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Date : 20210304


Dossiers : IMM-2692-19

IMM-2693-19

IMM-2695-19

IMM-2697-19

Référence : 2021 CF 200

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2021

En présence de madame la juge Walker

Dossier : IMM-2692-19

ENTRE :

MICHIAS SHIFERAW SENAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2693-19

ET ENTRE :

BROOK SHIFERAW SENAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2695-19

ET ENTRE :

MICHIAS SHIFERAW SENAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-2697-19

ET ENTRE :

BROOK SHIFERAW SENAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le présent jugement concerne quatre demandes de contrôle judiciaire intentées par deux frères, Michias et Brook Senay (les demandeurs), tous deux nés en Éthiopie et vivant à présent au Canada. Michias, le frère aîné, est âgé de 21 ans et Brook, de 20 ans. Ils demandent à la Cour de contrôler quatre décisions (collectivement désignées comme les décisions) rendues par la même agente d’immigration (l’agente) : les décisions défavorables relatives à leur examen des risques avant renvoi (ERAR) (les décisions relatives à l’ERAR) et le refus de leurs demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) (les décisions CH). Ces décisions ont été rendues respectivement en vertu de l’article 112 et du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Pour plus de commodité, je désignerai comme suit les demandes et décisions sous‑jacentes :

  1. IMM-2692-19 : Décision relative à l’ERAR concernant Michias Senay;

  2. IMM-2693-19 : Décision relative à l’ERAR concernant Brook Senay;

  3. IMM-2695-19 : Décision CH concernant Michias Senay;

  4. IMM-2697-19 : Décision CH concernant Brook Senay.

[3] Le 3 juillet 2020, le juge en chef Crampton a ordonné l’instruction conjointe des demandes de contrôle judiciaire des frères le 22 septembre suivant, et l’audience m’a été confiée. Je traiterai des quatre demandes dans le présent jugement étant donné qu’elles se rapportent à des faits et à des éléments de preuve pratiquement identiques. Pour chaque demande, une copie du jugement sera placée dans le dossier de la Cour.

[4] En bref, ni les décisions relatives à l’ERAR ni les décisions CH ne satisfont aux critères d’une décision raisonnable. Chacune des décisions manque de la transparence et de la justification voulues, et il sera fait droit aux demandes de contrôle judiciaire des quatre décisions.

[5] Les décisions relatives à l’ERAR mentionnent le fait que l’Éthiopie est une démocratie qui a amélioré ses lois en matière de protection des droits de la personne et qui s’est dotée d’une police et d’une force de réserve opérationnelles. L’agente a conclu pour ce motif qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs puissent bénéficier d’une protection de l’État, ce qui atténue le risque qu’ils puissent être exposés à de la violence aux mains de leur père advenant leur retour dans ce pays. Or, elle a omis de considérer l’efficacité de cette protection. Cette omission, conjuguée à l’ambiguïté avec laquelle elle a traité le défaut des frères de solliciter une protection de l’État en Éthiopie lorsqu’ils étaient mineurs, fait en sorte que les décisions relatives à l’ERAR manquent de clarté et laissent penser que l’agente n’a pas vraiment étudié le risque important qu’ils encouraient.

[6] Les décisions CH ne respectent pas les directives de la Cour suprême en ce qui touche l’exercice du pouvoir discrétionnaire envisagé au paragraphe 25(1) de la LIPR et ne font d’ailleurs aucune mention de l’approche préconisée dans Chirwa (évoquée plus loin) ni des considérations d’ordre humanitaire qui sont la raison d’être de ce paragraphe.

I. Contexte

[7] Michias et Brook sont entrés au Canada le 20 juin 2016 avec leur mère alors qu’ils étaient mineurs. Cette dernière a présenté une demande d’asile au Canada en son nom et au nom de ses fils. Elle y alléguait qu’elle était persécutée en raison de son adhésion au Parti Bleu/Parti Semayawi en Éthiopie. Les frères n’ont pas fourni de motifs de persécution indépendants. La Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés (SAR) ont refusé la demande d’asile dans des décisions datées respectivement du 3 novembre 2016 et du 18 avril 2017. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par la famille à l’égard de la décision de la SAR a été rejetée.

[8] Une mesure de renvoi a été prise, et la mère des demandeurs a été renvoyée du Canada le 27 décembre 2017. Les frères ne se sont pas présentés en vue de leur renvoi, également prévu ce jour‑là. Dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande d’ERAR, Brook a expliqué qu’ils craignaient de retourner en Éthiopie chez leur père, un alcoolique qui les avait maltraités avant leur départ.

[9] En octobre 2018, les demandeurs ont soumis des demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire en faisant valoir leur établissement au Canada, l’intérêt supérieur de l’enfant (ISE), le risque de subir des préjudices aux mains de leur père et les conditions défavorables du pays. Ils ont déclaré que leur mère a disparu depuis son renvoi et qu’ils se retrouveraient sans domicile en Éthiopie étant donné que leur père ne voulait rien savoir d’eux. En décembre 2018, les demandeurs ont présenté des demandes d’ERAR fondées sur le risque de préjudice grave que leur père leur fait courir en Éthiopie.

[10] Le 11 avril 2019, les demandeurs ont reçu les décisions relatives à l’ERAR et les décisions CH, toutes défavorables, et ont déposé les présentes demandes.

[11] Les frères devaient être renvoyés le 6 juillet 2019. Ils ont sollicité un sursis à leur renvoi au motif que leurs demandes de contrôle des décisions relatives à l’ERAR étaient en instance. Mon collègue, le juge Ahmed, a accueilli les requêtes en sursis le 3 juillet 2019.

II. Questions à trancher et norme de contrôle

[12] Les demandeurs font valoir que l’agente a commis, (1) dans les décisions relatives à l’ERAR, deux erreurs susceptibles de contrôle dans son évaluation de la protection de l’État et, (2) dans les décisions CH, un certain nombre d’erreurs dans son analyse de leur établissement au Canada, des difficultés auxquelles ils se heurteraient à leur retour en Éthiopie et de l’ISE. Les parties font valoir, et je suis d’accord, que les demandeurs contestent le bien‑fondé des décisions dans leurs observations et que ces décisions doivent être contrôlées selon la norme du caractère raisonnable, norme présumée s’appliquer au contrôle du bien‑fondé des décisions administratives (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10 et 25 (Vavilov)). Aucune des situations décrites par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov qui justifient de s’écarter de la norme présumée de contrôle ne s’applique dans les présentes affaires.

[13] Le contrôle des décisions selon la norme de la décision raisonnable est également conforme à la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov. Dans Mernacaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 752, la Cour, saisie du contrôle d’une décision relative à un ERAR défavorable a déclaré, au paragraphe 10, que « [l]a conclusion sur la protection de l’État fait intervenir des questions mixtes de fait et de droit, et la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable » (voir Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 20 au para 9). Cinq ans avant de rendre l’arrêt Vavilov, la Cour suprême avait examiné en détail les principes sous‑tendant le paragraphe 25(1) de la LIPR et confirmé que le contrôle par la Cour de décisions CH devait être effectué selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 44 (Kanthasamy).

[14] Une décision raisonnable est intrinsèquement cohérente et logique, et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 31‑32). Il s’ensuit que le contrôle selon cette norme débute par l’examen de la décision rendue par le décideur, et la Cour cherche à savoir si ce dernier a appliqué le droit pertinent aux faits de l’affaire et si son raisonnement est intrinsèquement cohérent. La norme de la décision raisonnable, qui exige le respect du rôle du décideur et de ses conclusions de fait et la retenue à cet égard, demeure néanmoins une forme robuste de contrôle. Celui qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

1. Décisions relatives à l’ERAR

[15] Les demandeurs ont fondé leurs demandes d’ERAR sur le risque de préjudice grave découlant des nouveaux actes de violence que leur père, resté en Éthiopie, leur infligerait. L’agente a considéré que l’allégation était nouvelle étant donné que la demande d’asile des frères datant de 2016 reposait sur celle de leur mère, laquelle ne faisait mention que de sa crainte de subir des représailles politiques. Les demandeurs ont déposé six lettres de soutien émanant de parents, d’amis de la famille et d’une ancienne aide familiale résidente en Éthiopie à l’appui de leur allégation; toutes ces personnes connaissaient la famille et ont évoqué la dynamique de violence qui l’animait avant 2016. Les demandeurs ont également déposé un rapport, daté de 2016, de l’UNICEF intitulé Understanding Children’s Experiences of Violence in Ethiopia [Comprendre l’expérience de la violence vécue par les enfants en Éthiopie] (Rapport de 2016 de l’UNICEF).

[16] S’agissant de l’évaluation effectuée par l’agente à l’égard des demandes d’ERAR, la question déterminante concernait la disponibilité et l’efficacité de la protection de l’État dont les demandeurs pourraient se prévaloir en Éthiopie. Les frères font valoir que l’agente a commis deux erreurs dans les décisions relatives à l’ERAR : (1) elle leur a reproché de ne pas avoir sollicité la protection de la police contre les actes de violence de leur père lorsqu’ils vivaient en Éthiopie, même s’ils étaient alors mineurs; et (2) elle n’a pas raisonnablement examiné la preuve documentaire sur l’Éthiopie, en particulier le Rapport de 2016 de l’UNICEF.

[17] Le défendeur soutient que l’agente n’a pas reproché aux demandeurs de ne pas avoir sollicité l’aide de la police en Éthiopie. Elle a plutôt simplement déclaré qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle ils pourraient obtenir une protection de l’État, étant donné qu’ils ne l’avaient jamais demandée et qu’elle ne leur avait donc pas été refusée. Le défendeur soutient également que le Rapport de 2016 de l’UNICEF ne concerne que de façon limitée les demandeurs et leur capacité à établir un risque prospectif d’être victimes de violence aux mains de leur père. Ils ne sont plus des enfants et, quoi qu’il en soit, ils ont déclaré dans leurs demandes d’ERAR que leur père ne voulait plus rien savoir d’eux.

[18] L’analyse de l’agente relative à la disponibilité et à l’efficacité de la protection de l’État en Éthiopie consiste en un certain nombre de longues citations issues de deux documents du Cartable national de documentation (CND) pour l’Éthiopie, Country Reports on Human Rights Practices for 2017, du Département d’État américain (Éthiopie, 20 avril 2018), et un document intitulé Ethiopia, World Report 2019: Events of 2018 (janvier 2019), de Human Rights Watch. Les citations décrivent la structure politique et l’histoire récente du pays, les liens entretenus entre différents échelons du gouvernement et la police, l’armée et les forces locales de réserve, ainsi que l’engagement du gouvernement à entreprendre une réforme juridique visant à améliorer les protections en matière de droits de la personne.

[19] L’agente a ensuite traité de la description par les demandeurs de l’alcoolisme de leur père, des actes de violence qu’il a commis à leur égard et de leur crainte qu’il recommence s’ils devaient retourner en Éthiopie. Elle a relevé une contradiction dans les demandes d’ERAR, où les demandeurs affirment ne pas avoir tenté d’obtenir l’aide de la police avant leur départ de 2016 parce qu’il ne leur était encore rien arrivé. L’agente s’est dite préoccupée par cette contradiction, mais elle a reconnu, en s’appuyant sur les lettres déposées à l’appui des demandes d’ERAR, qu’ils pourraient avoir été maltraités par leur père. Elle a également reconnu, en faisant référence au Rapport de 2016 de l’UNICEF, que les enfants en Éthiopie sont victimes d’actes de violence souvent perpétrés par des membres de la famille.

[20] L’agente a cité la présomption selon laquelle, sauf rupture complète de l’appareil étatique, les pays démocratiques offrent une protection (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la p. 712). Elle a mentionné la déclaration des demandeurs portant qu’ils n’avaient pas sollicité la protection de la police en Éthiopie, et déclaré ceci : [traduction] « par conséquent, la présomption de la protection de l’État n’a pas été réfutée ». L’agente a refusé les demandes d’ERAR au motif qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les frères puissent à l’avenir mobiliser les autorités de l’État s’ils devaient être protégés de leur père.

[21] Appliquant le cadre de l’arrêt Vavilov aux décisions relatives à l’ERAR, et me fondant sur la preuve présentée par les demandeurs et la jurisprudence pertinente, je conclus, d’une part, que l’agente n’a pas mené jusqu’au bout son raisonnement concernant l’efficacité de la protection de l’État dont pouvaient se prévaloir les demandeurs et, d’autre part, que les motifs et les conclusions tirées dans les décisions en question ne sont ni transparents ni intelligibles. Je parviens à ces conclusions pour deux raisons.

[22] Premièrement, l’inclusion par l’agente d’extraits du CND concernant la structure politique de l’Éthiopie et les relations entretenues entre diverses organisations policières ne constitue pas une analyse de la disponibilité et de l’efficacité de l’assistance que l’État peut offrir aux individus victimes de violence familiale. D’après moi, en présumant qu’une protection sera offerte et qu’elle sera efficace contre les actes de violence commis au sein de la famille, l’agente a adopté une position fatale à la défense présentée par le défendeur à l’égard des décisions relatives à l’ERAR.

[23] Comme l’a déclaré mon collègue le juge Diner, le simple fait que l’Éthiopie est une démocratie ne suffit pas à garantir une protection ni à justifier la conclusion d’un agent selon laquelle une protection étatique sera fournie (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367, au para 19 (Lakatos)) :

[19] Il existe une présomption selon laquelle la protection de l’État est offerte dans le pays d’origine d’un demandeur (l’arrêt Ward, aux pages 724 et 725), particulièrement quand il s’agit d’un pays démocratique (Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646, aux paragraphes 9 et 10 [Sow]). Cependant, toutes les démocraties ne sont pas équivalentes. Elles s’inscrivent dans un éventail, et ce qui est requis pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie du pays (Jonos Bozik Janosne Bozik c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 961, aux paragraphes 28 et 29 [Bozik]; Sow, aux paragraphes 10 et 11). Autrement dit, le fait qu’une nation soit démocratique n’est pas nécessairement gage d’une protection efficace de l’État (pour un excellent résumé du droit sur cette notion et des notions connexes, voir la décision récente du juge Grammond dans l’affaire AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237, au paragraphe 22 [AB]).

[24] La décision Lakatos rendue par le juge Diner et les décisions qui y sont citées sont antérieures à l’arrêt Vavilov. À mon avis, l’insistance subséquente de la Cour suprême sur le raisonnement logique et la justification des décisions administratives renforce le raisonnement tenu dans ces décisions. Déclarer qu’un pays est démocratique sans renvoyer aux faits pertinents ni aux lois n’atteste pas qu’une évaluation a été menée quant à l’efficacité de la mise en œuvre de la protection de l’État et à la probabilité que cette protection soit offerte aux personnes concernées. En l’espèce, les extraits du CND cités dans les décisions relatives à l’ERAR concernent uniquement la structure des autorités de l’État en Éthiopie et l’engagement pris par le gouvernement en vue d’améliorer les protections en matière de droits de la personne. Ils ne permettent pas, à ceux seuls, de conclure que les frères obtiendraient vraisemblablement une protection efficace de la police contre des actes de violence s’ils étaient forcés de vivre avec leur père.

[25] Les demandeurs soutiennent que le défaut de l’agente de tenir compte du Rapport de 2016 de l’UNICEF constitue une erreur susceptible de contrôle, mais je ne suis pas d’accord. L’agente mentionne le rapport succinctement. Elle en a toutefois accepté la conclusion essentielle selon laquelle les enfants sont victimes de violence en Éthiopie, souvent commise par ceux dont ils sont le plus proches. Vu l’âge respectif des demandeurs, la nature prospective de l’ERAR mené par l’agente et l’accent mis dans le rapport sur des groupes d’âge plus jeunes, l’agente a raisonnablement traité cet élément de preuve. Le Rapport de 2016 de l’UNICEF appuie de manière limitée les arguments avancés par les frères concernant le risque prospectif qu’ils courent.

[26] Le deuxième motif pour lequel je conclus que les décisions relatives à l’ERAR manquent de transparence tient à la façon dont l’agente a traité du défaut des demandeurs de tenter d’obtenir une protection policière contre les actes de violence que leur père aurait commis à leur égard en Éthiopie. Les demandeurs ne contestent pas la déclaration de l’agente selon laquelle ils ne se sont pas adressés aux autorités policières ou étatiques avant leur départ du pays en 2016. Ils soutiennent plutôt qu’elle a eu tort d’en tirer apparemment une inférence défavorable. La déclaration contestée dans la décision relative à l’ERAR concernant Michias, reprise dans celle concernant Brook, est la suivante :

[traduction]

Le demandeur affirme qu’il n’a pas tenté d’obtenir la protection de la police fédérale éthiopienne; par conséquent, la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée. J’estime qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur puisse s’adresser aux autorités de l’État à son retour en Éthiopie, s’il en ressent le besoin (p. ex., en demandant à être protégé de son père) […].

[27] Les parties invoquent des interprétations opposées de la première phrase de la déclaration de l’agente. Selon les demandeurs, les mots utilisés signifient que l’agente leur adressait un reproche alors que le défendeur qualifie la déclaration d’observation. J’estime que les deux interprétations de cette déclaration figurant dans les décisions relatives à l’ERAR sont possibles et raisonnables. La conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs n’ont pas sollicité de protection de la police éthiopienne et n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État est ambiguë.

[28] Les parties conviennent que le décideur ne peut tirer d’inférence défavorable du défaut d’un mineur de solliciter la protection de l’État dans son pays d’origine. Le statut de mineur, la nature des actes de violence subis et l’identité de l’agresseur doivent être pris en compte (Kandha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 430 au para 21). En l’espèce, dans son analyse de la protection de l’État, l’agente n’a pas tenu compte de l’âge des demandeurs lorsqu’ils ont quitté l’Éthiopie. Il se peut qu’elle ne l’ait pas fait parce qu’elle n’avait pas l’intention de les blâmer. Elle faisait simplement une remarque liée au fait qu’ils avaient reconnu que la police éthiopienne n’avait pas été contactée. Il est tout aussi possible que l’agente ait interprété le défaut des demandeurs de prendre des mesures comme une preuve qu’ils ne craignaient pas leur père. J’estime que cette ambiguïté dans les décisions relatives à l’ERAR peut être considérée comme une erreur importante qui compromet les motifs pour lesquels elle a refusé les demandes d’ERAR (Vavilov, au para 100).

[29] En résumé, les décisions relatives à l’ERAR ne satisfont pas aux normes de transparence et d’intelligibilité requises d’une décision raisonnable. Il s’ensuit que l’analyse de l’agente n’est pas justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles auxquelles son pouvoir était assujetti et il doit être fait droit aux demandes de contrôle judiciaire visant les décisions relatives à l’ERAR (IMM‑2692‑19 et IMM‑2693‑19).

2. Décisions CH

[30] Les décisions CH se rejoignent sur la plupart des points, et ne se distinguent qu’à l’égard des analyses de l’ISE découlant du statut de mineur de Brook. L’agente a considéré chacun des facteurs que les demandeurs ont énumérés dans la demande CH : l’établissement au Canada; l’ISE; la crainte que leur inspire leur père; les conditions en Éthiopie, notamment le fait qu’ils pourraient ne pas avoir de foyer à réintégrer. L’agente a conclu que la situation des demandeurs ne justifiait pas une exemption fondée sur des considérations CH aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[31] L’agente a relaté l’établissement des demandeurs au Canada en remontant à juin 2016. Elle a déclaré que Michias avait terminé ses études secondaires et qu’il s’était vu offrir deux emplois par la suite. Rien n’indiquait qu’il ait accepté l’une ou l’autre offre. Il avait déjà travaillé au McDonald’s, mais n’occupait pas d’emploi à la date où la décision CH le concernant a été rendue. Brook réussissait bien au secondaire et certains éléments attestaient qu’il faisait du bénévolat et avait des amis au Canada. L’agente a fait remarquer qu’aucun renseignement financier n’avait été déposé à l’appui des demandes CH. Elle a reconnu que les frères se débrouillaient bien au Canada et qu’ils bénéficiaient du soutien de la famille Semunegus (composée de deux parents et de trois enfants mineurs) avec qui ils résidaient. Dans cette partie des décisions CH, l’agente a consacré un certain nombre de paragraphes à la question des difficultés et aux conditions auxquelles les demandeurs se heurteraient en Éthiopie.

[32] Dans son analyse de l’ISE, l’agente a reconnu que Michias et Brook entretenaient des liens affectifs étroits avec les trois enfants Semunegus et que Michias était le parrain du plus jeune d’entre eux. Elle a attribué un certain poids positif à ce facteur, sans toutefois conclure que le départ des frères du Canada nuirait de manière significative à l’intérêt supérieur des enfants, étant donné que ces derniers demeureraient avec leurs parents. S’agissant de Brook, l’agente a déclaré que Michias était son tuteur légal, mais que M. Semunegus était probablement celui qui s’en occupait le plus. Même s’il était dans l’intérêt supérieur de Brook de rester avec M. Semunegus et de poursuivre ses études au Canada, il avait de solides attaches familiales en Éthiopie, ce qui réduisait l’impact d’un retour dans ce pays. L’agente a conclu son analyse en déclarant que le statut permanent de Michias au Canada ne pouvait être garanti et que cette incertitude avait revêtu beaucoup d’importance pour sa conclusion concernant la question de savoir si le retour en Éthiopie nuirait à l’intérêt supérieur de Brook.

[33] Enfin, l’agente a examiné le risque que les demandeurs subissent un préjudice grave aux mains de leur père, conformément à l’analyse qu’elle avait effectuée dans les décisions relatives à l’ERAR. Elle a également reconnu que les frères se heurteraient probablement à des difficultés à leur retour en Éthiopie, mais a estimé qu’ils pouvaient s’attendre à obtenir de l’aide et un refuge des membres de leur famille, ajoutant en conclusion que le fait que les conditions en Éthiopie pourraient ne pas être avantageuses comparativement à celles du Canada ne suffisait pas à démontrer que les demandeurs se heurteraient à des conséquences négatives importantes s’ils étaient obligés de quitter le Canada.

[34] Les décisions CH sont lacunaires à deux égards importants. Premièrement, l’analyse de l’agente est structurée par des titres et ne comporte aucune évaluation des facteurs CH invoqués par les demandeurs au regard du critère énoncé dans Chirwa. En fait, l’agente ne fait aucune mention de l’objet ou des paramètres des mesures envisagées au paragraphe 25(1). Deuxièmement, son évaluation de l’établissement des demandeurs au Canada et son analyse de l’ISE manquent de cohérence et ne sont pas suffisamment justifiées.

A. Les mesures envisagées au paragraphe 25(1) de la LIPR

[35] L’adoption par la Cour suprême du critère issu de Chirwa (Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351) dans l’arrêt Kanthasamy et l’application des directives de la majorité concernant les circonstances justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire visé au paragraphe 25(1) de la LIPR ont été plusieurs fois examinées par notre Cour. Dans ces décisions, la Cour met souvent l’accent sur la formulation appropriée, dans la décision de l’agent, des considérations liées aux difficultés (Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596 (Mursalim)).

[36] Au risque de me répéter, le paragraphe 25(1) de la LIPR permet au ministre de dispenser des exigences de la loi l’étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent, s’il est convaincu que « des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Les directives exhaustives de la Cour suprême énoncées dans l’arrêt Kanthasamy en ce qui touche l’objet du paragraphe 25(1) ont été résumées par mon collègue le juge Norris (Mursalim, au para 25) :

[25] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration),2015 CSC 61[l’arrêt Kanthasamy], la Cour suprême du Canada a approuvé une approche du paragraphe 25(1) qui est fondée sur sa raison d’être équitable. Le pouvoir discrétionnaire fondé sur les considérations d’ordre humanitaire que prévoit cette disposition se veut donc une exception souple pour atténuer les effets d’une application rigide de la loi dans les cas appropriés (voir l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 19). La juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, a accepté l’approche adoptée dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A. 351, où il a été décidé que les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi » . (l’arrêt Kanthasamy au paragraphe 13).

[37] Je procède au contrôle des décisions CH selon la norme de la décision raisonnable, conformément aux paramètres établis dans l’arrêt Vavilov. La juge Abella, après s’être penchée sur l’application de cette norme à une décision prise aux termes du paragraphe 25(1), a mis en garde contre l’évaluation segmentée des facteurs CH en jeu dans l’affaire en cause (Kanthasamy, au para 45) :

[45] Soit dit en tout respect, au regard de cette norme, l’agente a omis de tenir compte de la situation globale de Jeyakannan Kanthasamy et a examiné de manière trop restrictive les circonstances invoquées dans la demande. Elle n’a pas accordé une attention suffisamment sérieuse à son jeune âge, à son état de santé mentale et aux éléments de preuve suivant lesquels il serait victime de discrimination s’il était renvoyé au Sri Lanka. Elle recourt plutôt à une démarche fragmentaire et se penche sur chacun des facteurs invoqués pour déterminer s’il correspond ou non à des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Elle semble ensuite écarter tous ces facteurs de sa conclusion finale au motif qu’ils ne répondent pas à ce critère. Interpréter littéralement les adjectifs — une démarche qui ne s’appuie aucunement sur le libellé du par. 25(1) — au lieu de considérer la situation globale du demandeur l’amène à voir dans chacun de ces adjectifs un critère juridique distinct plutôt qu’un terme visant à concrétiser la vocation équitable de la disposition. Cela a pour effet de limiter indûment son pouvoir discrétionnaire et de rendre sa décision déraisonnable.

[38] Même si la question fondamentale dont était saisie la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy touchait à la description des difficultés faite par l’agent CH, ce qui n’est pas en cause en l’espèce, l’insistance de la juge Abella sur le caractère déraisonnable d’une approche segmentée dans le cadre d’une décision CH est pertinente.

[39] Les demandeurs ne contestent pas les conclusions de fait tirées par l’agente dans les décisions CH. Cette dernière a déclaré avec justesse qu’ils avaient passé une courte période au Canada, et a décrit avec exactitude leurs conditions de logement ainsi que leur scolarité et leurs antécédents professionnels respectifs. Elle a évoqué leur crainte de subir des actes de violence aux mains de leur père en Éthiopie ainsi que les conditions de vie générales dans ce pays. Ce sont les étapes suivantes de l’analyse qui font défaut.

[40] Rien n’indique dans les décisions CH que l’agente s’est penchée sur l’objectif humanitaire et la vocation équitable de son examen des demandes CH des demandeurs. En dehors d’un renvoi au paragraphe 25(1) dans la lettre type refusant les demandes et d’une reprise du libellé de la disposition dans son résumé des demandes, rien n’indique que l’agente était consciente des principes juridiques encadrant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[41] Les décisions CH se présentent sous la forme d’une série de conclusions factuelles précédées de titres reprenant la liste de facteurs CH pertinents fournie par les demandeurs. L’agente a analysé isolément chacun des facteurs énumérés. Dans le cadre de ces évaluations isolées, elle a fourni peu de renseignements sur sa conclusion ou sa pondération du facteur particulier. En outre, les décisions CH ne contiennent aucune description globale de la situation des demandeurs et des facteurs CH. Les facteurs favorables ne sont pas pondérés par rapport aux facteurs défavorables.

[42] Je suis d’avis que les décisions CH ne comportent pas d’évaluation de la situation des demandeurs, à savoir des divers éléments de leur situation classés par catégorie ou du cumul de ces éléments, au regard de l’objet humanitaire du paragraphe 25(1) et des paramètres du critère énoncé dans Chirwa. L’agente n’a pas traité des contraintes juridiques qui encadrent l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Vavilov, au para 101). Ces omissions constituent des erreurs déterminantes qui rendent les décisions CH indéfendables.

B. Analyse de l’établissement au Canada/l’ISE

[43] Le défendeur défend, en partie parce qu’elle est factuellement exacte, l’analyse effectuée par l’agente de l’établissement des demandeurs au Canada. Il a raison à cet égard, mais l’exactitude des faits énumérés ne compense pas l’absence d’analyse et de pondération de ces faits dans les décisions CH.

[44] Dans cette section des décisions CH, l’agente rapporte les faits suivants :

  • - les antécédents scolaires et professionnels des demandeurs au Canada et leurs conditions de logement chez la famille Semunegus;

  • - sa conclusion selon laquelle Michias n’étudiait pas ou un travail rémunéré et ne payait pas de l’impôt au Canada; elle a aussi pris acte du fait que Brook fréquentait l’école secondaire;

  • - vu l’absence du moindre renseignement financier, elle n’a pas pu conclure que les demandeurs pouvaient subvenir à long terme à leurs besoins financiers au Canada;

  • - les lettres de soutien de professeurs, de membres de la famille et d’amis, en particulier la lettre de M. Semunegus concernant la vie des frères au sein de sa famille.

[45] L’agente semble alors laisser de côté son examen de l’établissement au Canada pour envisager les difficultés auxquelles les demandeurs pourraient se heurter en Éthiopie. Elle affirme que toute difficulté serait atténuée par la scolarité et l’expérience professionnelle qu’ils avaient acquises au Canada et par l’aide qu’ils recevraient de membres de leur famille demeurés en Éthiopie.

[46] Le défendeur soutient que l’établissement des frères ne se distingue en rien de la progression normale des adolescents au Canada. S’agissant de savoir si la comparaison avec un adolescent qui peut avoir vécu au Canada depuis sa naissance est appropriée, l’agente ne dit rien de tel. Elle évalue l’établissement des demandeurs au Canada comme s’ils étaient pleinement adultes et qu’ils ne tentaient pas de poursuivre ou d’approfondir leurs études. Les références de l’agente au fait que Michias n’était pas employé et à l’incapacité des frères de subvenir à leurs besoins financiers ne tiennent pas compte de leur situation individuelle et du soutien continu que leur prodigue la famille Semunegus. Rien dans la preuve ne laisse penser que M. Semunegus retirerait son soutien si les demandeurs devenaient résidents permanents. Enfin, l’examen effectué par l’agente dans cette section des difficultés éventuelles qu’ils auraient, sans explication, est déroutant.

[47] Je note également que l’agente ne formule pas sa conclusion concernant l’établissement des demandeurs au Canada de manière générale ni à l’aune des considérations d’ordre humanitaire. Tout comme j’avais conclu, après leur examen dans leur globalité, que les décisions CH étaient lacunaires, j’estime que l’évaluation faite par l’agente de l’établissement comporte une erreur similaire parce qu’il n’y a pas d’analyse des principes juridiques qui fondent une décision CH.

[48] L’analyse de l’ISE dans chacune des décisions CH se distingue par l’ajout dans l’une d’un addenda traitant du statut de mineur de Brook, mais les deux décisions débutent par une évaluation de l’effet du départ des frères sur les enfants Semunegus mineurs. Ayant déclaré que les enfants resteraient au Canada avec leurs parents si les frères devaient retourner en Éthiopie, l’agente n’a pas été en mesure de conclure que le départ de ces derniers nuirait de manière significative à l’intérêt supérieur de ces enfants. Je ne relève aucune erreur dans son analyse à cet égard.

[49] L’agente a également déclaré qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Brook d’être confié à une personne qui le soutiendrait et s’occuperait de lui avec affection et de poursuivre ses études dans un environnement familier. Elle a conclu que, selon toute vraisemblance, M. Semunegus était la personne qui s’occupait le plus de Brook et a accordé un certain poids positif à cet aspect de la présence de Brook au Canada. L’agente a examiné les conséquences du retour en Éthiopie sur lui et estimé qu’il avait des liens dans ce pays avec des parents qui lui offriraient probablement du soutien et de l’hébergement. Elle a ajouté que Brook serait en mesure de solliciter l’assistance des autorités de l’État pour retrouver sa mère en Éthiopie, malgré le fait qu’elle avait disparu 15 mois avant la date de la décision CH.

[50] Les erreurs cruciales commises par l’agente dans son analyse de l’ISE tiennent à son traitement du statut incertain des frères au Canada. La décision CH concernant Michias ne comporte aucune évaluation de l’impact que son retour en Éthiopie aurait sur Brook si celui‑ci restait au Canada. Je prends acte de la conclusion de l’agente selon laquelle Michias n’est pas la principale personne qui s’occupe de Brook, mais une séparation de son frère aurait indubitablement un effet défavorable sur lui. L’agente a peut‑être omis de considérer l’intérêt supérieur de Brook dans la décision CH concernant Michias parce qu’elle a présumé que les frères retourneraient ensemble en Éthiopie.

[51] Cette présomption ressort de l’analyse de l’ISE contenue dans la décision CH concernant Brook. L’agente a traité du statut de Michias au Canada, qu’elle a jugé important pour déterminer si un retour en Éthiopie nuirait à l’intérêt supérieur de Brook. Elle a conclu que Michias pouvait être renvoyé en Éthiopie en tout temps étant donné qu’il n’a pas de statut au Canada et a déclaré : [traduction] « Vu cette possibilité, j’estime que le retour de Brook en Éthiopie ne serait pas directement défavorable à son intérêt supérieur puisque les frères pourraient alors être réunis dans leur pays natal ».

[52] J’estime que l’analyse de l’ISE contenue dans chacune des décisions CH est circulaire. Dans la décision CH concernant Michias, l’intérêt supérieur de Brook n’est pas mentionné, peut‑être parce que l’agente présumait qu’il retournerait en Éthiopie avec Michias. Dans la décision CH concernant Brook, l’agente présume que Michias pourrait être renvoyé en Éthiopie et donc que le retour de Brook dans ce pays ne nuirait pas à son intérêt supérieur, même si la principale personne qui s’occupe de lui restera au Canada.

[53] Je prends acte de l’argument du défendeur selon lequel l’agente était chargée d’examiner les demandes CH des deux frères et que ses analyses dans les décisions afférentes allaient nécessairement se chevaucher. Cependant, l’erreur dans l’analyse de l’ISE menée par l’agente ne tient pas au chevauchement des motifs, mais au fait qu’ils sont circulaires. L’agente présume à l’égard de chaque frère, sans donner d’explication, que l’autre sera renvoyé en Éthiopie.

[54] En résumé, rien dans les décisions CH n’indique que l’agente a appliqué les directives énoncées dans l’arrêt Kanthasamy ni qu’elle a adopté l’approche préconisée dans Chirwa pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Même si elle a décrit avec exactitude la preuve présentée par les demandeurs, cette erreur imprègne les décisions. Il sera fait droit aux demandes de contrôle judiciaire des décisions CH (IMM‑2695‑19 et IMM‑2697‑19) et les demandes CH des demandeurs seront renvoyées pour réexamen.

IV. Certification

[55] Aucune question n’a été proposée par les parties aux fins de certification et les présentes demandes n’en soulèvent aucune.

 


JUGEMENT

DANS LES DOSSIERS IMM-2692-19, IMM-2693-19, IMM-2695-19 ET IMM-2697-19

LA COUR STATUE que :

  1. Il est fait droit aux demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues par l’agente d’immigration dans les dossiers de la Cour IMM‑2692‑19 et IMM‑2693‑19 (les décisions relatives à l’ERAR).

  2. Il est fait droit aux demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues par l’agente d’immigration dans les dossiers de la Cour IMM‑2695‑19 et IMM‑2697‑19 (les décisions CH).

  3. Une copie du présent jugement et des motifs sera placée dans chacun des dossiers suivants de la Cour : IMM‑2692‑19, IMM‑2693‑19, IMM‑2695‑19, IMM‑2697‑19.

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée à l’égard des demandes.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

IMM-2692-19, IMM-2693-19, IMM-2695-19 ET IMM-2697-19

 

DOSSIER :

IMM-2692-19

 

INTITULÉ :

MICHIAS SHIFERAW SENAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-2693-19

 

INTITULÉ :

BROOK SHIFERAW SENAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-2695-19

 

INTITULÉ :

MICHIAS SHIFERAW SENAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-2697-19

 

INTITULÉ :

BROOK SHIFERAW SENAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence ENTRE OTTAWA (ONTARIO) (la cour) et TORONTO (ONTARIO) (les parties)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 septembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge WALKER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 4 mars 2021

 


COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

pour les demandeurs

 

David Cranton

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Aide juridique Ontario

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

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