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Date : 20210303


Dossier : IMM‑705‑21

Référence : 2021 CF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Fredericton (Nouveau‑Brunswick), le 3 mars 2021

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ATTILA TIBOR LAKATOS

AGNES HORVATH

ATTILA LAKATOS

NIKOLASZ KRISZTIAN LAKATOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La présente requête est présentée par la famille demanderesse en vue d’obtenir une ordonnance sursoyant à son renvoi en Hongrie jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant le renvoi (ERAR) reçue le 18 janvier 2021. L’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs ne seraient exposés à aucun risque s’ils retournaient en Hongrie.

[2] Le renvoi du Canada des demandeurs est prévu pour le 5 mars 2021.

[3] La présente requête a été instruite par vidéoconférence le 2 mars 2021.

[4] Attila Tibor Lakatos, son épouse, Agnes Horvath, et leurs deux jeunes enfants sont des citoyens hongrois d’origine ethnique rome. En 2015, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile. L’appel qu’ils ont interjeté devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a été rejeté. La question déterminante, tant pour la SPR que pour la SAR, était celle de la crédibilité. Notre Cour a également rejeté leur demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR dans le jugement Lakatos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 1061.

[5] En décembre 2018, la famille demanderesse a été renvoyée du Canada en Hongrie.

[6] Le 22 novembre 2019, les demandeurs sont revenus au Canada. Les demandeurs étaient inadmissibles à présenter une autre demande d’asile. Comme les demandeurs n’avaient pas obtenu l’autorisation de revenir au Canada, un rapport d’interdiction de territoire a été établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[7] Comme les demandeurs étaient visés par une mesure de renvoi exécutoire, ils pouvaient demander une protection au moyen du processus d’examen des risques avant le renvoi (ERAR). Les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR en janvier 2020 et ont déposé des observations supplémentaires en février et en septembre 2020.

[8] Les demandeurs ont reçu le 18 janvier 2021 la décision relative à l’ERAR par laquelle l’agent concluait qu’ils ne seraient pas exposés à un risque s’ils devaient retourner en Hongrie. Un ordre de se présenter a été signifié aux demandeurs le 21 janvier 2021. Il précisait les arrangements de vol pour leur retour à Budapest, en Hongrie, le 5 mars 2021.

[9] Les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR.

[10] À l’appui de la présente requête en sursis de leur renvoi du Canada, les demandeurs affirment qu’ils seraient exposés à un risque en Hongrie en raison de leur origine ethnique rome et de la pandémie de COVID‑19.

Analyse

[11] Dans le cas d’une requête en sursis d’un renvoi, les demandeurs doivent satisfaire au critère à trois volets énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c Canada (MEI), [1988] ACF no 587 (QL) (CA) [Toth], qu’on peut résumer comme suit :

  1. les demandeurs ont soulevé une question sérieuse à trancher;

  2. ils subiraient un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé;

  3. la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

Question sérieuse à trancher

[12] Le volet du critère de l’arrêt Toth relatif à l’existence d’une question sérieuse à trancher oblige les demandeurs à démontrer que leur demande de contrôle judiciaire principale a un certain fondement. Il leur suffit de démontrer que leur demande n’est ni frivole ni vexatoire.

[13] Les demandeurs affirment que l’agent d’ERAR a commis des erreurs en évaluant la possibilité d’obtenir la protection de l’État en Hongrie lorsqu’il a examiné leur situation particulière. Ils soutiennent que l’agent n’a pas évalué l’efficacité réelle de la protection offerte par l’État aux citoyens d’origine ethnique rome.

[14] L’agent d’ERAR a examiné la question de la protection de l’État en fonction des difficultés évoquées par les demandeurs, telle que la discrimination dans l’obtention d’un logement, d’un emploi ou de soins médicaux. L’agent d’ERAR a toutefois conclu qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve concernant le risque personnalisé de persécution des demandeurs pour justifier de leur octroyer l’asile au Canada.

[15] De plus, les éléments de preuve sur lesquels les demandeurs se fondaient pour étayer les risques auxquels ils seraient exposés en Hongrie et pour appuyer leur argument quant à l’insuffisance de la protection de l’État étaient essentiellement les mêmes que ceux qui avaient déjà été analysés par la SPR, la SAR et, enfin, par la Cour fédérale.

[16] Je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré que la décision de l’agent d’ERAR soulève une question sérieuse à trancher. Néanmoins, j’estime que les demandeurs n’ont pas non plus démontré l’existence d’un préjudice irréparable comme je vais maintenant l’expliquer.

Préjudice irréparable

[17] Les éléments de preuve à l’appui du préjudice irréparable doivent être clairs et évidents (Perez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 627 au para 45).

[18] Comme je l’ai déjà signalé, l’agent d’ERAR a fait observer que les éléments de preuve invoqués par les demandeurs étaient essentiellement les mêmes que ceux sur lesquels ils s’étaient fondés lors de l’examen de leur demande d’asile par la SPR et par la SAR.

[19] Voici ce que l’agent a fait observer :

[traduction]

Je prends acte de la documentation générale sur le pays soumise par les demandeurs selon laquelle les Roms ont traditionnellement fait l’objet de discrimination en Hongrie. Je reconnais également que ces propos offensants et discriminatoires sont certainement choquants; je ne suis toutefois pas convaincu qu’ils soient déterminants au point de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne des demandeurs et de justifier ainsi une protection internationale.

[20] L’agent a correctement examiné la preuve et reconnu que, bien que la situation des Roms en Hongrie soit loin d’être idéale, les mauvais traitements et la discrimination dont il était question dans la présente affaire ne pouvaient être assimilés à de la persécution. L’agent a également souscrit à la conclusion de la SPR suivant laquelle la discrimination [traduction] « dont sont victimes les demandeurs ne constitue pas une menace à leurs droits fondamentaux, mais nuit à la qualité de leur existence dans leur pays d’origine; la discrimination dont les demandeurs ont fait l’objet ne saurait être assimilée à de la persécution ».

[21] Les demandeurs invoquent le jugement Farkas c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 658, à l’appui de leur argument qu’ils subiront un préjudice irréparable s’ils sont renvoyés en Hongrie en raison des mauvais traitements systématiquement infligés aux personnes d’origine ethnique rome. Toutefois, la situation des demandeurs est fort différente de celle qu’examinait la Cour dans l’affaire Farkas. Plus précisément, dans l’affaire Farkas, on craignait que les risques personnalisés de M. Farkas n’aient jamais été évalués en raison de conseils incompétents qui avaient été donnés en matière d’immigration. Aucune allégation relative à des conseils incompétents n’a été formulée en l’espèce. De plus, les risques mentionnés par les demandeurs ont été examinés à fond par l’agent d’ERAR. Je tiens par ailleurs à signaler que l’évaluation des risques est éminemment contextuelle et dépend, en dernière analyse, des faits de l’espèce.

[22] L’agent d’ERAR a conclu que les demandeurs pourraient compter sur la protection de l’État. L’agent s’est expressément penché sur le degré d’efficacité de la protection offerte par l’État. Pour ce faire, l’agent a fait observer que les demandeurs n’avaient fourni aucun nouvel élément de preuve pour contester la conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État. L’agent a évoqué les nombreuses options en matière de protection de l’État dont disposaient les demandeurs, ajoutant qu’ils ne s’étaient prévalus d’aucune d’entre elles. De plus, les demandeurs n’avaient signalé aucun des actes discriminatoires allégués en matière d’emploi ou incidents survenus à l’école aux autorités policières. Compte tenu de l’absence d’éléments de preuve personnels tendant à démontrer que les demandeurs ne pouvaient pas compter sur la protection de l’État, les actes reprochés ne constituent pas un préjudice irréparable.

[23] Les demandeurs soutiennent également qu’ils sont exposés à un risque en Hongrie en raison de la pandémie de COVID‑19. Ces arguments ont été soulevés la première fois dans le cadre de la présente requête en sursis et n’avaient pas été invoqués dans leur demande d’ERAR. Le tribunal saisi d’une requête en sursis refuse en principe d’examiner des éléments de preuve qui n’ont pas été examinés par l’agent d’ERAR. Toutefois, compte tenu de la situation en constante évolution de la COVID‑19, je vais brièvement examiner cette question.

[24] Les demandeurs invoquent le jugement Revell c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 716, pour soutenir que les risques que présente la COVID‑19 peuvent être assimilables à un préjudice irréparable. Toutefois, les faits de l’affaire Revell sont différents de ceux de la présente espèce. Qui plus est, les demandeurs sont un jeune couple avec de jeunes enfants et rien ne permet de penser qu’aucun d’entre eux ne souffre d’une condition médicale sous‑jacente ou de facteurs de risques complexes liés à la COVID‑19. À mon sens, l’argument du préjudice irréparable tiré de la COVID‑19 est mal fondé.

Prépondérance des inconvénients

[25] Dans ces conditions, le volet du critère de l’arrêt Toth relatif à la prépondérance des inconvénients favorise le défendeur et milite en faveur de l’application de l’exigence énoncée à l’article 48 de la LIPR.

[26] La requête des demandeurs est rejetée.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM‑705‑21

LA COUR REJETTE la présente requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑705‑21

 

INTITULÉ :

ATTILA TIBOR LAKATOS ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence entre toronto (ontario) ET Fredericton (nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MARS 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 3 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Gavin MacLean

 

Pour les demandeurs

Erin Estok

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les DEMANDEURS

Procureur général du Canada ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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