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Date : 20210322


Dossier : T-1344-20

Référence : 2021 CF 246

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

BRIAN JACKSON

demandeur

et

ERWIN BASTIEN, CHEF ET CONSEIL DE LA NATION DES PIIKANI, COMITÉ D’APPEL SUR LES DESTITUTIONS DE LA NATION DES PIIKANI, ROBERT HAWKES, CAIREEN HANERT ET MICHEAL PFLUEGER

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Monsieur Jackson est un conseiller de la Nation des Piikani. Il est visé par une requête en destitution. Le conseil a renvoyé la requête au Comité d’appel sur les destitutions, un organe indépendant chargé d’entendre ces requêtes. Le conseiller Jackson a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par le conseil.

[2] Le conseiller Bastien, qui est à l’origine de la requête, présente maintenant une requête en suspension de la demande du conseiller Jackson. J’accueille cette requête puisque la demande de contrôle judiciaire est prématurée.

I. Contexte

[3] Les élections du chef et du conseil de la Nation des Piikani sont régies par le Règlement électoral de la Nation des Piikani de 2002 [le Règlement électoral]. Le Règlement électoral prévoit un mécanisme complexe pour la destitution d’un chef ou d’un conseiller. Un organe décisionnel, appelé Comité d’appel sur les destitutions de la Nation des Piikani [le Comité], est mis sur pied à cette fin. Conformément au chapitre 10 du Règlement électoral, les requêtes en destitution d’un chef ou d’un conseiller peuvent être présentées au conseil. L’article 10.4 prévoit que le conseil examine la preuve à l’appui de la requête et décide si l’affaire doit être renvoyée au Comité. Le chapitre 11 décrit la procédure à suivre par le Comité.

[4] En septembre 2020, le conseiller Erwin Bastien a présenté une requête en destitution du conseiller Brian Jackson. Le 30 septembre, après avoir examiné la requête, le conseil a adopté une résolution par laquelle il renvoyait l’affaire au Comité.

[5] Le conseiller Jackson a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du conseil datée du 30 septembre. Il y dénonce plusieurs manquements à la procédure énoncée dans le Règlement électoral. Par ailleurs, il conteste le fondement de la requête.

[6] Par ordonnance du juge en chef, ma collègue, la protonotaire Alexandra Steele, a été désignée juge responsable de la gestion de l’instance. Le 27 janvier 2021, elle a ordonné que seules deux requêtes interlocutoires soient entendues à ce stade-ci : une requête en suspension d’instance et une requête en injonction ou pour mesures provisoires. Conformément à cette directive, le conseiller Bastien a présenté une requête en suspension d’instance. Toutefois, le conseiller Jackson a présenté une requête semblant solliciter une décision hâtive sur le fond de la demande principale.

[7] C’est pourquoi le 15 mars 2021, conformément à la décision de la protonotaire Steele, j’ai donné une directive selon laquelle j’entendrais uniquement la requête en suspension du conseiller Bastien et la requête du conseiller Jackson, dans la mesure où des réparations provisoires étaient sollicitées. J’ai précisé que je n’entendrais ni la demande principale sur le fond, ni aucune requête présentée dans le cadre d’instances distinctes introduites par d’autres parties.

II. Analyse

[8] J’examinerai d’abord la requête du conseiller Bastien, parce que si cette dernière est accueillie, il ne sera pas nécessaire d’examiner celle du conseiller Jackson.

A. Requête en suspension d’instance du conseiller Bastien

[9] Le conseiller Bastien demande à la Cour de refuser d’entendre la demande au motif qu’elle est prématurée. À titre subsidiaire, il sollicite la suspension de l’instance jusqu’à ce que le Comité rende une décision sur la requête en destitution du conseiller Jackson. À l’audience, le conseiller Bastien a expliqué qu’il demandait essentiellement la suspension de la demande, et non sa radiation.

[10] Je fais droit à la requête du conseiller Bastien et je suspens la demande pour les motifs suivants.

[11] Selon l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, la Cour a le pouvoir de suspendre les procédures « lorsque [. . .] l’intérêt de la justice l’exige ». Dans l’arrêt Mylan Pharmaceuticals ULC c Astrazeneca Canada inc., 2011 CAF 312, le juge David Stratas de la Cour d’appel fédérale affirme que la décision de suspendre temporairement une instance n’est pas assujettie au critère qu’une cour de révision doit normalement appliquer pour déterminer si elle doit suspendre une instance devant un tribunal administratif, tel qu’énoncé dans l’arrêt RJR‑Macdonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. La cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner tous les facteurs pertinents : Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1.

[12] En l’espèce, le facteur déterminant est la prématurité de la demande. Dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 au paragraphe 30, [2011] 2 RCF 332 [CB Powell], le juge Stratas affirme que, « [e]n principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. » Cette règle a été appliquée dans une longue série de décisions, dont la plus récente est l’arrêt Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 [Dugré] où, au paragraphe 37, la Cour rappelle que « la limite à l’exercice de recours interlocutoires est quasi‑absolue ».

[13] La demande du conseiller Jackson porte principalement sur la décision du conseil, en date du 30 septembre, de renvoyer l’affaire au Comité. Cette décision n’est pas définitive. Il s’agit seulement d’une étape préliminaire dans le cadre du processus administratif établi pour traiter les requêtes en révocation. Le processus administratif ne sera terminé que lorsque le Comité aura rendu sa décision finale. Puisque nous n’y sommes pas encore, la demande du conseiller Jackson est prématurée, ce qui constitue un argument de poids pour y surseoir.

[14] Mon collègue le juge Sean Harrington a tranché une affaire très semblable faisant intervenir la même Première nation et le même processus de destitution dans la décision Strikes With a Gun c Conseil de la Première Nation des Piikani, 2013 CF 966 (une décision interlocutoire non publiée). Le conseil avait renvoyé au Comité une requête en destitution du chef. Ce dernier avait sollicité une injonction pour empêcher le Comité d’entendre l’affaire. Le juge Harrington a souligné que le conseil avait simplement fait une recommandation au Comité et que la requête en injonction présentée par le chef était donc prématurée. Il a ajourné l’affaire sine die. Je n’ai aucune raison de m’écarter du chemin tracé par mon collègue.

[15] La règle proscrivant le contrôle judiciaire des décisions interlocutoires ne peut être écartée qu’en des circonstances exceptionnelles, et celles-ci sont très rares : CB Powell, au paragraphe 31; Dugré, au paragraphe 35. Le conseiller Jackson prétend que sa situation est exceptionnelle. Il fait observer que l’échéancier établi dans le Règlement électoral n’a pas été suivi, de sorte que le Comité a perdu sa compétence. Il soulève également plusieurs manquements à l’équité procédurale.

[16] Or, le simple fait qu’un demandeur soulève des questions de compétence ou d’équité procédurale ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant l’intervention de la Cour avant que le processus administratif soit terminé : CB Powell, aux paragraphes 33, 39-40.

[17] J’ai examiné les motifs invoqués par le conseiller Jackson. Puisque ceux‑ci pourront être examinés par le Comité, ou par un de mes collègues lorsqu’il se penchera sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, j’en dirai le moins possible pour ne pas influencer indûment les décideurs subséquents. À cette étape‑ci, il me suffit de dire que je n’ai relevé aucune circonstance exceptionnelle justifiant une intervention immédiate dans le processus du Comité.

[18] Par conséquent, j’ordonne la suspension de la demande du conseiller Jackson jusqu’à ce que le Comité rende sa décision.

B. Requête du conseiller Jackson

[19] Puisque j’ai ordonné la suspension de la demande, il n’est pas nécessaire de trancher la requête du conseiller Jackson. Il suffit de dire que, contrairement à la directive de la protonotaire Steele, la requête ne visait pas à obtenir des mesures provisoires, mais plutôt à demander, en substance, que la demande soit jugée sur le fond immédiatement. À l’audience, le conseiller Jackson a indiqué qu’il ne sollicitait aucune autre forme de mesures provisoires.

C. Dépens

[20] Le conseiller Bastien et la Nation des Piikani sollicitent des dépens. À l’audience, le conseiller Bastien a clairement indiqué qu’il ne demandait pas des dépens majorés et ne souhaitait pas qu’ils prennent une dimension punitive. Par conséquent, il renvoie à la colonne III du tarif, qui est la règle « par défaut » : Règle des Cours fédérales, DORS/98-106, art 407. Il fait valoir que l’adjudication d’un montant fixe de 1 500 à 1 700 $ serait conforme à la colonne III du tarif, et demande que les dépens soient adjugés sur la base d’un seul mémoire de frais pour les deux requêtes.

[21] Je suis d’accord avec le conseiller Bastien; j’accorde donc des dépens d’un montant fixe de 1500 $. Puisque j’applique la règle « par défaut », je n’ai pas à me prononcer quant au comportement du conseiller Jackson dans la présente instance.

[22] J’accorde également des dépens s’élevant à 1 000 $ en faveur de la Nation des Piikani. Certes, le conseiller Bastien est le défendeur principal et il a présenté la requête en suspension de l’instance, mais la Nation des Piikani a déposé un dossier de requête contenant des renseignements sur la procédure suivie par le conseil et par le Comité. Cela justifie de lui octroyer des dépens, mais d’un montant moindre que celui accordé au conseiller Bastien.


ORDONNANCE dans le dossier T-1344-20

LA COUR STATUE :

1. La présente demande de contrôle judiciaire est suspendue jusqu’à ce que le Comité d’appel sur les destitutions de la Nation des Piikani rende sa décision dans la présente affaire.

2. Le demandeur est condamné à verser au défendeur, Erwin Bastien, la somme de 1 500 $ au titre des dépens, y compris les débours et les taxes.

3. Le demandeur est condamné à verser au défendeur, le chef et conseil de la Nation des Piikani, la somme de 1 000 $ au titre des dépens, y compris les débours et les taxes.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1344‑20

 

INTITULÉ :

BRIAN JACKSON c ERWIN BASTIEN, CHEF ET CONSEIL DE LA NATION DES PIIKANI, COMITÉ D’APPEL SUR LES RÉVOCATIONS DE LA NATION DES PIIKANI, ROBERT HAWKES, CAIREEN HANERT ET MICHEAL PFLUEGER

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 16 MARS 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND.

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2021

COMPARUTIONS :

Will Willier

POUR LE DEMANDEUR

Emily A. Grier

POUR LE DÉFENDEUR

ERWIN BASTIEN

Caireen Hanert

POUR LE DÉFENDEUR

CONSEIL ET CHEF DE LA NATION DES PIIKANI

Darrin Blain

POUR LE DÉFENDEUR

COMITÉ D’APPEL SUR LES RÉVOCATIONS DE LA NATION DES PIINAKI

Robert Hawkes, c.r.

POUR LES défendeurs

ROBERT HAWKES, CAIREEN HANERT ET MICHEAL PFLUEGER


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Willier and Company

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Eagle Law Group

Avocats

POUR LE DÉFENDEUR

ERWIN BASTIEN

Tsuu T’ina (Alberta)

BLANK

[EN BLANC]

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

CONSEIL ET CHEF DE LA NATION DES PIIKANI

Darrin Blain and Company

Avocats

Westbank (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

COMITÉ D’APPEL SUR LES RÉVOCATIONS DE LA NATION DES PIINAKI

JSS Barristers

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LES défendeurs

ROBERT HAWKES, CAIREEN HANERT ET MICHEAL PFLUEGER

 

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