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Date : 20210315


Dossier : T-2040-19

Référence : 2021 CF 211

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Victor COTIRTA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Victor Cotirta [le Demandeur] demande le contrôle judiciaire de la décision du comité d’appel du Tribunal d’appel des transports du Canada [le Comité d’Appel] du 20 novembre 2019, rejetant son appel. Le Comité d’Appel a maintenu la décision du conseiller du même Tribunal [le Conseiller], ayant quant à lui confirmé la décision du ministre des Transports du Canada [le Ministre] de suspendre le certificat médical de M. Cotirta, nécessaire au maintien de sa licence de pilote.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Sommaire du cadre législatif

[3] Au Canada, une personne qui désire piloter un avion doit répondre aux exigences applicables.

[4] Ainsi, en vertu de l’article 404.03 du Règlement de l’aviation canadien (DORS/96-433) [le Règlement], il est interdit à toute personne d’exercer ou de tenter d’exercer les avantages d’une licence de pilote, à moins qu’elle ne soit titulaire d’un certificat médical valide de la catégorie propre au permis, à la licence ou à la qualification.

[5] L’article 404.10 du Règlement prévoit quant à lui qu’un certificat médical de catégorie 1 est exigé pour les licences (1) de pilote en équipage multiple – avion et (2) de pilote de ligne – avion.

[6] En vertu du paragraphe 404.11(1) du Règlement, le Ministre doit évaluer les rapports médicaux pour déterminer si la personne qui demande la délivrance ou le renouvellement d’un certificat médical satisfait aux exigences relatives à l’aptitude physique et mentale et, en vertu du paragraphe 404.04(2), le Ministre peut exiger des tests nécessaires.

[7] Le paragraphe 7.1(1) de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, ch A-2 [la Loi] prévoit quant à lui que le Ministre, s’il décide de suspendre un document d’aviation canadien parce que le titulaire du document est inapte ou qu’il ne répond plus aux conditions de délivrance ou de maintien en état de validité du document, expédie un avis par signification à personne ou par courrier recommandé ou certifié à la dernière adresse connue du titulaire du document que vise le document.

[8] Enfin, l’article 1.18 de la Partie IV, Norme 24 du Règlement, prévoit que les demandeurs de certificat médical de catégorie 1, atteints de diabète sucré, peuvent être considérés aptes, pourvu que certains critères précis de contrôle soient satisfaits. Ces critères sont énoncés dans le document de Santé Canada intitulé « Lignes directrices pour l'évaluation de l'état de santé des pilotes, mécaniciens navigants et contrôleurs aériens souffrant de diabète sucré au Canada » (Ottawa, Santé Canada, 1995) [les Lignes directrices] (pages 326 et suivantes, dossier du demandeur).

III. Contexte

[9] Jusqu’au 12 septembre 2017, M. Cotirta détient une licence de pilote et le certificat médical nécessaire de catégorie 1, avec une période de validité de six mois comme pilote en solo ou d’un an comme pilote en équipage multiple.

[10] Cependant, le 12 septembre 2017, le Ministre transmet une lettre à M. Cotirta, l’informant que (1) son rapport d’examen médical du 30 mai 2017 et les documents d’accompagnement concernant son aptitude médicale pour l’exercice des avantages de la licence de pilote de ligne – avion et pilote de planeur, ont été examinés par le conseiller du Ministre conformément au tableau des exigences du paragraphe 424.17(4) du Règlement, catégorie médicale 1, alinéas 1.18, 3.18 et 4.18; (2) il a été établi qu’il n’avait pas « l’aptitude médicale requise pour bénéficier des avantages d’aucune licence de membre d’équipage de conduite ou de permis »; (3) son certificat médical est suspendu « conformément à l’alinéa 7.1 (1)(b) de la Loi »; (4) la suspension restera en vigueur jusqu’à ce que le Ministre soit satisfait de son aptitude médicale.

[11] Le 30 octobre 2017, M. Cotirta demande la révision de cette décision du Ministre de suspendre son certificat médical auprès du comité de révision du Tribunal d’appel des transports du Canada, conformément au paragraphe 7.1(3) de la Loi. Cette demande de révision de M. Cotirta est entendue le 9 février 2018; et le Dr. Robert Perlman (le Conseiller) préside l’audience. M. Cotirta se représente seul et témoigne pour lui-même, tandis que le Dr. Robert Flood témoigne pour le Ministre. Les notes sténographiques de l’audience se trouvent dans le Dossier du demandeur, aux pages 30 et suivantes.

[12] Devant le Conseiller, le Dr. Flood témoigne de l’historique médical de M. Cotirta à partir du 3 juin 2013 et qui a entrainé la suspension de son certificat médical. La chronologie de cet historique médical est étayée au paragraphe 14 du mémoire du défendeur, et se conclut le 7 septembre 2017. Le Dr. Flood écrit alors à M. Cotirta pour l’informer qu’il souffre de diabète avec complication de rétinopathies, de néphropathie non déterminée ainsi que d’une possibilité de maladie cardiaque et que, par conséquent, il est inapte à détenir toute catégorie de licence.

[13] Devant le Conseiller, M. Cotirta soumet essentiellement que (1) il est dans les normes de Transports Canada pour le diabète, ses résultats indiquant 5,3, 6,3 et 6,5, qu’il qualifie de « pseudo-maladie » et un de ses médecins lui aurait confirmé qu’il peut voler; (2) la seule anomalie dans son dossier est une augmentation de son taux de créatinine due à un excès de médication (le janumet); et (3) il est asymptomatique, ce qui signifie qu’il n’a aucun problème médical.

[14] Le 23 mai 2018, le Conseiller maintient et confirme la décision du Ministre de suspendre le certificat médical de M. Cotirta. Dans sa décision, le Conseiller résume la preuve présentée par le Dr. Flood, reconnu comme un témoin expert crédible, et par M. Cotirta. Dans son analyse, le Conseiller note la preuve médicale en lien avec la situation de M. Cotirta depuis 2012. Il note aussi, entre autres, que (1) le Dr. Flood a demandé l’avis du Comité de révision médicale de l’aviation quant au dossier de M. Cotirta, lequel a conclu, en 2018, que le diabète et la néphropathie de M. Cotirta n’avaient pas été stables; (2) le témoignage de M. Cotirta a semblé confirmer un contrôle sous-optimal du diabète; (3) le Dr. Flood a décrit les Lignes directrices applicables; (4) le témoignage de M. Cotirta ne décrit pas fidèlement les expertises; (5) M. Cotirta assimile les termes « asymptomatique » et « aucune maladie » et semble nier l’existence de son diabète, ce qui affecte sa crédibilité; (6) le Ministre a fait preuve de souplesse dans l’évaluation du dossier de M. Cotirta, a suivi les directives applicables de façon raisonnable et a agi raisonnablement en statuant que le diabète de M. Cotirta et les complications qu’il entraîne n’étaient pas suffisamment stables au moment de la suspension de son certificat médical de catégorie 1; et (7) le Ministre envisagerait d’accorder à M. Cotirta une licence avec restriction lorsque des rapports médicaux supplémentaires indiqueront clairement que son état de santé est suffisamment stable et ne compromet pas la sécurité aérienne.

[15] Le 13 juin 2018, M. Cotirta interjette appel de la décision du Conseiller auprès du Comité d’Appel et le 12 septembre 2019, son appel est entendu par un panel de trois conseillers, un desquels agit à titre de président. Les notes sténographiques de l’audience sont contenues dans le Dossier du demandeur, aux pages 506 et suivantes.

[16] Selon les notes sténographiques, M. Cotirta soumet alors essentiellement que le Conseiller (1) a erré en ne lui permettant pas d’être pleinement entendu et de déposer sa preuve; (2) est partial puisqu’il est un médecin, fait des examens médicaux pour Transport Canada et délivre des licences; et (3) a erré en tirant des conclusions déraisonnables de la preuve, déformant ou ignorant la preuve pertinente. M. Cotirta soumet à cet égard que le Conseiller aurait omis de tenir compte de la preuve (antérieure) à l’effet que ses indicateurs de diabète étaient dans les limites de la normale. Cette preuve militerait en faveur du maintien de sa licence de pilote. M. Cotirta souligne également que le Conseiller a ignoré ou rejeté son argument voulant que son médicament (le janumet) aurait rendu les indicateurs de diabète plus élevés dans les tests plus récents, tests par ailleurs retenus par le Ministre lors de la suspension de son certificat médical.

[17] Le 20 novembre 2019, le Comité d’Appel rejette l’appel de M. Cotirta et maintient la décision du Conseiller.

[18] Le Comité d’Appel rappelle la norme de contrôle applicable et regroupe les motifs d’appel de M. Cotirta de la manière suivante:

(1) le Conseiller a contrevenu aux principes de justice naturelle en rejetant la requête en révision sans avoir permis au requérant d’être pleinement entendu lors de l’audience et en ayant fait preuve de partialité en faveur du Ministre lors de son déroulement; et

(2) Le Conseiller a tiré des conclusions de faits déraisonnables à la lumière de la preuve présentée par les parties, plus précisément en ayant déformé ou ignoré la preuve présentée par le requérant lors de l’audience.

[19] Quant au premier motif d’appel, le Comité d’Appel note que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Le Comité d’Appel conclut essentiellement que (i) le Conseiller a permis à M. Cotirta de faire toutes ses représentations pendant l’audience en révision; (ii) le Conseiller a présidé l’audience d’une façon parfaitement convenable et conformément aux règles du Tribunal et au paragraphe 7.1(6) de la Loi; et (iii) M. Cotirta n’a pas démontré la partialité du Conseiller, laquelle ne peut s’inférer simplement du fait que le Conseiller est un médecin habilité à effectuer des examens médicaux de Transports Canada et qu’il a tranché en faveur du Ministre dans sa décision. Le Comité d’Appel rejette donc l’appel relativement au premier motif d’appel.

[20] Quant au second motif d’appel, s’agissant de questions relatives aux faits et à la crédibilité des témoins, le Comité d’Appel note qu’il doit faire preuve de déférence envers les conclusions du Conseiller.

[21] Le Comité d’Appel note que M. Cotirta a confirmé, lors de l’audience, n’avoir qu’un seul argument à soulever, soit la violation des principes de justice naturelle et d’équité procédurale. Cependant, le Comité d’Appel note aussi que, en dépit de cette déclaration, M. Cotirta a présenté des arguments sur le fond de l’affaire. Le Comité d’Appel traite donc des arguments de M. Cotirta sur le fond.

[22] Le Comité d’Appel détermine que (i) la preuve soumise supporte la conclusion du Conseiller à l’effet que le Ministre considérait M. Cotirta comme un individu « à risques élevés », vu les investigations médicales en cours au moment de la suspension et qu’il était donc réputé inapte; (ii) la conclusion du Conseiller quant à la validité de la suspension du certificat était justifiée, étant donné le manque d’informations relatives à la néphropathie et la stabilité du diabète de M. Cotirta, et bien ancrée dans la preuve documentaire et testimoniale présentées pendant l’audience; et (iii) M. Cotirta n’avait pas, au moment de la suspension de sa licence, soumis les informations additionnelles demandées par le Ministre et la conclusion du Conseiller à l’effet que ce manque d’information justifiait la décision du Ministre de suspendre le certificat est raisonnable. Le Comité d’Appel rejette donc l’appel relativement au deuxième motif soulevé par M. Cotirta.

[23] Ayant rejeté les deux motifs d’appel de M. Cotirta, le Comité d’Appel confirme donc la décision du Conseiller ayant elle-même confirmé la décision initiale de suspendre le certificat médical de M. Cotirta.

[24] Cette décision du Comité d’Appel fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

IV. Arguments des parties et analyse

[25] Auprès de la Cour, M. Cotirta dépose un bref affidavit et un mémoire, dans lequel il soumet les motifs au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Bien que M. Cotirta utilise le terme Commission pour désigner le Comité d’Appel, par souci d’uniformité, j’utiliserai ce dernier terme. Ainsi, devant la Cour, M. Cotirta soumet que:

(1) le Comité d’Appel du 12 septembre a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne tenant pas compte des faits et des représentations et en ne renvoyant pas la décision au Ministre;

(2) le Comité d’Appel a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne respectant pas les principes de justice naturelle;

(3) le Comité d’Appel du 12 septembre a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne considérant pas la preuve et la documentation matérielle présentée par le demandeur lors de la suspension abusive de sa licence; et

(4) la décision du Comité d’Appel n’est pas correcte.

A. Norme de contrôle

[26] M. Cotirta ne fait pas de représentations quant à la norme de contrôle applicable, bien que son dernier argument mentionne que la décision n’est pas « correcte ».

[27] Le défendeur, le Procureur général du Canada [le PGC] soumet que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, et qu’une grande déférence est due au Tribunal d’appel des transports du Canada, tribunal spécialisé, conformément aux enseignements de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Le PGC note par contre que la violation alléguée de l’équité procédurale doit être examinée en vertu de la norme de la décision correcte (Vavilov aux para 54-56).

[28] La Cour suprême du Canada a établi, dans l’arrêt Vavilov, la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (Vavilov au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans trois types de situations et aucune ne s’applique en l’espèce.

[29] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable de la décision, le rôle de la Cour en contrôle judiciaire est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31 [Société canadienne des postes]). La Cour doit considérer le « résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15).

[30] La Cour, en contrôle judiciaire, n’a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier, ni de s’immiscer dans les conclusions de faits du décideur pour y substituer les siennes (Société canadienne des postes au para 61; Canada (Commission canadienne des droits de la personne c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55 [CCDP]). Elle doit plutôt considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47), et se contenter de déterminer si les conclusions revêtent un caractère irrationnel ou arbitraire.

[31] Quant à l’argument de violation de l’équité procédurale, la Cour suprême, dans Vavilov, n’a pas traité de la norme applicable, sauf essentiellement, pour réitérer les facteurs de Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 (au para 77). La Cour d’appel fédérale a récemment réitéré qu’à « l’heure actuelle, il n’y a pas unanimité à la Cour au sujet de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale » (voir l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, aux para 67 à 71). La Cour d’appel fédérale a confirmé que la Cour suprême n’a donné aucune indication à ce sujet dans l’arrêt Vavilov dans un arrêt qu’elle a rendu récemment (CMRRA-SODRAC Inc c Apple Canada Inc, 2020 CAF 101 au para 15). Dans la décision Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56, la Cour d’appel fédérale avait noté que:

[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

[32] Ainsi, il s’agit de déterminer si M. Cotirta a été entendu, s’il a eu la possibilité de connaitre la preuve qu’il devait réfuter.

[33] Enfin, il n’est pas inutile de préciser que M. Cotirta porte le fardeau de démontrer que la décision attaquée est déraisonnable et que l’équité procédurale n’a pas été respectée.

B. Premier argument : Le Comité d’Appel a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne tenant pas compte des faits et des représentations, et en ne renvoyant pas la décision au Ministre

[34] M. Cotirta soumet qu’il conteste une décision abusive du Ministre, basée sur des « allégation probable et de faux statement », non conformes aux pratiques internes et internationales. Il souligne avoir été réputé apte à continuer ses activités, notamment dans les rapports médicaux de Biron et des docteurs St-Onge et Laporte en décembre 2016, que son examen médical était conforme aux pratiques internationales et canadiennes et effectué par un médecin qui le connait depuis 20 ans, et qu’il ne sert à rien de renvoyer des documents.

[35] M. Cotirta trouve problématique que certaines notes sténographiques aient été publiées après que la décision du Comité d’Appel ait été rendue. À l’audience, M. Cotirta a précisé que cet argument vise plutôt le fait que l’audience devant le Comité d’appel était trop courte pour lui permettre de bien présenter son dossier. Il soumet qu’on savait depuis le début l’issue de l’audience, soit que son appel serait rejeté. Il note que le Comité d’Appel connaissait la partialité du Conseiller et le blocage total auquel il a fait face. M. Cotirta critique les conclusions du Conseiller relatives à sa crédibilité et note que le Conseiller travaille « pour » le Ministre et a été en contact avec le Ministre. Il allègue finalement que le Comité d’Appel a violé la loi de la confidentialité (sans identifier de quelle loi il s’agit) en cherchant, sans son autorisation, dans son dossier médical.

 

[36] Le PGC soumet que le Comité d’Appel devait se limiter à déterminer si la décision du Conseiller est raisonnable. Il soumet que le Comité d’Appel a adéquatement déterminé que la preuve devant le Conseiller permettait d’établir que M. Cotirta était un individu à risques élevés et donc inapte aux fins du certificat médical qu’il détenait. Le PGC affirme que cette conclusion était raisonnable vu l’absence d’information quant au diabète de M. Cotirta et son omission de répondre aux demandes d’informations additionnelles du Ministre.

[37] M. Cotirta n’a pas convaincu la Cour que le Comité d’Appel a omis de considérer certains faits ou ses représentations.

[38] Tel que mentionné précédemment, la Cour, en contrôle judiciaire, se limite à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Société canadienne des postes aux para 2, 31). Le Comité d’Appel était assujetti à la même norme de contrôle envers la décision du Conseiller.

[39] Considérant la preuve au dossier, il était raisonnable pour le Comité d’Appel de confirmer la décision du Conseiller. La preuve supporte également la conclusion du Comité d’Appel quant au manque d’information sur l’état du diabète de M. Cotirta et sur le fait qu’il n’effectue pas de suivis réguliers de son diabète.

[40] M. Cotirta n’a pas démontré que le Comité d’Appel a omis de tenir compte des faits et des représentations ou qu’il a erré en ne renvoyant pas la décision au Ministre.

[41] Puisque certains des arguments de M. Cotirta sont répétés, son argument relatif à la partialité sera traité au point C et ses arguments relatifs aux notes sténographiques et à la confidentialité de son dossier médical seront traités au point D.

C. Deuxième argument : Le Comité d’Appel a violé les principes de justice naturelle

[42] Monsieur Cotirta soumet que la jurisprudence cherche à créer un équilibre et une uniformité, et que le Conseiller aurait dû considérer l’impact de la suspension de sa licence sur sa vie. Il note qu’un pouvoir discrétionnaire doit respecter l’esprit de la loi et être exercé de bonne foi. Il soumet avoir été victime, lors de la suspension de sa licence et lors de l’audience devant le Conseiller, de discrimination, harcèlement et abus. Il prétend que, une fois saisi de la preuve, le Conseiller a une obligation morale et que le fait d’énoncer son intention de rejeter l’appel au début de l’audience établit une crainte raisonnable de partialité. Il note que l’exigence d’impartialité inclut également d’éviter une apparence de partialité. À l’audience, M. Cotirta a précisé que le Conseiller et le Comité d’Appel avaient violé l’équité procédurale en annonçant plutôt d’emblée qu’ils étaient restreints, dans l’exercice de leur pouvoir, à accueillir la demande ou à renvoyer l’affaire au Ministre.

[43] Le PGC répond que la transcription de l’audience du Conseiller ne supporte pas les allégations de M. Cotirta relatives à la partialité ou aux manquements aux principes de justice naturelle. Le PGC note que le Conseiller a plutôt fait preuve de souplesse et a considéré qu’il s’agissait d’une première audience pour M. Cotirta. Le Conseiller a par ailleurs ramené M. Cotirta à l’ordre en lui rappelant les règles relatives au contre-interrogatoire et en lui expliquant les principes applicables. Le docteur Perlman a également posé plusieurs questions à M. Cotirta pour clarifier la preuve. Le PGC note finalement que rien ne supporte l’allégation de M. Cotirta à l’effet que le Conseiller était partial à cause de son statut de médecin.

[44] La Cour n’a trouvé, en l’espèce et après une revue des notes sténographiques, rien qui suggère un manquement aux principes de justice naturelle. Les notes sténographiques démontrent plutôt que le Conseiller a fait preuve de patience et de flexibilité. Ses interventions étaient légitimes et visaient à assurer la bonne compréhension par M. Cotirta des règles pertinentes et le déroulement efficace de l’audience qu’il présidait.

[45] Selon les notes sténographiques au dossier, ni le Conseiller ni le Comité d’Appel n’a énoncé, au début de l’audience, son intention de rejeter la demande. Par ailleurs, les paragraphes 6.72(4) et 7.2(3) de la Loi prévoient les pouvoirs du Conseiller et du Comité d’Appel quant au sort de la demande, et aucun n’a erré en les citant lors de l’audience.

[46] La Cour ne constate donc aucune violation des principes de justice naturelle et d’équité procédurale. Tout indique plutôt que M. Cotirta connaissait les preuves qu’il avait à réfuter et qu’il a été entendu.

D. Troisième argument : Le Comité d’Appel a omis de considérer la preuve et la documentation matérielle présentée par M. Cotirta lors de la suspension abusive de sa licence

[47] M. Cotirta soumet que le Comité d’Appel a ignoré toute la preuve présentée devant les instances inférieures et a omis d’en traiter ou de l’analyser. Il réfère particulièrement à un test qui fait état d’un diabète contrôlé (page 488, dossier du demandeur). Il soumet également avoir présenté de la preuve à l’effet que son médicament (le janumet) pouvait causer les indicateurs de diabète qui excèdent les limites de la normale. Il prétend finalement que le Comité d’Appel n’aurait pas dû conclure qu’il devait communiquer de nouveau avec le Ministre.

[48] Le PGC s’en remet à ses représentations à l’effet que la décision du Comité d’Appel est raisonnable, puisque la preuve devant le Conseiller permettait de conclure que M. Cotirta est une personne à haut risque et donc inapte au sens de la Loi.

[49] Tel que le soumet le PGC et tel que mentionné plus haut, il était raisonnable pour le Comité d’Appel de déterminer que la décision du Conseiller est raisonnable.

[50] Devant contrôler la décision selon la norme de la décision raisonnable, le Comité d’Appel ne pouvait pas, tel que le demande M. Cotirta, soupeser à nouveau la preuve et la Cour ne le peut pas non plus. Tel que mentionné précédemment, en vertu de l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, la Cour, en contrôle judiciaire, n’a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier, ni de s’immiscer dans les conclusions de faits du décideur pour y substituer les siennes (Société canadienne des postes au para 61; CCDP au para 55).

[51] M. Cotirta n’a pas confirmé la date de transmission des notes sténographiques, ni déposé d’autorités quant à l’effet de rendre une décision avant la publication des notes sténographiques, quant à l’effet du janumet ou quant à la partialité du Comité d’Appel ou du Conseiller. En outre, M. Cotirta n’a pas démontré que le Ministre ou le Tribunal d’appel des transports du Canada ont obtenu son dossier médical illégalement. Il appert plutôt que M. Cotirta a lui-même soumis les documents relatifs à sa santé à la demande du Ministre, afin d’obtenir ou de renouveler son certificat médical, et que le Tribunal a obtenu les documents détenus par le Ministre pour contrôler sa décision.

[52] M. Cotirta n’a pas démontré que la décision du Comité d’Appel est déraisonnable ou que le Comité d’Appel aurait omis de considérer la preuve et la documentation matérielle qu’il a présentée.

[53] Dans la mesure ou une portion de cet argument invoque des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale, aucune violation n’a été démontrée.

E. Quatrième argument : La décision du Comité d’Appel n’est pas « correcte »

[54] M. Cotirta soumet de nouveau que le Comité d’Appel a erré en émettant sa décision avant que les notes sténographiques de l’audience soient publiées. Il note également que le Comité d’Appel propose une décision erronée et outrepasse nettement son mandat.

[55] Tel que mentionné plus haut, la décision du Comité d’Appel doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, et rien n’indique qu’elle est déraisonnable. Quant à l’argument que le Comité d’Appel aurait outrepassé son mandat, M. Cotirta n’offre rien pour l’appuyer. Il appert plutôt que le Comité d’Appel a dûment instruit l’appel et rendu une décision en vertu de l’article 7.2 de la Loi.

V. Conclusion

[56] Selon les enseignements de la Cour suprême du Canada, la Cour conclut que la décision du Comité d’Appel est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Elle est transparente, intelligible et justifiée. M. Cotirta n’a pas démontré que la décision du Comité d’Appel revêt un caractère irrationnel ou arbitraire et qu’elle est déraisonnable.

[57] M. Cotirta n’a pas non plus démontré que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale ont été violées.

[58] La demande de contrôle judiciaire est conséquemment rejetée.


JUGEMENT dans T-2040-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le tout sans frais.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-2040-19

INTITULÉ :

VICTOR COTIRTA C. MINISTRE DES TRANSPORTS

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (par vidéoconférence – zoom)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 MARS 2021

jugement et motifs:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 15 MARS 2021

COMPARUTIONS :

M. Victor Cotirta

Pour LE DEMANDEUR

(se représentant seule)

Me Renalda Ponari

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Victor Cotirta

Se représentant seul

Pour LE DEMANDEUR

(se représentant seule)

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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