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Date : 20210319


Dossier : T-695-20

Référence : 2021 CF 241

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

TFI FOODS LTD. ET

I‑MEI FOODS CO., LTD.

demanderesses

et

EVERY GREEN INTERNATIONAL INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 4 août 2020, j’ai prononcé une injonction interlocutoire contre la défenderesse, Every Green International Inc. : TFI Foods Ltd c Every Green International Inc., 2020 CF 808 [TFI Foods]. Cette ordonnance interdisait à Every Green de mettre en vente, de vendre ou d’étiqueter des produits portant la marque de commerce Dessin d’I‑MEI avec des étiquettes indiquant qu’Every Green est la distributrice exclusive de la demanderesse, I‑MEI Foods Co, Ltd. Every Green ne s’est pas conformée à cette ordonnance et n’a pas pris d’autres mesures pour se défendre contre la présente action. TFI Foods Ltd et I‑MEI Foods Co, Ltd. sollicitent maintenant un jugement par défaut.

[2] Pour les motifs énoncés ci-après, j’accueille en partie la requête en jugement par défaut. Je conclus qu’I‑MEI a établi le bien-fondé de son allégation de commercialisation trompeuse au titre de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, contre Every Green. Ce n’est pas le cas, toutefois, de TFI. En plus de maintenir l’injonction, j’accorde à I‑MEI des dommages-intérêts de 55 000 $. À mon avis, l’octroi de dommages-intérêts punitifs est indiqué en l’espèce. J’accorde donc également des dommages-intérêts punitifs de 35 000 $.

II. Questions en litige

[3] La requête en jugement par défaut présentée par TFI et I‑MEI soulève les questions suivantes :

III. Analyse

A. I‑MEI a établi son droit à un jugement par défaut

[4] Lorsqu’un défendeur ne dépose pas sa défense dans le délai prévu, le demandeur peut, par voie de requête, demander un jugement à l’égard de sa déclaration : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art 210(1) (les Règles). Devant notre Cour, les allégations contenues dans une déclaration qui ne sont pas admises sont réputées être niées : art 184. Le défaut de répondre du défendeur n’a aucune incidence sur cette présomption, de sorte que le demandeur qui présente une requête en jugement par défaut doit fournir des éléments de preuve pour établir les allégations contenues dans sa demande : art 210(3); Engrais Naturels McInnes Inc./McInnes Natural Fertilizers Inc. c Bio-Lawn Ltd, 2004 CF 1027 au para 3.

[5] Le demandeur qui présente une requête en jugement par défaut doit donc établir deux choses selon la prépondérance des probabilités : (1) le défendeur est en défaut; et (2) le défendeur est responsable des causes d’action invoquées dans la demande : McInnes Natural Fertilizers, au para 3; Louis Vuitton Malletier SA c Yang, 2007 CF 1179 au para 4 [Yang].

[6] Dans le cadre de la présente requête en jugement par défaut, TFI et I‑MEI ont limité leurs arguments aux allégations de violation fondées sur l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce et aux allégations de commercialisation trompeuse fondées sur l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Dans le cadre de la présente requête, TFI et I‑MEI n’ont pas donné suite aux autres allégations contenues dans la déclaration, soit les allégations de dépréciation de l’achalandage fondées sur le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce et les allégations d’indications fausses ou trompeuses fondées sur l’article 52 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C-34.

[7] TFI et I‑MEI s’appuient sur les éléments de preuve contenus dans le dossier qu’elles ont déposé à l’appui de la présente requête en jugement par défaut et dans le dossier qu’elles ont déposé à l’appui de la requête en injonction antérieure. Suivant les alinéas 364(2)c) et f) des Règles, tous les documents et éléments matériels que TFI et I‑MEI entendaient invoquer dans le cadre de la présente requête en jugement par défaut auraient dû figurer dans le dossier de la présente requête. Cependant, le dossier de la requête en injonction était à la disposition de la Cour, et le fait d’insister pour que la preuve soit incluse dans le dossier de la requête en jugement par défaut aurait simplement entraîné un ajournement inutile et une augmentation des coûts. Sur le fondement des articles 3 et 55 des Règles, j’ai autorisé TFI et I‑MEI à invoquer les éléments de preuve contenus dans le dossier de la requête en injonction.

[8] La preuve produite par TFI et I‑MEI est constituée des affidavits de signification des huissiers de justice, des affidavits de David Lam, propriétaire et président de TFI, et d’un affidavit d’un stagiaire en droit concernant les dépens. Les affidavits de M. Lam comprennent des éléments de preuve fondés sur des faits dont il a une connaissance personnelle, ainsi que des éléments de preuve fondés sur des renseignements tenus pour véridiques. Comme il s’agit en l’espèce d’une requête en jugement par défaut et non d’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire, des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits peuvent être déposées : art 81(1) des Règles. Comme aucune preuve contraire n’a été présentée et que la preuve semble fiable à première vue, sous réserve de ce qui suit au sujet du préjudice, j’accepte la preuve de M. Lam à l’égard de ces questions. Je conclus qu’aucune conclusion défavorable ne doit être tirée du fait que M. Lam témoigne sur la base de renseignements provenant d’autres parties, y compris, en particulier, des membres de l’équipe de vente de TFI : art 81(2) des Règles.

(1) Every Green est en défaut

[9] L’affidavit de signification des demanderesses établit qu’un agent d’Every Green a reçu signification de la déclaration au Canada le 6 juillet 2020. L’alinéa 204a) des Règles prévoit qu’une défense devait être signifiée et déposée dans les 30 jours, soit au plus tard le 5 août 2020. Aucune défense, ni aucun autre document de réponse, n’a été déposé par Every Green à cette date, ni à aucun moment.

[10] Je suis convaincu qu’Every Green a omis « [de] signifie[r] [et de] dépose[r] sa défense dans le délai prévu à la règle 204 » : art 210(1).

(2) Every Green est responsable d’une cause d’action dans la demande

a) Les demanderesses et la marque de commerce Dessin d’I‑MEI

[11] I‑MEI est une société taïwanaise qui est en activité depuis 1934 et dont le siège social est à Taïpei. Elle est décrite comme l’une des entreprises alimentaires les plus importantes et les plus connues de Taïwan. Elle vend des produits alimentaires en liaison avec le nom I‑MEI et avec la marque de commerce Dessin d’I‑MEI, qui se présente comme le nom « I‑MEI » (en alphabet romain ou en caractères chinois) figurant sur un bouclier, sous une couronne :

[Description des dessins aux fins d’accessibilité : Deux marques sont représentées comme il est décrit au paragraphe précédent, l’une avec le nom « I‑MEI », en lettres blanches, et l’autre avec des caractères chinois blancs, sur un bouclier noir sous une couronne noire.]

[12] Comme ces représentations de la marque de commerce ne varient que par les caractères du nom, je les désignerai collectivement sous le nom « Dessin d’I‑MEI ».

[13] I‑MEI a établi qu’elle est la propriétaire de onze enregistrements de marques de commerce canadiennes pour la marque de commerce Dessin d’I‑MEI. Cinq de ces enregistrements (LMC591250, LMC591316, LMC595438, LMC595457 et LMC606398) visent le dessin portant le nom I‑MEI en alphabet romain, et cinq d’entre eux (LMC572170, LMC591317, LMC591594, LMC591939 et LMC592918) visent le dessin portant les caractères chinois. Le dernier enregistrement (LMC1066247) vise le dessin comportant à la fois les lettres « I‑MEI » en alphabet romain sur le bouclier et les caractères chinois en dessous. Les enregistrements doivent être employés en liaison avec une variété d’aliments et de boissons, ainsi qu’avec des services de restauration, d’hôtellerie et de publicité. En particulier, la marque visée par l’enregistrement LMC595438 a été enregistrée en 2003 pour un emploi en liaison avec divers produits alimentaires, notamment des biscuits, des puddings, des nouilles, des galettes de riz et des glaces.

[14] TFI a été créée en 1977 sous le nom de Tai Foong Trading (TFI est l’abréviation de Tai Foong International). Basée à Scarborough, elle se spécialise dans la distribution de produits asiatiques et ethniques spécialisés à divers clients détaillants, grossistes et distributeurs au Canada. TFI vend des produits à la fois sous sa propre marque et sous les marques de sociétés tierces.

[15] TFI est le distributeur exclusif d’I‑MEI au Canada, et ce, depuis le 1er janvier 2019. Elle est la distributrice exclusive d’I‑MEI dans l’Est du Canada depuis 2010. TFI vend une variété de produits de la marque I‑MEI, notamment des brioches, des craquelins, des feuilletés, des biscuits, des gâteaux, des barres glacées et des boissons.

[16] Les produits d’I‑MEI que TFI vend au Canada portent le Dessin d’I‑MEI. Ils comportent également une étiquette imprimée en noir et blanc, établie par I‑MEI et apposée sur une partie de l’emballage principal. L’étiquette imprimée indique également le nom de TFI, son emplacement et son numéro de téléphone. Dans son affidavit souscrit le 13 juillet 2020, M. Lam a déclaré que l’étiquette que l’on trouvait à l’époque sur les étagères indiquait simplement que TFI était l’importatrice et comportait la mention « Imported by / Importés par: TFI Foods Ltd ». Il a déclaré que de nouvelles étiquettes, encore une fois établies par I‑MEI, devraient apparaître sur les étagères des détaillants au Canada dans les prochains mois, lesquelles identifieront TFI comme suit : « Exclusive Canadian Distributor/Distributeur Canadien Exclusif ». L’affidavit subséquent de M. Lam, souscrit le 30 septembre 2020, ne contient aucune mise à jour sur le statut de ces nouvelles étiquettes.

[17] Je suis convaincu que TFI et I‑MEI ont établi qu’I‑MEI est la propriétaire des marques de commerce Dessin d’I‑MEI et que TFI est la distributrice canadienne exclusive de ces produits. Je suis également convaincu qu’I‑MEI est très sélective pour ce qui est de ses voies de distribution et accorde une importance significative à ses partenaires de distribution et à l’étiquetage de ses produits, en maintenant un contrôle sur les étiquettes apposées même par ses distributeurs autorisés.

b) La conduite d’Every Green

[18] À la mi-juin 2020, TFI a découvert que onze détaillants de la région de Toronto vendaient des produits d’I‑MEI, principalement des feuilletés et des biscuits, que TFI ne leur avait pas vendus. Les produits arboraient une étiquette imprimée en noir et blanc comprenant la mention suivante :

Exclusive Distributor of Canada/

Distributeur Exclusive De Canada [sic]

EVERY GREEN INTERNATIONAL

INC. Toronto, ON M1S 3Y6

[19] J’ai conclu au moment de la requête en injonction que les éléments de preuve montrent que cette étiquette est fausse et qu’elle n’a pas été établie ni approuvée par I‑MEI. En particulier, Every Green n’est pas la distributrice exclusive ni même une distributrice autorisée d’I‑MEI. Rien dans la preuve devant moi ne change cette conclusion.

[20] Dans mon ordonnance d’injonction du 4 août 2020, j’ai ordonné à Every Green de cesser de mettre en vente, de vendre ou d’étiqueter des produits portant la marque de commerce Dessin d’I‑MEI avec des étiquettes comportant un énoncé qui indique qu’Every Green est la distributrice exclusive d’I‑MEI. J’ai également ordonné à Every Green de rappeler tous les produits sur lesquels est apposée une étiquette comportant l’énoncé en question et de les préserver jusqu’à l’instruction de l’affaire ou jusqu’à nouvelle ordonnance, sauf entente contraire des parties.

[21] TFI et I‑MEI ont déposé un affidavit de signification confirmant la signification d’une copie de l’ordonnance d’injonction à Every Green. Malgré cela, et malgré les termes clairs de l’ordonnance, la preuve montre qu’Every Green n’a pas respecté les conditions de l’ordonnance. Entre le 14 et le 17 août 2020, des membres de l’équipe de vente de TFI ont visité dix des supermarchés qui avaient précédemment vendu les produits d’I‑MEI avec une étiquette comportant le nom d’Every Green. Les photos de ces visites montrent des produits d’I‑MEI sur les étagères des magasins. Certaines montrent que les produits continuent à arborer une étiquette comportant la mention ci-dessus, qui indique qu’Every Green est la distributrice exclusive au Canada. Les membres de l’équipe de vente de TFI ont effectué d’autres visites au cours de la période du 19 au 24 août 2020, et ont signalé la poursuite des ventes dans cinq des mêmes supermarchés, plus un autre supermarché. Deux membres de l’équipe de vente de TFI ont également parlé aux représentants de cinq détaillants, qui ont déclaré ne pas être au courant de l’injonction et ne pas avoir été contactés par Every Green pour faire retirer les produits de leurs étagères.

[22] Les photos jointes à l’affidavit de M. Lam sont dans certains cas équivoques, voire non pertinentes, car elles ne montrent pas des étiquettes comportant le nom d’Every Green. Toutefois, sur la base des photos qui montrent des étiquettes comportant le nom d’Every Green et des déclarations non contestées de M. Lam dans son affidavit, je suis convaincu qu’Every Green n’a pas respecté au moins la condition de mon ordonnance exigeant qu’elle rappelle tous les produits qui portent la marque de commerce Dessin d’I‑MEI et sur lesquels est apposée une étiquette indiquant qu’Every Green est la distributrice exclusive d’I‑MEI.

[23] D’autres éléments de preuve montrent qu’Every Green a été informée de l’ordonnance d’injonction, en raison d’un curieux échange qui a suivi la signification de l’ordonnance. Le 14 août 2020, le directeur d’Every Green, à qui la déclaration et la requête en injonction avaient été initialement signifiées, a envoyé un courriel à l’avocate de TFI et d’I‑MEI, cherchant apparemment à retenir ses services pour l’aider à faire valoir des droits afférents à des marques de commerce non connexes. L’avocate a répondu au courriel, indiquant qu’elle n’était pas en mesure d’apporter son aide étant donné qu’elle représentait la partie adverse dans la présente procédure. Elle a également demandé une confirmation des mesures prises pour se conformer à l’ordonnance d’injonction et a joint une autre copie de l’ordonnance à son courriel. L’avocate n’a reçu aucune réponse.

c) TFI et I‑MEI n’ont pas établi de violation aux termes de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce

[24] TFI et I‑MEI ont centré leurs arguments sur l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, mais elles ont également affirmé que la conduite d’Every Green constitue une violation des droits d’I‑MEI à l’égard de sa marque de commerce aux termes de l’article 20. À mon avis, TFI et I‑MEI n’ont pas établi qu’il y a eu violation.

[25] TFI et I‑MEI n’ont déposé aucun élément de preuve établissant que les produits vendus par Every Green en liaison avec le Dessin d’I‑MEI ne provenaient pas en fait d’I‑MEI. Le premier affidavit de M. Lam, déposé dans le cadre de la requête en injonction, et son deuxième affidavit, déposé à l’appui de la requête en jugement par défaut, indiquent que ni TFI ni I‑MEI n’ont été en mesure d’identifier la source des produits. TFI et I‑MEI ont eu la possibilité d’obtenir des échantillons des produits en question. Si elles avaient été en mesure de démontrer qu’il ne s’agissait pas de produits d’I‑MEI authentiques, il ne fait aucun doute qu’elles auraient présenté des éléments de preuve en ce sens à la Cour. Dans ces circonstances, la preuve dont je dispose ne permet pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les produits vendus par Every Green sont contrefaits. Je conclus plutôt que les produits sont vraisemblablement des produits authentiques qui ont été fabriqués par I‑MEI et qui sont entrés sur le marché canadien ailleurs et qui ont été importés au Canada sans l’accord d’I‑MEI ou de sa distributrice TFI. C’est ce qu’on appelle communément des « importations parallèles » ou des « produits du marché gris ».

[26] La vente au Canada de produits du marché gris ne constitue pas en soi une violation d’une marque de commerce. Comme l’a souligné le juge Hugessen dans l’arrêt Smith & Nephew, ce principe découle du fait que l’objet d’une marque de commerce est de distinguer les produits et d’en préciser la source : Smith & Nephew Inc. c Glen Oak Inc., [1996] 3 CF 565 (CA) aux para 10-11, 24-25 [Smith & Nephew]; Loi sur les marques de commerce, art 2 (« marque de commerce »); Consumers Distributing Co. c Seiko, [1984] 1 RCS 583 aux p 593, 599-600 [Consumers Distributing]. En conséquence, « [l]es produits qui sont mis dans le circuit commercial par le propriétaire d’une marque déposée ne sont pas des produits contrefaits simplement parce qu’ils sont arrivés sur un marché géographique donné sur lequel le propriétaire de la marque ne veut pas qu’ils soient distribués » : Smith & Nephew, aux para 11, 14.

[27] TFI et I‑MEI soutiennent que le fait que les produits comportent une étiquette indiquant faussement qu’Every Green est la distributrice exclusive d’I‑MEI et le fait qu’ils donnent des renseignements inexacts sur les ingrédients, font en sorte que les produits s’apparentent à des produits faux ou contrefaits et que la conduite d’Every Green constitue effectivement une violation. Je ne suis pas d’accord. L’article 19 de la Loi sur les marques de commerce donne au propriétaire d’une marque de commerce déposée le droit exclusif à l’emploi de celle-ci en liaison avec les produits et services visés par l’enregistrement. La marque de commerce employée sur les produits vendus par Every Green continue d’indiquer la source des produits, soit I‑MEI. La vente au Canada de produits sur lesquelles I‑MEI a apposé sa marque de commerce ne porte pas atteinte au droit exclusif d’I‑MEI d’employer la marque de commerce à l’égard des produits, malgré l’apposition de l’étiquette d’Every Green.

[28] Selon l’alinéa 20(1)a) de la Loi sur les marques de commerce, la vente ou la distribution de produits en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion constitue une violation du droit du propriétaire d’une marque de commerce à l’emploi exclusif de cette dernière. Encore une fois, l’apposition de la fausse étiquette n’équivaut pas, à mon avis, à la vente de produits en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion, en violation de l’article 20. La marque de commerce qui y est apposée continue d’être la marque authentique.

d) I‑MEI a établi l’existence d’un acte de commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, mais pas TFI

[29] Dans ma décision relative à la requête en injonction, j’ai conclu que TFI et I‑MEI avaient établi qu’il existait une question sérieuse à juger relativement à leur allégation de commercialisation trompeuse. Pour les motifs qui suivent, je conclus maintenant qu’ils ont établi selon la prépondérance des probabilités qu’il y a eu commercialisation trompeuse.

[30] L’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce interdit à un commerçant d’attirer l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à vraisemblablement causer de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut

7 No person shall

[…]

[…]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

[31] L’alinéa 7b) est considéré comme une disposition qui codifie le délit de commercialisation trompeuse en common law : Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65 au para 23. Pour établir une allégation de commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b), le demandeur doit établir trois éléments : (i) l’existence d’un achalandage; (ii) le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration; et (iii) le préjudice réel ou possible pour le demandeur : Kirkbi, aux para 66-68; Ciba-Geigy Canada Ltd c Apotex Inc, [1992] 3 RCS 120 à la p 132; Consumers Distributing, aux p 608-609. En outre, le demandeur doit prouver qu’il est le propriétaire d’une marque de commerce valide : Sandhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 295 aux para 36-39; Kirkbi, au para 26.

(i) La propriété de la marque de commerce et de l’achalandage qui s’y rattache

[32] TFI et I‑MEI ont établi qu’I‑MEI est la propriétaire des marques de commerce Dessin d’I‑MEI, qui font l’objet des enregistrements susmentionnés.

[33] Après l’instruction de la présente requête, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans l’affaire Group III International Ltd c Travelway Group International Ltd, 2020 CAF 210 [Group III 2020], qui traite de l’effet de l’enregistrement sur la possibilité d’intenter une action en commercialisation trompeuse. Comme TFI et I‑MEI s’appuient sur les marques de commerce déposées d’I‑MEI, je dois tenir compte de l’incidence de l’arrêt Group III 2020.

[34] L’arrêt Group III 2020 fait suite à l’arrêt Group III International Ltd c Travelway Group International Ltd, 2017 CAF 215 [Group III 2017]. Dans l’arrêt Group III 2017, la Cour d’appel a conclu que Travelway avait contrefait les marques de commerce déposées de Wenger SA qui incorporent une croix suisse et qu’elle avait également commis un acte de commercialisation trompeuse : Groupe III 2017, aux para 4, 57, 65-68, 86. Elle a conclu qu’il convenait d’accorder, à titre de réparation, un jugement déclaratoire, une injonction et une ordonnance exigeant la remise des marchandises, mais elle a renvoyé la question de la radiation et celle des dommages-intérêts à la Cour fédérale : Groupe III 2017, aux para 88-98.

[35] Saisie de ces deux questions, la juge Saint-Louis de notre Cour a conclu que la radiation était justifiée, mais que l’octroi de dommages-intérêts ne l’était pas : Wenger SA c Travelway Group International Inc, 2019 CF 1104 aux para 23-26, 50-52 [Wenger SA 2019]. La conclusion relative à la radiation était fondée sur le fait que la Cour d’appel avait implicitement conclu, dans l’arrêt Group III 2017, que les marques de Travelway étaient invalides, puisqu’elle avait conclu à l’existence d’une commercialisation trompeuse : Wenger SA 2019, aux para 23-24. L’emploi d’une marque de commerce déposée constitue une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse : Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Limited, 2007 CAF 258 au para 111, citant Jonathan Boutique Pour Hommes Inc c Jay Gur International Inc, 2003 CFPI 106 aux para 4, 6, et Molson Canada v Oland Breweries Ltd/Les Brasseries Oland Ltée, 2002 CanLII 44947 (ONCA) [Oland]. Bien que l’arrêt Groupe III 2017 ne renvoie pas à l’arrêt Remo, la juge Saint-Louis a conclu que rien ne portait à croire que la Cour d’appel avait eu l’intention de s’écarter de la jurisprudence, de sorte que sa décision laissait entendre que les marques de commerce de Travelway étaient invalides : Wenger SA 2019, au para 23.

[36] L’arrêt Group III 2020 portait sur l’appel interjeté à l’encontre de la conclusion de la Cour fédérale quant aux dommages‑intérêts, la radiation n’ayant pas fait l’objet d’un appel : Group III 2020, au para 5. Dans ses motifs, la Cour d’appel a examiné l’arrêt Remo et la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Oland, sur laquelle la Cour d’appel s’est appuyée dans l’arrêt Remo : Group III 2020, aux para 28, 45-46; Oland, au para 2. La Cour a réaffirmé le principe selon lequel l’enregistrement d’une marque de commerce constitue une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse. Par conséquent, bien que la conclusion relative à la commercialisation trompeuse n’ait pas été portée en appel et ne pouvait donc pas être remise en cause, la Cour a conclu que [traduction] « les passages de la décision de 2017 dans lesquels notre Cour conclut à l’existence d’une commercialisation trompeuse ne devraient pas être invoqués comme précédent à l’avenir » : Group III 2020, au para 47.

[37] Dans le cadre de son analyse, la Cour d’appel a soulevé la question de la possibilité d’intenter une action en commercialisation trompeuse fondée sur l’alinéa 7b) pour faire respecter les droits relatifs aux marques de commerce déposées. Elle a noté que, dans l’arrêt Kirkbi, la Cour suprême a déclaré que l’alinéa 7b) a pour objet « de mettre à exécution les aspects fondamentaux de la Loi sur les marques de commerce touchant les marques de commerce non déposées » [souligné par la Cour d’appel] : Group III 2020, au para 43, citant Kirkbi, au para 25. La Cour d’appel a déclaré que l’arrêt Kirkbi laissait entendre mais ne décidait pas que le propriétaire d’une marque déposée ne peut pas avoir recours à l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce pour protéger sa marque de commerce : Group III 2020, au para 44.

[38] Malgré les observations qui précèdent, selon moi, l’arrêt Group III 2020 ne permet pas d’affirmer de façon concluante que le demandeur dont les marques sont enregistrées ne peut pas intenter une action fondée sur l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Au contraire, en 2019, la Cour d’appel a confirmé que le propriétaire d’une « marque de commerce valide opposable, déposée ou non » [non souligné dans l’original] peut invoquer la commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) : Sandhu Singh, au para 39, citant Nissan Canada Inc c BMW Canada Inc, 2007 CAF 255 aux para 14-15 [Nissan Canada]; voir aussi Dumont Vins & Spiritueux Inc c Celliers du Monde Inc, [1992] 2 CF 634 à la p 651 (CA). En dernière analyse, la Cour d’appel a conclu dans l’arrêt Group III 2020 que la marque de commerce déposée de la défenderesse constituait une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse; elle n’a pas conclu que les demanderesses ne pouvaient pas intenter une telle action : Group III 2020, au para 47. Je ne peux interpréter les commentaires supplémentaires de la Cour d’appel concernant l’arrêt Kirkbi comme démontrant son intention de contredire ses décisions antérieures dans les affaires Sandhu Singh et Nissan Canada, particulièrement sans me référer à ces décisions, qui s’appuient toutes les deux aussi sur l’arrêt Kirkbi.

[39] Je note également que les éléments nécessaires pour établir une allégation de commercialisation trompeuse ne sont pas les mêmes que ceux nécessaires pour établir une allégation de violation : Kirkbi, aux para 66-68; Red Label Vacations Inc (redtag.ca) c 411 Travel Buys Limited (411travelbuys.ca), 2015 CF 18 aux para 108, 118, conf par 2015 CAF 290 aux para 15-18; Group III 2020, au para 41. Il peut y avoir un certain chevauchement, de sorte que, « [à] maints égards », la commercialisation trompeuse représente, pour les marques de commerce non déposées, un droit d’action équivalent à celui que la violation représente pour les marques déposées : Kirkbi, au para 25, citant Kelly Gill, Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, 4e éd, Toronto, Thomson Reuters, 2002 (feuilles mobiles) à la p 2-22 [Gill]. Cependant, les critères sont différents et, comme nous le verrons plus loin aux paragraphes [50] à [53], la fausse déclaration à prouver pour établir une allégation de commercialisation trompeuse n’est pas limitée à l’emploi d’une marque de commerce créant de la confusion, contrairement à une allégation de contrefaçon : Loi sur les marques de commerce, art 2 (« créant de la confusion »), 6, 7b), 19, 20; Red Label (CAF), aux para 20-21.

[40] L’action en commercialisation trompeuse ne coïncide donc pas entièrement, à mon sens, avec une action en violation d’une marque de commerce non déposée. Il convient de noter que, à mon avis, l’enregistrement n’éteint pas les droits afférents à la marque de commerce sous-jacente, y compris la capacité à faire valoir ces droits. Au contraire, dans son analyse de la constitutionnalité de l’alinéa 7b), la Cour suprême a fait remarquer, dans l’arrêt Kirkbi, que l’enregistrement offre aux propriétaires d’une marque de commerce déposée des avantages supplémentaires ou des « droits plus étendus » par rapport aux propriétaires d’une marque de commerce non déposée, et que le fait d’assurer aux marques de commerce non déposées une meilleure protection qu’aux marques déposées compromettrait l’efficacité et l’intégrité de la Loi sur les marques de commerce : Kirkbi, aux para 29-30.

[41] Je conclus donc qu’I‑MEI a qualité pour intenter une action en commercialisation trompeuse fondée sur ses marques de commerce déposées.

[42] La preuve de M. Lam établit également l’existence d’un achalandage attaché à ces marques de commerce. Comme la Cour d’appel l’a noté dans l’arrêt Sandhu Singh, l’achalandage pour les besoins de la commercialisation trompeuse exige qu’une marque soit distinctive et qu’elle possède une réputation : Sandhu Singh, au para 48. Les facteurs dont les tribunaux tiennent compte à cet égard incluent le caractère distinctif inhérent, le caractère distinctif acquis, la durée de l’emploi, les sondages, le volume des ventes, la publicité et le marketing, ainsi que la copie intentionnelle : Sandhu Singh, au para 48, citant Gill (feuilles mobiles mises à jour en 2019, version 5) aux p 4-77 à 4-81.

[43] La preuve de M. Lam établit qu’I‑MEI vend ses produits au Canada depuis au moins 2010, lorsque TFI a commencé à les distribuer. Les ventes mensuelles de produits d’I‑MEI enregistrées par TFI sont supérieures à 100 000 $ depuis janvier 2019, et ont atteint un sommet de plus de 400 000 $ en mai 2020. TFI consacre une partie de ses profits au marketing et à la promotion des produits d’I‑MEI, sous la forme de promotions en magasin et de publicités dans des prospectus et des médias en langue chinoise. TFI consacre en moyenne environ 20 000 $ par an à ces activités, auxquels s’ajoute le coût des remises accordées aux détaillants et de la promotion des produits par son équipe de vente. Ces éléments de preuve, combinés au caractère distinctif inhérent des éléments du dessin et du nom de la marque de commerce Dessin d’I‑MEI, montrent que la marque est distinctive et possède une réputation. Je suis également d’accord avec TFI et I‑MEI pour dire que le fait qu’Every Green ait faussement prétendu être la distributrice exclusive des produits d’I‑MEI donne à penser qu’elle reconnaît l’achalandage attaché à la marque et qu’elle cherche à en tirer profit. Je suis par conséquent convaincu qu’I‑MEI a établi qu’elle a un achalandage attaché à la marque de commerce Dessin d’I‑MEI.

[44] Toutefois, je ne suis pas convaincu que la preuve de TFI établit qu’elle participe à l’achalandage attaché à la marque de commerce Dessin d’I‑MEI de manière à avoir qualité pour intenter une action en commercialisation trompeuse en son propre nom. La preuve indique que TFI est la distributrice exclusive des produits de la marque I‑MEI au Canada. Dans l’arrêt Smith & Nephew, la Cour d’appel a rejeté l’action en commercialisation trompeuse intentée par une distributrice et a fait remarquer que la propriétaire de la marque de commerce « est la seule à posséder la marque déposée et l’achalandage attaché à cette marque, et l’action en imitation frauduleuse fondée sur la Loi, comme son équivalent de common law, ne peut être intentée que par elle à titre de propriétaire de cet achalandage » : Smith & Nephew, au para 22.

[45] Le protonotaire Lafrenière, maintenant juge à la Cour fédérale, est arrivé à la même conclusion dans la décision Natural Waters of Viti, Ltd c CEO International Holdings Inc, 2000 CanLII 15141 (CF). Dans cette affaire, comme en l’espèce, une action en commercialisation trompeuse a été intentée par la propriétaire de la marque et son distributeur exclusif au Canada. S’appuyant sur l’arrêt Smith & Nephew et sur la décision de la Cour d’appel anglaise dans l’affaire Dental Manufacturing Company Ltd v C De Trey & Co (1912), 29 RPC 617 (CA) [Dental Manufacturing], le protonotaire Lafrenière a conclu que le distributeur n’avait pas allégué de faits qui démontreraient qu’il possédait « une réputation ou un achalandage communs » à l’égard de la marque de commerce, et encore moins un « achalandage distinct » à l’égard des produits : Natural Waters, aux para 13-19, citant Smith & Nephew, aux para 22-23, et Dental Manufacturing, aux p 625-627. Les arrêts Smith & Nephew et Natural Waters ont été appliquées par le juge Sproat de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Osiris, où les allégations de commercialisation trompeuse ont été radiées au motif qu’une action en commercialisation trompeuse ne peut être intentée que par le propriétaire de l’achalandage : Osiris Inc v International Edge Inc, 2009 CanLII 50224 (CS Ont) aux para 25-29.

[46] Les décisions Natural Waters et Dental Manufacturing n’écartent pas la possibilité qu’un distributeur puisse être en mesure d’établir un certain degré d’achalandage qui serait suffisant pour fonder une action en commercialisation trompeuse : Dental Manufacturing, à la p 627; Natural Waters, au para 19. La juge St-Louis a conclu que le distributeur canadien de Wenger SA n’était pas qu’un simple distributeur ou agent de vente, qu’il « particip[ait] à la réputation et à l’achalandage » et qu’il avait qualité de partie à l’instance, bien qu’elle ait conclu que la commercialisation trompeuse n’avait pas été établie pour d’autres motifs : Wenger SA c Travel Way Group International Inc, 2016 CF 347 aux para 100, 1301-132 [Wenger SA 2016]. Comme il est indiqué ci-dessus, la Cour d’appel a conclu à l’existence d’une commercialisation trompeuse, mais a déclaré que les tribunaux subséquents ne devaient pas se fonder sur cette conclusion : Group III 2017, au para 86; Group III 2020, au para 47. Ce faisant, elle n’a pas abordé la question de la qualité pour agir du distributeur en particulier.

[47] Outre le fait que TFI a agi en tant que distributrice exclusive et qu’elle a assuré la commercialisation et la promotion des produits d’I‑MEI, il y a peu d’éléments de preuve sur le rôle de TFI qui me permettraient de conclure qu’elle a acquis un achalandage attaché à la marque d’I‑MEI. Les conditions de l’accord de distribution de TFI n’ont pas été fournies en raison de leur nature délicate sur le plan commercial, et la lettre de confirmation d’I‑MEI qui a été déposée indique simplement qu’I‑MEI est la propriétaire des marques et que TFI est la distributrice exclusive. Je conclus donc que TFI n’a pas établi qu’elle participe à la réputation et à l’achalandage à l’égard des marques de commerce Dessin d’I‑MEI d’une manière qui lui permettrait d’intenter une action en commercialisation trompeuse.

[48] Je note que la situation peut être différente pour le titulaire d’une licence ou d’une licence exclusive : Kwan Lam c Chanel S de RL, 2016 CAF 111 aux para 17-18 [Kwan Lam]; LifeGear, Inc c Urus Industrial Corp, 2001 CFPI 1163 aux para 13-14, 20; HTS Engineering Ltd v Marwah, 2019 ONSC 6351 au para 166; SC Johnson and Son, Ltd c PIC Corp, [1975] ACF no 416 (1re inst) au para 12. Je n’ai pas besoin d’aborder cette question, car les éléments de preuve n’indiquent pas que TFI était titulaire d’une licence.

[49] Je conclus donc qu’I‑MEI a établi qu’elle a un achalandage attaché aux marques de commerce d’I‑MEI, mais pas TFI.

(ii) Le fait que le public a été induit en erreur par une fausse déclaration

[50] Comme je l’ai déjà mentionné, la vente au Canada de produits du marché gris ne constitue pas, en soi, une violation d’une marque de commerce. Elle ne constitue pas non plus, en soi, un acte de commercialisation trompeuse : Smith & Nephew, aux para 10, 11, 14, 22-24; Consumers Distributing, aux p 599-600. Les arguments de TFI et d’I‑MEI concernant la tromperie et les fausses déclarations s’appuient sur la fausse déclaration figurant sur l’étiquette d’Every Green selon laquelle elle est la distributrice exclusive au Canada.

[51] L’alinéa 7b) exige que la conduite du défendeur cause ou soit susceptible de causer de la confusion entre « ses produits, ses services ou son entreprise » et ceux d’un autre. Le deuxième élément nécessaire pour établir la commercialisation trompeuse est donc parfois décrit comme une « fausse déclaration […] qui sème la confusion » : Kirkbi, au para 68. Bien que cet élément se rapporte souvent à l’emploi d’une marque de commerce créant de la confusion, il est [traduction] « impossible d’énumérer ou de catégoriser toutes les façons possibles dont une personne peut faire la fausse déclaration alléguée » : HTS, au para 171, citant Gill au point 4.5a), citant à son tour AG Spalding & Brothers v AW Gamage Ltd (1915), 32 RPC 273 (HL) à la p 284. Parallèlement, toute fausse déclaration doit être liée à une marque de commerce déposée ou non déposée, eu égard aux limites constitutionnelles de l’alinéa 7b) : Sandhu Singh, au para 39, Kirkbi, aux para 26, 35.

[52] Dans l’arrêt Group III 2017, la Cour d’appel fédérale a conclu que les fausses allégations quant au « caractère Suisse » peuvent constituer une fausse déclaration satisfaisant au critère de la commercialisation trompeuse ou, à tout le moins, exacerber la confusion imputable à l’emploi de marques de commerce semblables : Group III 2007, aux para 80-82; voir aussi Wenger SA 2019, au para 16. Bien que la Cour d’appel ait par la suite déclaré, dans l’arrêt Group III 2020, que les passages de l’arrêt Group III 2017 dans lesquels la Cour a conclu à l’existence d’une commercialisation trompeuse ne devraient pas être invoqués comme précédent à l’avenir, à mon avis il en est ainsi parce que la Cour a conclu à l’existence d’une commercialisation trompeuse en dépit du fait que l’intimée était propriétaire d’une marque de commerce déposée. Cette mise en garde concernant la valeur de précédent de la décision n’a rien à voir avec la nature de la fausse déclaration. Quoi qu’il en soit, je m’appuie sur cette décision uniquement comme une indication de la nature des déclarations qui peuvent dans certains cas constituer des fausses déclarations satisfaisant au critère de la commercialisation trompeuse, plutôt que comme une décision contraignante.

[53] Comme je l’ai fait remarquer dans les motifs de ma décision relative à la requête en injonction, dans l’arrêt Consumers Distributing, il a été interdit à la défenderesse de faire des fausses déclarations qui donnaient à penser qu’elle était associée à Seiko, même si elle vendait des montres Seiko authentiques. Consumers Distributing n’a pas été empêchée de vendre des montres Seiko, mais il lui a été interdit tant de manière interlocutoire qu’au procès de laisser entendre qu’elle était un concessionnaire Seiko autorisé en alléguant que les montres étaient couvertes par une garantie internationale : Consumers Distributing, aux p 588-590. Cette partie de l’injonction définitive n’avait pas été portée en appel. La Cour suprême, en faisant droit à l’appel concernant la vente en cours de montres Seiko, a fait remarquer qu’il n’y avait eu aucune fausse représentation au cours de la période postérieure à celle de l’injonction provisoire : Consumers Distributing, aux p 590, 594, 601-602, 611-612. En d’autres termes, le fait que la vente de produits du marché gris n’équivaut pas en soi à un acte de commercialisation trompeuse n’excuse pas d’autres actes ou énoncés qui font croire à une association avec le propriétaire de la marque de commerce.

[54] L’étiquette qu’Every Green a apposée sur les produits arborant la marque de commerce Dessin d’I‑MEI indique faussement qu’Every Green est la distributrice exclusive de ces produits de marque I-MEI au Canada. Il s’agit d’une fausse déclaration relative à une association entre Every Green et I‑MEI en ce qui concerne la marque de commerce Dessin d’I‑MEI. Je suis convaincu que la déclaration se rapporte à une marque de commerce, à savoir la marque Dessin d’I‑MEI, et qu’elle constitue une fausse déclaration satisfaisant au critère de la commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b). Je suis également convaincu que cette fausse déclaration est trompeuse, tant pour les détaillants qui sont les clients directs d’Every Green et de TFI que pour le public acheteur, et qu’elle causera vraisemblablement de la confusion entre l’entreprise d’Every Green et celle de TFI ou d’I‑MEI.

(iii) Le préjudice réel ou possible

[55] Le dernier élément pour établir la commercialisation trompeuse est l’existence d’un préjudice. Comme il s’agit de l’un des éléments du critère de la commercialisation trompeuse, la question du préjudice doit être examinée pour déterminer si la cause d’action a été établie, et le préjudice ne peut pas être présumé : Dentec Safety Specialists Inc v Degil Safety Products (1989) Inc, 2014 ONSC 2449 (C div) aux para 16, 18; Nissan Canada, au para 35. Toutefois, tout ce qui doit être prouvé à ce stade-ci est l’existence d’un préjudice; il n’est pas nécessaire d’établir la portée du préjudice ou de le quantifier : Nissan Canada, au para 36.

[56] Une grande partie de la preuve produite sur la question du préjudice se rapportait aux ventes perdues par TFI. Par exemple, dans son premier affidavit, M. Lam a démontré que, bien que les ventes de TFI aient augmenté au cours du premier semestre de 2020 en raison de nouvelles ventes dans l’Ouest du Canada, les ventes sont restées stables dans l’Est du Canada pour les produits vendus par Every Green. Dans son deuxième affidavit, M. Lam a cherché à quantifier ces pertes, en se référant à la perte de profits résultant des ventes d’Every Green. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, j’ai conclu que TFI n’a pas démontré qu’elle a un achalandage attaché aux marques I‑MEI et qu’elle n’a donc pas qualité pour intenter une action en commercialisation trompeuse sur la base de ce préjudice. Il n’existe pas non plus de preuve établissant qu’I‑MEI a subi les mêmes pertes que celles qui sont alléguées par TFI.

[57] Au contraire, à la lumière de ma conclusion selon laquelle seule I‑MEI a démontré l’existence d’un achalandage lui permettant d’intenter une action en commercialisation trompeuse, je dois déterminer s’il existe une preuve démontrant qu’I‑MEI a subi un préjudice. Rien n’indique qu’I‑MEI a perdu des ventes. En effet, comme j’ai conclu que les produits vendus par Every Green sont probablement des importations parallèles provenant d’I‑MEI, les ventes réalisées par Every Green au lieu de TFI comptent toujours pour des ventes d’I‑MEI.

[58] Toutefois, je suis convaincu que les fausses déclarations faites par Every Green ont causé un atteinte à la réputation d’I‑MEI. Selon le témoignage de M. Lam, I‑MEI apporte un soin considérable à la sélection de ses partenaires de distribution dans les territoires étrangers, dont le Canada, et à la qualité de l’étiquetage supplémentaire apposé sur ses produits pour ces marchés. I‑MEI a indiqué qu’elle n’aurait jamais permis à Every Green d’agir comme sa distributrice. Les fausses déclarations d’Every Green ont entraîné une incertitude chez les clients quant au réseau de distribution d’I‑MEI. I‑MEI a le droit de gérer son achalandage au Canada en choisissant son partenaire de distribution. Bien qu’elle ne puisse pas s’appuyer sur la Loi sur les marques de commerce pour empêcher des produits authentiques d’entrer sur le marché autrement que par l’intermédiaire de ce réseau de distribution, sa capacité à contrôler ses relations de distribution a été compromise par les fausses déclarations relatives à l’existence d’une relation de distribution exclusive. Je suis convaincu que cette atteinte à la réputation d’I‑MEI et à sa capacité à exercer le contrôle sur son achalandage constitue un préjudice satisfaisant au troisième élément du critère de la commercialisation trompeuse. Je traiterai de la quantification de ce préjudice ci-dessous, dans le contexte de la réparation appropriée.

B. Réparation

(1) Injonction

[59] TFI et I‑MEI ont demandé que l’injonction interlocutoire que j’ai accordée soit maintenue en tant qu’injonction définitive. Étant donné qu’Every Green n’a pas présenté d’observations contraires et que je ne vois aucune raison pour laquelle il ne devrait pas être interdit à Every Green de continuer à faire de fausses déclarations concernant son statut de distributeur exclusif d’I‑MEI, je suis convaincu que l’injonction doit être maintenue en tant qu’injonction définitive.

(2) Dommages-intérêts

[60] I‑MEI n’a pas tenté de quantifier l’atteinte à sa réputation ou à son achalandage causée par les fausses déclarations d’Every Green. Au contraire, comme je l’ai déjà mentionné, l’allégation de préjudice des demanderesses portait principalement sur la perte de ventes et de profits par TFI. Je reconnais qu’une telle atteinte à la réputation et à l’achalandage peut être difficile à quantifier.

[61] Bien que les ventes d’Every Green ne représentent pas des ventes perdues pour I‑MEI, je crois que la portée du préjudice causé à I‑MEI par les fausses déclarations est liée à l’importance des ventes d’Every Green. Plus les ventes de produits trompeurs sont élevées, plus les effets de la fausse association sont importants, en particulier compte tenu du fait que des éléments de preuve non contestés montrent que le marché des produits d’I‑MEI est tel que les détaillants n’achèteraient pas les produits d’Every Green si ceux-ci n’indiquaient pas qu’Every Green est la distributrice exclusive d’I‑MEI.

[62] Compte tenu de la preuve produite, et en l’absence de toute preuve contraire, je déduis que tous les produits vendus par Every Green comportaient une étiquette portant la fausse déclaration selon laquelle Every Green est la distributrice exclusive d’I‑MEI. La preuve montre que l’un des onze détaillants n’a reçu d’Every Green qu’une seule livraison de produits d’I‑MEI, d’une valeur totale de 1 081,80 $. Dans son témoignage, M. Lam a estimé que les ventes d’Every Green étaient considérablement plus élevées en raison des répercussions alléguées sur les ventes de TFI. L’opacité du calcul des profits de TFI fait en sorte que je ne dispose pas de l’estimation faite par M. Lam de ces ventes perdues. Quoi qu’il en soit, c’est finalement le défaut d’Every Green de répondre à la présente action qui rend difficile l’évaluation de l’importance de ses ventes aux fins de l’évaluation du préjudice subi par TFI.

[63] En s’appuyant sur d’autres décisions dans des affaires de contrefaçon, TFI et I‑MEI demandent à la Cour d’accorder des dommages-intérêts « symboliques » : Ragdoll Productions (UK) Ltd c Personnes inconnues, 2002 CFPI 918 aux para 18, 35, 42-45; Yang, au para 43; Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776 [Singga]; Kwan Lam, au para 17. Elles proposent un montant arrondi de 400 000 $, obtenu en multipliant 36 291 $ (le « montant symbolique de base » de 24 000 $ pour les fabricants et les distributeurs rajusté pour tenir compte de l’inflation depuis 1997) par 11 (le nombre de magasins de détail dans lesquels les produits d’Every Green ont été trouvés) : Ragdoll, au para 35.

[64] Dans une décision récente, le juge Roy a examiné de manière approfondie et réfléchie l’approche adoptée dans la décision Ragdoll, ainsi que les décisions sur lesquelles la Cour s’est appuyée dans cette affaire : Louis Vuitton Malletier SA c Wang, 2019 CF 1389 aux para 120-173 [Wang]. Il a souligné que « les dommages‑intérêts doivent être compensatoires » et a remis en question une approche ayant donné lieu à une estimation des dommages-intérêts de plus de 17 millions de dollars pour des ventes de produits contrefaits réalisées dans un marché aux puces et un marché de nuit : Wang, aux para 127, 153. Le juge Roy a noté que, même lorsque la conduite du défendeur rend difficile la quantification des dommages-intérêts, l’objectif de la Cour est d’effectuer « une évaluation optimale des dommages‑intérêts » : Wang, aux para 136, 157-158, 171; Ragdoll, au para 45. Il a finalement accordé 8 500 $ « par cas de contrefaçon » pour les cas récents : Wang, aux para 174, 180.

[65] À mon avis, il est impossible d’établir une corrélation directe avec les affaires de contrefaçon, étant donné les différences importantes qui existent entre la vente de produits contrefaits et la vente de produits authentiques assortie d’une fausse déclaration selon laquelle le vendeur est un distributeur exclusif du propriétaire de la marque de commerce. L’atteinte à l’achalandage causée par la contrefaçon est, à mon avis, beaucoup plus importante que le préjudice causé par la conduite d’Every Green en l’espèce. Néanmoins, comme dans les affaires de contrefaçon, les fausses déclarations d’Every Green portent atteinte à l’achalandage d’I‑MEI, même sans perte directe de ventes : Wang, aux para 118, 177. Comme dans les affaires de contrefaçon, ce préjudice est difficile à quantifier, en partie en raison de l’absence de réponse de la part d’Every Green : Wang, au para 178, citant Kwan Lam, au para 17.

[66] À mon avis, un montant approprié pour refléter le préjudice causé à la réputation d’I‑MEI et à sa capacité de contrôler son achalandage, compte tenu de l’importance apparente des ventes d’Every Green, est de 5 000 $ pour chacun des onze magasins de détail dans lesquels il a été établi qu’Every Green avait vendu des produits portant la fausse déclaration. Bien que je sois conscient que l’un de ces magasins semble n’avoir acheté que pour environ 1000 $ de produits, la preuve donne à penser que les ventes globales dans les autres magasins pourraient avoir été considérablement plus élevées. J’accorde donc des dommages-intérêts de 55 000 $.

(3) Dommages-intérêts punitifs

[67] TFI et I‑MEI demandent également des dommages-intérêts punitifs. Elles font état du mépris dont Every Green a fait preuve à l’égard de leurs droits et de la vérité. Elles soulignent également le fait qu’Every Green n’a pris aucune mesure pour se conformer à l’ordonnance d’injonction de la Cour ou pour répondre à leurs mises en demeure, à la demande ou à l’ordonnance.

[68] Les dommages-intérêts punitifs sont exceptionnels, mais ils peuvent être accordés lorsque la conduite d’une partie est « malveillante, opprimante et abusive », de sorte qu’elle « représent[e] un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable » (Whiten c Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18 au para 36. Des dommages-intérêts punitifs ont été accordés dans le cadre d’instances en matière de propriété intellectuelle lorsqu’un tel comportement a été constaté et que les autres sanctions sont insuffisantes pour atteindre les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation : Singga, au para 164, citant Whiten, au para 123. Il peut y avoir lieu d’accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque le montant des dommages‑intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre que le « coût d’un permis » permettant à l’auteur de la faute de passer outre aux droits d’autrui : Singga, aux para 165, 170, citant Whiten, au para 72. Les facteurs à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts punitifs et pour en déterminer le montant sont les suivants : le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée, l’intention et la motivation du défendeur, le caractère prolongé ou dissimulé de la conduite répréhensible, et le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs : Whiten, au para 112; Chanel S de RL c Lam Chan Kee Company Ltd, 2016 CF 987 aux para 49, 56, conf par 2017 CAF 38, aux para 11, 13; Wang, aux para 184-185.

[69] En l’espèce, je peux déduire que la conduite d’Every Green était préméditée et délibérée. Elle n’avait manifestement pas le droit de se présenter comme la distributrice exclusive des produits d’I‑MEI au Canada. On peut en déduire qu’elle l’a fait pour s’associer directement à I‑MEI et à sa marque de commerce, et pour rendre son offre de produits du marché gris attrayante pour les clients au Canada. Elle n’a pris aucune mesure pour mettre fin à sa conduite lorsque le caractère illégal de ses actions a été porté à son attention. Elle a également omis de se conformer ou de répondre de quelque manière que ce soit à une ordonnance expresse de la Cour. Bien qu’il ne s’agisse pas en l’espèce d’une requête en outrage au tribunal, le défaut de se conformer à une ordonnance de la Cour est une question sérieuse qui peut et doit être prise en compte dans l’attribution de dommages-intérêts punitifs : Kwan Lam, au para 26; Singga, au para 168; Yang, au para 48. Je conclus que les dommages-intérêts compensatoires accordés en l’espèce sont insuffisants pour réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation, et qu’il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts punitifs.

[70] La Cour d’appel a confirmé que la décision quant à la détermination du montant des dommages‑intérêts punitifs est de « nature hautement contextuelle » et que ce contexte est orienté par des facteurs semblables à ceux qui sont pris en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder des dommages-intérêts punitifs : Lam c Chanel S de RL, 2017 CAF 38 au para 13. Il n’y a pas de « proportion » déterminée entre le montant des dommages-intérêts compensatoires et celui des dommages-intérêts punitifs : Lam, au para 12.

[71] TFI et I‑MEI invoquent l’arrêt rendu récemment par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Costco Wholesale Canada Ltd c Simms Sigal & Co Ltd, 2020 QCCA 1331 [Costco]. Cette affaire concernait des produits allégués par Costco être des produits du marché gris puisqu’ils avaient été achetés au propriétaire de la marque de commerce. La Cour d’appel a confirmé un jugement en faveur de Simms (2017 QCCS 5058 [Costco (QCCS)]), au motif que Costco avait incité le fabricant à violer son contrat de distribution avec Simms, ce qui a donné lieu à une faute extracontractuelle au sens de l’article 1457 du Code civil du Québec : Costco, aux para 9-16, 47, 64. La Cour d’appel a également confirmé la décision du juge de première instance d’accorder des dommages-intérêts punitifs de 500 000 $ en raison de l’atteinte intentionnelle à la réputation de Simms par Costco et des facteurs énoncés à l’article 1621 du Code civil du Québec : Costco, aux para 86, 92, 96-98.

[72] Même si l’affaire Costco concerne aussi des produits du marché gris, je suis d’avis qu’elle n’est d’aucune utilité en l’espèce. L’action était fondée sur la faute d’interférence contractuelle et sur des faits très différents. La responsabilité et les dommages-intérêts punitifs ont été évalués en vertu d’articles du Code civil du Québec qui n’ont pas été invoqués en l’espèce et qui n’ont aucune application apparente. Dans cette affaire, la preuve a révélé que près de 60 000 paires de jeans et 19 000 t-shirts avaient été vendus dans 65 magasins au Canada : Costco (QCCS), aux para 1, 227-232. Il est donc difficile d’établir un parallèle avec la présente affaire ou d’utiliser la décision Costco comme guide pour l’octroi de dommages-intérêts punitifs.

[73] Je prends note des dommages-intérêts punitifs qui ont été accordés par notre Cour dans des affaires mettant en jeu des produits contrefaits : voir par exemple Wang, aux para 189-192 (225 000 $), Lam, au para 9 (250 000 $), Yang, au para 52 (100 000 $), et Singga, au para 180 (200 000 $, 250 000 $ et 50 000 $). À mon avis, ces affaires concernent des comportements plus graves que celui en cause dans la présente affaire. Je prends également note d’autres affaires de marques de commerce ne mettant pas en jeu des produits contrefaits, où des dommages-intérêts punitifs plus modestes ont été jugés suffisants : Mitchell Repair Information Company LLC c Long, 2014 CF 562 aux para 14-17 (15 000 $); Microsoft Corporation c PC Village Co Ltd, 2009 CF 401 aux para 41-44 (50 000 $).

[74] Parmi les facteurs qui militent en faveur de l’octroi de dommages-intérêts punitifs plus élevés, je prends en considération (i) la conduite d’Every Green; (ii) le fait qu’elle cherchait à faire un profit; (iii) son mépris de la vérité et de la réputation et de l’achalandage d’I‑MEI dans son étiquetage; (iv) son refus de prendre des mesures à l’égard des demandes de TFI et d’I‑MEI ou d’y répondre; (v) le fait qu’elle a continué de vendre des produits faussement étiquetés; (vi) son manque d’engagement à répondre à la présente demande, et, (vii) fait important, son défaut de se conformer à l’ordonnance d’injonction de la Cour ou d’y répondre. Pour ce qui est des facteurs qui militent en faveur de l’octroi de dommages-intérêts punitifs moins élevés, du moins par rapport à certains des montants mentionnés ci-dessus, je note que la présente affaire n’impliquait pas la production de produits contrefaits et qu’il n’y a eu à ce jour qu’une seule ordonnance de la Cour. Bien que le défaut de se conformer à une seule ordonnance de la Cour soit une affaire sérieuse, je dois comparer la présente situation aux cas où il y a eu mépris de plusieurs ordonnances judiciaires ou de plusieurs ordonnances découlant d’une entente de règlement et où des dommages-intérêts punitifs plus élevés ont été accordés. Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs et du contexte de la présente affaire, je suis d’avis qu’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs de 35 000 $.

C. Dépens

[75] TFI et I‑MEI demandent l’adjudication de leurs dépens sur la base avocat-client. Ils réclament à ce titre 85 403,30 $, TVH comprise. D’après l’affidavit déposé à l’appui de la demande de dépens, ce montant couvre à la fois les dépens de la requête en injonction et de la présente requête en jugement par défaut.

[76] Les dépens de la requête en injonction ont déjà été adjugés. Comme je n’avais pas assez d’éléments de preuve, j’ai ordonné que les dépens suivent l’issue de la cause : TFI Foods, au para 42. En l’absence d’une ordonnance précisant le niveau des dépens, ceux-ci sont considérés être des dépens partie-partie et sont généralement taxés en conformité avec la colonne III : Apotex Inc c Merck & Co, 2006 CAF 324 au para 15; Règles, art 407. Bien qu’il existe un pouvoir discrétionnaire général en ce qui concerne les dépens, celui-ci n’inclut pas le pouvoir de revenir sur les décisions relatives aux dépens qui ont déjà été rendues, y compris les siennes : Ciba-Geigy Canada Ltd c Novopharm Ltd, 1999 CanLII 9253 (CF) au para 32. J’ai cependant le pouvoir discrétionnaire de fixer le montant de ces dépens. Compte tenu de la colonne III et de la taxation des débours recouvrables associés à la requête en injonction et énoncés dans les deux premières factures envoyées par les avocats, je fixe les dépens de la requête en injonction à 5 000 $, honoraires et débours compris, plus la TVH de 650 $.

[77] En ce qui concerne la requête en jugement par défaut et la demande sous-jacente, je conviens que les dépens sur la base avocat-client sont appropriés. La question soulevée en l’espèce aurait très bien pu être résolue dès le début du processus si Every Green avait répondu d’une manière ou d’une autre aux demandes de TFI et de I‑MEI ou à l’allégation elle-même. Au contraire, les demanderesses, et I‑MEI en particulier, ont dû entamer la présente procédure pour faire valoir leurs droits, alors qu’Every Green aurait dû savoir que ses actions étaient illégales. En outre, le défaut d’Every Green de se conformer à l’ordonnance d’injonction de la Cour a obligé TFI et I‑MEI à préparer des éléments de preuve supplémentaires concernant ce défaut à l’appui de leur requête en jugement par défaut.

[78] D’après mon examen de la preuve à l’appui concernant les dépens et les débours associés à la conduite du litige autre que la requête en injonction, j’estime que les dépens des demanderesses sur la base avocat-client s’élèvent à environ 38 500 $ et les débours à 1 500 $, pour un total de 40 000 $, plus la TVH de 5 200 $.

[79] J’accorde donc des dépens de 45 000 $, honoraires et débours compris, plus la TVH de 5 850 $, pour la requête en défaut et la requête en injonction.

[80] TFI et I‑MEI ont fait valoir que toute adjudication de dommages-intérêts devrait leur être accordée conjointement, puisqu’elles sont représentées par la même avocate et qu’elles ont subi à bien des égards des pertes conjointes. Comme j’ai conclu que seule I‑MEI a établi la commercialisation trompeuse, les dommages-intérêts seront payables à I‑MEI. Les dépens seront payés à TFI et à I‑MEI, qui étaient représentées conjointement.

IV. Conclusion

[81] Par conséquent, j’accueille en partie la requête en jugement par défaut des demanderesses. L’injonction demandée est accordée, et des dommages-intérêts de 55 000 $ et des dommages-intérêts punitifs de 35 000 $ sont accordés à I‑MEI. Des dépens de 45 000 $, plus la TVH, sont adjugés aux demanderesses conjointement.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-695-20

LA COUR ORDONNE :

  • 1. Il est interdit par la présente et dès maintenant à la défenderesse, EveryGreenInternationalInc, y compris à ses dirigeants, administrateurs, préposés, employés ou mandataires, de mettre en vente, de vendre ou d’étiqueter des produits portant la marque de commerce Dessin d’I‑MEI avec des étiquettes comportant des énoncés qui indiquent que la défenderesse est le « ExclusiveDistributororCanada/Distributeur Exclusive De Canada [sic] » ou par ailleurs que celle-ci est la distributrice exclusive d’I‑MEI FoodsCo, Ltd.

  • 2. La défenderesse, EveryGreenInternationalInc, est tenue par la présente de rappeler sans délai tous les produits qui portent la marque de commerce Dessin d’I‑MEI et sur lesquels sont apposées des étiquettes comportant des énoncés qui indiquent que la défenderesse est le « ExclusiveDistributorofCanada/Distributeur Exclusive De Canada [sic] » ou par ailleurs que celle-ci est la distributrice exclusive d’I‑MEI FoodsCo, Ltd.

  • 3. La défenderesse, EveryGreen International Inc., doit payer à la demanderesse I‑MEI FoodsCo, Ltd la somme de 90 000 $, soit 55 000 $ en dommages-intérêts compensatoires et 35 000 $ en dommages-intérêts punitifs.

  • 4. La défenderesse, EveryGreenInternationalInc., doit payer aux demanderesses, I‑MEI FoodsCo, Ltd et TFIFoodsLtd, des dépens de 45 000 $, plus la TVH de 5 850 $.

« Nicholas McHaffie »

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


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