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Date : 20210302


Dossier : T‑1140‑19

Référence : 2021 CF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2021

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

TANYA REBELLO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA JUSTICE,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE PREMIER MINISTRE DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Survol

[1] Les défendeurs ont présenté une requête écrite en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), afin d’obtenir une ordonnance radiant la déclaration de la demanderesse dans son intégralité et sans autorisation de la modifier.

[2] La déclaration de la demanderesse contient des allégations qui peuvent être regroupées en trois catégories :

  1. Les questions relatives à un véhicule : avec l’appui des défendeurs, le premier ministre de l’Ontario a financé divers organismes provinciaux, qui ont transféré le numéro d’identification du véhicule de la demanderesse, ont retiré sa plaque d’immatriculation et ont suspendu son permis de conduire.

  2. Les questions relatives à la police : avec l’appui des défendeurs, le premier ministre de l’Ontario a financé divers services de police, qui ont entrepris de traquer, de terroriser, de harceler et de surveiller la demanderesse.

  3. Les questions de droit : avec l’appui des défendeurs, le premier ministre de l’Ontario a financé le procureur général de l’Ontario, qui a créé un faux projet d’ordonnance dans le cadre d’une instance engagée devant la Cour supérieure et qui a financé des juges de la Cour supérieure de justice de l’Ontario et leur a permis de porter atteinte aux droits de la demanderesse et de signer de faux projets d’ordonnance.

[3] La demanderesse allègue que les actes mentionnés ci‑dessus donnent lieu à plus d’une douzaine de causes d’action reconnues et non reconnues, dont les suivantes : manquement à des obligations légales, manquement à des devoirs, abus de confiance, manquement à des obligations fiduciaires, faute dans l’exercice d’une charge publique, complot, négligence et atteinte aux droits que garantissent à la demanderesse les articles 7, 8, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[4] La demanderesse sollicite des dommages‑intérêts généraux d’un montant de 200 000 000 $, des dommages‑intérêts punitifs d’un montant de 100 000 000 $, des dommages‑intérêts spéciaux et divers autres frais, de même qu’un jugement déclaratoire.

II. Historique de l’instance

[5] La Cour a pris de nombreuses mesures pour satisfaire à la demande de la demanderesse quant à la tenue d’une audience pour la présente requête – une procédure qui, d’après le paragraphe 369(4) des Règles, relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour et n’est pas garantie de plein droit à la demanderesse (Verma c Canada, 2006 CF 1353 au para 13). Il y a toutefois une limite aux mesures d’accommodement possibles. La Cour ne peut pas faire preuve de souplesse au point de porter préjudice aux défendeurs et d’imposer un fardeau indu aux ressources judiciaires. Comme en fait foi l’historique de la présente instance, lequel est décrit ci‑après, la demanderesse a repoussé les limites de ce que la Cour peut faire pour satisfaire à sa demande.

[6] La demanderesse a présenté sa déclaration le 12 juillet 2019. Les défendeurs ont ensuite déposé la présente requête le 13 août 2019, en vue de faire radier cette déclaration.

[7] Dans une lettre datée du 15 octobre 2019, la demanderesse a demandé la tenue d’une audience relativement à la présente requête et elle a indiqué les dates où, en novembre et en décembre 2019, elle n’était pas disponible.

[8] Le 8 novembre 2019, la protonotaire Furlanetto a fixé au 25 novembre 2019 la tenue de l’audience. La demanderesse n’avait pas indiqué dans sa lettre du 15 octobre 2019 qu’elle n’était pas disponible à cette date. Le 12 novembre 2019, la Cour a reçu de la demanderesse une lettre dans laquelle elle demandait un ajournement, car la date avait été [TRADUCTION] « fixée à son insu ou sans son consentement » et parce qu’elle‑même avait, ce jour‑là, des rendez‑vous [TRADUCTION] « pris depuis des mois » qu’il était impossible de changer.

[9] Dans une directive datée du 19 novembre 2019, la protonotaire Furlanetto a exigé que la demanderesse et les défendeurs fassent part à la Cour d’autres dates de disponibilité communes si la demanderesse souhaitait que l’audience soit fixée à une date différente. Les parties ont convenu de déplacer l’audience au 24 mars 2020, mais elle a été ajournée en raison de la pandémie de COVID‑19.

[10] Dans une lettre datée du 28 août 2020, après un échange de nombreuses lettres entre la demanderesse, les défendeurs et la Cour, la demanderesse a dit vouloir que l’audience soit fixée au 23 février 2021. Les défendeurs ont demandé que l’audience ait lieu le plus tôt possible, mais, subsidiairement, ils ont accepté la date que la demanderesse avait proposée. Le 25 novembre 2020, la Cour a confirmé que l’audience aurait lieu à distance, dans le cadre d’une vidéoconférence Zoom, le 23 février 2021.

[11] Le 18 janvier 2021, la Cour a reçu de la demanderesse une lettre dans laquelle elle demandait que l’audience soit ajournée, car elle n’était plus disponible le 23 février en raison d’un [TRADUCTION] « atelier de formation professionnelle ». Dans une lettre datée du 20 janvier 2021, les défendeurs se sont opposés à cette demande d’ajournement. Ils ont fait valoir que la demande avait été initialement déposée le 13 août 2019 et que, en raison des difficultés à planifier la date de l’audience, il fallait que la requête soit entendue le plus rapidement possible. Comme l’ont signalé les défendeurs, la demande d’ajournement du 18 janvier 2021 était la seconde fois que la demanderesse faisait part de ses disponibilités à la Cour et qu’elle faisait ensuite savoir qu’elle n’était plus disponible après qu’une date d’audience avait été fixée. Les défendeurs ont également réitéré que, pour une requête en radiation, il n’est habituellement pas nécessaire de tenir une audience.

[12] Dans une directive datée du 27 janvier 2021, j’ai rejeté la demande d’ajournement de la demanderesse. Cette dernière a ensuite envoyé trois lettres à la Cour – en date du 27 janvier, du 2 février et du 10 février 2021 – dans lesquelles elle demandait encore un ajournement et alléguait, notamment, des manquements à la justice naturelle.

[13] Le 18 février 2021, l’agent du greffe responsable du déroulement de l’audience relative à la présente requête a fourni à la demanderesse les détails de connexion pour la vidéoconférence et a confirmé que l’audience débuterait à 13 h, le 23 février 2021. Le 19 février 2021, la demanderesse a envoyé deux autres lettres dans lesquelles elle réitérait sa demande d’ajournement. Le 19 février 2021, j’ai ordonné une fois de plus que l’audience aurait lieu le 23 février 2021.

[14] Malgré mes deux directives antérieures selon lesquelles l’audience serait tenue, comme prévu, le 23 février 2021, la demanderesse a transmis au moins six courriels à l’agent du greffe entre le 19 et le 22 février, et elle s’est entretenue avec lui au téléphone. Non seulement la demanderesse a‑t‑elle fait fi, par ses demandes d’ajournement répétées, des directives claires de la Cour, mais elle a abusé des ressources judiciaires par des contacts inutiles avec l’agent du greffe.

[15] Quand l’audition a débuté à 13 h, le 23 février 2021, la demanderesse ne s’était pas encore jointe à la vidéoconférence. J’ai demandé à l’agent du greffe d’ouvrir l’audience et j’ai commencé l’audience à l’heure prévue, comme je le fais habituellement.

[16] Il y a eu quatre interruptions au cours de l’audience, qui ont commencé environ cinq minutes après le début de celle‑ci. Après la fin de l’audience, l’agent du greffe m’a informé que ces interruptions étaient les tentatives que faisait la demanderesse pour se joindre à la vidéoconférence. Compte tenu de cette information, j’ai écouté l’enregistrement de l’audience, ce qui m’a permis de constater qu’à chacune des interruptions, on peut entendre une annonce indiquant : [TRADUCTION] « Tanya Rebello s’est jointe à l’appel. » Si j’ai été conscient des interruptions survenues pendant l’audience, je ne pouvais pas entendre ces messages et je n’ai pas compris qu’il s’agissait des tentatives que faisait la demanderesse pour se joindre à la vidéoconférence. Il y a souvent des interruptions lors d’une vidéoconférence, et j’écoutais attentivement les observations des défendeurs.

[17] Je ne donne pas de directives aux agents du greffe sur ce qu’il faut faire si un participant tente de se joindre à une vidéoconférence après le début de l’audience. Ce sont les agents du greffe, et non les juges, qui exercent un contrôle sur les fonctions techniques des vidéoconférences. Dans la présente affaire, l’agent du greffe n’a pas interrompu l’audience sans directive de la Cour pour annoncer que la demanderesse tentait de se joindre à la vidéoconférence, et avec raison.

[18] La Cour a pour politique qu’une audience tenue par vidéoconférence est « verrouillée » une fois qu’elle a débuté, ce qui empêche donc tout participant de s’y joindre. Cette politique est énoncée dans le Guide de l’utilisateur à l’intention des participants à une audience virtuelle de la Cour, un document que le public peut obtenir sur le site web de la Cour. Ce Guide précise également que les participants sont censés se connecter à l’audience à distance 30 minutes avant l’heure du début de celle‑ci afin de s’assurer qu’il n’y a aucun problème de connexion. La demanderesse aurait dû être au courant de cette politique ou, à tout le moins, elle aurait dû se préparer afin d’être en mesure de comparaître à l’audience à l’heure voulue au cours des mois qui se sont écoulés entre le moment où l’audience a été fixée et celui où elle a débuté. Si la demanderesse a été capable de téléphoner à l’agent du greffe et de lui envoyer des courriels à maintes reprises, je ne vois pas pourquoi elle n’a pas pu se joindre ou se connecter à la vidéoconférence au moment opportun.

III. Question en litige

[19] La seule question qui est en litige dans la présente requête consiste à savoir s’il convient de radier la déclaration de la demanderesse en application du paragraphe 221(1) des Règles.

IV. Dispositions législatives applicables

[20] Le texte du paragraphe 221(1) des Règles est le suivant :

À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it:

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

V. Analyse

[21] Les défendeurs présentent leur requête sur le fondement des alinéas 221(1)a) et c) des Règles. Comme ils l’ont fait remarquer à raison, le critère qui s’applique à la radiation d’un acte de procédure en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles est celui de savoir s’il est évident et manifeste que la demande ne présente aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Canada c Scheuer, 2016 CAF 7 au para 11).

[22] S’agissant de l’alinéa 221(1)c) des Règles, les défendeurs soutiennent que la déclaration présente deux problèmes étroitement liés qui font qu’elle est frivole et vexatoire : 1) elle comporte trop peu de faits substantiels, de sorte que les défendeurs ne peuvent pas y répondre, et 2) elle est exagérément longue, alambiquée et répétitive.

[23] Les défendeurs soutiennent que la déclaration comporte trop peu de faits substantiels qui indiquent « par qui, quand, où, comment et de quelle façon » les défendeurs, de par leurs actes, ont engagé leur responsabilité (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227 au para 19). Les défendeurs ne sont donc pas en mesure de savoir comment répondre à la demande qui les vise (Kisikawpimootewin c Canada, 2004 CF 1426 au para 8).

[24] Les défendeurs s’appuient également sur Wang c Canada, 2016 CF 1052 au para 31, conf. par 2018 CAF 46, pour affirmer que la prolixité, la répétition et le simple énoncé d’une série d’événements ne peuvent remplacer l’obligation de les informer des allégations de fait et de droit afin qu’ils puisent présenter une réponse et une défense adéquates.

[25] Les arguments des défendeurs au sujet des lacunes que présente l’acte de procédure sont, en bref, les suivants :

  1. Un manquement à des obligations légales et un manquement à des devoirs ne sont pas des causes d’action reconnues (La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205 au para 42);

  2. La faute commise dans l’exercice d’une charge publique, de pair avec l’article 181 des Règles, exige que les allégations concernant l’état d’esprit des défendeurs soient précisées (Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69 au para 32; Al Omani c Canada, 2017 CF 786 au para 51);

  3. Les éléments essentiels qui permettent de décider s’il y a eu abus de confiance (le caractère confidentiel de renseignements, leur communication dans des circonstances faisant naître une obligation de confidentialité, et leur emploi non autorisé des renseignements au détriment de la partie qui les a communiqués) ne sont pas établis (Lac MineralsLtd. c International Corona Resources Ltd., [1989] 2 RCS 574 au para 11);

  4. Une allégation de manquement à une obligation fiduciaire, laquelle exige que le défendeur ait agi dans son propre intérêt au détriment de ceux du bénéficiaire, et ce, d’une manière assimilable à un manque de loyauté, n’est pas établie non plus (KLB c Colombie‑Britannique, 2003 CSC 51 aux para 48‑50);

  5. L’allégation de négligence ou de déclaration par négligence n’est pas fondée parce qu’elle n’établit pas l’existence d’une obligation de diligence (Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 au para 30);

  6. L’allégation de complot exige que l’on identifie les parties, les relations entre elles ainsi que les actes commis en vue du complot. Elle doit être formulée avec clarté et n’est pas établie (Lauer c Canada (Procureur général), 2017 CAF 74 au para 24).

  7. Les allégations portant sur la violation de la Charte ne comportent pas de précisions ou ne satisfont pas aux critères juridiques respectifs.

[26] J’ai examiné la déclaration de la demanderesse, les dossiers de requête des parties ainsi que les documents qu’elles ont fournis à l’appui. À mon avis, la demanderesse fait de simples allégations à l’encontre de différentes personnes et d’organismes gouvernementaux et elle cite des causes d’action qui ne sont pas, comme le décrivent clairement les défendeurs, étayées dans les actes de procédure. Par conséquent, je conclus que la déclaration ne présente aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Je conclus également qu’elle est frivole et vexatoire parce qu’elle a trop peu de faits substantiels, de sorte que les défendeurs ne sont pas en mesure de savoir comment y répondre.

VI. Conclusion

[27] La déclaration de la demanderesse est radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier, conformément aux alinéas 221(1)a) et c) des Règles.

[28] Les défendeurs demandent pour les dépens une somme forfaitaire de 500 $. Au vu de l’historique de la présente instance, je considère que ce montant est approprié.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‑1140‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête des défendeurs est accueillie et la déclaration de la demanderesse est radiée sans autorisation de la modifier.

  2. Les dépens, fixés à 500 $, sont adjugés aux défendeurs.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1140‑19

 

INTITULÉ :

TANYA REBELLO c LE MINISTRE DE LA JUSTICE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE PREMIER MINISTRE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA ET TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2021

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2021

COMPARUTIONS :

La partie n’a pas comparu

POUR LA DEMANDERESSE
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Benjamin Wong

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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