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Date : 20210318


Dossier : T-1681-19

Référence : 2021 CF 234

Ottawa, Ontario, le 18 mars 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

CECILIA CONSTANTINESCU

demanderesse

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Notre Cour est saisie d’une demande de révision aux termes de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [LPRP], par laquelle Mme Cecilia Constantinescu demande à notre Cour d’ordonner au Service correctionnel du Canada [SCC] de divulguer les renseignements visés par sa demande d’accès à des renseignements personnels datée du 14 août 2017 portant le numéro P-2017-02487 [Demande d’accès] et d’ordonner le paiement de dommages et intérêts.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de révision.

II. Faits et procédures

[3] Les faits qui constituent le fond de la présente affaire ont été exposés plus en détail dans la décision Constantinescu c Canada (Service correctionnel), 2021 CF 229 [Constantinescu 1].

[4] En bref, Mme Constantinescu était une recrue du SCC et suivait le programme de formation correctionnelle [PFC] qui se déroulait à l’automne 2014 au Collège du personnel du SCC à Laval, Québec, afin de devenir agente correctionnelle.

[5] En octobre 2015, Mme Constantinescu a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP] fondée sur des allégations d’actes d’agression, d’harcèlement, d’intimidation et d’abus qu’elle aurait subis pendant les cours de formation professionnelle du PFC.

[6] Alors que l’affaire était devant la CCDP, cette dernière a proposé aux parties de régler leur différend par voie de la médiation. Pour des raisons qui ne sont pas pertinentes quant à la présente demande de révision, la médiation n’a pas abouti.

[7] La CCDP a recommandé le rejet de la plainte de Mme Constantinescu, mais a toutefois référé le dossier de Mme Constantinescu au Tribunal canadien des droits de la personne [TCDP] pour instruction de la plainte le 31 mai 2017.

[8] Le 14 août 2017, le SCC a reçu la demande d’accès à l’information [Demande d’accès] de Mme Constantinescu suivante :

Veuillez me fournir la correspondance intégrale et non caviardée, portée entre le Service correctionnel du Canada et la Commission canadienne des droits de la personne, concernant la médiation proposée par la Commission dans mon dossier de plainte, par l’entremise de [nom de la personne], la médiatrice de la CCDP.

Veuillez fournir aussi, tous les documents qui ont été produits par le Service correctionnel du Canada, autorisant la directrice du collège SCC de Laval, [nom de la personne], contre laquelle j’avais déposé une plainte d’abus en septembre 2015, et [nom de la personne], directeur de la Division de l’implantation des programmes d’apprentissage, de participer à cette rencontre de médiation.

[9] Le 28 août 2017, le SCC confirme la réception de la Demande d’accès.

[10] Le 2 novembre 2017, n’ayant pas reçu de réponse à la Demande d’accès, Mme Constantinescu a déposé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée [Commissariat] pour refus de communiquer les renseignements personnels visés par la Demande d’accès [Plainte]. Ce dernier a accusé réception de la Plainte le 27 novembre 2017.

[11] Mme Constantinescu a continué ses « efforts soutenus et sinueux » en faisant des demandes au SCC pour qu’il communique les documents en rapport avec la Demande d’accès, y compris en mettant plusieurs parlementaires canadiens en copie comme signe de protestation. Il semblerait également, d’après les preuves déposées dans cette affaire par Mme Constantinescu, qu’entre 2015 et 2018, elle avait fait au moins 16 autres demandes d’accès à l’information sous divers angles relativement à l’incident qui a fait l’objet de la plainte devant le TCDP, soit au titre de la LPRP, soit au titre de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [LAI].

[12] Il semblerait que le SCC ait initialement identifié environ 120 documents susceptibles de répondre à la Demande d’accès de Mme Constantinescu.

[13] Le 1er mai 2018, le SCC a transmis à Mme Constantinescu 29 pages de documents contenant des renseignements visés par la Demande d’accès. Certaines parties des documents ont été supprimées en vertu de l’article 26 de la LPRP (Renseignements concernant un autre individu). Le SCC a également identifié 11 documents comme n’étant pas pertinents quant à la Demande d’accès, et aurait également averti Mme Constantinescu que certains renseignements visés, comprenant environ 70 pages, n’étaient pas inclus dans l’envoi, car ils faisaient l’objet d’une consultation, et que « suite à la réponse à propos de cette consultation, [Mme Constantinescu sera] avisée conformément à la réponse qui aura été reçue ». Il semblerait que neuf documents manquaient dans la trousse de divulgation.

[14] Ces 29 pages ont été reçues par Mme Constantinescu le 4 mai 2018; elle n’a pas déposé de plainte au Commissariat relativement aux portions de ces documents qui étaient supprimées.

[15] Le 31 juillet 2018, et suite à de nombreux échanges entre le SCC et Mme Constantinescu, le SCC a indiqué qu’il devrait être en mesure de compléter la divulgation des renseignements personnels relatifs à la Demande d’accès vers la fin août 2018. Il s’est avéré que tel ne fut pas le cas.

[16] À la suite d’un message de suivi de Mme Constantinescu, le Commissariat communique avec celle-ci le 2 novembre 2018, reconnaissant le retard du SCC et s’engageant à assurer un suivi avec l’institution fédérale dans les prochains mois.

[17] Le 26 août 2019, le Commissariat a constaté que le SCC n’avait pas respecté les délais prescrits par la loi et n’avait pas répondu à la Demande d’accès. Par conséquent, le Commissariat a conclu que la Plainte de Mme Constantinescu était bien fondée. Le Commissariat s’en est tenu à la question du retard de communication des documents en réponse à la Demande d’accès.

[18] Le 15 octobre 2019, Mme Constantinescu a déposé la présente demande en révision dirigée contre la décision du SCC de lui refuser la communication des renseignements personnels demandés.

[19] Le 4 décembre 2019, sur les quelque 70 pages de documents retenus pour consultation, le SCC a transmis à Mme Constantinescu 54 pages de documents additionnelles visées par la Demande d’accès. La plupart de ces pages, ou portions de celles-ci ont été caviardées ou expurgées au terme de l’article 27 de la LPRP (secret professionnel de l’avocat). En outre, 16 pages ont été identifiées comme étant des duplicatas.

[20] Mme Constantinescu n’a pas déposé de plainte au Commissariat relatif aux portions de ces documents qui étaient caviardées ou exclues.

[21] Le 10 janvier 2020, le SCC a transmis à Mme Constantinescu des renseignements additionnels, soit les neuf pages de documents manquantes lors de l’envoi du 1er mai 2018. Certains des renseignements ont été supprimés en tout ou en partie conformément à l’article 26 de la LPRP. Par conséquent, les quelque 120 documents initialement identifiés par le SCC comme pouvant être pertinents quant à la demande de Mme Constantinescu ont été pris en compte.

[22] Mme Constantinescu formule le grief suivant : les neuf documents qui lui ont été communiqués le 10 janvier 2020 n’ont rien à voir avec sa plainte. Ces neuf documents sont les documents manquants de la communication du 1er mai 2018. En tout état de cause, là encore, que je retienne une position stricte ou large sur la demande d’accès, je ne comprends pas le fond du grief alors que Mme Constantinescu a peut-être même reçu plus d’informations que ce que lui était dû.

[23] Mme Constantinescu voit les choses différemment. Elle soutient que la question n’est pas de savoir si elle a obtenu des documents qu’elle n’aurait pas dû recevoir : il s’agit plutôt de savoir si les documents qui répondent concrètement à sa Demande d’accès ont été retenus et remplacés par des documents non pertinents. Là encore, je crains de ne pouvoir abonder dans son sens.

[24] Selon le défendeur, cet envoi complémentaire constitue une réponse complète à la Demande d’accès en ce sens que tous les renseignements personnels visés par celle-ci auraient été transmis. Là encore, Mme Constantinescu n’a pas déposé de plainte au Commissariat relativement aux documents ou aux portions de ces documents qui étaient caviardés ou exclus.

III. Questions en litige

[25] La présente procédure soulève les deux questions suivantes :

  1. La présente demande de révision est-elle théorique?

  2. La présente demande de révision est-elle prématurée?

IV. Discussion

[26] Comme question préliminaire, le défendeur soutient que les paragraphes 1, 2, 26 et 35 à 37 de l’affidavit de Mme Constantinescu exposent soit des opinions, soit des faits non appuyés par la preuve ou non pertinents aux fins du présent recours ou constituent des arguments. Le défendeur demande donc que la Cour ne prenne pas en compte ces paragraphes aux fins de la présente procédure.

[27] Je retiens en grande partie les arguments du défendeur. La plupart des faits et des opinions exposés dans ces paragraphes par Mme Constantinescu, bien qu’ils donnent une certaine couleur au dossier, ne sont pas nécessaires au règlement de la présente affaire. Je ne les ai donc pas pris en considération dans mon examen des questions en cause, si ce n’est que dans la présentation des faits afin de situer ces questions dans leur contexte.

[28] Le pouvoir de révision dont dispose la Cour fédérale dans la présente affaire est tiré de l’article 41 de la LPRP :

Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication

 

Review by Federal Court where access refused

41 L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

 

41 Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

[29] Comme déjà signalée, la présente demande de révision a été déposée le 15 octobre 2019. La demande était clairement axée sur le fait que le SCC n’avait pas produit les documents en réponse à la Demande d’accès dans les délais prévus par la LPRP.

[30] Cela dit, lorsque la présente demande de révision a été instruite, les motifs initiaux invoqués à l’appui de la demande n’étaient plus d’actualité en raison de la suite des événements. Les motifs de la demande de révision étaient exposés dans l’affidavit de Mme Constantinescu produit à l’appui de sa demande, et aucun grief n’y était soulevé quant au fait que certains des 29 documents remis à Mme Constantinescu le 1er mai 2018 avaient été caviardés. La demande de révision se concentrait sur le fait que la plupart des documents étaient toujours en consultation au 1er mai 2018, qu’aucun autre document n’avait été reçu depuis lors et que le Commissariat avait confirmé le bien-fondé de la Plainte.

[31] Le 14 février 2020, Mme Constantinescu a envoyé une lettre à la Cour par laquelle elle a fait une demande informelle de dépôt d’un affidavit amendé. Dans sa lettre, elle signale qu’elle a reçu des documents supplémentaires du SCC le 4 décembre 2019 et le 10 janvier 2020 relativement à la présente Demande d’accès, et qu’elle souhaite donc déposer un affidavit amendé en conséquence. Aucune observation n’a été faite au sujet des exceptions à la divulgation de renseignement personnel que le SCC a invoquées lorsqu’il a communiqué les documents à Mme Constantinescu.

[32] Le SCC ne s’y étant pas opposé, le 27 février 2020, notre Cour a rendu une ordonnance, entre autres, faisant droit à la demande de Mme Constantinescu de dépôt d’un affidavit amendé et prolongeant le délai de dépôt de son dossier. Mme Constantinescu a déposé son dossier le 19 mars 2020, qui comprenait l’affidavit amendé ainsi que son mémoire de fait et de droit.

[33] Mme Constantinescu indique clairement ceci dans son affidavit amendé et dans son mémoire :

La présente demande de contrôle judiciaire a comme but de demander à cette Cour d’examiner la totalité des documents qui sont exclus ou caviardés par le Service correctionnel Canada du dossier de demande et de me permettre d’avoir accès à ceux que la Loi sur la protection des renseignements, le guide de procédures du Commissariat à la vie privée, ainsi que les autres lois canadiennes, me permettent d’accéder.

[34] Les motifs de la présente demande de révision n’ont jamais été amendés, et bien que Mme Constantinescu soulève la question de la divulgation tardive de l’information par le SCC dans son affidavit amendé ainsi que dans son mémoire, il ressort clairement de ces deux documents que le grief de Mme Constantinescu n’était plus fondé sur le refus du SCC de communiquer des documents en réponse à la Demande d’accès, mais plutôt sur le fait que plusieurs documents avaient été caviardés, et que certains documents n’avaient pas été divulgués en raison des exemptions prévues par la LPRP.

[35] Mme Constantinescu est non représentée et notre Cour a régulièrement exprimé la nécessité d’une certaine souplesse à l’égard des plaideurs qui ne bénéficient pas des services d’un avocat, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut faire abstraction des règles de notre Cour (Curtis v Canada (Canadian Human Rights Commission), 2020 FCA 149 au para 31). Mme Constantinescu n’a jamais cherché à modifier les motifs de sa demande de révision, sauf si je dois interpréter sa demande de déposer un affidavit amendé, sans autre mention d’une modification des conclusions qu’elle demande à notre Cour, comme un amendement de la demande de révision. En tout état de cause, je ne pense pas que cela importe d’une manière ou d’une autre, car l’issue de la cause sera la même en fin de compte.

[36] Le défendeur conteste la demande de révision sur deux fronts. D’une part, il soutient que la demande est théorique puisque le SCC aurait répondu à la Demande d’accès en communiquant à Mme Constantinescu tous les renseignements personnels demandés par les envois du 1er mai 2018, du 4 décembre 2019 et du 10 janvier 2020. D’autre part, il soutient que cette demande est prématurée, parce que le Commissaire n’a pas déposé un rapport d’enquête relativement à la divulgation.

[37] Devant moi, Mme Constantinescu a fait valoir plusieurs arguments.

[38] D’abord, Mme Constantinescu affirme que certains des documents qu’elle a reçus du SCC se rapportaient à une autre médiation tenue supposément à un autre moment, et n’étaient donc pas des documents relatifs à sa demande. Elle affirme également que de nombreux documents n’ont pas été divulgués par le SCC.

[39] Mme Constantinescu m’invite également à examiner les 11 pages qualifiées de non pertinentes quant à sa demande, ainsi que les 16 pages de duplicatas pour m’assurer que le SCC ne dissimule rien. Je ne pense pas qu’il appartienne à la Cour d’effectuer cette démarche alors qu’il n’y aucun fondement quant à l’inadéquation des affirmations de la part du SCC : nul grief en ce sens n’a été formulé au Commissariat, ou dans le cadre des plaidoiries devant moi.

[40] Mme Constantinescu a relevé un courriel daté du 20 novembre 2015 dont il ressort que la Directrice à la Direction des enquêtes sur les incidents du SCC [Directrice] était en contact avec la médiatrice concernant la raison pour laquelle Mme Constantinescu ne souhaitait pas rencontrer la directrice pendant le processus de médiation. Mme Constantinescu fait valoir que ce courriel confirme qu’il y a eu d’autres échanges entre la Directrice et la médiatrice qui n’ont pas été divulgués.

[41] De mon point de vue, tout ce que dit le courriel est que la Directrice était en contact avec la médiatrice – ce qui aurait pu se produire par téléphone – en ce qui concerne le refus de Mme Constantinescu de la rencontrer pendant le processus de médiation. Un tel contact serait bien sûr compréhensible. Je suis d’avis qu’il ne ressort nullement de ce courriel que d’autres échanges écrits entre la Directrice et la médiatrice ont eu lieu. Je pense qu’il s’agit ici de la perspective d’un esprit soupçonneux. Sans autre élément à l’appui de telles affirmations, je ne vois pas comment la Cour peut intervenir et ordonner la divulgation de documents additionnels (voir Constantinescu 1).

[42] Mme Constantinescu affirme que les seuls courriels divulgués étaient ceux échangés entre les employés du SCC; les courriels échangés avec la médiatrice n’ont pas été divulgués. Par conséquent, elle soutient que, comme il doit y avoir eu des courriels échangés avec la médiatrice en réponse à sa demande, le SCC les dissimule.

[43] Je pense que nous devons revenir à la Demande d’accès proprement dite. Mme Constantinescu a demandé les documents qui ont été produits par le SCC autorisant la Directrice et une autre personne à participer à cette rencontre de médiation. Il me semble que la plupart sinon même tous les échanges relatifs à cette Demande d’accès seront internes au SCC et pourraient bien ne pas impliquer la médiatrice, si ce n’est un éventuel échange ou appel téléphonique. Par conséquent, Mme Constantinescu ne m’a pas convaincu de son point de vue sur cette question.

[44] Mme Constantinescu dit qu’elle aurait dû recevoir les échanges confirmant l’annulation de la médiation. Cependant, cela ne figurait pas dans la Demande d’accès.

[45] Mme Constantinescu soutient que la participation de la Directrice à la médiation appelait un processus plus formel et elle aurait voulu voir un mémo, une directive ou un échange de courriels confirmant que la Directrice participerait à la médiation. Il est possible que Mme Constantinescu ait raison, mais il est également possible que non, et que la décision de faire participer la Directrice ait été prise simplement parce qu’elle était le plus au fait de la question et que la décision ait été prise lors de réunions. Je ne suis pas convaincu que le SCC n’a pas réussi à produire tous les échanges en réponse à la demande de Mme Constantinescu.

[46] Dans la mesure où Mme Constantinescu exprime maintenant son insatisfaction à l’égard de ce qui lui a été communiqué et soutient que des documents ont été retenus, je dois convenir avec le défendeur que cet argument n’a pas été plaidé dans le cadre de la procédure.

[47] Mme Constantinescu demande un « examen complet de toute l'affaire », qu’il s’agisse du refus de communiquer des documents, de documents communiqués tardivement, de documents communiqués avec caviardage ou de documents non communiqués en raison d’une exception invoquée par le SCC. Cependant, Mme Constantinescu ne peut pas aller au-delà des arguments qu’elle a soulevés à l’égard de la divulgation dans son avis de demande, ses affidavits et dans son mémoire lors de sa comparution devant la Cour. Comme indiqué, les motifs de la demande de révision portent sur la question soulevée dans la Plainte, à savoir le refus présumé de divulgation des documents.

[48] L’affidavit amendé et le mémoire déposé par Mme Constantinescu portent sur les questions caviardage des documents divulgués. Devant moi, Mme Constantinescu soutient maintenant la thèse portant que des documents ont en fait été retenus. Je crains que Mme Constantinescu ne doive comprendre que, à quelques exceptions près, selon les règles de procédure, une partie ne peut soulever à l’audience des questions qui n’ont pas été plaidées par écrit : on évite ainsi que l’autre partie soit prise par surprise. Je n’entendrai donc aucun argument relatif à l’éventuelle rétention de documents.

[49] Mme Constantinescu attire l’attention de la Cour sur la première page d’une lettre, initialement en consultation, mais ensuite communiquée avec la divulgation du 4 décembre 2019, et dit que la deuxième page de cette lettre est manquante. Il est vrai qu’il semble y avoir eu une deuxième page, ne serait-ce que pour la signature de l’expéditeur de la lettre, mais ce point n’a jamais été soulevé avant l’audition devant moi.

[50] Mme Constantinescu signale que les documents ne sont pas classés par ordre chronologique, et il en ressortirait que des documents ont été échangés, que l’on a remplacé des documents qui étaient pertinents quant à sa demande par des documents sans pertinence. Là encore, quoique les soupçons de complot soient au cœur de la présente procédure, je ne suis toujours pas convaincu.

[51] Mme Constantinescu signale également un autre courriel entre deux employés du SCC, dont le contenu est caviardé, et remet en question ce caviardage fondé sur le secret professionnel de l’avocat. Là encore, cette question n’a jamais fait l’objet d’une plainte auprès du Commissariat qui serait mieux placé pour examiner la question. En tout état de cause, je note qu’un des procureurs du SCC en a reçu copie.

[52] De plus, la question de savoir si les documents communiqués étaient pertinents quant à sa Demande d’accès est discutable : faut-il interpréter de manière stricte ou large la demande d’accès présentée par Mme Constantinescu? Cependant, il me semble que si Mme Constantinescu a reçu plus de documents que ce qui était censé lui être divulgué dans le cadre de sa demande d’accès, elle n’a aucune raison de se plaindre.

[53] Le simple soupçon de l’existence de documents manquants n’est pas très utile en l’absence de preuves ou d’arguments raisonnables étayant ce soupçon, en particulier lorsque cela n’est pas mentionné spécifiquement dans les écrits de la demanderesse.

[54] Je bornerai donc mon examen de l’affaire aux questions relevées plus haut.

[55] Bien qu’elle soulève des délais de divulgation à l’appui de ce qui semble être une demande de dommages et intérêts, il me semble que, essentiellement, Mme Constantinescu invite la Cour à se prononcer sur les exceptions qui constituent le fondement du caviardage de certaines pages de documents et des exclusions invoquées par le SCC. À tout le moins, la Cour d’appel fédérale a clairement établi que le remède des dommages et intérêts se situait à l’extérieur de la juridiction de cette Cour dans le cadre du recours en révision prévu à l’article 41 de la LPRP (Connolly c Société canadienne des postes, [2000] ACF no 1883 au para 10).

[56] D’une part, si je dois examiner la présente demande sur le fondement du refus du SCC de produire les documents demandés dans la Demande d’accès, je dois la rejeter, puisqu’elle est désormais sans objet. Le SCC a maintenant complété la communication des documents en réponse à la demande.

[57] Dans l’arrêt Statham c Société Radio-Canada, 2010 CAF 315 [Statham], la Cour d’appel fédérale a énuméré les trois conditions à remplir quant à la recevabilité d’une demande en révision par la Cour fédérale aux termes de l’article 41 de la LAI : le demandeur doit s’être vu refuser la communication d’un document demandé, il doit avoir déposé une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information du Canada et ce dernier doit avoir rendu compte des conclusions de son enquête (Statham au para 64). Bien que cette affaire portait sur la LAI, la jurisprudence enseigne que cette loi et la LPRP s’interprètent de façon harmonieuse selon un « modèle d’interprétation parallèle » (Cumming c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CF 271 au para 30; Edw. Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 227 au para 68).

[58] Ce qui ressort clairement de la jurisprudence, c’est que la demande de révision est rendue théorique et sans objet avec la remise de tous les documents qui faisaient l’objet de la Demande d’accès sans que des exceptions soient soulevées par l’institution fédérale, avant l’audition par la Cour fédérale (X c Canada (ministre de la Défense nationale) (1991), 41 FTR 73; Statham). Le même principe joue lorsque l’institution fédérale avait, en divulguant tous les documents, caviardé des parties de documents, mais que les parties caviardées ont également été communiquées avant l’audience (Frezza c Canada (Défense Nationale), 2014 CF 32, 445 FTR 299).

[59] Si je dois examiner la présente demande sur le fondement des exemptions invoquées par le SCC, je dois également la rejeter. La Demande de révision est prématurée lorsqu’elle est introduite avant que le Commissariat à l’information ait rendu compte des conclusions de son enquête sur les exemptions et les expurgations (Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v Gregory, 2021 FCA 33 au para 13 [Gregory]; Whitty c Canada (Procureur général), 2014 CAF 30 au para 8 [Whitty]).

[60] La Cour d’appel fédérale a observé dans l’arrêt Blank c Canada (Justice), 2016 CAF 189 :

[30] Il ressort clairement de la jurisprudence que la décision de la Cour fédérale sur l’application d’une exception ou d’une exclusion prévue à la Loi est subordonnée au dépôt d’une plainte auprès du commissaire et d’un rapport de celui-ci (voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (ministre de la Défense nationale), [1999] A.C.F. no 522, par. 27; Statham c. Société Radio-Canada, 2010 CAF 315, [2012] 2 R.C.F. 421, par. 55). Comme mon collègue le juge Stratas le mentionne dans l’arrêt Whitty c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 30, au paragraphe 8, cette exigence est la reformulation légale du principe de common law selon lequel, à moins de circonstances exceptionnelles, il faut avoir épuisé tous les autres recours possibles avant de présenter une demande de contrôle judiciaire.

[…]

[36] Répétons-le, en vertu de la Loi, le rôle principal de surveillance appartient au commissaire. Le rôle de la Cour fédérale est étroitement circonscrit : l’article 41, s’il est interprété à la lumière des articles 48 et 49, limite le pouvoir de la Cour fédérale en matière de révision à ordonner la communication de dossiers précis lorsqu’elle a été refusée en contravention à la Loi.

[61] Dans la décision Sheldon c Canada (Santé), 2015 CF 1385 aux paragraphes 21 à 25, le juge LeBlanc observe :

[21] La demanderesse soutient que la demande de révision n’est pas théorique puisque Santé Canada a seulement répondu en partie à la demande d’accès en divulguant une version expurgée des documents demandés. Elle affirme qu’elle a droit à la version non expurgée des documents et qu’elle sollicite une ordonnance en ce sens dans le cadre de la présente demande. Toutefois, la jurisprudence établit clairement que, à défaut d’une enquête préalable menée par le CIC concernant la façon dont Santé Canada a répondu à la demande d’accès, la Cour n’est pas compétente pour examiner la nature et le contenu de la réponse, aussi imparfaite et incomplète soit elle aux yeux de l’auteur de la demande d’accès (Statham, précité, aux paragraphes 23 et 24, 28 à 30; Dagg c Canada (Industrie), 2010 CAF 316 [Dagg], au paragraphe 13; Commissaire à l’information du Canada, précité, au paragraphe 47).

[22] Aux termes du régime établi par la Loi, la demande par laquelle la demanderesse sollicitait une ordonnance enjoignant à Santé Canada de divulguer une version non expurgée des documents demandés est par conséquent prématurée. Dans le cadre d’une demande de révision présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur le fondement d’une plainte portant sur un refus présumé de communication, la Cour ne peut statuer sur l’application de toute dérogation ou exception invoquée en vertu de la Loi tant que le commissaire n’a pas enquêté et rendu compte de ses conclusions au sujet de la dérogation ou de l’exception revendiquée (Statham, précité, au paragraphe 55; Whitty, précité, aux paragraphes 8 et 9, Lukács c Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, 2015 CF 267, au paragraphe 31).

[23] En l’espèce, le CIC a limité son enquête, comme il était tenu de le faire en raison de la nature de la plainte de la demanderesse, en exigeant que Santé Canada réponde à la demande d’accès pour que la demanderesse puisse ensuite examiner le bien-fondé de la réponse fournie. Si elle n’était pas satisfaite de la réponse, la demanderesse pouvait en retour déposer une autre plainte devant le CIC, ce qu’elle semble avoir fait, pour que celui-ci examine le bien-fondé des dérogations ou exceptions invoquées au titre de la Loi par Santé Canada. Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que cette autre plainte a fait l’objet d’une enquête et d’un rapport par le CIC. À l’audience, la demanderesse n’a pas été en mesure de confirmer à quelle étape en était cette plainte.

[24] Par conséquent, je n’ai d’autre choix que de conclure qu’il n’a pas été satisfait à la troisième condition préalable au dépôt d’une demande fondée sur l’article 41 de la Loi concernant les dérogations et les exceptions appliquées par Santé Canada aux documents demandés, soit la délivrance d’un rapport du CIC (Statham, précité, au paragraphe 64). Par conséquent, il est prématuré pour la demanderesse de contester la décision de Santé Canada de ne pas communiquer « l’ensemble » des documents. Ma conclusion est conforme à la logique du régime établi par la Loi, aussi imparfait et contraignant soit elle aux yeux de certaines personnes.

[25] La demande de révision de la demanderesse étant théorique ou prématurée, elle doit, pour ce motif, être rejetée.

[62] La Cour d’appel fédérale a récemment indiqué de manière non équivoque et une fois de plus qu’il doit y avoir un rapport du Commissariat sur la validité des exemptions avant que cette Cour puisse ordonner la divulgation (Gregory au para 13).

V. Conclusion

[63] Mme Constantinescu savait que le SCC invoquait des exemptions après réception de la première liasse de documents le 1er mai 2018, mais elle n’a pas déposé de plainte à ce sujet auprès du Commissariat avant que celui-ci ne rende son rapport. Il était logique que le rapport du Commissariat ne mentionne que le retard du SCC à communiquer les documents, car c’était le seul fondement de la plainte de Mme Constantinescu à ce moment-là. La Cour ne peut, dans ces circonstances, être appelée à se prononcer sur les demandes d’exemption formulées par le SCC. Par conséquent, la demande de Mme Constantinescu sur cette base étant prématurée, je dois la rejeter pour ce motif également.

[64] En tout état de cause, la demande de Mme Constantinescu est aussi sans effet.

[65] En conséquence, la présente demande de révision sera rejetée avec dépens au montant de 500 $ payable au SCC.


JUGEMENT au dossier T-1681-19

LA COUR STATUE que la demande de révision est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur au montant de 500 $ payable par la demanderesse.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1681-19

 

INTITULÉ :

CECILIA CONSTANTINESCU c SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 OCTOBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 mars 2021

 

COMPARUTIONS :

Cecilia Constantinescu

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Marilou Bordeleau

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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