la note de menace ne sont pas crédibles et ne sont pas admissibles à titre de nouveaux éléments de preuve.

[29] Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

C. Avis juridiques de l’avocat nigérian

[30] M. Sunday cherchait à faire admettre en preuve un avis juridique qui était selon lui pertinent, car il avait trait à « la menace relative aux activités des pasteurs fulani, à leurs plans de prendre le contrôle du Sud-Ouest et à la crainte accrue d’insécurité dans le Sud‑Ouest, où se trouve Lagos, en raison des attaques des pasteurs fulani ».

[31] La SAR a conclu que « malgré la date de la correspondance, le contenu porte principalement sur des événements antérieurs à la demande d’asile ou à l’argument relatif au rejet de la demande d’asile de l’appelant », de sorte que l’avis juridique ne satisfaisait pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[32] M. Sunday fait valoir qu’il ne pouvait savoir que la ville proposée comme PRI serait Lagos et qu’il était par conséquent déraisonnable d’écarter l’avis juridique en question au motif qu’il aurait pu être obtenu avant l’audience de la SPR.

[33] Je ne puis être d’accord avec M. Sunday. La détermination de la PRI fait régulièrement partie de l’examen des demandes d’asile, de sorte que M. Sunday aurait dû être prêt à traiter de la question lors de son audience devant la SPR. En outre, on ne peut se servir du paragraphe 110(4) de la LIPR pour compléter un dossier autrement incomplet (Singh, au para 54).

[34] Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion tirée par la SAR sur cette question.

D. Articles de presse

[35] La SAR a admis en preuve certains nouveaux articles parce qu’ils étaient postérieurs à la décision de la SPR et qu’ils étaient pertinents quant à la demande d’asile de M. Sunday. Elle a toutefois refusé d’admettre d’autres articles parce qu’ils étaient antérieurs à la décision de la SPR et que M. Sunday pouvait facilement y accéder.

[36] M. Sunday soutient que les articles que la SAR a refusé d’admettre en preuve sont très pertinents étant donné qu’ils ont trait [traduction] « aux questions essentielles des activités des pasteurs fulani dans la région du Sud-Ouest et du Yorubaland, où se trouve Lagos ». De plus, ils sont pertinents parce qu’ils parlent de l’utilisation que les pasteurs font des médias sociaux.

[37] M. Sunday ne m’a pas convaincu sur ce point, et je ne trouve rien de déraisonnable dans la décision de la SAR en ce qui a trait aux articles de presse. Les articles qui n’ont pas été admis en preuve ne satisfont tout simplement pas aux conditions d’admissibilité du paragraphe 110(4) de la LIPR, de sorte que la SAR n’avait pas à déterminer s’ils étaient pertinents à l’égard de la demande d’asile de M. Sunday.

E. Enveloppe DHL

[38] M. Sunday n’a pas formulé d’observations au sujet de l’enveloppe DHL dans laquelle se seraient trouvés les documents que M. Sunday a reçus de son cousin. La SAR a refusé d’admettre cette enveloppe parce que M. Sunday n’avait pas réussi à démontrer qu’elle satisfaisait aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et qu’elle avait une quelconque pertinence relativement à sa demande d’asile.

[39] Là encore, je ne vois rien de déraisonnable dans la décision rendue par la SAR sur cette question.

F. La décision de la SAR de ne pas tenir d’audience était-elle raisonnable?

[40] M. Sunday affirme qu’on aurait dû lui accorder la possibilité de se faire entendre dans le cadre d’une audience parce que les [traduction] « préoccupations [de la SAR] quant à l’authenticité des documents […] étaient essentielles pour trancher [sa] demande ».

[41] La SAR peut tenir une audience dans les circonstances suivantes que prévoit le paragraphe 110(6) de la LIPR :

Audience

Hearing

 

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

 

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

 

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

 

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

 

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[42] M. Sunday confond, d’une part, la conclusion selon laquelle le nouveau document proposé n’est pas crédible et ne satisfait donc pas aux conditions d’admissibilité implicites énoncées dans les arrêts que Raza et Singh avec, d’autre part, la conclusion selon laquelle le document constitue un élément de preuve qui soulève une question importante en ce qui concerne la crédibilité. À mon avis, l’un ne découle pas nécessairement de l’autre.

[43] M. Sunday ne m’a pas convaincu que la conclusion de la SAR suivant laquelle l’affidavit, la lettre de menace et le rapport de police ne respectaient pas le critère implicite d’admissibilité remet nécessairement en cause sa propre crédibilité, question qui a été tranchée par la SPR. Dans le cas qui nous occupe, tout en considérant qu’il était crédible, la SPR a néanmoins conclu que M. Sunday disposait tout simplement d’une PRI viable à Lagos.

[44] La conclusion de la SAR suivant laquelle les nouveaux éléments de preuve que M. Sunday cherchait à présenter manquaient de crédibilité ne remet pas nécessairement en cause la conclusion antérieure de la SPR suivant laquelle M. Sunday était crédible. La SAR n’a d’ailleurs pas non plus conclu que les allégations de persécution de M. Sunday n’étaient pas crédibles. Si tel était le cas, il y aurait invariablement une audience chaque fois que la SAR refuserait d’admettre en preuve de nouveaux éléments de preuve au motif qu’ils ne sont pas crédibles. Il ne saurait en être ainsi.

[45] En ce qui concerne les articles de presse qui ont été admis en tant que nouveaux éléments de preuve, la SAR a simplement conclu qu’ils ne soulevaient pas de question importante quant à la crédibilité de M. Sunday.

[46] Dans l’ensemble, je ne décèle rien de déraisonnable dans la décision de la SAR en ce qui concerne la demande d’audience de M. Sunday.

G. La conclusion de la SAR suivant laquelle M. Sunday disposait d’une PRI à Lagos était‑elle raisonnable?

[47] Le critère à deux volets appliqué pour déterminer l’existence d’une PRI a récemment été énoncé par le juge McHaffie dans la décision Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 :

[8] Pour établir s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que (1) le demandeur ne sera pas exposé à la persécution (selon une norme de la « possibilité sérieuse ») ou à un danger ou un risque au titre de l’article 97 (selon une norme du « plus probable que le contraire ») dans la PRI proposée; et (2) en toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, les conditions dans la PRI sont telles qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge : Thirunavukkarasu, aux pages 595 à 597; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643, aux para 10‑12.

[9] Les deux « volets » du critère doivent être remplis pour appuyer la conclusion qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable. Le seuil du deuxième volet du critère de la PRI est élevé. Il faut « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 (CAF), au para 15. Lorsque l’existence d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur de démontrer qu’elle n’est pas viable : Thirunavukkarasu, aux pages 594 et 595.

(1) Premier volet du critère relatif à la PRI

[48] La SAR a conclu que la recherche de pâturages pour le bétail était ce qui préoccupait les pasteurs et que les affrontements, même s’ils étaient nombreux, découlaient du « besoin réel ou perçu de se protéger ou de protéger son gagne-pain ». La SAR a par conséquent conclu que les pasteurs n’avaient aucun intérêt actuel ou futur dans la ville de Lagos. De fait, il n’existait aucune preuve d’attaque commise par les pasteurs dans la ville de Lagos. À titre d’exemple, la SAR a cité un rapport d’Amnesty International qui indiquait qu’aucun décès à Lagos n’avait été attribué aux pasteurs entre janvier 2016 et octobre 2018. De plus, la SAR s’est dite d’avis que la structure de l’organisation Boko Haram permettait de douter qu’elle aurait les moyens ou la volonté de retrouver quelqu’un ayant le profil de M. Sunday dans une ville aussi grande que Lagos.

[49] Au final, la SAR a conclu que ni les pasteurs ni Boko Haram n’avaient les ressources ou les capacités nécessaires pour retrouver quelqu’un comme M. Sunday si ce dernier devait se retrouver à Lagos.

[50] M. Sunday allègue que la SAR a accordé trop d’importance au cartable national de documentation (CND) par rapport aux articles de presse qu’il avait soumis en preuve. Il souligne également qu’il y avait des éléments de preuve objectifs suivant lesquels les activités des pasteurs s’étendaient jusqu’à la région du Sud-Ouest où se trouve Lagos, et que les pasteurs étaient devenus l’un des groupes les plus meurtriers au Nigéria et dans certaines régions d’Afrique centrale.

[51] Enfin, M. Sunday fait valoir, sans citer de jurisprudence, qu’on ne peut l’obliger à fournir une preuve irréfutable de la façon dont les agents de persécution réussiraient à le localiser à Lagos.

[52] Je constate que M. Sunday ne traite pas du caractère raisonnable de la conclusion de la SAR suivant laquelle il n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il serait exposé à un risque dans la ville de Lagos.

[53] Notre Cour ne peut soupeser de nouveau les éléments de preuve examinés par la SAR. Le simple fait que la SAR a accordé plus d’importance au CND qu’aux articles de presse ne constitue pas en soi un motif suffisant pour annuler sa décision. M. Sunday n’explique pas pourquoi le fait que la SAR s’est davantage fiée à des éléments de preuve objectifs serait déraisonnable dans les circonstances. Il n’explique pas pour quelle raison, par exemple, certains des renseignements contenus dans le CND qui concerneraient sa demande ne seraient plus à jour.

[54] Le fait que les agents de persécution se trouvent dans la même région que la ville où se trouve la PRI ne signifie pas qu’ils auront les moyens ou la volonté de se rendre jusqu’à l’intérieur de cette ville. Il y a une grande différence entre une présence régionale et une présence urbaine, surtout dans le cas de nomades intéressés principalement à trouver des pâturages pour leur bétail.

[55] Je ne suis pas d’accord avec M. Sunday pour dire que la SAR n’a pas tenu compte de la situation générale du pays. En fait, la SAR a procédé à une analyse détaillée de la présence des pasteurs dans le pays avant de conclure que leur présence à Lagos était très limitée, voire inexistante, et qu’ils n’avaient pas les moyens ou la volonté de retrouver une personne ayant le profil de M. Sunday.

[56] En résumé, M. Sunday n’a pas présenté de preuves démontrant que les pasteurs avaient une présence à Lagos ou qu’ils auraient les moyens ou la volonté de le retracer dans la ville proposée comme PRI. En dernière analyse, M. Sunday n’a tout simplement pas établi le bien‑fondé de ses prétentions.

(2) Second volet du critère relatif à la PRI

[57] Devant la SPR et la SAR, M. Sunday a évoqué certains des problèmes que lui posait le fait de vivre à Lagos, tels que son identité autochtone et son origine ethnique, mais les deux tribunaux ont conclu que ces difficultés n’étaient pas suffisamment graves pour que l’on considère qu’il subirait un préjudice indu dans les circonstances dans la ville proposée comme PRI.

[58] M. Sunday a également soutenu qu’il subirait un préjudice indu dans la ville désignée comme PRI en raison du taux de chômage, de l’itinérance, de la violence, du coût élevé du logement, du taux élevé de criminalité, de l’impossibilité d’y travailler dans le domaine de l’agriculture, du manque de soins médicaux et de santé mentale et des affrontements ethniques et religieux.

[59] Les difficultés évoquées par M. Sunday étaient d’ordre général, mais aucune preuve n’a été présentée pour expliquer la façon dont ces problèmes affecteraient précisément M. Sunday. En fin de compte, la SAR a convenu avec la SPR que, malgré les difficultés auxquelles M. Sunday pourrait être confronté à Lagos, il ne serait pas déraisonnable qu’il y déménage. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[60] M. Sunday a fait des études universitaires, ce qui, aux yeux de la SAR, constituait un atout qui lui faciliterait la recherche d’emploi à Lagos. De plus, le fait que M. Sunday est un chrétien ne constituait pas un obstacle, étant donné que 40 p. 100 de la population du Nigéria est chrétienne et que la situation des chrétiens à Lagos est « normale ».

[61] La SAR a également fait observer que Lagos est dotée d’un aéroport international et que M. Sunday parle et comprend l’anglais. Même si les conditions en matière de sécurité au Nigéria sont difficiles, ces difficultés concernaient plus particulièrement d’autres régions que celle de Lagos et M. Sunday ne possède pas le profil qui l’exposerait à un risque accru, même en tenant compte de son identité autochtone.

[62] Suivant la SAR, le manque d’établissements de santé mentale au Nigéria ne rendait pas la PRI déraisonnable, d’autant plus que rien n’indique que M. Sunday souffre de problèmes de santé mentale. On est par conséquent en droit de se demander pourquoi cette question été soulevée.

[63] Enfin, la SAR établit une distinction entre l’analyse de la PRI et les motifs d’ordre humanitaire. Le fait que M. Sunday se porterait mieux sur le plan affectif au Canada que dans un endroit sûr de son propre pays n’est pas un facteur à considérer dans le cadre de l’analyse de la PRI. Les difficultés liées aux déplacements et à la réinstallation ne constituent pas le genre de préjudice indu qui rend une PRI déraisonnable. Je dois donner raison à la SAR sur ce point.

[64] M. Sunday affirme que la discrimination dont sont victimes les minorités ethniques partout au Nigéria, ainsi que le coût de la vie, la difficulté de trouver un emploi et le manque d’accès aux soins médicaux à Lagos rendent la PRI déraisonnable. M. Sunday me demande essentiellement de réévaluer la preuve à la lumière des mêmes arguments que ceux qu’il a présentés devant la SAR, sans expliquer en quoi la décision de la SAR est déraisonnable. Il reprend essentiellement les mêmes arguments que ceux qu’il a fait valoir devant la SAR. M. Sunday doit démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable, ce qu’il n’a pas fait.

[65] Dans l’ensemble, la décision de la SAR ne m’apparaît pas déraisonnable. La SAR a examiné en détail chacun des arguments de M. Sunday et a conclu qu’aucun d’entre eux n’était suffisamment solide pour satisfaire au critère exigeant permettant d’établir que la PRI n’était pas viable. M. Sunday n’a pas fourni une « une preuve réelle et concrète de l’existence » de conditions qui compromettraient sa vie et sa sécurité.

V. Dispositif

[66] Dans l’ensemble, on ne m’a pas convaincu que la décision de la SAR était entachée d’une irrégularité. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-7411-19

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé de la cause est modifié pour désigner comme il se doit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7411-19

 

INTITULÉ :

ADEBISI ANDEKUNYIN SUNDAY

(alias ADEBISI ANDEKUN SUNDAY) c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VOIE DE vidÉoconfÉrence ENTRE montrÉal (quÉbec) ET Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 26 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Dotun Davies

POUR LE demandeur

Gregory George

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarke Attorneys LLP

North York (Ontario)

 

POUR LE demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

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