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Date : 20040122

Dossier : T-1389-02

Référence : 2004 CF 92

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KONRAD von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                        BARRINGTON BERNARD

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

                                                                                                                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le demandeur a postulé pour le poste de commis/réceptionniste, travail par postes (CR-3) aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) situés à l'Aéroport international Lester B. Pearson à Toronto. Un jury de sélection composé de trois membres (le jury de sélection) a étudié les demandes d'emploi pour ce poste en se fondant sur trois conditions : « connaissances » , « capacités et compétences » et « personnalité » . Le jury de sélection a conclu que le demandeur remplissait les deux premières conditions mais qu'il ne remplissait pas la condition relative à la « personnalité » . En définitive, on a conclu qu'il ne possédait pas les qualifications requises pour le poste.

[2]                Le demandeur en a appelé de cette décision au comité d'appel de la Commission de la fonction publique (le comité d'appel). Selon l'une de ses prétentions, les notes du jury de sélection étaient insuffisantes pour convaincre le comité d'appel que le jury de sélection avait évalué ses qualifications d'une manière raisonnable. Même si le comité d'appel a conclu que les notes étaient incomplètes, et ne faisaient état que de conclusions, il a noté que le demandeur n'avait pas questionné les membres du jury de sélection sur les motifs de leurs conclusions dans le processus de sélection. Le comité d'appel a dit que le demandeur avait la responsabilité de contribuer au processus d'enquête de l'appel en fournissant des renseignements pertinents comme le témoignage des membres du jury de sélection. En se fondant sur cette conclusion, le comité d'appel a conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté de l'obligation qui lui incombait.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                Le présent appel soulève deux questions :

1. Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en rejetant l'appel malgré sa conclusion que le jury de sélection avait pris des notes sommaires?

2. Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en dans l'application du fardeau de la preuve?


Norme de contrôle

[4]                Les parties s'entendent pour dire que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est la décision correcte. Les parties s'entendent également pour dire que la norme de contrôle pour des conclusions de fait tirées par un tribunal d'appel est décrite à l'alinéa 18.2(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi sur la Cour fédérale). En vertu de cet alinéa, la Cour n'accordera un redressement que si elle est convaincue que le comité d'appel a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

Première question en litige : Le comité d'appel a-t-il commis une erreur en rejetant

l'appel malgré sa conclusion que le jury de sélection avait pris des notes sommaires?


[5]                Le demandeur dit que, dans ses motifs, le comité d'appel a tiré la conclusion que les notes du jury de sélection étaient « sommaires » et qu'elles « contenaient des conclusions » plutôt que des références aux démarches qu'il avait fait pour analyser les réponses du demandeur aux questions à l'entrevue. Dans les circonstances, il prétend que le comité d'appel a commis une erreur en rejetant son appel puisque le comité d'appel ne disposait pas d'éléments de preuve suffisants pour évaluer si le jury de sélection avait respecté le principe du mérite. Au soutien de son argument, il cite la décision Field c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no 458. Dans cette affaire, la juge McGillis, a conclu que le dossier ne contenait « aucune preuve convaincante, orale ou écrite » . Elle a conclu que « en raison de l'absence d'éléments de preuve constitués et pertinents » , le comité d'appel n'avait rien sur quoi se fonder pour déterminer si le principe du mérite avait été respecté.

[6]                À mon avis, cet argument ne saurait être retenu. Dans la présente affaire, le jury de sélection a utilisé trois outils : une entrevue, la vérification de références et des évaluations antérieures. Il a également utilisé une grille de réponses recommandées, un guide de cotation, et un barème de notation. Les fait soumis ici sont très différents de ceux dans la décisionField, dans laquelle un jury de sélection composé d'une seule personne a accordé des notes identiques à tous les candidats, n'a pris aucune note et n'a fourni aucune explication à savoir comment les vérifications de références avaient été utilisées dans la classification des candidats.

[7]                Aux pages 8 à 13 de ses motifs, le comité d'appel a analysé la suffisance des notes du jury de sélection. Il note que, suivant la décision Field, précitée, des éléments de preuve constitués et pertinents sont nécessaires pour que le comité d'appel puisse évaluer les processus de sélection d'un jury de sélection. À la page 9, il tire la conclusion suivante :

Les notes auxquelles la représentante de l'appelant m'a renvoyé, peuvent, au mieux, être décrites comme très sommaires. Elles ne précisent pas, comme elle l'a affirmé, ce que l'appelant a dit. Elles renferment plutôt les conclusions auxquelles le jury de sélection en est venu au sujet des réponses de l'appelant. Si c'était tout ce qui existait, je serais enclin à conclure que les arguments de l'appelant sont fondés. Cependant, les membres du jury de sélection auraient pu être interrogés sur ce dont ils se rappelaient des réponses de l'appelant et sur la raison pour laquelle ils en étaient venus aux conclusions qui figuraient dans leurs notes. Ils ne l'ont toutefois pas été. En conséquences, je n'ai pas reçu cette preuve facilement accessible.

Je ne suis pas disposé à conclure uniquement sur le fondement de ces notes qu'il n'y avait pas d'éléments de preuve constitués pour l'évaluation par le jury des réponses de l'appelant aux questions de l'entrevue qui font l'objet du litige [...] [Non souligné dans l'original.]

[8]                À la lumière de ce qui précède, il est clair que le comité d'appel a tiré la conclusion que, en présence d'éléments de preuve constitués et pertinents (quoique sommaires), le demandeur n'a pas réussi à démontrer le bien-fondé de sa cause. Je ne vois pas comment on pourrait considérer que cette conclusion porte atteinte à l'alinéa 18.2(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

Deuxième question en litige : Le comité d'appel a-t-il commis une erreur dans l'application du fardeau de la preuve?

[9]                Le demandeur décrit comme suit le déplacement du fardeau de la preuve qui s'opère, selon lui, dans des instances devant le comité d'appel : (1) le demandeur doit soulever un doute quant à savoir si, dans le cadre du processus de sélection, il y a eu respect du principe du mérite, ensuite (2) le fardeau de la preuve passe au défendeur, qui doit trouver une justification à l'appréciation du comité d'appel.

[10]            Dans la présente affaire, le demandeur prétend que la nature incomplète des notes du jury de sélection a fait en sorte que ce dernier a été incapable de comparer les réponses du demandeur aux questions à l'entrevue avec les réponses d'autres candidats. Il prétend que l'absence de notes soulève un doute quant à savoir si le jury de sélection a respecté le principe du mérite. Le demandeur allègue de plus que le comité d'appel a commis une erreur en concluant qu'il aurait dû obtenir le témoignage du jury de sélection quant à sa façon de gérer son processus de sélection. Selon le demandeur, en agissant de la sorte, le comité d'appel, n'a pas tenu compte de la nature litigieuse et quasi judiciaire de l'affaire qui lui était soumise et a limité le droit du demandeur à l'équité procédurale.


[11]            Le défendeur ne conteste pas la façon dont le demandeur interprète la loi. Toutefois, il prétend que le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau premier qui lui incombait. Plus particulièrement, il dit que le seul manquement soulevé par le demandeur est que les « notes prises par le jury de sélection concernant [ses propres] réponses [...] ne donnaient pas suffisamment de détails sur ce qu'il avait dit » .

[12]          Il n'y a aucun doute qu'il s'agit d'une affaire litigieuse. Comme l'a dit le juge Cattanach dans la décision Millward c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 530, à la page 539 :

Bien qu'il n'y a ait pas de litige entre des parties au sens véritable de ce terme, il y a néanmoins une contestation entre deux parties. Le sous-chef comparaît devant le comité pour expliquer que la sélection du candidat reçu s'est faite selon le système du mérite et le candidat non reçu est là pour démontrer que tel ne fut pas le cas. La jurisprudence a décrit et reconnu une telle situation comme un quasi-litige entre des quasi-parties.

[13]            Dans l'arrêt Leckie c. Canada (Procureur Général), [1993] A.C.F. no 320 (C.A.), au paragraphe 15, le juge Décary a résumé le fardeau qui incombe à l'appelant lorsqu'il en appelle au comité d'appel :

Afin de parvenir, en vertu de l'article 21, à étabir qu'il y avait violation du principe du mérite, les requérants devaient convaincre le comité d'appel que le mode de sélection choisi était « tel[-] qu'on puisse douter qu'il permette de juger du mérite des candidats » , c'est-à-dire qu'il permette de juger si l'on avait trouvé « les personnes les mieux qualifiées » . La fonction principale d'un comitéd'appel étant de s'assurer que les personnes les mieux qualifiées ont éténommées, il va sans dire que l'appelant, avant même de tenter de contester le mode de sélection choisi, devrait au moins alléguer ( et finalement prouver) qu'il existe la possibilitéréelle ou la vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n'ont pas éténommées.            [Non souligné dans l'original.]      

[14]            De la même façon dans l'arrêt Blagdon c. Canada (Commission de la Fonction publique), [1976] 1 C.F. 615, (Blagdon) au paragraphe 6, la Cour d'appel fédérale a conclu que :

[L]a question principale soumise au comité d'appel est de savoir si le choix du candidat reçu a été effectuéconformément au principe du mérite.

[15]            Comme dans les arrêts Leckie et Blagdon, précités, la question dans la présente affaire est de savoir si le demandeur a démontré au comité d'appel qu'il existait une « possibilité réelle ou [une] vraisemblance » que le principe du mérite n'a pas été respecté par le jury de sélection.

[16]            Dans la présente affaire, les seuls éléments de preuve que le demandeur ait fourni au comité d'appel sont des documents tirés du processus d'entrevue; il s'agit des vérifications de références, des notes du jury de sélection, des évaluations du demandeur et d'un courrier électronique. Aucun élément de preuve n'a été présenté au soutien de la conclusion que le demandeur était mieux qualifié pour la position de commis que le candidat choisi et, par conséquent, que le principe du mérite n'avait pas été respecté. Le demandeur a choisi de ne pas témoigner ni de faire témoigner des membres du jury de sélection. De plus, le dossier permet de voir que sa demande d'emploi pour le poste de commis était insatisfaisante. Notamment, deux des trois personnes désignées par le demandeur à titre de références ont recommandé qu'il ne soit pas embauché pour le poste, et la troisième personne a exprimé des réserves sérieuses à son endroit.

[17]            En me fondant sur ce qui précède, je conclus que le demandeur n'a pas rempli les conditions établies dans l'arrêt Leckie. Il ne s'est pas acquitté du fardeau premier qui lui incombait « [d']alléguer (et finalement prouver) qu'il existe la possibilité réelle ou la vraisemblance que les personnes les mieux qualifiées n'ont pas été nommées » . Le président du comité d'appel n'a pas commis d'erreur en imposant au demandeur un fardeau de preuve déraisonnable. Il a simplement évalué le dossier du demandeur à la lumière du fardeau de preuve qui lui incombe de par la loi et a tiré la conclusion raisonnable que le demandeur ne s'était pas acquitté de ce fardeau. Par conséquent, je ne vois pas comment l'on pourrait dire que le comité d'appel a commis une erreur dans l'application du fardeau de la preuve.

[18]            La présente demande est donc rejetée avec dépens.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande est rejetée avec dépens.

                                                                                             « K. von Finckenstein »          

                                                                                                                          Juge                           

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-1389-02

INTITULÉ :                                                              BARRINGTON BERNARD

c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      LE 19 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                             LE 22 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Jacquie de Aguiayo                                                      POUR LE DEMANDEUR

J. Sanderson Graham                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alliance de la Fonction publique du Canada                  POUR LE DEMANDEUR

Section des services juridiques

Direction de la négociation collective

233, rue Gilmour

Bureau 200

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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