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Date : 20210316


Dossier : T-227-17

Référence : 2021 CF 190

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

DTECHS EPM LTD.

demanderesse/
défenderesse reconventionnelle

et

BRITISH COLUMBIA HYDRO AND POWER AUTHORITY ET AWESENSE WIRELESS INC.

défenderesses/
demanderesses reconventionnelles

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS


Table des matières

I. Aperçu 3

II. Détection des pertes électriques d’un réseau de distribution électrique 7

III. Actes de procédure et historique de l’instance 13

IV. Brevet 087 14

V. Revendications en litige 16

VI. Questions en litige 25

VII. Preuve 25

A. Témoins des faits et témoins experts 25

(1) Les témoins de dTechs 25

(2) Les témoins de BC Hydro 26

(3) Les témoins d’Awesense 27

B. Observations au sujet de la preuve 28

VIII. Faits 30

A. Invention de M. Morrison 30

B. Le système TGI d’Awesense 33

IX. Interprétation des revendications 35

A. Principes juridiques et dates pertinentes 35

B. Personne moyennement versée dans l’art (PVA) 37

C. Connaissances générales courantes de la PVA 39

D. Termes des revendications qui nécessitent une interprétation 43

(1) « Raccordement du compteur à une ligne d’alimentation primaire » 44

(2) « Modèles de consommation connus » 45

(3) « Notifier le service public » 54

X. Contrefaçon 57

A. Principes juridiques 57

B. Analyse 58

XI. Validité 65

A. Antériorité 65

(1) Principes juridiques 65

(2) Utilisation antérieure de BC Hydro 66

(3) Document OLO 74

(4) Document De 79

B. Évidence 85

C. Conclusion sur la validité 95

D. Autres moyens de défense 95

XII. Dispositif 96

I. Aperçu

[1] Roger Morrison est un ancien sergent du Service de police de Calgary (SPC), pour lequel il a mené des enquêtes sur le crime organisé et les drogues illicites. Dans le cadre de son travail de policier, M. Morrison s’est intéressé à l’identification des opérations de culture de marijuana [les opérations de culture] en retraçant les lieux où étaient menées des activités de vol d’électricité.

[2] La police s’appuyait traditionnellement sur les conseils du personnel des services publics ou du public pour lancer des enquêtes sur le vol d’électricité et les opérations de culture de marijuana. Une fois qu’une propriété suspecte était identifiée, diverses mesures pouvaient être prises pour déterminer lequel des transformateurs de la ligne secondaire était en cause, et à partir de là quelle résidence était l’emplacement probable du vol ou de l’opération de culture. Cependant, cette approche était inefficace et, selon l’emplacement du transformateur, pouvait obliger la police à obtenir un mandat de perquisition.

[3] En 2004, M. Morrison a commencé à mettre au point une méthode plus efficace, moins intrusive et moins coûteuse pour retracer les lieux où sont menées des activités de vol d’électricité. Pour cela, il faillait raccorder un ampèremètre à la ligne d’alimentation primaire moyenne tension [MT] au niveau des jonctions électriques. Chaque jonction alimentait en moyenne dix transformateurs de distribution et chaque transformateur alimentait en moyenne huit résidences.

[4] M. Morrison a supposé que si une utilisation électrique anormalement élevée était détectée sur la ligne d’alimentation primaire, par rapport à l’utilisation courante, cela indiquerait une opération de culture de marijuana potentielle quelque part dans la partie du réseau électrique alimentée par cette jonction primaire. Une fois l’utilisation suspecte identifiée, d’autres mesures d’enquête pourraient être prises pour identifier le client suspect.

[5] M. Morrison considérait son idée comme nouvelle et comme une amélioration importante par rapport à l’approche traditionnelle. Il a également estimé que c’était rentable, car un seul compteur de ligne d’alimentation primaire pouvait être utilisé pour surveiller jusqu’à une centaine de points de service à la clientèle en cas de vol.

[6] Au cours des échanges de vues de première heure, une question qui se posait souvent était de savoir si des détournements d’électricité relativement faibles sur les lignes de service secondaires pouvaient être détectés avec précision en mesurant sur les lignes d’alimentation primaires, en particulier à l’aide d’un ampèremètre comme l’a proposé M. Morrison. La solution de M. Morrison consistait à se procurer un ampèremètre à enregistrement numérique pouvant mesurer avec précision le courant à une résolution de 0,1 A.

[7] En novembre 2005, M. Morrison a engagé Broy Engineering à Toronto pour concevoir et fabriquer un ampèremètre à enregistrement numérique [AEN] ayant une résolution de 0,1 A. Un prototype a été livré à M. Morrison en mars 2006, et ce dernier a mis à l’essai sa méthode le même mois. Il était content des résultats.

[8] Peu de temps après, M. Morrison a demandé un congé d’un an du SPC pour commercialiser son invention. Il n’est jamais retourné à son poste de sergent de police.

[9] Le 24 mai 2006, M. Morrison a constitué dTechs epm Ltd [dTechs]. Le 31 mai 2006, il a déposé une demande de brevet dont la date de priorité était le 10 février 2006, sur le fondement d’une demande déposée antérieurement.

[10] Le 12 mars 2008, M. Morrison a cédé la propriété de son invention à dTechs. Le 22 juillet 2008, dTechs a obtenu un brevet américain. Le brevet canadien a été délivré le 20 janvier 2009; dTechs y est inscrit comme propriétaire et M. Morrison comme inventeur.

[11] Le brevet canadien 2 549 087 [le brevet 087] est intitulé « Système de contrôle de profil électrique pour détecter une consommation anormale » et concerne de façon générale [traduction] « la surveillance de l’utilisation des services publics, tels que l’électricité, pour détecter les modifications des modèles normaux de consommation des services publics et, plus précisément, […] un système de détection de modèles indicatifs de vol de services publics d’électricité, comme dans la culture de marijuana en intérieur ».

[12] La British Columbia Hydro and Power Authority [BC Hydro] est une société d’État et un service public d’électricité. C’est l’un des plus importants fournisseurs d’énergie au Canada, produisant et fournissant de l’électricité à 95 % de la population de la Colombie-Britannique.

[13] Awesense Wireless Inc [Awesense] a été fondée en 2009. Son fondateur et directeur général est Mischa Steiner-Jovic, connu professionnellement sous le nom de Mischa Steiner. La vision de M. Steiner pour sa jeune entreprise était d’utiliser la technologie sans fil et l’analyse de données pour optimiser le réseau de distribution électrique. Il a présenté pour la première fois un concept d’optimisation du réseau à BC Hydro en mai 2010. Par la suite, Awesense a conclu une série de contrats avec BC Hydro pour la fourniture d’ampèremètres sans fil et de compteurs d’énergie à utiliser sur la ligne d’alimentation primaire ainsi que du logiciel de support.

[14] dTechs allègue que BC Hydro utilise un système, fourni par Awesense, qui est fondé sur les méthodes décrites dans le brevet 087, pour détecter les vols d’électricité et, par conséquent, contrevient aux revendications précisées du brevet. Bien qu’Awesense n’exécute pas chacune des étapes elle-même, dTechs affirme qu’elle est responsable d’avoir incité ou amené ses clients à contrefaire le brevet 087. dTechs allègue également qu’Awesense est responsable de la contrefaçon en vertu de la doctrine juridique du projet commun.

[15] Pour les motifs qui suivent, ni BC Hydro ni Awesense, individuellement ou collectivement, ne contrefait les revendications du brevet 087. De plus, les revendications du brevet 087 sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence.

II. Détection des pertes électriques d’un réseau de distribution électrique

[16] Le résumé suivant des méthodes de détection des pertes électriques d’un réseau de distribution d’électricité est adapté du bilan fourni par Carl LaPlace dans son rapport d’expertise du 10 avril 2020.

[17] Un réseau électrique ou un système de distribution comprend plusieurs niveaux. La fourniture d’électricité « descend » par ces niveaux ou composants fonctionnels au fur et à mesure qu’elle passe de la centrale de production au client. L’électricité produite s’écoule généralement du niveau de transport vers les sous-stations, puis vers les artères et enfin vers les clients.

[18] Un réseau de distribution d’électricité se compose des niveaux fonctionnels ou composants suivants (rapport d’expert de Carl LaPlace en date du 10 avril 2020, figure 1) :

Color Key:

Clé des couleurs :

Red: Generation

Rouge : Génération

Blue: Transmission

Bleu : Transmission

Green: Distribution

Vert : Distribution

Black: Customer

Noire : Client

Generating Station

Centrale

Generation
Step Up
Transformer

Transformateur
élévateur
de génération

Transmission lines
765, 500, 230, and 138 kV

Lignes de transmission
765, 500, 230 et 138 kV

Transmission Customer
138 kV or 230 kV

Client de transmission
138 kV ou 230 kV

Substation
Step Down
Transformer

Transformateur
abaisseur
de sous-station

Subtransmission Customer
26 kV and 69 kV

Client de répartition
26 kV et 69 kV

Primary Customer
13 kV and 4 kV

Client primaire
13 kV ou 4 kV

Secondary Customer
120 V and 240 V

Client secondaire
120 V ou 240 V

Figure 1: The Power Grid

Figure 1 : Le réseau électrique

 

[19] L’électricité est produite à partir de ressources telles que le charbon et le gaz naturel. Les centrales de production d’énergie sont communément appelées centrales électriques. L’électricité est produite dans les centrales électriques par des machines tournantes électromécaniques, alimentées par combustion ou fission nucléaire ou, dans le cas de la production d’énergie hydroélectrique, par des turbines à eau.

[20] Le niveau de transmission est un réseau de lignes triphasées fonctionnant à des tensions généralement comprises entre 115 kV et 765 kV. Les lignes de transmission sont conçues pour fournir de l’électricité sur de longues distances, des générateurs aux sous-stations, et sont interconnectées pour former un réseau. Cela signifie qu’il y a plus d’un chemin électrique entre deux points quelconques du système, ce qui améliore la fiabilité et le flux de fonctionnement : si une ligne tombe en panne, il existe un autre itinéraire pour garantir que le flux d’énergie est ininterrompu.

[21] Les sous-stations sont les points de rencontre entre le réseau de transport et le réseau de distribution. L’une de leurs fonctions principales est de convertir la puissance entrante des lignes de transmission à haute tension en la tension d’alimentation primaire inférieure requise pour la distribution.

[22] Les artères primaires de MT sont généralement des lignes de distribution aériennes montées sur des poteaux en bois ou enterrées sous terre. Elles acheminent l’électricité de la sous‑station dans toute sa zone de service. Les artères fonctionnent à la tension de distribution primaire, qui se situe généralement entre 4,2 kV et 34,5 kV dans toute l’Amérique du Nord. Une sous-station alimente normalement entre deux et 12 artères.

[23] Les transformateurs de service ou de distribution abaissent la tension de la tension d’alimentation MT primaire à la tension du client, qui est normalement un service de 120/240 V à deux branches dans toute l’Amérique du Nord. Dans la construction aérienne, les transformateurs de service sont des transformateurs monophasés montés sur les poteaux. Il peut y avoir plusieurs centaines de transformateurs de service le long d’une artère MT primaire.

[24] Les circuits secondaires sont alimentés par les transformateurs de service ou de distribution. Ils acheminent l’alimentation à 120/240 V directement aux utilisateurs finaux. Chaque transformateur dessert un petit réseau radial de lignes de service secondaires à basse tension [BT]. Ces lignes de service sont connectées aux compteurs des points de service des clients à proximité immédiate. Les compteurs peuvent être des compteurs « intelligents » analogiques ou numériques.

[25] Un « réseau intelligent » est un réseau électrique qui utilise des appareils électroniques intelligents numériques, des ordinateurs et des réseaux de données de communication pour contrôler, protéger et automatiser le réseau électrique. Cela peut être mis en contraste avec les technologies analogiques plus anciennes datant de plusieurs décennies qui ne sont en mesure que de traiter et de contrôler des données analogiques localisées. Les dispositifs de réseau intelligent comprennent des relais de protection et de contrôle numériques, des unités terminales distantes, des systèmes d’acquisition et de contrôle des données [SCADA], des appareils intelligents, des solutions d’énergie renouvelable numériques, des systèmes d’automatisation de la distribution, etc.

[26] Lorsque le brevet 087 a été publié en août 2007, la grande majorité des compteurs en service utilisaient l’ancienne technologie analogique. Cette technologie présentait deux défauts importants : 1) l’impossibilité de fournir des données de consommation en temps réel ou synchronisées (le comptage analogique ne pouvait fournir que la consommation totale d’énergie); 2) l’incapacité d’exporter des données numérisées sans fil. Cette dernière limitation a entraîné des coûts de main-d’œuvre importants en raison de la nécessité de lire les compteurs des points de service client en personne.

[27] Les compteurs intelligents numériques ont commencé à apparaître en 2007. La première génération de compteurs intelligents avait une connectivité sans fil limitée et nécessitait toujours un véhicule pour passer et télécharger les données mesurées. Ils avaient toutefois la capacité de mesurer la consommation synchronisée ou en temps réel. Il s’agissait d’une avancée technologique importante dans la détection des pannes de courant et du vol.

[28] Depuis août 2007, les méthodes typiques de « réseau intelligent » pour détecter les pertes ou les vols de courant se sont concentrées sur le point final secondaire ou le point de service client. Une méthode permise par les compteurs intelligents consistait à analyser les données de consommation en temps réel mesurées en kilowattheures [kWh] au moyen du compteur du point de service client pour identifier les modèles de consommation atypiques ou suspects.

[29] En 2007, l’utilisation de compteurs intelligents dans chaque point de service client était rare. Même avec les compteurs intelligents, la surveillance au point de service avait des limites car les compteurs pouvaient être contournés, masquant ainsi le vol.

[30] Les techniques de détection d’effraction déployées dans les compteurs des points de service client, telles que le « compte de clignotements », ont été comprises à partir d’août 2007. Cette technique consistait à enregistrer le nombre de fois qu’un compteur avait été mis hors tension par rapport aux compteurs voisins. Un nombre de clignotements inhabituellement élevé peut signifier qu’un client a retiré le compteur pour le trafiquer ou qu’il a installé des cavaliers autour de la base. Cependant, cette technique ne pouvait pas détecter le vol en mettant en direct les fils de dérivation du service client devant le compteur, ce qui était assez courant à l’époque.

[31] Une autre méthode connue de détection de vol consistait à mesurer les signatures thermiques des transformateurs de distribution alimentés par les artères MT primaires pour identifier une charge ou une surcharge excessive. Cependant, cela n’était pas toujours pratique, car le transformateur devait être surchargé au moment précis du relevé pris depuis un véhicule pour être détecté.

[32] Le comptage de la consommation au transformateur de distribution était une méthode connue pour détecter le vol d’électricité en août 2007. Cela nécessitait la mesure de l’entrée d’énergie totale d’un transformateur de distribution connecté à la ligne d’alimentation primaire et de la comparer à la production d’énergie globale des lignes secondaires d’un transformateur aux points d’extrémité. La production d’énergie totale du transformateur doit être égale à son entrée d’énergie primaire (moins les pertes de la ligne de distribution secondaire). Toute énergie manquante pourrait indiquer qu’un client alimenté par ce transformateur volait de l’électricité. Cette technique avait initialement une application pratique limitée, car elle nécessitait l’installation de compteurs sur chaque transformateur, ou d’autres moyens d’identifier les transformateurs suspects.

[33] Avec l’avènement des réseaux intelligents et des compteurs intelligents modernes, la comparaison de l’entrée d’énergie d’un transformateur de distribution connecté à la ligne d’alimentation primaire avec la production d’énergie globale des lignes secondaires d’un transformateur aux points de service client est devenue courante. BC Hydro a été le premier service public en Amérique du Nord à déployer une capacité d’équilibrage énergétique à l’échelle du réseau de distribution, et la méthode est maintenant largement utilisée par les services publics en Amérique du Nord et ailleurs.

III. Actes de procédure et historique de l’instance

[34] La présente action a été introduite par dTechs au moyen d’une déclaration datée du 16 février 2017. dTechs a par la suite modifié ses actes de procédure le 20 novembre 2017.

[35] BC Hydro a déposé sa défense et sa demande reconventionnelle le 15 décembre 2017. Ses actes de procédure ont par la suite été modifiés le 17 juillet 2019, le 20 février 2020, le 19 août 2020 et le 9 novembre 2020.

[36] Awesense a déposé sa défense et sa demande reconventionnelle le 15 décembre 2017.

IV. Brevet 087

[37] La date de priorité du brevet 087 est le 10 février 2006. Sa date de dépôt est le 31 mars 2006 et sa date de publication est le 10 août 2007. Le brevet 087 a été délivré le 20 janvier 2009.

[38] L’abrégé du brevet 087 est rédigé comme suit :

Des méthodes de détection de schémas atypiques de consommation d’électricité, déterminés par le contrôle de la consommation au niveau de la ligne principale, permettent de détecter les opérations de cultures illégales et les pertes en ligne inhabituelles dues à des lignes de service défectueuses. Un compteur haute résolution est raccordé à la ligne principale et les données recueillies sont comparées aux schémas de consommation connus ce qui permet d’identifier un vol ou une perte potentielle. Après identification d’un schéma atypique, les signatures thermiques des transformateurs alimentés par la ligne d’alimentation principale sont mesurées. Une signature thermique inhabituelle alerte sur l’utilité d’un essai en charge des lignes secondaires de chaque résidence alimentée par le transformateur permettant de localiser ainsi les résidences suspectes qui peuvent être des opérations de cultures illégales ou une perte en ligne due à des lignes de service défectueuses.

[39] Le brevet 087 indique que le domaine de l’invention se rapporte aux [traduction] « systèmes de surveillance de l’utilisation des services publics, tels que l’électricité, pour détecter les modifications des modèles normaux de consommation des services publics et, plus précisément, à un système de détection de modèles indicatifs de vol de services publics, comme dans la culture de marijuana en intérieur ».

[40] Selon la section Contexte de l’invention, le vol électrique entraîne des millions de dollars de pertes par an; 500 millions de dollars rien qu’en Ontario. La culture de la marijuana en intérieur est en grande partie responsable du vol d’électricité. En plus des pertes financières, les coûts supplémentaires pour la communauté comprennent des dommages matériels, un risque accru d’incendie dû à un câblage défectueux, ainsi que des baisses de tension et des pannes de courant dues à des transformateurs surchargés.

[41] L’inventeur reconnaît qu’il existe des systèmes connus pour surveiller la consommation au niveau des lignes secondaires qui alimentent l’électricité du transformateur à la résidence et qui peuvent détecter les surconsommations. Cependant, l’inventeur affirme qu’à sa connaissance, aucun système actuellement utilisé n’est en mesure d’identifier économiquement des modèles d’utilisation atypiques au niveau primaire, puis d’identifier des ménages particuliers susceptibles d’intéresser les services publics et les forces de l’ordre. La surutilisation due à une opération de culture de marijuana est difficile à détecter au niveau primaire, car elle ne sera généralement pas reconnue comme une altération importante de la mesure avec l’utilisation de compteurs conventionnels.

[42] Le Contexte de l’invention se termine comme suit :

[traduction]
Il existe un grand intérêt pour les systèmes qui peuvent être utilisés pour identifier des modèles de consommation inhabituels, au niveau primaire, qui peuvent être révélateurs d’un vol de service public et qui n’enfreignent pas les lois existantes qui protègent les droits et libertés individuels.

[43] Selon le résumé de l’invention :

[traduction]
Des modes de réalisation de l’invention concernent un procédé de détection de modèles de consommation atypiques qui, comparés à des modèles de consommation connus, sont utiles pour identifier les pertes électriques ou les vols, tels que dans le cas d’installations de culture de marijuana. L’utilisation d’un compteur ayant une résolution suffisante pour pouvoir détecter les modèles d’utilisation suspects sur la ligne d’alimentation primaire permet de surveiller les modèles de consommation sans devoir accéder à des propriétés privées et qui ne peuvent être contournées, ce qui est généralement le cas avec le comptage des résidences individuelles et les installations de culture.

[44] Le brevet 087 fournit une brève description des dessins ainsi qu’une description détaillée du mode de réalisation privilégié, suivi de 35 revendications.

V. Revendications en litige

[45] dTechs allègue la contrefaçon des revendications 1, 4 à 9, 13 à 29 et 33 à 35 [les revendications invoquées].

[46] Dans sa demande reconventionnelle, BC Hydro allègue que les revendications invoquées du brevet 087 sont invalides. Awesense prétend que le brevet 087 est invalide dans son intégralité, mais sa preuve et ses arguments et n’ont porté que sur les revendications invoquées.

[47] La revendication 1 est indépendante. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
1. Procédé de détection de modèles de consommation électrique atypiques comprenant :

fournir un compteur pour détecter la consommation d’électricité d’un service public;

connecter le compteur à une ligne d’alimentation primaire, la ligne d’alimentation primaire fournissant de l’électricité à une pluralité de transformateurs, chaque transformateur alimentant une pluralité de structures en électricité, le compteur ayant une résolution permettant de détecter une variation par rapport aux modèles de consommation connus;

surveiller la ligne d’alimentation primaire à des intervalles de temps prédéterminés pour la consommation d’électricité;

collecter des données pour déterminer des mesures indicatives de modèles de consommation;

comparer les modèles de consommation à des modèles de consommation connus pour identifier des modèles de consommation suspects;

lorsqu’un modèle de consommation suspect est identifié, notifier le service public du modèle de consommation suspect identifié dans la ligne d’alimentation primaire, le service public surveillant ensuite les caractéristiques de la pluralité de transformateurs pour identifier un transformateur suspect;

soumettre à un essai en charge au moins l’une d’une pluralité de lignes secondaires du transformateur suspect à chacune de la pluralité de structures pour identifier une structure suspecte.

[48] La revendication 4 dépend de la revendication 1, 2 ou 3. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
4. Procédé selon la revendication 1, 2 ou 3 ayant en outre un compteur intelligent connecté à des lignes secondaires à chaque structure pour déterminer la consommation à chacune des structures, le procédé comprenant en outre :

comparer l’alimentation électrique de la ligne d’alimentation primaire à une somme des consommations de toutes les lignes secondaires pour rapprocher la consommation avec l’alimentation.

[49] La revendication 5 dépend de l’une quelconque des revendications 1 à 4. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
5. Procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, dans lequel les caractéristiques de la pluralité de transformations surveillées sont une signature thermique.

[50] La revendication 6 dépend de la revendication 5. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
6. Procédé selon la revendication 5, dans lequel la signature thermique est contrôlée en utilisant un laser infrarouge.

[51] La revendication 7 dépend de l’une quelconque des revendications 1 à 6. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
7. Procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 6, dans lequel le compteur a une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage inférieure à 1 A.

[52] La revendication 8 dépend de l’une quelconque des revendications 1 à 7. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
8. Procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 7, dans lequel le compteur a une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage d’environ 0,01 à environ 0,1 A.

[53] La revendication 9 dépend de l’une quelconque des revendications 1 à 8. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
9. Procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 8, dans lequel le modèle de consommation suspect est supérieur à un modèle de consommation connu sur une période de temps prédéterminée.

[54] La revendication 13 dépend des revendications 1 à 12. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
13. Procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 12, dans lequel le compteur est un ampèremètre à enregistrement numérique.

[55] La revendication 14 dépend de la revendication 13. Elle décrit une méthode comme suit :

[traduction]
14. Procédé selon la revendication 13, dans lequel l’ampèremètre à enregistrement numérique a une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage inférieure à 1 A.

[56] La revendication 15 dépend de la revendication 13. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
15. Procédé selon la revendication 13, dans lequel l’ampèremètre à enregistrement numérique a une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage d’environ 0,01 à environ 0,1 A.

[57] La revendication 16 dépend des revendications 13, 14 ou 15. Elle décrit une méthode comme suit :

[traduction]
16. Procédé selon les revendications 13, 14 ou 15, dans lequel l’ampèremètre à enregistrement numérique est programmé pour s’actionner aux intervalles de temps prédéterminés pour mesurer la consommation électrique.

[58] La revendication 17 dépend des revendications 13 à 16. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
17. Procédé selon l’une quelconque des revendications 13 à 16, dans lequel l’ampèremètre à enregistrement numérique comprend en outre une mémoire tampon pour le stockage des données obtenues aux intervalles prédéterminés.

[59] La revendication 18 dépend de la revendication 17. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
18. Procédé selon la revendication 17, comprenant en outre :

le traitement des données stockées pour déterminer des mesures indicatives de modèles de consommation électrique; et transmettre les mesures indicatives des modèles de consommation électrique au service public.

[60] La revendication 19 dépend de la revendication 17 ou 18. Elle décrit une méthode comme suit :

[traduction]
19. Procédé selon la revendication 17 ou 18, comprenant en outre :

transmettre les données stockées à un processeur pour déterminer des mesures indicatives de modèles de consommation électrique.

[61] La revendication 20 dépend de la revendication 19. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
20. Procédé selon la revendication 19, dans lequel la transmission des données stockées se fait par technologie sans fil.

[62] La revendication 21 est une autre revendication indépendante. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
21. Procédé de détection de modèles de consommation électrique atypiques dans un système électrique ayant une ligne d’alimentation primaire fournissant de l’électricité à une pluralité de transformateurs et dans lequel chaque transformateur fournit de l’électricité à une pluralité de consommateurs via une pluralité de lignes secondaires, le procédé comprenant :

mesurer la ligne d’alimentation primaire à des intervalles de temps prédéterminés pour établir des données indicatives de modèles de consommation;

comparer les modèles de consommation à des modèles de consommation connus pour identifier des modèles de consommation suspects, et lorsqu’un modèle de consommation suspect est identifié, surveiller les caractéristiques de la pluralité de transformateurs pour identifier un transformateur suspect parmi la pluralité de transformateurs;

soumettre à un essai en charge au moins l’une de la pluralité de lignes secondaires formant le transformateur suspect vers chacun de la pluralité de consommateurs.

[63] La revendication 22 dépend de la revendication 21. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
22. Procédé selon la revendication 21, dans lequel les caractéristiques de surveillance de la pluralité de transformateurs comprennent en outre :

notifier à un organisme de surveillance le modèle de consommation suspect dans la ligne d’alimentation primaire, l’organisme de surveillance surveillant ensuite les caractéristiques de la pluralité de transformateurs.

[64] La revendication 23 dépend de la revendication 21 ou 22. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
23. Procédé selon la revendication 21 ou 22, dans lequel l’essai en charge d’au moins l’une de la pluralité de lignes secondaires provenant du transformateur suspect sert à identifier un consommateur suspect.

[65] La revendication 24 dépend de la revendication 21, 22 ou 23. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
24. Procédé selon la revendication 21, 22 ou 23, dans lequel le comptage de la ligne d’alimentation primaire est effectué à une résolution permettant de détecter une variation par rapport aux modèles de consommation connus dans la ligne d’alimentation primaire en réponse à des modèles de consommation suspects générés par les activités d’un consommateur.

[66] La revendication 25 dépend des revendications 21 à 24. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
25. Procédé selon l’une quelconque des revendications 21 à 24, dans lequel les caractéristiques de la pluralité de transformateurs surveillées sont une signature thermique.

[67] La revendication 26 dépend de la revendication 25. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
26. Procédé selon la revendication 25, dans lequel la signature thermique est contrôlée en utilisant un laser infrarouge.

[68] Les revendications 27 et 28 dépendent de la revendication 24. Elles sont rédigées comme suit :

[traduction]
27. Procédé selon la revendication 24, dans lequel la mesure est prise à une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage inférieure à 1 A.

28. Procédé selon la revendication 24, dans lequel la mesure est prise à une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage d’environ 0,01 à environ 0,1 A.

[69] La revendication 29 dépend de l’une quelconque des revendications 21 à 28. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
29. Procédé selon l’une quelconque des revendications 21 à 28, dans lequel le modèle de consommation suspect est supérieur à un modèle de consommation connu sur une période de temps prédéterminée.

[70] La revendication 33 dépend des revendications 21 à 32. Elle est rédigée comme suit :

[traduction]
33. Procédé selon l’une quelconque des revendications 21 à 32, dans lequel la mesure est prise en utilisant un ampèremètre à enregistrement numérique.

[71] Les revendications 34 à 35 dépendent de la revendication 33. Elles sont rédigées comme suit :

[traduction]
34. Procédé selon la revendication 33, dans lequel l’ampèremètre à enregistrement numérique a une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage inférieure à 1 A.

35. Procédé selon la revendication 33, dans lequel l’ampèremètre à enregistrement numérique a une résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage d’environ 0,01 à environ 0,1 A.

VI. Questions en litige

[72] Les questions soulevées dans la présente instance sont celles de savoir si les revendications invoquées du brevet 087 sont contrefaites par BC Hydro, Awesense, ou les deux, et si les revendications invoquées du brevet 087 sont valides.

VII. Preuve

A. Témoins des faits et témoins experts

(1) Les témoins de dTechs

[73] M. Roger Morrison est l’inventeur nommé du brevet 087. Il est le fondateur de dTechs, entreprise à laquelle il a cédé la propriété du brevet 087 peu de temps avant le début du présent litige. M. Morrison est un ancien sergent du SPC, spécialisé dans les enquêtes sur le crime organisé et les drogues illicites. M. Morrison a témoigné à titre de témoin des faits.

[74] M. Peter Roy est ingénieur. Il est le président et propriétaire de Broy Engineering à Toronto. M. Roy a été appelé comme témoin des faits.

[75] M. Carl LaPlace est un ingénieur électricien ayant plus de 35 ans d’expérience. Il a occupé divers postes de direction technique et d’ingénierie dans plusieurs sociétés mondiales de réseaux intelligents, notamment Siemens, ABB, Elster-Honeywell, Sensus et GE. Il a été reconnu comme expert en génie électrique, notamment en ce qui concerne les systèmes de distribution d’électricité et les technologies connexes, y compris les technologies et méthodes de surveillance de la distribution d’électricité et d’identification des pertes techniques et non techniques.

(2) Les témoins de BC Hydro

[76] M. John Millard est le directeur de l’analyse des clients, des revenus et de la gestion des risques chez BC Hydro. M. Millard a été appelé comme témoin des faits.

[77] M. Wayne Cross est un ancien directeur du comptage du revenu chez BC Hydro. M. Cross a été appelé comme témoin des faits.

[78] M. Brent Hughes est un ancien directeur du comptage du revenu chez BC Hydro. M. Hughes a été appelé comme témoin des faits.

[79] M. Paul Trustham est conseiller en inspection sur le terrain chez BC Hydro. M. Trustham a été appelé comme témoin des faits.

[80] M. J Bradley Shepherd est un ingénieur professionnel qui a exercé pendant plus de cinquante ans le métier d’ingénieur électricien et gestionnaire dans l’industrie. Avant de devenir ingénieur professionnel, il a travaillé pendant dix ans comme électricien, électronicien et estimateur de coûts de projets électriques en milieu commercial, résidentiel, aérospatial et marin. Il a été reconnu comme expert en distribution d’électricité et en pratiques d’ingénierie et de services publics connexes, y compris les méthodes, processus, équipements et techniques liés à l’identification et au traitement des pertes dans les systèmes de distribution d’électricité, notamment les pertes dues au vol et/ou aux détournements d’énergie, y compris les détournements d’énergie liés aux opérations de culture de marijuana.

(3) Les témoins d’Awesense

[81] M. Greg Shaigec est un entrepreneur de Fortis BC, un important service public d’électricité en Colombie-Britannique. M. Shaigec a été appelé comme témoin des faits.

[82] M. Mischa Steiner-Jovic est le fondateur et chef de la direction d’Awesense Wireless Inc. M. Steiner a été appelé comme témoin des faits.

[83] M. William Bennett est un ingénieur professionnel à la retraite ayant plus de 35 ans d’expérience dans l’industrie de l’électricité et de la distribution. Il connaît tous les aspects de l’exploitation et de la gestion du réseau. Il a été reconnu comme expert en gestion du réseau électrique, exploitation et maintenance des services publics, technologie du réseau, planification et ingénierie de la distribution, conception et construction de systèmes de distribution aériens et souterrains, contrôle et exploitation du bureau du système, y compris les systèmes SCADA, l’exploitation des compteurs, le soutien aux enquêtes et la facturation de gros.

B. Observations au sujet de la preuve

[84] Les parties ont reconnu l’expertise des témoins experts qui ont été appelés à témoigner dans la présente instance, réservant toutes les questions qu’elles pourraient avoir sur la qualité de la preuve qu’ils ont présentée pour le contre-interrogatoire et les plaidoyers.

[85] dTechs dit que le témoignage de M. LaPlace devrait être privilégié à celui des experts appelés au nom des défenderesses. Elle soutient que M. Shepherd n’était pas bien placé pour commenter les connaissances générales courantes de la personne moyennement versée dans son domaine à l’époque pertinente, car il a cessé de travailler dans le domaine de l’ingénierie de la distribution d’électricité en 1994. Il s’est ensuite orienté vers l’assurance et le soutien des recours en justice. Depuis 2006, son activité consiste presque entièrement à enquêter et à témoigner dans le cadre de litiges découlant d’électrocutions, d’incendies électriques, de dommages matériels et d’expropriations.

[86] Selon dTechs, M. Bennett n’était ni indépendant ni objectif. dTechs affirme que les opinions exprimées dans le rapport de M. Bennett n’étaient pas le fruit de son propre jugement, mais étaient fortement influencées par les rapports d’experts des témoins de BC Hydro. Tout au long de son rapport, M. Bennett a employé un langage de marketing pour décrire les capacités du système d’Awesense, et un langage indûment restrictif pour décrire le brevet 087, dans un effort apparent pour mettre l’accent sur les différences entre les deux.

[87] BC Hydro fait remarquer que M. LaPlace n’a jamais été employé par un service public et n’a jamais été responsable de l’exploitation ou de la gestion d’un système de distribution électrique. Il n’a jamais travaillé comme monteur de lignes ou aux côtés de monteurs de lignes pour un service public, n’a jamais travaillé comme électricien et n’a jamais enquêté sur un vol électrique ou un cas de perte inconnue dans un système de distribution.

[88] Awesense ajoute que M. LaPlace a fait carrière dans le développement de produits et la vente auprès de fabricants d’équipements spécialisés dans les technologies d’alimentation et d’automatisation. Awesense soutient que, compte tenu de sa longue histoire avec les technologies de réseau intelligent, M. LaPlace a abordé le brevet 087 à travers le prisme des technologies numériques et de communication, même si le brevet 087 n’offre aucun enseignement dans ce domaine. Selon Awesense, le manque de participation directe de M. LaPlace aux enquêtes sur les vols d’électricité l’a amené à minimiser les aspects pratiques d’une importance critique du brevet 087.

[89] Certaines des critiques formulées par les parties au sujet des qualifications ou des approches des témoins experts qui ont témoigné dans la présente instance sont fondées. Cependant, aucune d’entre elles ne suffit à affaiblir l’ensemble des témoignages des témoins. Les motifs pour lesquelles je préfère la preuve présentée par certains témoins à celle d’autres sont expliqués ci-dessous.

VIII. Faits

A. Invention de M. Morrison

[90] M. Morrison était policier au sein du SPC entre 1986 et 2006. Au début des années 2000, il a été promu au rang de sergent dans l’unité des stupéfiants et a été chargé d’enquêter sur les opérations de culture de marijuana.

[91] M. Morrison n’avait aucune formation officielle en distribution d’électricité et aucune expérience de l’utilisation des AEN. La police sollicitait la coopération des services publics d’électricité pour mener leurs enquêtes et leur demandait de connecter un AEN à une ligne électrique alimentant une propriété suspecte dans l’espoir de trouver des preuves pour confirmer la présence d’une installation de culture.

[92] Au début des années 2000, les enquêteurs de la police ont compris que les relevés au moyen d’AEN pouvaient être utilisés pour : a) identifier une consommation électrique anormalement élevée; b) rapprocher les données d’AEN avec la consommation mesurée; c) identifier les modèles cycliques de consommation (ressemblant à des « gratte-ciel » lorsqu’ils sont tracés sur un graphique), typiques du cycle de la culture de marijuana.

[93] M. Morrison s’est intéressé à l’amélioration de l’efficacité et de la rentabilité des méthodes d’identification des niveaux atypiques de consommation électrique qui pourraient indiquer une opération de culture de marijuana. En octobre 2004, il a décrit ses idées dans un document intitulé « Opération Lights Out ». Il a élaboré le document alors qu’il était policier et il considérait qu’il s’agissait d’un plan opérationnel officiel et confidentiel du SPC.

[94] L’opération Lights Out comprenait une proposition visant à détecter les opérations de culture de marijuana de la manière suivante :

[traduction]
La stratégie consiste à placer un dispositif de profilage électrique pour surveiller les jonctions électriques primaires, qui alimentent à leur tour en électricité les transformateurs résidentiels. L’appareil surveille la charge électrique de la zone résidentielle et si une utilisation électrique extrêmement élevée est détectée sur une période de six (6) heures, l’appareil en informe un ordinateur central.

[95] Conformément à l’opération Lights Out, une fois que le dispositif de profilage électrique a identifié une consommation de ligne d’alimentation primaire suspecte, le service public identifierait un transformateur en aval suspect en mesurant la température de chaque transformateur, puis identifierait une structure suspecte en examinant une pluralité de charges secondaires de tout transformateur suspect (c’est-à-dire surchauffé).

[96] M. Morrison a divulgué l’opération Lights Out à son superviseur direct au SPC le 7 octobre 2004, qui à son tour a partagé le document avec les employés et les directeurs d’ENMAX, un service public de Calgary. M. Morrison a continué d’affiner sa proposition en fonction des commentaires qu’il a reçus.

[97] Le 22 août 2005, M. Morrison a contacté Wayne Cross, un ingénieur principal de BC Hydro, grâce à un lien familial. Il a décrit son invention à M. Cross et lui a également envoyé des informations écrites concernant la méthode qu’il propose et les résultats des essais. M. Cross s’est demandé si le raccordement d’un ampèremètre à la ligne MT primaire fournirait une précision suffisante pour évaluer si un vol se produisait en aval à l’une des nombreuses lignes de service secondaires BT associées. Il a informé M. Morrison que BC Hydro concentrait ses recherches sur la détection des vols sur le déploiement de compteurs d’énergie aux transformateurs.

[98] Le 10 février 2006, M. Morrison a déposé la demande de brevet canadien 2 535 848. La demande ne faisait pas référence aux relevés par AEN sur la ligne d’alimentation primaire, ni à l’utilisation de compteurs intelligents. La demande a finalement été abandonnée.

[99] M. Morrison a engagé Broy Engineering à Toronto pour concevoir et fabriquer un AEN avec une résolution de 0,1 A, afin qu’il puisse soumettre sa méthode à des essais. Un prototype a été livré à M. Morrison en mars 2006, et la méthode a été soumise à des essais le même mois. M. Morrison a estimé que les essais étaient réussis.

[100] En avril 2006, M. Morrison a demandé un congé du SCP. Il a déposé la demande de brevet 087 le 31 mai 2006.

B. Le système TGI d’Awesense

[101] Au printemps 2008, BC Hydro a formé un groupe de travail pour évaluer la mise en œuvre optimale d’un système automatisé de détection des vols d’électricité. M. Cross faisait partie de ce groupe de travail. Il a demandé au groupe : « Peut-on utiliser le courant sur les artères? »

[102] Le groupe de travail de BC Hydro a effectué des essais en utilisant des ampèremètres de ligne d’alimentation primaire, mais a averti qu’il ne devrait pas avoir des attentes trop élevées pour les données d’ampèremètre étant donné les préoccupations concernant la précision. Un membre du groupe a fait remarquer qu’il n’y avait qu’un seul ampèremètre haute résolution sur le marché, mais que les données devaient être téléchargées manuellement.

[103] Au cours de l’été et de l’automne 2009, M. Steiner a rencontré régulièrement Paul Chernikowsky, directeur de l’ingénierie à la compagnie d’électricité Fortis BC. M. Steiner a appris que les services publics subissaient des pertes d’énergie importantes dans le réseau de distribution et qu’il y avait de graves lacunes dans la surveillance, en particulier dans les segments en aval des sous-stations de distribution et en amont des clients.

[104] M. Steiner a conçu un capteur sans fil qui pourrait être déployé sur les lignes MT sur l’ensemble du réseau. En février 2010, il a rencontré l’équipe de la protection des revenus et des projets spéciaux de Fortis BC pour discuter de son idée.

[105] À l’été 2010, Awesense a mené un premier projet pilote avec Fortis BC et a soumis à des essais un prototype de son capteur, nommé Raptor 1, sur les artères MT du service public.

[106] M. Steiner a ensuite approché BC Hydro et a rencontré John Millard, chef de projet de BC Hydro du groupe d’assurance des revenus. Awesense a ensuite effectué des essais sur les artères MT de BC Hydro et a mis au point une nouvelle version de son capteur, qu’elle a baptisée Raptor 2.

[107] Le 24 janvier 2011, BC Hydro et Awesense ont conclu une entente pour la fourniture de dix Raptor 2 et d’un logiciel de communication aux fins d’un projet pilote.

[108] Le 19 décembre 2011, Awesense a répondu à la demande de propositions [DP] no 1054 de BC Hydro pour la fourniture de [traduction] « compteurs de contrôle portables pour mesurer l’énergie et la charge circulant dans une section de distribution cible soit à une tension primaire ou secondaire aérienne ou souterraine pendant une enquête sur le terrain et un inventaire énergétique à court terme avec compteurs chez les clients en aval ». Awesense a proposé une plate-forme complète qui est en mesure d’évaluer tous les aspects de la protection des revenus et de la prévention du vol à l’aide de l’analyse des métadonnées. Cela comprenait la première version du logiciel Web d’Awesense, qui s’appelait alors « SenseNet ».

[109] BC Hydro a accepté la proposition d’Awesense et, le 6 juin 2012, Awesense a conclu un contrat avec BC Hydro pour la fourniture de 200 compteurs Raptor 2, ainsi que d’un logiciel pour transférer les données de mesure sur un ordinateur portable. Cela pourrait ensuite être téléchargé sur l’application logicielle basée sur le nuage d’Awesense. L’assistance d’Awesense s’est limitée à la fourniture d’un service d’assistance technique. En mai 2014, BC Hydro a loué 100 Raptor 2 supplémentaires d’Awesense, portant à 300 le nombre total d’appareils sous le contrôle de BC Hydro.

[110] Le 14 juillet 2014, Awesense a répondu à la demande de propositions no 1850 de BC Hydro pour la fourniture de compteurs de contrôle portatifs. Elle a profité de l’occasion pour exposer sa vision d’un nouveau logiciel d’analyse de données qu’elle était en mesure mettre au point et qu’elle espérait commercialiser. Cela comprenait un module de bilan énergétique dans le logiciel et un nouveau prototype de Raptor 3.

[111] Le 19 novembre 2014, Awesense a obtenu un contrat avec BC Hydro pour la fourniture de 5 000 Raptor 3 de 2015 à 2017. Elle a continué à mettre au point la fonctionnalité d’équilibrage énergétique de son logiciel, qui s’appelle désormais True Grid Intelligence [TGI]. Cela a finalement été mis à la disposition de BC Hydro, ainsi qu’un plan visant à assurer l’interopérabilité entre TGI et l’architecture du système existant de BC Hydro.

IX. Interprétation des revendications

A. Principes juridiques et dates pertinentes

[112] La première étape dans une action en matière de brevet consiste à interpréter les revendications pour en dégager le sens et déterminer leur portée (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool] au para 43). La Cour doit examiner les revendications d’un brevet afin de déterminer ce qui, selon l’inventeur, constituait leurs « éléments essentiels ». Ce processus peut s’appuyer sur le témoignage d’experts au sujet du sens de termes particuliers (Whirlpool, aux para 45, 57). La date pertinente pour l’interprétation des revendications est la date de publication de la demande de brevet, soit le 10 août 2007 (Whirlpool, aux para 54‑55).

[113] Les principes fondamentaux de l’interprétation des revendications sont énoncés dans les arrêts de la Cour suprême du Canada Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504 à la p 520, Whirlpool, aux para 49‑55, et Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust] aux para 44‑54. Les voici :

  • a) les termes employés dans les revendications doivent être interprétés de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon le point de vue de la personne moyennement versée dans l’art [PVA], à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes de la PVA;

  • b) la Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications, ce qui permet d’interpréter les revendications de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu et d’une façon favorable à l’atteinte de l’objectif de l’inventeur, de sorte à favoriser tant l’équité que la prévisibilité;

  • c) l’ensemble du mémoire descriptif du brevet devrait être pris en compte afin de déterminer la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications ne doit pas être bienveillante ni sévère, mais elle devrait plutôt être raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public. L’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications, et il n’est tenu compte du mémoire descriptif que lorsque les revendications sont ambiguës (AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36 au para 31);

  • d) l’interprétation des revendications doit être la même, qu’il soit question de validité ou de contrefaçon.

B. Personne moyennement versée dans l’art (PVA)

[114] Afin d’interpréter les revendications en cause, la Cour doit décrire la PVA. Il s’agit de « la personne à laquelle s’adresse censément le brevet, sous l’angle de laquelle la Cour doit interpréter le brevet et qui sert de critère en vue de déterminer l’évidence » (Amgen Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 1261 au para 42).

[115] La PVA est dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, mais fait preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans le domaine (Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limitée, 2017 CF 777 au para 183). La PVA n’est pas incompétente, elle possède des connaissances de base et une expérience considérables (AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 322 au para 276). Elle n’est pas dépourvue de la capacité de poser des questions raisonnables et logiques, et peut faire des déductions fondées sur les renseignements disponibles (JAY-LOR International Inc c Penta Farm Systems Ltd, 2007 CF 358 au para 75, citant Beloit Canada Ltée c Valmet Oy, [1986] ACF no 87 (CAF).

[116] M. LaPlace a défini la personne versée dans l’art (PVA) comme étant :

[traduction]
[…] quelqu’un qui a la compréhension technique du fonctionnement du réseau électrique et qui a de l’expérience dans les technologies de réseau intelligent. Il s’agirait généralement d’un ingénieur électricien diplômé qui a au moins trois ans d’expérience dans l’industrie de l’énergie électrique même.

[117] Le point de vue de M. Shepherd, partagé par M. Bennett, est que la PVA est une équipe comprenant :

[traduction]
(i) au moins un ingénieur électricien possédant de cinq à dix ans d’expérience en ingénierie de la distribution en général, ainsi qu’environ cinq ans d’expérience dans le comptage/la surveillance des charges électriques, y compris les systèmes et processus informatiques qui prennent en charge ce comptage/cette surveillance;

(ii) au moins un électricien, tel qu’un monteur de lignes, un spécialiste des essais de compteurs, un électricien, un autre ouvrier du service public et/ou un électricien ou un autre sous-traitant d’un service public, ayant de cinq à dix ans d’expérience dans le dépannage de problèmes de systèmes de distribution, y compris l’identification des pertes et les problèmes actuels liés au détournement.

[118] La principale différence entre la description de la PVA par les parties est que M. LaPlace considérait qu’un ingénieur électricien expérimenté ou un électricien expérimenté incarneraient chacun les critères de la PVA, tandis que MM. Shepherd et Bennett considéraient qu’une équipe était nécessaire. Je suis d’accord avec dTechs que cette distinction n’a pas d’incidence sur l’interprétation des revendications invoquées. La PVA est une personne qui possède une compréhension technique des réseaux électriques et qui est soit un ingénieur électricien ayant au moins cinq ans d’expérience, soit un électricien possédant des connaissances similaires.

C. Connaissances générales courantes de la PVA

[119] Le brevet doit être interprété en tenant compte des « connaissances générales courantes » des PVA (Free World Trust, au para 44; Whirlpool, au para 53). Il s’agit des connaissances que possède la PVA au moment pertinent et qui comprennent ce que celle-ci aurait raisonnablement dû savoir (Whirlpool, au para 74). Les connaissances générales courantes de la PVA doivent être établies à l’aide d’éléments probants selon la prépondérance des probabilités et ne peuvent être tenues pour acquises (Uponor AB c Heatlink Group Inc, 2016 CF 320 [Uponor], au para 47). Ces connaissances peuvent s’entendre des renseignements contextuels figurant dans le brevet lui‑même (Newco Tank Corp c Canada (Procureur général), 2015 CAF 47 au para 10).

[120] L’évaluation des connaissances générales courantes est régie par les principes énoncés dans Eli Lilly & Company c Apotex Inc, 2009 CF 991 au para 97 (conf par 2010 CAF 240), citant General Tire & Rubber Co v Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (UKHL) aux p 482‑483 :

  • a) il faut prendre soin de distinguer les connaissances générales courantes attribuées à la PVA de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques;

  • b) les connaissances générales courantes sont un concept différent dérivé d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art – le genre de personne qui fait bien son travail et qui existerait réellement;

  • c) les mémoires descriptifs de brevets individuels et leur contenu ne font habituellement pas partie des connaissances générales courantes, bien qu’il puisse y avoir des mémoires descriptifs si bien connus qu’ils font partie des connaissances usuelles, particulièrement dans certaines industries;

  • d) les articles scientifiques ne deviennent des connaissances générales courantes que lorsqu’ils sont connus de manière générale et acceptés sans hésitation par ceux versés dans l’art particulier; en d’autres mots, lorsqu’ils font partie du lot courant des connaissances se rapportant à l’art.

[121] Lorsque le libellé du brevet peut avoir plusieurs sens plausibles, la Cour doit l’interpréter de façon raisonnable de manière à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi; cependant, ce principe ne signifie pas que, dans tous les cas, elle doive retenir une interprétation discutable ayant pour effet de maintenir le brevet (ABB Technology AG c Hyundai Heavy Industries Co, Ltd, 2015 CAF 181 au para 45). Il n’existe pas de présomption générale d’interprétation en faveur de l’inventeur, mais un brevet ne devrait pas être invalidé à cause d’un détail technique (Seedlings Life Sciences Ventures, LLC c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 1 au para 59).

[122] Il semble y avoir peu de désaccord entre les parties concernant les connaissances générales courantes de la PVA. En plus d’une vaste compréhension du fonctionnement des réseaux électriques aux moments pertinents, BC Hydro affirme que les connaissances générales courantes de la PVA incluraient les éléments suivants :

  • a) la relation entre le courant du côté secondaire d’un transformateur et le courant du côté primaire;

  • b) le concept d’équilibrage énergétique, c’est-à-dire déterminer s’il existe une différence de consommation électrique entre ce qui est mesuré en amont et ce qui est mesuré en aval - les services publics ont réalisé des bilans énergétiques depuis qu’ils existent;

  • c) comment enquêter sur un déséquilibre énergétique, c’est-à-dire « suivre le courant »;

  • d) surveiller des transformateurs pour des charges élevées ou des surcharges, y compris à l’aide de dispositifs infrarouges et laser portables, et dans le cadre d’enquêtes sur les vols;

  • e) effectuer un bilan énergétique au niveau du transformateur pour la détection de vol;

  • f) comparer les charges de transformateur pour identifier un transformateur suspect;

  • g) les « essais en charge » en vérifiant le courant ou l’énergie sur une ligne de service secondaire et en comparant les essais en charge avec ce qui est mesuré à un compteur de point final pour confirmer les détournements;

  • h) les « compteurs intelligents », y compris les compteurs numériques des clients dotés de capacités de lecture à distance;

  • i) la précision et la résolution nécessaires d’un compteur en fonction de ce qui est mesuré.

[123] BC Hydro soutient également que les connaissances générales courantes incluraient les AEN commerciaux et d’autres compteurs qui pourraient être utilisés sur la ligne d’alimentation primaire, tels que l’Amcorder et le VARcorder de SensorLink. M. LaPlace a convenu que la PVA aurait eu connaissance de compteurs à haute résolution pouvant être déployés sur la ligne d’alimentation primaire, comme le VARcorder de SensorLink, mais cette personne aurait également su que ces appareils n’étaient pas facilement disponibles. Il ne fait aucun doute que la mesure du courant sur les lignes MT primaires, généralement à l’aide d’un compteur d’énergie, ferait partie des connaissances générales courantes.

[124] Je conclus donc que les connaissances générales courantes de la PVA sont celles décrites dans les deux paragraphes précédents.

D. Termes des revendications qui nécessitent une interprétation

[125] L’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher. Un témoignage d’expert n’est nécessaire que si le sens d’un terme n’est pas évident à la lecture du mémoire descriptif du brevet (Johnson & Johnson Inc c Boston Scientifique Ltd, 2008 CF 552 au para 92).

[126] L’interprétation des termes suivants est contestée :

[traduction] « Raccordement du compteur à une ligne d’alimentation primaire »

[traduction] « Modèles de consommation connus »

[traduction] « Notifier le service public »

[127] L’interprétation du terme [traduction] « modèles de consommation connus » à la revendication 1 exige également que la Cour interprète le terme [traduction] « comprenant en outre » figurant à la revendication 4.

[128] L’interprétation de [traduction] « notifier le service public » exige également que la Cour détermine si une entreprise qui n’est pas un service public doit effectuer chacune des étapes qui précèdent l’étape de notifier le service public prévue à la revendication 1.

(1) « Raccordement du compteur à une ligne d’alimentation primaire »

[129] Les revendications indépendantes 1 et 21 exigent, dans un premier temps, qu’un compteur soit connecté ou utilisé pour mesurer une « ligne d’alimentation primaire » pour la consommation d’électricité. Il est clair que la « ligne d’alimentation primaire » est la ligne MT qui transporte l’électricité d’une sous-station de distribution aux transformateurs de distribution en aval. Il est moins clair où le compteur doit être fixé le long de la « ligne d’alimentation primaire ».

[130] Dans son premier rapport, M. Shepherd a fait remarquer que les revendications [traduction] « ne spécifient ni n’exigent aucun emplacement particulier » sur la ligne d’alimentation primaire, tandis que M. Bennett a affirmé que la PVA comprendrait que l’emplacement de la connexion se trouve sur le circuit de distribution monophasé, en aval de la sous-station.

[131] Selon M. LaPlace, [traduction] « la précision pour détecter une charge non mesurée diminue lorsque le mesurage est effectué à la sous-station ou à proximité ». La connexion d’un seul compteur à la sous-station rendrait [traduction] « impraticable la recherche d’un transformateur suspect », car il [traduction] « n’est pas rare qu’une artère de sous-station alimente plus de 100 transformateurs ».

[132] La PVA comprendrait que la fixation du compteur à ou à proximité de la sous-station nuirait à, et peut-être réduirait, la précision de toutes les mesures obtenues. En appliquant une interprétation téléologique pour interpréter les revendications, le brevet 087 envisage de fixer le compteur quelque part en aval de la sous-station.

(2) « Modèles de consommation connus »

[133] Les revendications indépendantes 1 et 21 requièrent de [traduction] « comparer les modèles de consommation aux modèles de consommation connus pour identifier des modèles de consommation suspects ». Il est bien connu que les « modèles de consommation » renvoient aux données collectées par le compteur qui est connecté à la ligne d’alimentation primaire. Il est également bien connu que les « modèles de consommation connus » incluent les modèles de consommation antérieurs ou prévus.

[134] Le différend porte sur la question de savoir si la PVA comprendrait que les « modèles de consommation connus » incluent les modèles de consommation en simultané mesurés sur les lignes secondaires; ce que M. LaPlace a décrit comme un équilibrage énergétique [traduction] « où les modèles mesurés à la ligne d’alimentation primaire seraient rapprochés avec l’ensemble des modèles de consommation de charge secondaire en simultané associés ». Selon M. LaPlace, les modèles de consommation en simultané sont en fait des habitudes de consommation « connues » au moment où la comparaison est effectuée.

[135] dTechs concède que le déploiement à grande échelle de compteurs intelligents dans les points de service client était nécessaire avant que les modèles de consommation en simultané soient disponibles pour comparaison. Les données des compteurs intelligents n’étaient généralement pas disponibles en 2006, car la technologie venait juste d’émerger. Cependant, dTechs fait remarquer également que le [traduction] « mode de réalisation privilégié » du brevet 087 décrit la comparaison en simultané comme une [traduction] « amélioration importante de la collecte de données pour le rapprochement et l’identification des pertes » une fois que la [traduction] « nouvelle technologie de compteur intelligent » est introduite dans les points de service client.

[136] BC Hydro affirme que toutes les revendications du brevet 087 se rapportent à un procédé [traduction] « de détection de modèles de consommation électrique atypiques ». Cela ne se limite pas au vol ou à d’autres pertes. L’accent est mis sur la détection de [traduction] « modèles […] atypiques » qui peuvent être indicatifs d’un vol. Une consommation atypique ou élevée peut être causée par des clients qui ne paient pas pour l’électricité, mais aussi par ceux qui paient, c’est-à-dire que la consommation élevée peut être un vol, ou elle peut être entièrement comptabilisée et payée.

[137] Selon BC Hydro, le but de l’invention est d’identifier les opérations de culture de marijuana en fonction de niveaux de consommation élevés ou atypiques, que l’électricité soit volée ou payée ou ne le soit pas. L’équilibrage de l’énergie en simultané est incompatible avec cet objectif primordial, car il ne détecterait pas les opérations de culture de marijuana payantes.

[138] Le brevet 087 fournit la description suivante d’un mode de réalisation de l’invention :

[traduction]
Comme le montre la figure 6, dans un mode de réalisation de l’invention, un système de détection de pertes de ligne ou de vol de service public comprend un compteur 10, tel que représenté sur la figure 10, connecté à la ligne électrique primaire 1 qui alimente chaque transformateur 2 connecté pour surveiller les fluctuations de la consommation (Fig. 7a et 7b) par rapport à une consommation moyenne connue qui a été déterminée pour une zone particulière. Selon le type de transformateur 2 et la tension fournie par la ligne d’alimentation primaire 1, la consommation moyenne peut généralement être prédite et peut être vérifiée à l’aide des enregistrements de consommation antérieurs par le fournisseur de service public.

[Non souligné dans l’original.]

[139] Les figures 7a et 7b illustrent le mode de réalisation de l’invention privilégié :

Fig. 7a

Fig. 7a

CONSUMPTION (AMPS)

CONSOMMATION (A)

THRESHOLD

SEUIL

PEAK USAGE

UTILISATION MAXIMALE

TIME (HOURS)

TEMPS (HEURES)

Fig. 7b

Fig. 7b

CONSUMPTION (AMPS)

CONSOMMATION (A)

THRESHOLD

SEUIL

PEAK USAGE

UTILISATION MAXIMALE

TIME (HOURS)

TEMPS (HEURES)

[140] La figure 7a représente les pics d’utilisation connus sur la base des enregistrements de consommation antérieurs. Un « tampon » est alors ajouté pour se prémunir contre les fausses lectures de modèles de consommation atypiques. La figure 7b représente un exemple hypothétique de niveaux de consommation anormalement élevés par rapport aux données antérieures. Les figures 7a et 7b n’illustrent pas l’équilibrage énergétique en simultané.

[141] Un bilan énergétique (ou « rapprochement ») est envisagé comme une étape supplémentaire dans la revendication 4 :

[traduction]
4. Procédé selon la revendication 1, 2 ou 3 ayant en outre un compteur intelligent connecté à des lignes secondaires à chaque structure pour déterminer la consommation à chacune des structures, le procédé comprenant en outre :

comparer l’alimentation électrique de la ligne d’alimentation primaire à une somme de la consommation de toutes les lignes secondaires pour rapprocher la consommation avec l’alimentation.

[142] dTechs fait valoir que la revendication 4 restreint la revendication 1 en utilisant un compteur intelligent pour effectuer un équilibrage énergétique en simultané afin de permettre une comparaison entre les modèles de consommation enregistrés par l’ampèremètre sur la ligne d’alimentation primaire et les modèles de consommation connus, c’est-à-dire les données des compteurs intelligents en simultané. Cependant, M. LaPlace a reconnu que l’inventeur cherchait, à la revendication 4, à remédier aux pertes techniques et non au vol d’électricité.

[143] M. Shepherd a exprimé le point de vue suivant dans son premier rapport d’expert (rapport d’expert de J. Bradley Shepherd en date du 9 juin 2020 au para 66) :

[traduction]
L’étape de rapprochement supplémentaire de la revendication 4, qui, selon l’inventeur, est utile pour identifier les pertes techniques, est séparée et distincte de toutes les autres étapes de la revendication 1. En effet, la revendication 1 prévoit déjà un procédé de détection de modèles de consommation électrique atypiques (y compris des modèles indiquant un détournement d’énergie associé aux opérations de culture de marijuana) qui aboutit à l’identification d’une structure suspecte. Ainsi, la personne versée dans l’art comprendrait que le but de l’étape de rapprochement supplémentaire de la revendication 4 n’est pas d’« identifier une structure suspecte », mais plutôt de rapprocher le système électrique de manière plus large.

[144] M. Bennett a accepté, écrivant ce qui suit dans son rapport d’expert (rapport d’expert de William Bennett en date du 26 août 2020 au para 73) :

[traduction]
À mon avis, la revendication 4 vise une étape supplémentaire par rapport aux méthodes revendiquées dans les revendications 1 à 3, qui, selon l’inventeur, fourniraient une source de données supplémentaire. Comme M. Shepherd le déclare dans le rapport Shepherd à la page 39, la personne versée dans l’art comprendrait que l’avantage supplémentaire revendiqué dans la revendication 4 concerne plus largement le rapprochement du réseau, qui est distinct de la méthode de détection des modèles de consommation atypiques divulguée à la revendication 1.

À mon avis, si l’inventeur avait voulu que les « données de consommation connues » dans la revendication 1 incluent les données des compteurs intelligents, la revendication 4 aurait été rédigée pour indiquer que « les données de consommation connues comprennent les données des compteurs intelligents ». En revanche, la revendication 4 identifie les données des compteurs intelligents comme s’ajoutant aux données de consommation connues revendiquées dans la revendication 1 – d’où l’utilisation répétée du terme « en outre ». La revendication 4 confirme mon interprétation du terme « données de consommation connues » figurant à la revendication 1.

[145] Les revendications dépendantes du brevet 087 élargissent les revendications indépendantes ([traduction] « comprenant en outre »), ou les rétrécissent avec des raffinements spécifiés ([traduction] « où »). La revendication 4 appartient à la première catégorie. Le libellé de la revendication 4 ([traduction] « comprenant en outre ») démontre que l’utilisation d’un compteur intelligent est une étape supplémentaire à celles décrites dans la revendication 1. Le compteur intelligent selon la revendication 4 n’est pas destiné à être un moyen alternatif d’identifier les [traduction] « modèles de consommation connus » visés à la revendication 1.

[146] dTechs fait remarquer que les termes [traduction] « comprend en outre » ou [traduction] « comprenant en outre » apparaissent dans les revendications 17 et 18 dépendantes d’une manière qui ne suggère pas un élargissement de la formulation de la revendication, mais plutôt un rétrécissement ou un raffinement :

[traduction]
a) comme l’a souligné M. LaPlace, les mots « comprend en outre » dans l’expression « l’ampèremètre à enregistrement numérique comprend en outre une mémoire tampon pour le stockage » figurant à la revendication 17 n’ont pas pour effet d’ajouter quoi que ce soit de nouveau à « l’ampèremètre à enregistrement numérique » spécifié dans la revendication 13, car la plupart des ampèremètres à enregistrement numériques ont des tampons pour le stockage;

b) les mots « comprenant en outre : [le compteur] transmett[ant] les données stockées à un processeur pour déterminer des mesures indicatives de modèles de consommation électrique » à la revendication 18 n’ajoutent rien de nouveau au concept de la revendication 1 de « collect[e] d[e] données pour déterminer des mesures indicatives de modèles de consommation », mais fournissent simplement une précision quant à l’endroit où le traitement est effectué.

[147] Cependant, les termes [traduction] « comprend en outre » ou [traduction] « comprenant en outre » aux revendications 17 et 18 dépendantes ne visent pas à restreindre les revendications précédentes, qu’elles soient dépendantes ou indépendantes.

[148] Ce qui est plus utile pour l’interprétation de la revendication 4 est la description détaillée du mode de réalisation privilégié :

[traduction]
La capacité d’accumuler des données d’utilisation est un avantage supplémentaire du système pour le service public, et permet de rapprocher les données d’utilisation des détaillants provenant des sites mesurés. De plus, les pertes de ligne peuvent être identifiées et rectifiées lorsque les données de rapprochement illustrent une perte qui n’est pas nécessairement liée à une opération de culture de marijuana.

Une nouvelle technologie de compteurs intelligents est rapidement introduite dans l’industrie pour faciliter la mesure du temps d’utilisation dans chaque résidence, permettant aux services publics de facturer l’utilisation de l’électricité en fonction de l’heure d’utilisation et aux consommateurs de profiter des moments où un coût inférieur est évalué à l’utilisation de l’électricité. La combinaison d’un compteur intelligent dans chaque résidence et d’un compteur sur la ligne d’alimentation primaire, à l’aide d’un système selon les modes de réalisation de l’invention divulgués ici, constitue une amélioration importante de la collecte de données pour le rapprochement et l’identification des pertes, y compris la détection des pertes de ligne telles que par des câbles aériens ou souterrains défectueux, etc. En termes simples, la charge fournie à la ligne d’alimentation primaire doit être égale à la somme de toutes les consommations mesurées à chaque résidence, en tenant compte des facteurs connus de perte de ligne. Un écart signale un problème avec une partie de la ligne qui peut être localisé en utilisant la présente invention ou d’autres moyens.

[Non souligné dans l’original.]

[149] Ce qui ressort de cette description est que les compteurs intelligents offrent un avantage supplémentaire par rapport à l’invention décrite dans la revendication 1, à savoir l’équilibrage énergétique pour identifier les pertes qui ne sont pas nécessairement liées à une opération de culture de marijuana. La technologie est nouvelle et offre potentiellement une amélioration importante de la collecte de données pour le rapprochement. Un écart peut être localisé à l’aide de l’invention revendiquée ou par d’autres moyens.

[150] L’utilisation de compteurs intelligents pour l’équilibrage énergétique, telle que décrite dans la revendication dépendante 4, n’est pas liée à la détection de modèles de consommation atypiques par rapport aux [traduction] « modèles de consommation connus » de la revendication 1. Il n’y a pas d’équivalent à la revendication 4 parmi les revendications dépendantes de la revendication indépendante 21, qui est par ailleurs très similaire à la revendication indépendante 1 (il ne manque qu’un rôle spécifié pour le service public dans l’exécution des étapes du procédé).

[151] De plus, l’équilibrage énergétique n’identifiera pas une consommation suspecte, mais seulement une différence ou un écart entre les entrées et les sorties d’énergie. Cela n’aide pas à détecter les modèles de consommation atypiques. Les revendications 1 et 21 exigent des mesures sur la ligne d’alimentation primaire [traduction] « à des intervalles de temps prédéterminés ». L’intention de l’inventeur était de tracer des mesures au fil du temps pour générer des modèles afin de les comparer à des modèles connus. Ce n’est pas la même chose que l’équilibrage d’énergie en simultané.

[152] Une interprétation de [traduction] « modèles de consommation connus » qui exclut l’équilibrage énergétique en simultané est cohérente avec l’approche de l’inventeur visant à résoudre l’un des problèmes identifiés, à savoir l’incapacité des compteurs conventionnels à mesurer des écarts mineurs de consommation électrique sur la ligne d’alimentation primaire. Ce problème ne se pose pas avec l’équilibrage énergétique, qui ne vise qu’à concilier les entrées et les sorties d’énergie, plutôt que d’identifier des consommations atypiques, excessives ou suspectes.

[153] Je conclus donc que les [traduction] « modèles de consommation connus » des revendications 1 et 21 se limitent aux modèles de consommation antérieurs ou prévus et n’englobent pas l’équilibrage énergétique en simultané à l’aide des données des compteurs intelligents.

(3) « Notifier le service public »

[154] dTechs affirme que l’exigence de [traduction] « notifier le service public » figurant à la revendication 1 n’est pas essentielle, car elle peut être omise ou remplacée sans changer la façon dont le processus revendiqué fonctionne. Selon M. LaPlace, [traduction] « au lieu que le service public reçoive une notification active, le service public pourrait surveiller passivement les résultats des comparaisons ». La clé est que le service public puisse identifier le modèle de consommation suspect d’une manière ou d’une autre. Une fois cela fait, il peut [traduction] « passer à l’étape suivante » sans qu’il y ait de « notification » expresse.

[155] BC Hydro oppose le libellé de la revendication 1 à celui de la revendication 21. « Notifier le service public du modèle de consommation suspect identifié dans la ligne d’alimentation primaire » n’apparaît pas dans la revendication 21. La revendication 21 n’envisage pas non plus « le service public surveillant ensuite les caractéristiques de la pluralité de transformateurs ». M. Shepherd a exprimé l’opinion que cela démontre une différence dans les buts des deux revendications et les intentions qui les sous-tendent. Il ressort de la lecture du brevet 087 dans son ensemble que le but de la revendication 1, et l’intention sous-jacente, est qu’une entité qui n’est pas un service public (un officier de police, par exemple) puisse effectuer certaines des étapes décrites dans la revendication, et qu’un service public puisse effectuer d’autres étapes.

[156] Awesense fait remarquer que, si le rôle du service public découle la revendication 1, les revendications 1 et 21 ont une portée pratiquement identique, contrairement au principe juridique de distinction des revendications. Il existe une présomption selon laquelle les revendications sont rédigées de façon à ne pas être redondantes (Tetra Tech EBA Inc c Georgetown Rail Equipment Company, 2019 CAF 203 au para 113).

[157] Au paragraphe 55 de Free World Trust, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il serait injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet, pour échapper aux revendications littérales du brevet. En conséquence, les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon).

[158] La Cour suprême du Canada poursuit en déclarant ce qui suit :

Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.‑à‑d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat. […]

[159] Si l’on applique le critère approuvé dans Free World Trust, il est clair que [traduction] « notifier le service public » n’est pas un élément essentiel de la revendication 1. À la date de publication du brevet 087, la PVA aurait remarqué que l’élément [traduction] « notifier le service public » peut être substitué sans nuire au fonctionnement de l’invention. Si l’on demandait à la PVA si l’invention fonctionnerait manifestement de la même manière sans l’étape de la notification du service public, elle aurait répondu par l’affirmative.

[160] Cela ne veut pas dire « supprimer » l’exigence de [traduction] « notifier le service public » de la revendication 1. Il s’agit simplement de reconnaître que l’invention fonctionne exactement de la même façon, indépendamment de l’inclusion de cette étape. Cette interprétation ne rend pas non plus redondante la revendication 21. Une interprétation harmonieuse des revendications 1 et 21 est que la première vise, en partie, un enquêteur externe, comme un policier, tandis que la seconde vise une autre entité, comme un service public qui mène une enquête à l’interne, ou (comme l’a soutenu l’avocat de dTechs dans ses observations finales) un utilisateur final ou un client.

[161] Compte tenu de cette conclusion, le terme [traduction] « notifier le service public » figurant à la revendication 1 n’exige pas qu’une entité autre qu’un service public exécute chacune des étapes précédentes décrites dans cette revendication.

X. Contrefaçon

A. Principes juridiques

[162] L’article 42 de la Loi sur les brevets confère au breveté le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention. Un brevet est contrefait par tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au breveté (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34 [Monsanto] au para 34).

[163] Selon le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté du dommage que cette contrefaçon lui a fait subir après l’octroi du brevet. Il incombe à la partie qui allègue la contrefaçon de prouver celle-ci (Monsanto, au para 29). Ce fardeau incombe donc à dTechs.

B. Analyse

[164] Les parties conviennent que le brevet 087 décrit une méthode ou un procédé. Les revendications invoquées ne sont contrefaites que si les défenderesses exécutent chacune des étapes décrites dans les revendications selon l’ordre prescrit.

[165] M. LaPlace a fondé son opinion selon laquelle les défenderesses contreviennent aux revendications du brevet 087 sur une série d’hypothèses qui lui ont été fournies par l’avocat de dTechs concernant le « système de BC Hydro » et le « système d’Awesense ». Ces hypothèses comprenaient les éléments suivants :

[traduction]
5. Le système de BC Hydro comprend :

a. surveiller la consommation de la ligne d’alimentation primaire avec un compteur qui :

i. mesure la consommation électrique en ampères;

ii. mesure la consommation électrique à intervalles prédéterminés;

iii. a une résolution de 0,1 A;

iv. est numérique;

v. stocke les lectures qu’il prend;

vi. transmet sans fil les lectures stockées;

b. collecter les mesures prises à partir de la ligne d’alimentation primaire sur une période de temps;

c. comparer les mesures collectées à partir de la ligne d’alimentation primaire avec la somme de toutes les consommations sur les lignes d’alimentation secondaires associées :

i. tel que mesuré par des compteurs intelligents connectés aux lignes d’alimentation secondaires aux structures de point d’extrémité;

ii. comme agrégé sur une base par transformateur;

d. utiliser cette comparaison pour identifier les écarts entre l’alimentation mesurée sur la ligne d’alimentation primaire et la consommation mesurée sur les lignes secondaires associées;

e. en particulier, l’identification des écarts où l’offre mesurée sur la ligne d’alimentation primaire est supérieure à la consommation mesurée sur les lignes secondaires associées;

f. lorsqu’une divergence est identifiée, enquêter sur les transformateurs applicables pour identifier un transformateur suspect à l’aide de plusieurs techniques grâce à, notamment :

i. l’utilisation de caméras infrarouges pour identifier les transformateurs chauds;

ii. des indices visuels;

iii. des compteurs suspendus pour isoler un transformateur suspect;

g. une fois qu’un transformateur suspect a été identifié, soumettre à des essais en charge au moins l’une d’une pluralité de lignes secondaires allant du transformateur suspect à chacune de la pluralité de structures pour identifier un cas potentiel de vol.

[…]

8. Le système d’Awesense comprend :

a. des compteurs amovibles pouvant surveiller la consommation de la ligne d’alimentation primaire qui ont les caractéristiques identifiées aux sous-alinéas 5a)(i) à (vi), ci‑dessus;

b. un logiciel qui collecte les mesures prises à partir de ces compteurs sur une période de temps;

c. un logiciel qui permet de comparer les mesures collectées à partir des compteurs connectés à la ligne d’alimentation primaire avec la somme de toutes les consommations sur les lignes d’alimentation secondaires associées, où les mesures de la ligne d’alimentation secondaire sont basées sur :

i. les mesures prises par les compteurs intelligents connectés aux lignes d’alimentation secondaires au niveau des ouvrages de terminaison;

ii. les mesures de consommation secondaire agrégées par transformateur;

iii. les données de facturation antérieures;

d. un logiciel pouvant effectuer un « bilan » pour identifier les écarts entre l’alimentation mesurée sur la ligne d’alimentation primaire et la consommation mesurée ou antérieure sur les lignes secondaires associées;

e. lorsqu’un écart est identifié, une méthode pour :

i. enquêter sur les transformateurs applicables afin d’identifier un transformateur suspect qui requiert le déploiement d’autres compteurs du type décrit à l’alinéa 8a) pour segmenter la ligne d’alimentation primaire et isoler le transformateur suspect;

ii. une fois qu’un transformateur suspect a été identifié, soumettre à des essais en charge au moins l’une d’une pluralité de lignes secondaires allant du transformateur suspect à chacune de la pluralité de structures pour identifier un cas potentiel de vol.

[166] dTechs a cherché à fournir un fondement factuel à ces hypothèses et à d’autres hypothèses qui sous-tendent les opinions de M. LaPlace au moyen du témoignage de témoins au procès, de documents produits en preuve et d’extraits d’interrogatoires préalables des représentants des défenderesses.

[167] Dans ses observations finales, dTechs a divisé ses allégations de contrefaçon en deux périodes distinctes :

[traduction]

Premièrement, entre 2012 et 2015, BC Hydro a contrefait le brevet en utilisant environ 300 compteurs et logiciels Raptor achetés et loués à Awesense aux termes des ententes du 6 juin 2012 et du 27 mai 2014. Cette utilisation est appelée « système initial de BC Hydro ».

Deuxièmement, de 2015 à aujourd’hui, BC Hydro a contrefait et continue de contrefaire le brevet, en utilisant environ 5 000 compteurs et logiciels Raptor achetés auprès d’Awesense aux termes de l’entente du 19 novembre 2014. Cette utilisation est appelée « système EAS de BC Hydro System ».

[168] BC Hydro s’oppose à ce que l’idée de deux « systèmes » distincts de BC Hydro soit soulevée pour la première fois dans la plaidoirie finale de dTechs. La distinction alléguée n’est mentionnée nulle part dans les actes de procédure de dTechs, et M. LaPlace n’a fait aucune distinction entre les différents « systèmes » de BC Hydro dans son rapport sur la contrefaçon.

[169] Plus fondamentalement, BC Hydro affirme que si la Cour accepte l’interprétation proposée des [traduction] « modèles de consommation connus » visés aux revendications 1 et 21, on ne peut soutenir que BC Hydro ou Awesence contrefait le brevet 087.

[170] BC Hydro ne conteste pas qu’elle exécute chacune des étapes consistant à placer des compteurs sur les lignes primaires, à enquêter sur les transformateurs, y compris par inspection visuelle et évaluation thermique, et à soumettre à des essais la charge des lignes secondaires et des lignes de branchement aux résidences. Elle soutient toutefois qu’elle utilise plusieurs techniques pour identifier les déséquilibres énergétiques dans son réseau électrique dans le cadre de son approche globale de détection des vols. Il s’agit notamment des analyses au niveau des compteurs, des analyses au niveau des transformateurs (qui sont dérivées des données des compteurs intelligents), d’autres outils d’analyse et de l’examen de la vaste base de données d’enquêtes antérieures et d’histoires de cas de BC Hydro.

[171] BC Hydro reconnaît que la méthode qu’elle utilise pour détecter le vol ou les pertes techniques d’électricité peut, dans certains cas, nécessiter la comparaison d’une lecture sur la ligne d’alimentation primaire avec la somme de toutes les lectures du point final secondaire en même temps. Cependant, BC Hydro affirme qu’il ne s’agit pas d’une comparaison avec les modèles de consommation antérieurs ou prévus. BC Hydro affirme donc que les hypothèses sur lesquelles se fonde M. LaPlace n’appuient pas la conclusion selon laquelle BC Hydro a effectué l’étape consistant à comparer les lectures de la ligne d’alimentation primaire aux [traduction] « modèles de consommation connus ».

[172] Selon BC Hydro, si [traduction] « comparer [...] à des modèles de consommation connus » est interprétée d’une autre manière que celle proposée par dTechs, M. LaPlace n’a donné aucun avis sur la contrefaçon des revendications telles qu’elles ont été interprétées, et il n’y a aucune preuve de contrefaçon.

[173] Awesense soulève le même point d’une manière légèrement différente. Elle affirme que dTechs a fondé l’ensemble de sa cause sur une interprétation de l’expression [traduction] « modèles de consommation connus » figurant dans les revendications indépendantes 1 et 21 selon laquelle l’expression englobe la consommation électrique connue dérivée des données de compteurs intelligents à la même époque. M. LaPlace n’a pas envisagé d’autres interprétations, et il n’a donc pas examiné la question de savoir si BC Hydro ou Awesense exécutait l’étape de comparaison de la consommation mesurée sur une ligne d’alimentation primaire avec la consommation antérieure ou estimée. Selon Awesense, si M. LaPlace a mal interprété l’expression « modèles de consommation connus », dTechs n’a pas démontré que l’une des défenderesses a contrefait l’une des revendications invoquées, et l’action de dTechs doit être rejetée.

[174] J’ai interprété le terme « modèles de consommation connus » comme signifiant des modèles antérieurs ou prévus et excluant les données en simultané dérivées des compteurs intelligents. Je suis donc d’accord avec BC Hydro et Awesense pour dire que dTechs n’a pas établi la contrefaçon du brevet 087. Il n’y a aucune preuve que BC Hydro ou Awesense comparent des lectures de lignes primaires à des [traduction] « modèles de consommation connus », car cet élément des revendications indépendantes 1 et 21 est correctement interprété.

[175] BC Hydro distingue également ses méthodes de celle décrite dans le brevet 087 au motif qu’elle ne surveille pas systématiquement tous les transformateurs pour la détection de vol et qu’elle utilise des compteurs d’énergie plutôt que des ampèremètres pour la surveillance sur la ligne d’alimentation primaire. Un compteur d’énergie mesure à la fois les volts et les ampères, tandis qu’un ampèremètre ne mesure que les ampères. Vu ma conclusion selon laquelle BC Hydro ne compare pas la consommation mesurée sur la ligne d’alimentation primaire avec les modèles de consommation antérieurs ou prévus, il est inutile de poursuivre l’examen de ces arguments.

[176] Cela suffit pour écarter les allégations de contrefaçon de dTechs. Je ferai néanmoins quelques commentaires sur l’affirmation de dTechs selon laquelle Awesense est responsable d’avoir incité d’avoir incité ou amené BC Hydro à contrefaire le brevet 087, ou qu’elle est indirectement responsable de la contrefaçon en vertu de la doctrine juridique du projet commun.

[177] Pour contrefaire une revendication de méthode, le contrefacteur présumé doit exécuter la méthode revendiquée. À la possible exception de l’élément [traduction] « fournir un compteur » figurant à la revendication indépendante 1, Awesense n’effectue aucune des étapes essentielles de la méthode décrite dans le brevet 087.

[178] Il n’y a aucune contrefaçon de brevet dans la vente d’un article qui ne contrefait pas en soi le brevet, même lorsque le fournisseur sait que l’acheteur achète l’article dans le but de l’utiliser dans la contrefaçon du brevet (Uponor, au para 285). La fourniture de matériel et de logiciels par Awesense à BC Hydro ne peut en soi contrefaire les revendications invoquées.

[179] Les employés de BC Hydro peuvent utiliser le logiciel TGI d’Awesense pour effectuer des calculs et des analyses, mais cela ne signifie pas qu’Awesense exécute ces étapes. Awesense n’exerce aucun contrôle sur la façon dont BC Hydro utilise TGI. Rien n’indique qu’Awesense ait incité BC Hydro à contrefaire les revendications invoquées ni n’appuie une allégation de contrefaçon en raison d’un projet commun.

[180] Je conclus donc que ni BC Hydro ni Awesense, individuellement ou collectivement, ne contrefait les revendications invoquées du brevet 087.

XI. Validité

[181] Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets prévoit que le brevet est, sauf preuve contraire, valide. Il incombe à la partie qui allègue l’invalidité de l’établir selon la prépondérance des probabilités. Le fardeau incombe donc à BC Hydro et à Awesense.

[182] BC Hydro et Awesense allèguent que le brevet 087 est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence, d’insuffisance, d’inutilité, de portée excessive et d’objet non brevetable.

A. Antériorité

(1) Principes juridiques

[183] En vertu de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, une revendication de brevet est invalide pour cause d’antériorité si l’objet que définit la revendication a été divulgué de manière à le rendre accessible au public plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, si le breveté l’a communiqué directement ou indirectement (art 28.2(1)a)) ou si, à tout moment avant la date de la revendication, il a fait l’objet d’une communication par une autre personne (art 28.2(1)b)) et qu’il était réalisable aux yeux d’une PVA (Eli Lilly Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125 au para 145). La divulgation ne doit pas nécessairement consister en une description exacte de l’objet de la revendication, mais elle doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une PVA désireuse de comprendre l’invention, elle puisse être comprise sans trop de difficultés. L’exigence de la divulgation antérieure signifie que le brevet antérieur doit divulguer l’objet qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi] au para 25).

[184] Si l’exigence de divulgation est remplie, la deuxième exigence pour prouver l’antériorité est le caractère réalisable, c.-à-d. la possibilité que la PVA ait pu réaliser l’invention. Les essais successifs sont exclus à l’étape de la divulgation, mais ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable car la question n’est plus de savoir si la PVA saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention (Sanofi, au para 27).

[185] BC Hydro allègue que le brevet 087 est antériorisé par l’utilisation antérieure par BC Hydro, la proposition « Operation Lights Out » de M. Morrison [le document OLO] et une publication de Saptarshi De, Rahul Anand, A. Naveen et Sirat Moinuddin intitulée « Solution for check energy thefts and Simplification Revenue Collection in India » [Solution de contrôle du vol d’énergie et simplification de la collecte des revenus en Inde] [le document De].

(2) Utilisation antérieure de BC Hydro

[186] BC Hydro affirme que la méthode du brevet 087 était connue et couramment utilisée par ses enquêteurs depuis le début des années 2000. BC Hydro s’appuie sur la preuve présentée par M. Trustham, qui a mené des enquêtes sur le vol d’énergie dans le cadre de son utilisation par BC Hydro.

[187] dTechs nie que l’utilisation antérieure de BC Hydro constitue une antériorité pour trois motifs : la méthode utilisée par BC Hydro au moment pertinent différait de celle du brevet 087; la méthode de BC Hydro n’a pas été divulguée au public; et le témoignage de M. Trustham n’a pas été corroboré et n’est donc pas fiable.

[188] Selon M. Trustham, avant 2006, le personnel de BC Hydro aurait :

  • a) surveillé un quartier sans aucun conseil ni connaissance préalable d’un détournement d’énergie ou d’une opération de culture de marijuana;

  • b) surveillé une ligne d’alimentation primaire sur une période de temps (y compris pendant le jour et de nouveau la nuit) avec un ampèremètre tel qu’un AEN - des exemples d’AEN utilisés par BC Hydro à ce moment comprennent l’ampèremètre d’enregistrement Amcorder ou VARcorder de SensorLink, ainsi que l’Ampstik de SensorLink;

  • c) comparé les relevés de courant mesurés à l’étape précédente avec ce qu’ils s’attendraient à ce que la consommation sur la ligne d’alimentation primaire soit, en fonction du nombre de structures desservies par la ligne d’alimentation primaire et des données de consommation antérieures et/ou de leur expérience;

  • d) confirmé s’il y avait probablement un détournement d’énergie sur la base d’un écart dans les consommations d’énergie à la suite de la comparaison à l’étape précédente, c’est-à-dire que la consommation mesurée était supérieure de manière importante à ce qui était attendu;

  • e) tenté d’identifier où le détournement d’énergie peut se produire en localisant le transformateur qui transportait une quantité d’énergie supérieure à la normale à l’aide des lectures de courant de chaque transformateur en aval, ou des lectures de température prises sur les transformateurs en aval à l’aide d’un thermomètre infrarouge tel qu’un thermomètre infrarouge portable avec un viseur laser;

  • f) déterminé l’emplacement de la dérivation en soumettant à des essais la charge des lignes secondaires (y compris les lignes de service) et en comparant ces mesures à la consommation d’énergie mesurée et/ou antérieure de toutes les résidences pour identifier la résidence spécifique préoccupante.

[189] M. Trustham a déclaré que le personnel de BC Hydro a partagé ses techniques d’enquête avec d’autres, ainsi qu’avec les policiers qui ont exprimé leur intérêt pour cette méthode.

[190] dTechs dit que les enquêtes décrites par M. Trustham impliquaient de rechercher des charges étonnamment élevées à un moment donné, sans comparer les modèles de consommation au fil du temps comme envisagé par le brevet 087. M. Trustham n’a pas utilisé les AEN pour comparer les modèles de consommation, mais parce que les enquêteurs devaient attendre que le vol commence : [traduction] « souvent, le vol se déroulait la nuit ou le soir et nous ne pouvions pas rester là toute la nuit et continuer à faire des lectures ».

[191] Le brevet 087 ne précise pas quand ni comment les [traduction] « modèles de consommation » et les [traduction] « modèles de consommation connus » visés aux revendications 1 et 21 doivent être mesurés. La description détaillée du mode de réalisation à privilégier indique seulement que l’invention comprend un compteur connecté à la ligne électrique primaire pour surveiller les fluctuations de consommation par rapport à [traduction] « une consommation moyenne connue qui a été déterminée pour une zone particulière ». Il n’y a aucune raison pour que cela exclue la comparaison par les enquêteurs de BC Hydro des relevés de courant mesurés à différents intervalles de temps avec ce qu’ils s’attendraient à ce que la consommation sur la ligne d’alimentation primaire soit, en fonction du nombre de structures desservies par la ligne d’alimentation primaire, données de consommation antérieures et/ou leur expérience.

[192] Je suis convaincu que les étapes des enquêtes effectuées au nom de BC Hydro, décrites par M. Trustham, contreferaient le brevet 087. Comme la Cour suprême du Canada l’a statué dans Sanofi, il n’est pas nécessaire que l’« invention exacte » ait été faite et rendue publique. L’exigence de la divulgation antérieure signifie seulement que le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (Sanofi, au para 25).

[193] dTechs conteste l’affirmation de BC Hydro selon laquelle son utilisation antérieure « l’a rendu accessible au public » au sens de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets. M. Trustham a seulement affirmé qu’il [traduction] « discutait des techniques » avec d’autres personnes, y compris des policiers qui avaient exprimé leur intérêt.

[194] La Cour d’appel fédérale a défini « le public » comme une seule personne qui peut [traduction] « en droit et en equity, […]examiner [le système en cause] sans contrainte » (Baker Petrolite Corp c Canwell Enviro-Industries Ltd, 2002 CAF 158 au para 42, citant Lux Traffic Controls Ltd v Pike Signals Ltd, [1993] RPC 107). La divulgation à [traduction] « un seul membre du public sans obstacle contraignant » est suffisante pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets. En supposant que la preuve présentée par M. Trustham est fiable, la divulgation au public de l’utilisation antérieure de BC Hydro est établie.

[195] dTechs fait remarquer l’absence de toute documentation confirmant que BC Hydro a mené une enquête de vol sur les lignes MT primaires avant le 31 mai 2006. En particulier, BC Hydro n’a pas produit :

  • a) de rapport de base de données [traduction] « Détails des détournements » montrant l’utilisation d’AEN de ligne d’alimentation primaire avant le 31 mai 2006, malgré que ces rapports aient apparemment été créés pour BC Hydro à l’époque;

  • b) de dossier papier ou autre document montrant l’utilisation d’un AEN sur une ligne d’alimentation primaire pour une enquête sur le vol avant le 31 mai 2006, malgré que ces documents aient été générés par Accenture lorsqu’elle a effectué des enquêtes sur le terrain pour BC Hydro, et la déclaration de M. Trustham selon laquelle les monteurs de lignes tiendraient normalement des registres [traduction] « de ce qu’ils [étaient] en train de faire »;

  • c) de politique ou procédure liée à l’utilisation du compteur de ligne d’alimentation primaire pour la détection du vol avant le 31 mai 2006.

[196] dTechs demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable à l’encontre de BC Hydro. Accenture a fourni des services de détection des vols à BC Hydro pendant la période pertinente, mais aucun superviseur ou employé d’Accenture n’a été appelé à témoigner dans la présente instance. En l’absence de documents à l’appui ou de corroboration d’autres témoins, dTechs affirme qu’il est impossible de se fonder sur le témoignage de M. Trustham. Ce dernier a témoigné de façon générale et n’a fourni ni dates ni exemples précis.

[197] J’accepte la mise en garde de dTechs selon laquelle la prudence est de mise lorsqu’il s’agit d’apprécier la preuve de l’utilisation antérieure fondée un témoignage non corroboré (Camso Inc c Soucy International Inc, 2019 CF 255 au para 117). Le souvenir d’un témoin d’événements qui se sont produits de nombreuses années auparavant est exposé aux faiblesses de la mémoire, même si le témoin en question n’a aucun intérêt particulier dans l’affaire.

[198] Je ne suis par contre pas d’accord avec l’affirmation de dTechs selon laquelle le témoignage de M. Trustham n’était pas corroboré. Au cours de son témoignage, il a produit des exemples d’équipements qu’il utilisait pour surveiller le courant sur la ligne d’alimentation primaire avant 2006, en particulier un Amcorder de SensorLink et un VARcorder de SensorLink, ainsi qu’un Ampstik de SensorLink. Des photographies des appareils ont été déposées en preuve et cotées comme pièces.

[199] Le témoignage de M. Trustham concorde également avec celui de M. Shaigec, un témoin cité pour le compte d’Awesense. M. Shaigec a enquêté sur le vol d’énergie pour le compte de Fortis BC et était employé par Accenture dans le même groupe qui a mené des enquêtes pour le compte de BC Hydro. M. Shaigec a déclaré que, dès l’automne 2005, il enquêtait sur le vol d’électricité en utilisant à la fois l’Ampstik de SensorLink et le VARcorder de SensorLink.

[200] L’affidavit de Gary Lee Hielkema, président de SensorLink Corporation, a été déposé en preuve et coté comme pièce sur consentement. M. Heilkema a joint à son affidavit la fiche technique et le rapport d’étalonnage du VARcorder de SensorLink. La fiche technique du VARcorder confirme que l’appareil avait une résolution de 0,1 A. Le rapport d’étalonnage du VARcorder confirme que l’appareil était disponible le 19 octobre 2005, ce qui démontre que l’appareil était utilisé avant cette date.

[201] Selon les dossiers conservés par Fortis BC, le 26 mars 2006, M. Shaigec a enquêté sur un possible vol d’électricité à une grande propriété à Kelowna qui comprenait trois structures munies de compteurs. Un collègue et lui ont placé un VARcorder de SensorLink sur la ligne d’alimentation primaire qui alimentait la propriété suspecte. Les lectures d’intensité et de facteur de puissance recueillies par le VARcorder ont ensuite été rapprochées de la consommation mesurée à la propriété. Aucune autre mesure n’a été prise, car les lectures du VARcorder étaient cohérentes avec les données mesurées.

[202] Les témoignages de M. Trustham et de M. Shaigec établissent qu’avant 2006, les enquêteurs retenus pour le compte des services publics utilisaient des AEN avec une résolution de 0,1 A sur la ligne MT primaire pour identifier les modèles de consommation atypiques. Les relevés des compteurs sur la ligne d’alimentation primaire ont ensuite été comparés aux modèles de consommation connus aux points de service client sur les lignes secondaires afin d’identifier un transformateur suspect et, à partir de là, une propriété suspecte.

[203] Contrairement à ce que croyait M. Morrison, des AEN à haute résolution étaient en fait disponibles et utilisés pour mesurer le courant sur les lignes primaires avant 2006. Le témoignage de M. Trustham, qui n’a été contesté en contre-interrogatoire qu’en ce qui concerne la tenue de ses dossiers, a été corroboré à bien des égards par le témoignage de M. Shaigec, la documentation contemporaine et les appareils réels qu’il a utilisés pour enquêter sur le vol d’électricité depuis le début à partir des années 2000.

[204] M. LaPlace n’a pas contesté l’opinion de M. Shepherd concernant l’utilisation antérieure de BC Hydro, sauf en faisant remarquer que les techniques d’enquête de BC Hydro ne faisaient pas appel à la comparaison avec des « modèles de consommation en simultané ». J’ai constaté que les « modèles de consommation en simultané » étaient exclus de l’interprétation des revendications 1 et 21. Il n’y a donc aucune preuve pour contredire la conclusion de M. Shepherd selon laquelle l’utilisation antérieure de BC Hydro antériorise les revendications indépendantes 1 et 21 et permet leur réalisation. Il en va de même de l’opinion de M. Shepherd selon laquelle l’utilisation antérieure de BC Hydro antériorise les revendications dépendantes 5 à 9 (mais pas la revendication 4), 13 à 20, 23 à 29 (mais pas la revendication 22) et 33 à 35 et permet leur réalisation. Je conclus donc que ces revendications du brevet 087 sont antériorisées par l’utilisation antérieure de BC Hydro et sont invalides.

(3) Document OLO

[205] Le document OLO a été rédigé par M. Morrison et est daté du 7 octobre 2004. Il divulgue une première version de l’invention, qui a éventuellement fait l’objet du brevet 087.

[206] dTechs affirme que le document OLO ne peut pas constituer une antériorité parce qu’il n’a pas été divulgué par M. Morrison « plus d’un an avant la date de dépôt », ou « de façon [à ce que] l’objet d’une communication [...] l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs », comme le prévoit l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets. La date de dépôt du brevet 087 est le 31 mai 2006. Selon dTechs, la seule divulgation du document OLO par M. Morrison avant le 31 mai 2005 était interne, à ses supérieurs au SPC, et par eux au service public ENMAX.

[207] dTechs affirme que la divulgation par M. Morrison au SPC s’inscrivait dans le contexte d’un projet de plan opérationnel de la police et s’est déroulée de manière confidentielle. La divulgation par le SPC à ENMAX devait permettre au service public d’évaluer la viabilité technique de la proposition. M. Morrison a déclaré que la confidentialité était un aspect inhérent à la relation de travail entre ENMAX et le SPC, car elle concernait l’identification d’opérations de drogue illégale.

[208] Comme je l’ai mentionné précédemment, le public est défini comme une seule personne qui utilise sans contrainte en droit et en équité l’information. La divulgation à « un seul membre du public sans obstacle contraignant » est suffisante pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets.

[209] Le SCP n’avait aucune obligation de confidentialité envers M. Morrison. L’intention de M. Morrison était que la police approuve la mise en œuvre de son plan opérationnel. Le SPC pouvait utiliser sans contrainte le document OLO comme bon lui semblait, et c’est ce qu’il a fait. Il a communiqué le document à l’interne et avec ENMAX. Il n’y a aucun élément de preuve direct établissant que le service public avait une obligation de confidentialité envers M. Morrison ou le SPC.

[210] La preuve par ouï-dire présentée par M. Morrison, selon laquelle ENMAX comprenait l’importance de traiter les renseignements de la police de façon confidentielle, ne constitue pas un obstacle contraignant en droit. Elle n’est pas non plus conforme à l’aveu de M. Morrison selon lequel les idées contenues dans le document OLO, et peut-être le document lui-même, ont été communiquées à une conseillère de la ville de Calgary nommée Diane Colley-Urquhart. Mme Colley-Urquhart a fait partie d’une coalition dont le but était d’arrêter les opérations de culture de marijuana, puis elle a servi au sein de la commission de police de Calgary.

[211] M. Morrison ne pouvait pas dire si Mme Colley-Urquhart avait reçu une copie du document OLO, mais elle savait clairement qu’il existait et qu’il avait été remis à ENMAX. M. Morrison espérait que Mme Colley-Urquhart convaincrait ENMAX de [traduction] « reconsidérer » son idée. Il a affirmé avoir par la suite appris qu’on avait dit à Mme Colley-Urquhart que la méthode ne fonctionnerait pas. Il n’est pas contesté que la divulgation du document OLO au SPC et à ENMAX, et peut-être à Mme Colley-Urquhart, a eu lieu à la fin de 2004.

[212] M. Morrison n’était pas toujours présent lorsque le document OLO était examiné au sein du SPC ou d’ENMAX. Il n’a exercé aucun contrôle sur les personnes auxquelles le document a été distribué ou sur ce que ces personnes en ont fait. Le SPC et ENMAX pouvaient utiliser sans contrainte en droit et en équité les renseignements contenus dans le document OLO. La divulgation par M. Morrison du document OLO constituait donc une divulgation publique au sens de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets.

[213] Le principal argument de dTechs concernant le document OLO est qu’il n’avait pas été divulgué par M. Morrison pendant la période pertinente. Cependant, dTechs soutient également que ce document ne divulguait pas un certain nombre d’aspects importants qui ont par la suite été inclus dans le brevet 087, comme le rapprochement des données en simultané et l’utilisation d’un ampèremètre.

[214] BC Hydro reconnaît que le document OLO n’a pas divulgué l’utilisation de compteurs intelligents et qu’il ne pouvait donc pas antérioriser la revendication 4. Cependant, BC Hydro affirme que toutes les autres revendications invoquées sont antériorisées par le document OLO. La divulgation d’un seul mode de réalisation visé par la revendication suffit pour qu’il y ait antériorité.

[215] M. LaPlace a convenu avec M. Shepherd que le document OLO n’antériorise pas la revendication 4 du brevet 087. Concernant les autres éléments, M. LaPlace a dit seulement ce qui suit (Rapport d’expert de Carl LaPlace en date du 25 août 2020 au para 32) :

[traduction]
En ce qui concerne l’élément « comparer les modèles de consommation aux modèles de consommation connus pour identifier des modèles de consommation suspects » des revendications 1 et 21, le document OLO se limite à comparer avec une « formule simple de moyennes communes d’utilisation, à laquelle s’ajoute […] une tolérance » ([document OLO] à la page 2). Par conséquent, la comparaison se fait par rapport aux « moyennes communes » antérieures et non aux modèles de consommation en simultané, pour détecter les écarts. Ceci est plus restrictif que les revendications 1 et 21, qui permettent une comparaison avec les modèles de consommation antérieurs et en simultané. […]

En ce qui concerne les éléments « résolution permettant de détecter la consommation électrique dans une plage inférieure à 1 A » ou « environ 0,01 à environ 0,1 A » dont il est question dans les revendications 7, 8, 27 et 28, ces éléments précisent que le compteur utilisé dans les revendications est un ampèremètre, comme l’a fait remarquer M. Shepherd aux pages 40 et 41 de son rapport. Le compteur spécifié dans le document OLO est un « dispositif de profilage électrique » qui « surveillera la charge électrique [...] et [...] l’utilisation électrique » ([document OLO] à la page 2). Dans ce contexte, je suis d’avis qu’une personne versée dans l’art interpréterait un « dispositif de profilage électrique » qui mesure la consommation électrique comme étant un compteur d’énergie et non un ampèremètre. […] un système qui utilise un compteur d’énergie est un système sensiblement différent d’un système qui repose uniquement sur un ampèremètre en termes de méthodologie de mesure, de sécurité, de coût et de précision.

[216] Le premier point de M. LaPlace est fondé sur l’hypothèse selon laquelle les revendications 1 et 21 du brevet 087 comprennent une comparaison avec les modèles de consommation antérieurs et les modèles de consommation en simultané. J’ai rejeté cette interprétation des revendications 1 et 21 et, par conséquent, cela ne constitue pas un fondement permettant de distinguer la divulgation du document OLO et le brevet 087.

[217] Le deuxième point de M. LaPlace établit une distinction entre un compteur d’énergie et un ampèremètre. Selon son rapport d’expertise, le document OLO envisage l’utilisation d’un seul compteur d’énergie, et exclut un ampèremètre. Cependant, M. LaPlace a également exprimé l’opinion que la PVA n’envisagerait pas d’utiliser un compteur d’énergie pour détecter le vol d’électricité sur la ligne d’alimentation primaire (rapport d’expert de Carl LaPlace en date du 25 août 2020 à l’alinéa 43a)) :

[traduction]
[…] En 2006, il n’y avait pas de compteurs d’énergie « faciles à installer » disponibles dans le commerce qui pouvaient être installés le long de l’artère primaire/d’alimentation sans qu’il soit nécessaire d’interrompre l’alimentation. Et en 2006, une personne versée dans son domaine aurait considéré qu’il n’était pas pratique de prendre des mesures d’énergie suffisamment précises au niveau primaire/d’alimentation uniquement (c’est-à-dire pas en conjonction avec des compteurs de transformateur) pour permettre l’équilibrage de l’énergie avec les charges et/ou points de service secondaires associés suffisamment sensibles pour détecter les modèles de consommation atypiques associés au vol d’énergie, en particulier dans les zones de services urbains à plus forte densité et à proximité des sous-stations d’artères.

[218] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la PVA interpréterait le document OLO comme autorisant seulement l’utilisation d’un compteur d’énergie et comme excluant l’utilisation d’un ampèremètre. J’accepte l’opinion de M. Shepherd selon laquelle toutes les revendications invoquées du brevet 087, à l’exception de la revendication 4, sont antériorisées par le document OLO, qui permet leur réalisation. Ces revendications du brevet 087 sont donc invalides.

(4) Document De

[219] Le document De est une courte étude universitaire qui propose une solution au problème des [traduction] « maigres recettes en proportion de l’énergie fournie en raison des vols d’énergie et des pertes de réseau » en Inde. Sa date de publication ne saute pas aux yeux, mais la date indiquée du droit d’auteur est 2003. Il ne fait aucun doute que ce document est antérieur de plusieurs années au brevet 087.

[220] L’introduction du document De indique ceci :

[traduction]
L’architecture de comptage électronique proposée dans la présente étude est une approche multifonctionnelle pour lire les compteurs d’énergie situés sur les sites des consommateurs (résidentiels, industriels ou commerciaux). Les lectures sont faites à distance et, après traitement, utilisées pour la détection de vol. Les données sont également utilisées pour le calcul des pertes de transport et de distribution (T et D). Elles peuvent également être étendues pour surveiller en temps réel le réseau de distribution électrique et mettre en œuvre l’automatisation de la distribution.

[Souligné dans l’original.]

[221] L’architecture de comptage électronique proposée dans le document De requiert l’installation de nombreux compteurs d’énergie, ou « nœuds », en plusieurs « couches » :

[traduction]
L’architecture en couches est choisie pour réduire la complexité du réseau. La première couche comprend l’appareil de mesure d’énergie (AME) situé dans les sous-stations, les artères, les transformateurs de distribution et les locaux des consommateurs. Une grappe d’environ 500 nœuds (AME) est connectée à un nœud local, qui est la deuxième couche. Un certain nombre de ces nœuds sont connectés pour former un centre de nœud local (CNL), qui est la couche suivante.

Vient ensuite la quatrième couche appelée Centre de collecte de zone (CCZ) qui est connectée aux CNL relevant d’elle. La couche la plus élevée du réseau de données distribuées s’appelle le Centre principal de contrôle et d’information (CPCI), qui est connecté à tous les CCZ.

[222] BC Hydro décrit cela comme une solution de « réseau intelligent » qui déploie des compteurs dans tout le système de distribution, y compris dans les sous-stations, les artères, les transformateurs et les locaux des clients. BC Hydro affirme que cette combinaison d’emplacements de compteurs est similaire à la configuration qu’elle utilise pour surveiller les vols et autres pertes. Selon BC Hydro, le document De antériorise toutes les revendications du brevet 087 même si l’interprétation des revendications 1 et 4 proposée par dTechs est acceptée.

[223] dTechs répond que le déploiement généralisé du comptage par transformateur est une stratégie de comptage fondamentalement différente de celle décrite dans les revendications 1 et 21 du brevet 087, qui décrivent le comptage sur la ligne d’alimentation primaire uniquement. L’objectif de l’approche par étapes de la détection de vol est d’éviter le coût du déploiement de compteurs de transformateurs à l’échelle du système : un seul compteur de ligne d’alimentation primaire surveille une zone desservie par une « pluralité de transformateurs », et les transformateurs ne sont examinés que lorsqu’une anomalie est identifiée sur la ligne d’alimentation primaire associée.

[224] Selon la description du brevet 087, l’un des objectifs déclarés de l’invention est de [traduction] « réduire le nombre de compteurs d’environ 10 fois par rapport aux compteurs conventionnels faisant appel à un transformateur ». dTechs soutient que le déploiement généralisé du comptage par transformateur proposé par le document De annule l’avantage de la méthode décrite dans le brevet 087. Pour reprendre les mots de M. LaPlace, [traduction] « [i] si vous surveillez au niveau du transformateur pour détecter le vol, vous n’avez même pas besoin de mesure primaire. Donc, vous pouvez simplement jeter le compteur principal. »

[225] La difficulté avec la position de dTech est qu’elle est incompatible avec son affirmation selon laquelle l’utilisation par BC Hydro d’une solution de « réseau intelligent » qui déploie des compteurs dans tout le système de distribution est susceptible de contrefaire le brevet 087. J’ai conclu que la méthode de BC Hydro ne contrefait pas le brevet 087, mais cela n’a rien à voir avec la configuration des compteurs qu’elle utilise pour surveiller les vols et autres pertes. La raison pour laquelle le système de BC Hydro ne contrefait pas le brevet 087 est qu’il compare les modèles de consommation aux données en simultané des compteurs intelligents. Le système de BC Hydro est par ailleurs comparable à celui décrit dans le document De.

[226] dTechs dit que le document De n’antériorise pas l’utilisation d’un ampèremètre, comme envisagé dans les revendications 7, 8, 13, 14, 15, 27, 28, 33, 34 et 35. Au lieu de cela, c’est un compteur d’énergie qui est spécifié. M. LaPlace a expliqué que le déploiement d’un compteur d’énergie sur une ligne d’alimentation primaire est plus difficile et moins sécuritaire que le déploiement d’un ampèremètre, car un compteur d’énergie doit également mesurer la haute tension qui traverse la ligne d’alimentation primaire et pas seulement le courant. Bien qu’un ampèremètre offre moins de précision pour la détection de vol, il peut être déployé sur les lignes MT plus facilement et en toute sécurité.

[227] Le compteur décrit dans le document De peut enregistrer plusieurs paramètres, y compris les mesures de « courant de ligne ». Il peut donc fonctionner comme un ampèremètre. Les revendications 1 et 21 ne précisent pas si le compteur est un ampèremètre, pouvant mesurer uniquement le courant, ou un compteur d’énergie, pouvant mesurer à la fois le courant et la tension.

[228] Tous les témoins experts ont convenu que le document De divulgue le comptage sur la ligne d’alimentation primaire pour identifier les variations par rapport aux modèles de consommation connus (c’est-à-dire antérieurs) afin de détecter les écarts suspects. Dans ce document, on utilise le terme [traduction] « profil de base », mais il équivaut aux [traduction] « modèles de consommation connus » dont fait état le brevet 087. Comme le brevet 087, le document De enseigne l’utilisation d’un seuil pour déclencher une enquête (10 à 15 % au-dessus d’une valeur attendue dans le document De, par opposition à 25 % dans le brevet 087).

[229] Le document De décrit les caractéristiques du système comme suit (à la page 656) :

[traduction]
Le système créera un profil énergétique de base de chaque AME pour six mois ou un an. Une base de données des profils énergétiques de base de chaque AME est maintenue et sera mise à jour si nécessaire. Tout écart de 10 à 15 % entre le profil mesuré et le profil de base indiquera un cas possible de panne ou de vol d’énergie.

En cas d’écart important, le service public de distribution est tenu d’envoyer son équipe de vigilance au sous-système suspecté pour vérifier les raisons de l’écart et prendre les mesures qui s’imposent. […]

[230] Selon M. Shepherd :

[traduction]
La personne versée dans l’art comprendrait le « profil énergétique de base » décrit dans le document De comme étant des « modèles de consommation connus » et le « profil mesuré » comme étant des « modèles de consommation ». Cette personne comprendrait en outre que le document De explique que lorsqu’il y a un écart entre le profil mesuré et le profil de base au-delà d’un certain seuil, le « profil mesuré » est suspect.

Cette étape de « comparaison » est activée dans le document De par le critère d’un écart de 10 à 15 % comme déclencheur d’une situation suspecte. Mis à part l’ampleur de l’écart, il s’agit de la même approche décrite dans le brevet 087 […]

[231] BC Hydro compare l’envoi d’une [traduction] « équipe de surveillance » mentionnée dans le document De à [traduction] « notifier le service public » et à l’envoi de [traduction] « personnel du service de dépannage du service public » pour enquêter figurant dans le brevet 087. Le document De mentionne également l’équilibrage de l’énergie avec des compteurs intelligents d’une manière similaire à la revendication 4 du brevet 087. Les compteurs dont fait état le document De sont des « compteurs intelligents », et le rapprochement énergétique à l’aide de compteurs intelligents est décrit comme un [traduction] « avantage supplémentaire » du système.

[232] M. LaPlace a implicitement reconnu que le document De divulgue la réalisation du brevet 087 qui fait appel à une comparaison des données des compteurs avec les modèles de consommation antérieurs (rapport d’expert de Carl LaPlace en date du 25 août 2020 à l’alinéa 28b)) :

[traduction]
En ce qui concerne l’élément « comparer les modèles de consommation à des modèles de consommation connus » des revendications 1 et 21, le document De se limite à comparer avec un « profil énergétique de base de chaque AME pendant six mois ou un an » ([document De] à la page 656). Par conséquent, l’objectif fonctionnel de l’AME est de comparer les profils énergétiques antérieurs, et non les modèles de consommation en simultané, afin de détecter tout écart important. Ceci est plus restrictif que les revendications 1 et 21, qui permettent une comparaison avec les modèles de consommation antérieurs et les modèles de consommation en simultané.

[233] Encore une fois, il semble que M. LaPlace ait fondé son opinion sur l’hypothèse selon laquelle les revendications 1 et 21 englobent la comparaison de modèles de consommation et de données en simultané obtenues à partir de compteurs intelligents. J’ai déjà rejeté cette interprétation des revendications. De plus, comme le souligne Awesense, la conclusion de M. LaPlace selon laquelle le document De est plus restrictif que le brevet 087 signifie qu’il doit inévitablement antérioriser les revendications 1 et 21 : la divulgation d’un seul mode de réalisation visé par la revendication suffit pour qu’il y ait antériorité.

[234] Compte tenu de la concession de M. LaPlace selon laquelle le brevet 087 diffère du document De uniquement en ce qui concerne sa comparaison de modèles de consommation et de données en simultané provenant de compteurs intelligents, rien ne contredit l’opinion de M. Shepherd selon laquelle le document De antériorise et permet la réalisation des revendications indépendantes 1 et 21 du brevet 087, ainsi que des revendications dépendantes 4 à 9, 13 à 22, 22 à 29, et 33 à 35. Ces revendications du brevet 087 sont donc invalides.

[235] BC Hydro s’appuie sur un certain nombre d’autres antériorités, mais celles-ci ont été présentées à titre subsidiaire dans le cas où la Cour adopterait l’interprétation des revendications 1 et 4 préconisée par dTechs. Étant donné que j’ai rejeté cette interprétation des revendications 1 et 4 du brevet 087, il n’est pas nécessaire d’examiner ces autres antériorités.

B. Évidence

[236] En vertu de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, un brevet ne peut être délivré pour une invention qui, à la date de la revendication, était évidente pour une PVA ou la science dont relève le brevet. L’évidence doit être évaluée à la date de priorité, soit le 10 février 2006.

[237] En règle générale, l’évidence est considérée comme étant une question de fait ou une question mixte de fait et de droit (Wenzel Downhole Tools Ltd c National-Oilwell Canada Ltd, 2012 CAF 333 au para 44). Elle doit être évaluée pour chaque revendication (Zero Spill Systems (Int’l) Inc c Heide, 2015 CAF 115 aux para 85, 87‑88).

[238] Lorsqu’on examine la question de l’évidence, toute analyse rétrospective est interdite. Pour déterminer si une revendication est évidente, les tribunaux appliquent habituellement le critère à quatre volets énoncé au paragraphe 67 de Sanofi :

  • a) identifier la PVA et déterminer les connaissances générales courantes de cette personne;

  • b) définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

  • c) recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

  • d) abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[239] La quatrième étape de l’analyse peut exiger que l’on détermine si l’invention revendiquée résulte d’un « essai allant de soi ». Cette question tend à se poser dans les domaines où des avancées sont souvent réalisées grâce à l’expérimentation et où de nombreuses variables interreliées peuvent avoir une incidence sur le résultat souhaité (Sanofi, aux para 68‑71). Aucune des parties n’a soutenu qu’il était nécessaire d’examiner la quatrième étape en l’espèce.

[240] Il a été traité de la PVA et des connaissances générales courantes ci‑dessus, dans la section « Interprétation des revendications ».

[241] M. Shepherd a déclaré ce qui suit au sujet du concept inventif du brevet 087 (rapport d’expert de J. Bradley Shepherd en date du 9 juin 2020 au para 167) :

[traduction]
[…] je suis d’avis que le concept inventif de la revendication 1 et de la revendication 21 est le même, c’est-à-dire une méthode permettant de détecter et localiser la source de consommation électrique atypique dans laquelle une ligne d’alimentation primaire est mesurée pour des valeurs indicatives de la consommation électrique, et ces valeurs sont comparées à des modèles de consommation électrique antérieurs ou connus pour identifier un modèle de consommation suspect, puis surveiller les transformateurs associés pour identifier un transformateur suspect et soumettre à des essais les lignes secondaires (de service) associées au transformateur suspect dans le but d’identifier la source de consommation électrique atypique.

[242] M. Shepherd a poursuivi dans le paragraphe suivant :

[traduction]
[…] Prise dans son ensemble, la combinaison des étapes de ce concept inventif ne révèle aucune différence par rapport à l’état de la technique. Même s’il s’avérait qu’il y avait une ou des différences, à mon avis, cette ou ces différences ne peuvent pas être une ou des différences qui auraient nécessité un certain degré d’invention pour toutes les raisons que j’ai exposées ci-dessus. En d’autres termes, dans la mesure où il y avait une ou plusieurs différences entre l’état de la technique et le concept inventif précédent, cette ou ces différences auraient été tout à fait évidentes pour la personne versée dans l’art.

[243] L’argument de BC Hydro concernant l’évidence repose largement sur sa position selon laquelle le brevet 087 est antériorisé et, par conséquent, invalide. Dans la mesure où il y a une différence entre l’état de la technique et les méthodes revendiquées dans le brevet 087, BC Hydro affirme qu’il n’y a pas d’étape inventive requise pour que la PVA, disposant des antériorités et des connaissances générales courantes, arrive directement et sans difficulté à la méthode revendiquée dans le brevet 087.

[244] BC Hydro soutient que les étapes d’enquête sur le terrain pour identifier les dérivations de courant, ou une charge inhabituellement élevée sur le réseau de distribution, étaient bien connues et faisaient partie des connaissances générales courantes à l’époque pertinente. La surveillance des caractéristiques des transformateurs pour les charges élevées (y compris avec l’utilisation de la technologie infrarouge), l’essai en charge des lignes secondaires et la confirmation d’un détournement d’énergie en comparant les compteurs sur une ligne de service avec les compteurs des clients étaient toutes des techniques connues et faisant partie des connaissances générales courantes de la PVA.

[245] BC Hydro soutient également que les compteurs, y compris les compteurs intelligents, les compteurs d’énergie et les ampèremètres, et tous leurs paramètres associés étaient bien connus. Avant 2006, des enquêteurs travaillant pour le compte de BC Hydro et de Fortis BC surveillaient la ligne d’alimentation primaire (sans information préalable sur une opération de culture de marijuana ou un détournement), y compris sur les artères entre la sous-station et les transformateurs de distribution.

[246] dTechs fait remarquer qu’il a fallu beaucoup de temps à BC Hydro pour concevoir et mettre en œuvre sa solution de « réseau intelligent » pour détecter le vol d’électricité et d’autres pertes. Selon dTechs, après s’être lancé en 2005 dans l’élaboration d’un plan d’automatisation de la détection des vols, BC Hydro [traduction] « a exploré pendant cinq ans » avant de finalement adopter la méthode décrite dans le brevet 087.

[247] M. LaPlace a identifié quatre raisons pour lesquelles la différence entre l’état de la technique et le concept inventif des revendications 1 et 21 n’aurait pas été évidente pour la PVA en 2006 :

a) la PVA aurait considéré que la surveillance sur la seule ligne d’alimentation primaire n’était pas suffisamment précise pour détecter le vol, en particulier dans les zones à forte densité, où il y a une pluralité de transformateurs desservant une pluralité de clients, comme envisagé dans le brevet 087;

b) la PVA aurait su que les compteurs haute résolution qui pourraient être facilement et en toute sécurité déployés sur la ligne d’alimentation primaire à long terme n’étaient pas facilement disponibles - le VARcorder de SensorLink avait une application limitée à de faibles niveaux de charge, reposait sur une batterie, et n’avait pas de capacités de communication sans fil;

c) la PVA n’aurait pas envisagé d’utiliser un ampèremètre sur la ligne d’alimentation primaire, par opposition à un compteur d’énergie, pour la détection de vol;

d) la PVA aurait compris que les approches de réseau intelligent pour la détection de vol étaient orientées vers le comptage au niveau du transformateur, où la précision était connue pour être suffisante et les compteurs étaient connus pour être déployables en toute sécurité.

[248] La Cour d’appel fédérale a dit que l’art antérieur accessible au public à la date pertinente ne doit pas être exclu lors de l’examen des différences entre l’état de la technique et l’invention revendiquée (Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 [Hospira] au para 86). Il n’est pas nécessaire de démontrer que la PVA aurait découvert l’art antérieur après une recherche raisonnablement diligente. BC Hydro est donc d’avis que toutes les antériorités citées à l’appui de son allégation d’antériorité peuvent être prises en considération dans l’analyse de l’évidence.

[249] Cependant, la Cour d’appel fédérale a reconnu que la révélation d’une antériorité peut être pertinente à la quatrième étape de l’analyse de l’évidence (Hospira, au para 86) :

La probabilité que la personne versée dans l’art n’aurait pas trouvé une antériorité peut avoir une pertinence pour l’examen de l’étape 4 de l’analyse de l’évidence (la question de savoir si les différences entre l’état de la technique et l’idée originale sont des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art), en ce sens que la personne versée dans l’art, mais sans inventivité, pourrait ne pas avoir pensé à combiner cette antériorité avec les autres antériorités pour faire l’invention revendiquée.

[250] Même si la PVA n’a pas l’ingéniosité de combiner plusieurs antériorités pour réaliser l’invention revendiquée, le document De à lui seul divulgue une surveillance sur la ligne MT primaire pour détecter le vol d’électricité ou d’autres pertes. Les AME décrits dans le document De sont situés dans tout le réseau de distribution, y compris dans les [traduction] « sous-stations, les artères, les transformateurs de distribution et les locaux des consommateurs ». M. Shepherd a confirmé que la PVA comprendrait que les UEM aux « sous-stations » et aux « artères » sont des compteurs sur la ligne d’alimentation primaire.

[251] Trois autres antériorités citées par BC Hydro divulguent chacune une surveillance sur la ligne MT primaire pour détecter le vol d’électricité ou d’autres pertes :

a) A. Ilo, « On-line estimation and location of non-technical loss in a distribution system » (2003), 424 e & i Elektrotechnik und Informationstechnik [le document Ilo];

b) PA Government Services Inc., « Improving Power Distribution Company Operations to Accelerate Power Sector Reform » (2005) [le document USAID];

c) Brent Hughes, « AMI and Theft Detection » (présentation prononcée lors du symposium de l’Ontario sur les compteurs intelligents, Notawasaga (Ontario), novembre 2005) [le document AMI].

[252] La figure 1 du document Ilo illustre un système ayant des compteurs installés sur des artères de distribution. Le document USAID décrit un programme mis en œuvre en Inde qui comprenait [traduction] « l’installation de compteurs et d’équipements d’enregistrement de données sur toutes les artères de 11 kVa afin de vérifier l’approvisionnement par rapport aux ventes au compteur et de surveiller tout modèle de fonctionnement inhabituel ». Le document AMI décrit un système qui comprend des compteurs sur des « artères » dans la configuration rurale décrite à la page 5. La PVA n’aurait pas eu besoin de combiner des antériorités pour comprendre que le vol d’électricité pouvait être détecté par une surveillance sur la ligne d’alimentation primaire.

[253] La PVA dépourvue d’imagination, confrontée au problème d’une surveillance inefficace sur les lignes secondaires inaccessibles au niveau du transformateur, arriverait directement et sans difficulté à la solution de la surveillance sur la ligne d’alimentation primaire à la place. Cela a été clairement divulgué dans plusieurs antériorités distinctes, et cela faisait probablement déjà partie des connaissances générales courantes de la PVA. Le besoin d’un compteur ayant une résolution suffisante pour détecter les variations par rapport aux modèles de consommation connus sur la ligne d’alimentation primaire allait de soi et était dicté par des concepts électriques de base et bien établis. Comme l’a expliqué M. Shepherd, tous les éléments essentiels des revendications indépendantes 1 et 21 feraient partie des connaissances générales courantes de la PVA (rapport d’expert de J. Bradley Shepherd en date du 9 juin 2020 aux para 131‑145) :

connecter un compteur à une ligne d’alimentation primaire, le compteur ayant une résolution suffisante pour détecter des variations par rapport aux modèles de consommation connus sur la ligne d’alimentation primaire;

surveiller la ligne d’alimentation primaire à des intervalles de temps prédéterminés pour la consommation d’électricité;

collecter des données pour déterminer des mesures indicatives de modèles de consommation;

comparer les modèles de consommation à des modèles de consommation connus pour identifier des modèles de consommation suspects;

lorsqu’un modèle de consommation suspect est identifié, surveiller les caractéristiques de la pluralité de transformateurs pour identifier un transformateur suspect;

soumettre à des essais en charge des lignes secondaires du transformateur suspect pour identifier une structure suspecte.

[254] Les éléments essentiels des autres revendications du brevet 087 feraient également partie des connaissances générales courantes de la PVA (rapport d’expert de J. Bradley Shepherd en date du 9 juin 2020 aux para 146‑164) :

l’utilisation de compteurs intelligents pour rapprocher la somme de toutes les consommations de chaque structure avec la consommation sur la ligne d’alimentation primaire (revendication 4);

surveiller la [traduction] « signature thermique » des transformateurs, et les dispositifs utilisés pour surveiller les signatures thermiques (revendications 5, 6, 25 et 26);

la résolution précise du compteur connecté à la ligne d’alimentation primaire (revendications 7, 8, 14, 15, 27, 28, 34 et 35);

les critères de détermination d’un [traduction] « modèle de consommation suspect » (revendications 9 et 29);

le type ou les caractéristiques du compteur utilisé sur la ligne d’alimentation primaire (revendications 13, 16, 17, 18, 19, 20 et 33) - Les AEN étaient un type de compteur bien connu qui enregistrait les mesures à des intervalles de temps prédéterminés, ont une mémoire (ou tampon) pour stocker les valeurs enregistrées et fournir certaines fonctions supplémentaires, telles que la transmission des données enregistrées au moyen d’une liaison de communication à un ordinateur qui a analysé (ou traité) les données dans le but de déterminer ou d’illustrer les modèles de consommation mesurés.

[255] BC Hydro fait remarquer que M. Morrison n’a aucune formation en électricité et aucune expérience directe en entretien d’un système de distribution électrique. M. Morrison est nettement moins qualifié que la PVA, mais il semble avoir eu peu de difficulté à concevoir la méthode décrite dans le brevet 087. M. Morrison considérait qu’il était [traduction] « clair et évident que mettre le compteur au niveau de la ligne d’alimentation primaire plutôt qu’au niveau du transformateur était la meilleure façon de le faire », compte tenu des avantages qu’il avait identifiés. Le seul essai qu’il a effectué était de confirmer des concepts électriques de base et bien établis.

[256] Je conclus donc que les revendications invoquées du brevet 087 sont invalides pour cause d’évidence.

C. Conclusion sur la validité

[257] Les revendications du brevet 087 sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence. Compte tenu de ces conclusions, il n’est pas nécessaire de tenir compte des arguments de BC Hydro selon lesquels les revendications invoquées du brevet 087 sont également invalides pour cause d’insuffisance, d’inutilité, de portée excessive et d’objet non brevetable.

D. Autres moyens de défense

[258] BC Hydro et Awesense soutiennent que dTechs n’a pas la qualité requise pour alléguer la contrefaçon ou défendre la validité du brevet 087 parce que M. Morrison a conçu sa méthode dans le cadre de son emploi au sein du SPC. Les deux défenderesses soutiennent donc que M. Morrison n’a jamais été le propriétaire légitime du brevet 087 et qu’il n’aurait pas pu en céder la propriété à dTechs.

[259] BC Hydro fait également valoir une défense d’« utilisation antérieure » fondée sur de l’article 56 de la Loi sur les brevets et affirme qu’elle a utilisé ses méthodes de détection de vols avant la date de revendication du brevet 087.

[260] BC Hydro invoque en outre l’exercice d’un pouvoir légal. Elle affirme qu’elle ne peut pas contrefaire le brevet 087 parce que l’établissement, l’acquisition et l’utilisation de ses appareils de mesure du système de distribution ont été autorisés par la Clean Energy Act, SBC 2010, c 22, de la Colombie‑Britannique, ainsi que par le Smart Meters and Smart Grid Regulation, BC Reg 368/2010, qui a été pris en vertu de cette loi.

[261] Vu mes conclusions concernant l’absence de contrefaçon du brevet 087 et l’invalidité des revendications invoquées, il n’est pas nécessaire que j’examine ces moyens de défense additionnels.

XII. Dispositif

[262] Ni BC Hydro ni Awesense, individuellement ou collectivement, ne contrefont les revendications du brevet 087.

[263] Les revendications indépendantes 1 et 21 du brevet 087, ainsi que les revendications dépendantes 4 à 9, 13 à 20, 22 à 29 et 33 à 35 du brevet 087, sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence.



JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. Ni British Columbia Hydro and Power Authority ni Awesense Wireless Inc., individuellement ou collectivement, ne contrefont les revendications du brevet canadien 2 549 087 [le brevet 087].

  2. Les revendications indépendantes 1 et 21 du brevet 087, ainsi que les revendications dépendantes 4 à 9, 13 à 20, 22 à 29 et 33 à 35 du brevet 087, sont invalides pour cause d’antériorité et d’évidence.

  3. Si les parties ne sont pas en mesure de s’entendre sur les dépens, elles peuvent déposer des observations écrites d’un maximum de sept pages dans les 21 jours suivant la date du présent jugement. Des observations en réponse, ne dépassant pas trois pages, peuvent être présentées dans les 10 jours qui suivent.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-227-17

 

INTITULÉ :

DTECHS EPM LTD. c BRITISH COLUMBIA HYDRO AND POWER AUTHORITY ET AWESENSE WIRELESS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence entre Calgary (Alberta), VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), et TORONTO et ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 16, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25 et 26 novembre 2020, et le 4 décembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS :

LE 1ER MARS 2021

 

DATE DE LA VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

LE 16 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Christian J. Popowich

Robert J. Moyse

 

POUR LA DEMANDERESSE/
défenderesse reconventionnelle

Michael Crichton

Nelson Godfrey

Marc Crandall

Charlotte Dong

 

Pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

British Columbia Hydro and Power Authority

 

Vincent de Grandpré

Kenza Salah

Pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

Awesense Wireless Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Code Hunter LLP
Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE/
défenderesse reconventionnelle

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

British Columbia Hydro and Power Authority

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.
Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

Awesense Wireless Inc.

 

 

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