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Date : 20210311


Dossier : T‑4‑20

Référence : 2021 CF 218

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

4053893 CANADA INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le Programme des divulgations volontaires (PDV) encourage les contribuables à faire, de leur propre initiative, une divulgation afin de corriger des renseignements inexacts ou incomplets qui ont déjà été transmis à l’Agence du revenu du Canada (ARC). Si un contribuable respecte les exigences du PDV, le ministre peut renoncer aux pénalités et réduire les intérêts à payer. Une condition essentielle du PDV est que la divulgation soit « volontaire ». Selon la circulaire d’information en vigueur à l’époque des faits pertinents, la divulgation n’était pas considérée comme « volontaire » si l’ARC avait pris, contre le contribuable ou une personne liée au contribuable, une mesure d’exécution concernant les renseignements divulgués, et que la mesure aurait permis de découvrir ces renseignements. La question à trancher en l’espèce est de savoir si la divulgation faite par 4053893 Canada Inc [405 Canada] quant à des déclarations non produites était volontaire au vu des mesures d’exécution que l’ARC avait déjà prises à l’égard de Brent Harris, l’unique propriétaire et administrateur de 405 Canada.

[2] M. Harris et 405 Canada n’ont pas produit de déclaration de revenus pendant environ une décennie. En août 2016, l’ARC a écrit et parlé à M. Harris au sujet de ses déclarations de revenus personnelles manquantes. En janvier 2017, 405 Canada a demandé un allégement dans le cadre du PDV pour les déclarations de revenus qu’elle n’avait pas produites de 2006 à 2015. Cette demande a été rejetée en 2018, mais le juge Gleeson de la Cour a annulé ce refus au motif que le ministre n’avait pas expliqué de quelle façon la mesure d’exécution prise à l’égard de M. Harris aurait probablement permis de découvrir les renseignements divulgués : 4053893 Canada Inc c Canada (Ministre du Revenu national), 2019 CF 51 aux para 17‑19.

[3] Au moment du nouvel examen, un délégué du ministre (que j’appellerai simplement le ministre) a de nouveau refusé l’allégement demandé au motif que la divulgation n’était pas volontaire. Dans une lettre du 3 décembre 2019 faisant état de la décision, le ministre a conclu que les renseignements divulgués auraient probablement été découverts grâce à la mesure d’exécution prise par l’ARC, car M. Harris avait confirmé que 405 Canada était active, qu’on l’avait avisé qu’il devait produire les déclarations de cette société et qu’il y avait des liens entre les documents déposés par M. Harris et ceux de ladite société. M. Harris conteste de nouveau cette décision, faisant valoir que la décision du ministre selon laquelle la divulgation n’était pas volontaire est déraisonnable.

[4] Après examen de la décision du ministre et des arguments avancés par 405 Canada, je conclus que la décision est raisonnable. La décision décrit les mesures d’exécution prises à l’égard de M. Harris et les renseignements révélés par ces mesures, notamment ceux contenus dans les déclarations de M. Harris en lien avec 405 Canada. Le ministre avait donc des motifs raisonnables de conclure que les mesures d’exécution allaient probablement révéler les renseignements divulgués. Contrairement à la décision antérieure qui a été cassée, cette décision du ministre explique adéquatement le fondement de cette conclusion. Je conviens avec 405 Canada que la lettre de décision fait référence à des questions moins pertinentes, comme les mesures d’exécution prises après la présentation de la demande au titre du PDV et les antécédents généraux de M. Harris en matière de non‑conformité. À mon avis, ces passages ne remettent pas en question le caractère raisonnable de la décision.

[5] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée avec dépens.

II. Norme de contrôle et questions en litige

[6] Les parties conviennent, et je suis d’accord avec elles, que la décision du ministre est assujettie à la norme de la décision raisonnable : Worsfold c Canada (Revenu national), 2012 CF 644 au para 104; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov (Vavilov), 2019 CSC 65 aux para 16‑17, 23‑25. La norme de la décision raisonnable impose à la Cour d’examiner les motifs de la décision dans leur contexte administratif afin de comprendre le raisonnement suivi et de déterminer si ces motifs respectent les exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, aux para 81‑85, 90‑96. Une décision raisonnable est une décision qui est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision : Vavilov, aux para 99‑101.

[7] Ainsi, la seule question à trancher en l’espèce est de savoir si la décision du ministre, selon laquelle la divulgation faite par 405 Canada n’était pas volontaire, est raisonnable.

III. Analyse

A. Le régime législatif

[8] La Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur la taxe d’accise prévoient le paiement d’intérêts sur l’impôt exigible et des pénalités en cas d’omission de produire une déclaration : Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp), art 161 et 162; Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15, art 280 et 280.1. L’article 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise, appelés « dispositions d’allégement pour les contribuables », confèrent au ministre le pouvoir discrétionnaire de renoncer à une partie ou à la totalité des intérêts et pénalités qui auraient dû être payés durant les dix années précédentes. Le PDV, un programme créé en vertu de ces dispositions et de dispositions semblables contenues dans d’autres lois, vise à préciser les circonstances dans lesquelles le ministre peut exercer ce pouvoir discrétionnaire.

[9] La société 405 Canada a déposé sa première divulgation « anonyme » dans le cadre du PDV en janvier 2017, et sa dernière, en juin 2017. À l’époque, le document sur le programme en vigueur était la circulaire d’information IC00‑1R5, Programme des divulgations volontaires, datée de janvier 2017. Le ministre a fondé sa décision sur la circulaire d’information IC00‑1R5 malgré la parution d’une nouvelle circulaire d’information (IC00‑1R6) en décembre 2017. Les parties conviennent qu’il s’agit du document applicable.

[10] La circulaire d’information comporte les explications suivantes sur les circonstances dans lesquelles une demande faite au titre du PDV est considérée comme volontaire :

Conditions d’une divulgation valide

31. Une divulgation doit remplir les quatre conditions suivantes afin d’être considérée comme une divulgation valide :

i) Volontaire

32. Une divulgation ne sera pas considérée comme une divulgation valide, sous réserve des exceptions du paragraphe 34, en vertu de la condition « volontaire » si l’ARC détermine ce qui suit :

le contribuable était au courant d’une vérification, d’une enquête ou d’autres mesures d’exécution que devait entreprendre l’ARC ou toute autre autorité ou administration, en ce qui concerne les renseignements divulgués à l’ARC; ou

les mesures d’exécution relatives à la divulgation ont été prises par l’ARC ou toute autre autorité ou administration, à l’égard du contribuable ou d’une personne associée ou apparentée avec le contribuable (y compris, sans toutefois s’y limiter, des sociétés, des actionnaires, des conjoints et des associés) ou contre n’importe quel autre tiers où le but et l’impact de l’action applicable contre le tiers est suffisamment lié à la divulgation actuelle; et

les mesures d’exécution sont susceptibles d’avoir révélé les renseignements divulgués.

[11] Ce paragraphe décrit deux cas où une divulgation ne sera pas considérée comme volontaire : (1) le contribuable savait qu’une mesure d’exécution devait être prise à l’égard des renseignements divulgués; ou (2) une mesure d’exécution suffisamment liée à la divulgation avait été prise à l’égard du contribuable, d’une personne liée au contribuable ou d’un tiers et la mesure d’exécution en question était susceptible de révéler les renseignements divulgués. Le ministre a fondé sa décision dans cette affaire sur le second cas. Il devait ainsi conclure que la mesure d’exécution était suffisamment liée à la divulgation et qu’elle était susceptible de révéler les renseignements divulgués. Une telle conclusion doit être fondée sur des éléments de preuve et non pas sur de simples hypothèses : Amour International Mines d’Or Ltée c Canada (Procureur général), 2010 CF 1070 aux para 26‑27.

[12] Pour mieux mettre en contexte l’examen du caractère volontaire, je précise que le paragraphe 34 de la circulaire d’information indique que « [c]e ne sont pas toutes les mesures d’exécution que l’ARC prend qui peuvent entraîner le refus d’une divulgation par cette dernière ». On y donne deux exemples de situation où une divulgation volontaire ne peut être refusée par suite d’une vérification faite par l’ARC : la vérification porte sur une question différente, ou encore les renseignements divulgués ne font pas partie du protocole de vérification.

B. La décision du ministre

[13] Le ministre a fait part de sa décision dans une lettre envoyée à M. Harris en date du 3 décembre 2019. Après avoir reproduit le libellé de la circulaire d’information, le ministre a fait la liste des 10 lettres d’avis de mesures d’exécution envoyées à M. Harris de 2013 à 2017, les deux dernières étant postérieures à la présentation, par 405 Canada, de la demande faite au titre du PDV. Il a également précisé que des lettres semblables avaient été envoyées à M. Harris entre 1993 et 2002, [traduction] « ce qui témoigne de ses antécédents de non‑conformité envers l’ARC ».

[14] Le ministre a ensuite fait référence à une autre lettre envoyée à M. Harris, le 18 août 2016, dans laquelle il lui demandait de produire ses déclarations de revenus T1 pour la période allant de 2006 à 2015, faute de quoi il pourrait [traduction] « établir des cotisations en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu » (aussi appelée « cotisations arbitraires »). Le même jour, un agent de l’ARC a appelé M. Harris. Il a rappelé le lendemain, le 19 août 2016. Voici les notes que l’agent a prises au cours de cet appel, telles qu’il les a consignées dans les dossiers numériques des mesures d’exécution de l’ARC :

[traduction]

CT [contribuable] a mentionné 4053893 Canada Inc. Il s’agit du NE [...]. Date de constitution en société : 2002 Aussi, les déclarations de revenus T2 n’ont pas encore été produites. Le CT dit qu’elle est active. Le CT a été informé de toutes ses obligations de production de déclarations de revenus T1 et T2. Le CT dit qu’il n’était pas au courant des P&I. J’ai informé le CT qu’une lettre avait été envoyée pour qu’il produise sa déclaration T1 au plus tard le 30 novembre 2016. Mais les déclarations T2 doivent être produites en premier. Le CT n’a pas de REP [représentant] et doit en trouver un. Il a accepté de m’appeler la semaine prochaine pour m’informer des progrès. Mesure à prendre : Ce compte ne m’a pas encore été attribué. Aussi, je vais demander la société.

[Non souligné dans l’original.]

[15] La décision du ministre sur la demande présentée au titre du PDV résume les trois points de l’appel téléphonique que j’ai soulignés ci‑dessus. Elle comporte ensuite l’analyse suivante sur le caractère volontaire de la divulgation :

[traduction]

L’ARC a été en mesure d’établir un lien direct entre M. Harris et sa société, 4053893 Canada Inc., puisqu’il en est le propriétaire unique. L’ARC a été en mesure d’établir un lien entre le revenu d’emploi inscrit dans les déclarations T1 (ligne 101) et le montant inscrit dans les feuillets T4 connexes, ainsi qu’avec le revenu de dividendes inscrit dans les déclarations T1 (ligne 120), celui sur les déclarations T2 (annexes 100 et 125) et sur les feuillets T5 connexes. Elle a également établi un lien entre l’information inscrite dans les déclarations T2 et celle inscrite dans les déclarations CT23 et de TPS. À l’époque où 405893 [sic] Canada Inc. a présenté sa demande de divulgation volontaire, les déclarations de revenus des particuliers de M. Harris n’avaient toujours pas été produites.

De plus, toutes ces déclarations faisaient partie de la demande initiale. L’ARC a conclu que, en partie en raison de leur nature, les renseignements et les montants faisant l’objet de la divulgation auraient été découverts.

[Non souligné dans l’original.]

[16] La décision du ministre était fondée sur un rapport préparé par un agent du programme des divulgations volontaires et approuvé par un chef d’équipe qui était un délégué du ministre. Le rapport et la lettre de décision font état des mêmes motifs de décision, bien que le rapport soit plus détaillé. Comme la Cour l’a conclu, le contenu du rapport peut servir de justification et pourrait constituer une partie des motifs de la décision : Lambert c Canada (Procureur général) 2015 CF 1236 para 35; Vavilov, aux para 94‑98.

C. La décision du ministre est raisonnable

[17] 405 Canada conteste plusieurs aspects de la décision du ministre. Tout d’abord, elle soutient que les nombreuses lettres d’avis de mesures d’exécution que l’ARC a envoyées à M. Harris n’ont pas incité ce dernier à produire des déclarations qui ont révélé les renseignements divulgués. Elles n’ont pas non plus été suivies par la prise de mesures d’exécution par l’ARC à l’endroit de 405 Canada. Ainsi, affirme‑t‑elle, le ministre aurait dû conclure que les mesures d’exécution de 2016 auraient probablement eu le même résultat, au lieu de conclure qu’elles auraient révélé de nouveaux renseignements. 405 Canada fait valoir que le ministre n’a pas expliqué pourquoi il aurait fallu s’attendre à ce que la lettre d’août 2016 donne un résultat différent de celui des lettres précédentes.

[18] Je ne peux accepter cet argument, et ce, pour trois raisons. Premièrement, la lettre du 18 août 2016 ne peut être considérée isolément. Un employé de l’ARC a aussi téléphoné directement à M. Harris le même jour. Ce dernier a ensuite rappelé l’agence et ils ont eu la discussion rapportée ci‑dessus. Ces appels entrent dans la définition générale de « mesures d’exécution » qui figure dans la circulaire d’information. En effet, une telle mesure peut consister en « un contact direct par un employé de l’ARC pour toute raison liée à l’inobservation ». Il ressort de cette discussion, qui a été consignée, que 405 Canada a été identifiée en tant que contribuable lié, que 405 Canada n’avait pas respecté ses obligations en matière de production de déclarations T2, et que l’ARC a informé M. Harris que les déclarations T2 de la société devaient être produites, ce qui va bien au‑delà du contenu des premières lettres.

[19] Deuxièmement, la mesure d’exécution a incité M. Harris à produire ses déclarations, qui contenaient des renseignements sur le revenu d’emploi et le revenu de dividendes de 405 Canada. Même si les déclarations n’ont été produites qu’après le dépôt de la demande faite au titre du PDV, il n’en demeure pas moins que l’information en question a été découverte grâce à la mesure d’exécution. Il serait illogique de considérer qu’une divulgation est volontaire simplement parce qu’un contribuable lié a produit les déclarations révélant les mêmes renseignements après avoir présenté une demande au titre du PDV. S’il est vrai que l’analyse exigée par le PDV impose de se demander si la mesure d’exécution était susceptible de révéler l’information, plutôt que si elle l’a fait, le fait que la mesure ait révélé l’information est pertinent pour l’évaluation.

[20] Enfin, il est inopportun que 405 Canada s’appuie sur les antécédents de non‑conformité de son directeur. Je doute qu’une société contribuable puisse se fonder sur de tels antécédents pour faire valoir qu’il était peu probable qu’une mesure d’exécution donne des résultats. Même si elle le pouvait, il reste que l’ARC a pris d’autres mesures d’exécution en 2016, en plus des lettres qui n’ont pas mené à la production des déclarations. L’historique des mesures d’exécution prises entre 2012 à 2015 est donc peu utile pour évaluer la probabilité que les mesures d’exécution de 2016 aient permis de découvrir les renseignements divulgués. Il n’était donc déraisonnable pour le ministre de conclure comme il l’a fait, malgré l’historique de non‑conformité aux lettres d’avis de mesures d’exécution. Il n’était pas non plus nécessaire que le ministre explique pourquoi aucune mesure d’exécution n’avait été prise à l’égard de la société après l’envoi des lettres précédentes.

[21] Je fais également remarquer que le rapport sur lequel repose la décision précise que l’ARC savait que 405 Canada était en défaut de produire des déclarations, comme elle lui avait déjà envoyé des lettres d’avis de mesures d’exécution pour les années d’imposition de 2002 à 2006. La dernière concernait certaines des années sur lesquelles portait la demande présentée au titre du PDV. D’après le rapport, aucune autre mesure d’exécution n’a été prise par l’ARC puisqu’elle ne disposait d’aucun renseignement pour établir des cotisations arbitraires. L’ARC n’est pas tenue de prendre des mesures d’exécution particulières, et son « enthousiasme » pour les activités de recouvrement ne commande pas qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire : Bontje c Canada (Procureur général), 2011 CF 165 au para 28, confirmé par 2012 CAF 53. Cela dit, l’énoncé expliquant pourquoi aucune autre mesure n’a été prise répond avec encore plus de détails à l’argument de 405 Canada, qui prétend que si l’ARC n’a pas pris de mesures d’exécution à son endroit, c’est que la divulgation était volontaire.

[22] 405 Canada soutient ensuite que l’évaluation de la probabilité devrait se fonder sur les mesures d’exécution en question et sur leurs effets probables si elles avaient été prises. Dans la lettre du 18 août 2016, l’ARC avertissait M. Harris qu’elle pouvait procéder à l’établissement d’une cotisation arbitraire s’il ne produisait pas ses déclarations. Comme l’établissement d’une cotisation arbitraire à l’endroit de M. Harris n’aurait permis de découvrir aucun renseignement sur 405 Canada, celle‑ci fait valoir que la divulgation ne devrait pas être considérée comme involontaire. Je ne suis pas d’accord. Même si la lettre d’avis de mesures d’exécution faisait référence à l’établissement d’une cotisation arbitraire, ce n’était pas la seule option dont l’ARC disposait. De toute évidence, la lettre visait à inciter M. Harris à produire ses déclarations. De plus, l’ARC a envoyé la lettre le même jour qu’elle a appelé M. Harris, si bien qu’elle l’a informé personnellement qu’il devait produire des déclarations, notamment celles de la société. Je conviens que l’examen relatif à la probabilité de découvrir les renseignements divulgués devrait tenir compte des réalités pratiques des mesures et protocoles d’exécution de l’ARC : Matthew Boadi Professional Corporation c Canada (Procureur général) 2018 CF 53 aux para 27‑28. Il ne faut cependant pas qu’il se limite à une seule des mesures mentionnées dans la lettre, surtout si les faits montrent que d’autres mesures d’exécution ont été prises.

[23] 405 Canada affirme que la décision du ministre est entachée de la même erreur que la décision antérieure qui a été infirmée par le juge Gleeson, à savoir que le ministre n’a pas expliqué de façon adéquate en quoi la mesure d’exécution prise à l’égard de M. Harris aurait « pour conséquence » que des renseignements sur 405 Canada seraient découverts : 4053893 Canada Inc, aux para 17‑19. Or, contrairement à la décision antérieure, le ministre ne s’est pas simplement appuyé sur le rapport entre les deux contribuables pour conclure que la mesure d’exécution était suffisamment liée, ou encore qu’elle aurait vraisemblablement permis de découvrir l’information. En fait, le ministre a présenté des renseignements précis tirés des déclarations de revenus de M. Harris qui ont révélé des renseignements sur 405 Canada. En particulier, les déclarations T1 de M. Harris font état depuis 2006 de revenus d’emploi et de revenus de dividendes tirés de 405 Canada. Il s’agit des mêmes montants qui figurent sur les feuillets T4 et T5, ainsi que sur les déclarations de la société, T2, CT23 et TPS, produites par 405 Canada. Les déclarations de revenus de M. Harris ont donc permis au ministre d’établir un lien direct entre la source des revenus déclarés et 405 Canada. Bien que les motifs du ministre soient brefs, ils sont étayés par le rapport sur lequel ils se fondent. Ainsi, je suis convaincu que, eu égard au contexte administratif dans lequel ils s’inscrivent, ils sont suffisants pour répondre aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité : Vavilov, aux para 89‑96.

[24] 405 Canada soutient également que la décision du ministre est déraisonnable, car elle fait référence à deux points sans rapport avec la question du caractère volontaire : les deux lettres envoyées à M. Harris après qu’il eut présenté sa demande au titre du PDV, et l’observation selon laquelle M. Harris avait [traduction] « des antécédents de non‑conformité ». Le ministre devait déterminer si les mesures d’exécution « prises par l’ARC » à l’endroit du contribuable lié étaient suffisamment liées à la divulgation et si elles étaient susceptibles d’avoir révélé les renseignements divulgués. Je conviens avec 405 Canada que les lettres envoyées après le dépôt de la demande présentée au titre du PDV n’étaient pas pertinentes pour la décision. Les antécédents de non‑conformité de M. Harris n’étaient pas non plus, à eux seuls, directement pertinents pour cette question. Cela dit, bien que le ministre fasse état de ces points dans ses motifs, lorsqu’il décrit les mesures d’exécution prises par le passé, il ne les mentionne pas lorsqu’il arrive à la conclusion que la divulgation n’était pas volontaire. Le raisonnement du ministre repose plutôt sur la lettre du 18 août 2016, la conversation téléphonique du 19 août 2016 et le contenu des déclarations de revenus de M. Harris. Dans les circonstances, je ne saurais conclure que la mention des deux dernières lettres d’avis de mesures d’exécution ou des antécédents de non‑conformité est déraisonnable, et encore moins qu’elle est à l’origine de « lacunes graves à un point tel » qu’elle invalide la décision : Vavilov, au para 100.

[25] Enfin, 405 Canada conteste deux aspects de la preuve présentée à la Cour. Premièrement, elle fait remarquer que le dossier certifié du tribunal (DCT) préparé par l’ARC ne comprenait pas les déclarations de revenus produites par M. Harris ou par elle‑même. Elle soutient que la Cour n’a donc pas été en mesure de vérifier la véracité ou la fiabilité des déclarations du ministre au sujet de la corrélation entre les déclarations de revenus personnelles et les renseignements divulgués. Cet argument ne peut tenir. Selon l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, toute partie peut demander la transmission de documents qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral. La partie demanderesse doit alors décrire dans son dossier de requête, le dossier de preuve qui est nécessaire pour la demande de contrôle judiciaire, lequel peut comprendre des documents du DCT ainsi que des documents qui ont été présentés à l’office fédéral, mais qui ne figurent pas dans le DCT : Règles des Cours fédérales, article 309(2); Canada (Procureur général) c Canadian North Inc, 2007 CAF 42 aux para 7‑12; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 aux para 13‑18. 405 Canada a suivi cette règle en versant dans son dossier de demande les documents du DCT et d’autres documents en sa possession qui n’étaient pas dans le DCT, notamment la lettre d’avis de mesures d’exécution du 18 août 2016 envoyée à M. Harris.

[26] Rien n’indique que 405 Canada n’avait pas accès à ses propres déclarations de revenus ou à celles de son directeur. Comme elle n’a pas versé ces documents à son dossier de demande, elle ne peut pas maintenant se plaindre qu’il est incomplet. Quoi qu’il en soit, comme le ministre l’a à juste titre rappelé, c’était à 405 Canada qu’il incombait de démontrer que la décision était déraisonnable. 405 Canada n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que les déclarations du ministre selon lesquelles il pouvait établir une corrélation entre les déclarations de revenus étaient déraisonnables. Elle ne peut maintenant invoquer le contenu du DCT, ou le fait que le ministre n’a pas déposé d’affidavits en réponse, pour tenter d’imposer au ministre le fardeau d’établir le caractère raisonnable de sa décision.

[27] Deuxièmement, 405 Canada soutient que la preuve relative à la conversation téléphonique du 19 août 2016 était insuffisante. Se fondant sur la décision Chou de notre Cour, elle soutient que les notes consignées dans le journal numérique du système de dossiers de l’ARC ne sont pas des éléments admissibles relatifs au contenu des conversations : Chou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 14890 aux para 4‑14, confirmée par 2001 CAF 299.

[28] La principale raison de rejeter cet argument est qu’il a déjà été rejeté par le juge Gleeson. Au paragraphe 21 de sa décision sur la première demande de contrôle judiciaire de 405 Canada, le juge Gleeson a conclu :

Il ne fait aucun doute que les notes font partie du dossier en l’espèce et qu’il était loisible à la déléguée de les prendre en considération. Dans la décision Chou, on a demandé à la Cour d’examiner le contenu des notes d’un agent des visas concernant ce qui s’est produit lors d’une entrevue. En l’espèce, le défendeur soutient que la déléguée était régulièrement saisie des notes, peu importe leur contenu, et que la déléguée n’a commis aucune erreur lorsqu’elle s’est fondée sur ces notes. Je souscris à cette prétention. La présente espèce se distingue de la décision Chou : dans cette affaire, on avait demandé à la Cour elle‑même d’examiner le contenu des notes d’un agent, tandis que, en l’espèce, j’examine la décision de la déléguée fondée sur le dossier dont elle était saisie, lequel contenait les notes d’un agent de l’ARC.

[Non souligné dans l’original.]

[29] 405 Canada accepte cette décision et convient que les notes font partie du dossier. Toutefois, elle continue de soutenir que des éléments de preuve supplémentaires sur la substance ou le contenu de l’appel téléphonique, comme un affidavit de l’agent de l’ARC, sont nécessaires pour lui permettre de mener un contre‑interrogatoire sur le contenu de l’appel, ainsi que pour permettre à la Cour d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’ARC. Je ne peux admettre qu’il y a là une distinction avec la décision antérieure de la Cour. Le juge Gleeson a également évalué le caractère raisonnable de la décision de l’ARC. Or, il a rejeté l’argument selon lequel d’autres éléments de preuve sur le contenu de l’appel étaient nécessaires.

[30] Quoi qu’il en soit, je souscris à l’analyse du juge Gleeson. À ce sujet, je souhaite ajouter les observations suivantes. Les règles de preuve qu’un décideur administratif doit appliquer ne correspondent pas nécessairement à celles d’un tribunal judiciaire : Administration de L’aéroport de Vancouver c Commissaire de la concurrence, 2018 CAF 24 au para 25. Dans l’application des lois fiscales canadiennes, notamment des dispositions d’allégement pour les contribuables, le ministre et ses délégués doivent pouvoir recevoir des éléments de preuve, comme des déclarations non assermentées ou des preuves par ouï‑dire, qui pourraient ne pas respecter les règles de preuve applicables en matière judiciaire. En particulier, compte tenu du nombre d’agents chargés de l’administration et de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la taxe d’accise, le ministre doit pouvoir se fonder sur les notes prises au cours des communications avec les contribuables qui sont consignées dans le système de dossiers électroniques. Cela est d’autant plus vrai lorsque le contribuable ne présente pas de renseignements contredisant les notes de sorte à laisser croire qu’elles ne reflètent pas la conversation. Par conséquent, je ne peux conclure qu’il était déraisonnable pour le ministre de se fonder sur les notes de l’agent, qui reflétaient le contenu de l’appel, sans les confirmer de façon indépendante auprès de l’agent.

[31] Cela étant, il n’est pas nécessaire de déposer à la Cour d’autres éléments de preuve sur le contenu des notes pour lui permettre d’évaluer le caractère raisonnable de la décision. En fait, si le ministre avait déposé, dans la présente demande, un affidavit concernant le contenu de la conversation téléphonique, comme le suggère 405 Canada, il se serait agi d’un nouvel élément de preuve dont ne disposait pas le décideur. En général, ce type de nouvel élément de preuve, qui touche au fond, est inadmissible dans une demande de contrôle judiciaire : (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 18‑20). Si 405 Canada voulait remettre en question le contenu du résumé de l’appel téléphonique qui se trouve dans les notes, elle aurait pu et aurait dû présenter une preuve à cet effet au ministre.

[32] Si le ministre s’était appuyé sur les notes relatives à l’appel téléphonique sans que 405 Canada ait eu connaissance de ces notes ou ait eu la possibilité de les contester, la question d’équité relevée par le juge Gleeson aurait été pertinente : 4053893 Canada Inc, au para 21. Les éléments de preuve relatifs à un tel vice de procédure et à son incidence pourraient être admis par la Cour même s’ils n’ont pas été présentés au décideur : Access Copyright (2012), au para 20. Or, dans le cas qui nous occupe, 405 Canada avait connaissance des notes et aurait pu faire part à l’ARC de toute préoccupation au sujet de leur contenu, ou lui présenter tout élément de preuve contraire. Elle ne l’a pas fait. Elle n’a soulevé aucun argument sur l’équité en rapport avec les notes prises lors de l’appel téléphonique dont il est question dans la présente demande.

IV. Conclusion

[33] 405 Canada n’a pas établi que la décision du ministre est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[34] Lors de l’audition de la demande, les parties ont fait savoir qu’elles s’étaient entendues sur la question des dépens. J’ordonne donc que les dépens soient payables conformément à cette entente.


JUGEMENT rendu dans le dossier T‑4‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens sont payables conformément à l’entente conclue entre les parties.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑4‑20

 

INTITULÉ :

4053893 CANADA INC c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 24 NOVEMBRE 2020, À OTTAWA (ONTARIO) (LA COUR) ET À TORONTO (ONTARIO) (LES PARTIES)

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 mars 2021

 

COMPARUTIONS :

Domenic Marciano

 

Pour la demanderesse

 

Alisa Apostle

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MARCIANO BECKENSTEIN LLP

Concord (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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