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Date : 20050207

Dossier : IMM-4150-04

Référence : 2005 CF 154

Ottawa (Ontario), le 7 février 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

TSHIBUNDA LEAH KABEDI

et

BOKEKO THOMAS KALONDA

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c.27 (Loi), a été déposée à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) rendue le 7 avril 2004. Dans cette décision, le tribunal a conclu que les demandeurs ne satisfaisaient pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de « personne à protéger » à l'article 97.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que les demandeurs n'ont pas réussi à établir leur identité de façon satisfaisante?

2.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que les demandeurs ne sont pas crédibles?

3.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en n'accordant aucune valeur probante à la preuve médicale déposée par les demandeurs?

4.         Est-ce que le tribunal a erré dans ses conclusions en ce qui a trait à la preuve documentaire sur les conditions de vie en République démocratique du Congo?

[3]                Pour les raisons qui suivent, je réponds négativement aux quatre questions ci-dessus. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

MISE EN CONTEXTE

[4]                Les demandeurs sont des ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC). Ils sont mariés et parents d'un enfant né au Canada le 12 juillet 2003. Ils allèguent une crainte raisonnable de persécution en raison de leurs origines ethniques et en raison du fait qu'ils opéraient un commerce de cabines téléphoniques, ce qui les a rendus suspects aux yeux des autorités. Ils allèguent craindre un risque de torture et de traitements ou peines cruels et inusités s'ils devaient retourner dans leur pays d'origine.


DÉCISION CONTESTÉE

[5]                Le tribunal conclut que les demandeurs ne sont pas crédibles. Il considère que ces derniers n'ont pas produit de documents d'identité acceptables selon l'article 106 de la Loi. Il croit aussi qu'ils n'ont jamais opéré un commerce « d'appels téléphoniques » et décide de n'accorder aucune valeur aux documents démontrant que la demanderesse fut hospitalisée. La décideure constate aussi une absence de crainte objective.

ANALYSE

1.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que les demandeurs n'ont pas réussi à établir leur identité de façon satisfaisante?

[6]                L'article 106 de la Loi prévoit qu'il appartient au revendicateur de démontrer son identité. Une absence de papiers acceptables peut entacher la crédibilité d'un réclamant. L'article 106 se lit comme suit :


Étrangers sans papier

Crédibilité

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer.

Claimant Without Identification

Credibility

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.


[7]                La norme de contrôle au sujet de l'appréciation de la valeur probante des pièces d'identité est celle de l'erreur manifestement déraisonnable : Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 132 F.T.R. 35 (C.F. 1ère inst.) paragraphe 15; Mbabazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1623 (C.F. 1ère inst.) (QL) paragraphe 7 et Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1103 (C.F. 1ère inst.) (QL) paragraphe 6).

[8]                Selon le tribunal, les demandeurs n'ont pas soumis de preuve prouvant leur identité. Ils ont chacun déposé une attestation de perte de pièce d'identité (P-4 et P-7), un extrait d'acte de naissance (P-3 et P-6) et une attestation du mariage coutumier monogamique (P-5), lesquels ont été saisis par Immigration Canada.

[9]                La décideure a relevé plusieurs erreurs dans ces documents. Elle est d'avis que le demandeur n'a pas donné d'explication satisfaisante pour justifier la faute d'orthographe dans son nom. Sur certains documents le nom du demandeur est écrit « Bobeco » et sur d'autres        « Bobeko » . Le demandeur prétend que cette erreur est le résultat de la prononciation très similaire de la lettre « k » et « b » .


[10]            L'indication de l'occupation des demandeurs ne correspond pas à la réalité. Pour le demandeur, il est désigné comme employé alors qu'il est commerçant. Quant à la demanderesse, elle est décrite comme étudiante alors qu'elle travaille avec son époux. Ces erreurs n'ont pas été corrigées ne sachant pas que des problèmes surgiraient, disent-ils. La commissaire a aussi décidé de ne pas accorder de valeur probante aux attestations de perte de pièces d'identité puisqu'elles ne portent pas le timbre fiscal et le cachet de sécurité identifiant le bourgmestre.

[11]            Les certificats de naissance ainsi que l'attestation de mariage ont été mis de côté puisqu'ils ne portaient pas le timbre et n'étaient pas signés par les déclarants et les témoins (pièce A-4, Réponse à la demande d'information RDC37263.F, 6 juin 2003). Selon la preuve documentaire, les timbres font la preuve de paiements des frais administratifs exigibles pour obtenir un document (pièce A-1, point 2.2 du cartable régional de Montréal sur la RDC, « RDC40199F » 2 octobre 2002) et sont apposés sur tout document émanant de la commune (pièce A-1, point 2.3 du cartable régional de Montréal sur le RDC, « RDC40295.F » ). Les documents déposés avaient été émis plus de deux ans après l'entrée en vigueur de cette pratique.

[12]            J'admets qu'il est quelque peu invraisemblable que les attestations de perte des pièces d'identité ne soient pas munies du cachet de sécurité identifiant le bourgmestre; que le certificat de naissance de la demanderesse daté en 2002, le certificat de mariage émis en 2001, ne soient pas munis du timbre. L'intervention de la Cour n'est donc pas nécessaire ici.


2.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que les demandeurs ne sont pas crédibles?

[13]            En matière de crédibilité, c'est la même norme qui s'applique (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL) au paragraphe 4.

[14]            La Cour ne peut substituer sa décision à celle du tribunal à moins que le demandeur réussisse à établir qu'une conclusion de fait est erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou ne tient pas compte des éléments de preuve (Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296 (C.F. 1ère inst.) (QL) paragraphe 14, et l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

[15]            Ici, la décideure a contasté que le demandeur avait rendu un témoignage vague, général et dénué de toute spontanéité lorsqu'il a été invité à décrire les démarches entreprises afin de mettre sur pied son commerce d'appels téléphoniques. Il a été laborieux pour le demandeur d'expliquer comment il avait obtenu son permis d'exploitation et avec quelle compagnie de téléphone il faisait affaire.

[16]            Le demandeur prétend que les profits engendrés par son commerce étaient en devise américaine alors qu'en RDC, c'est le franc congolais qui est la monnaie utilisée. La preuve documentaire (cartable régional de Montréal, soit le document RDC38431.F, page 0132, dossier du tribunal) indique ce qui suit :


RDC38431.F27 février 2002

[...]

Depuis le 30 juin 1998, date de l'introduction du « franc congolais » (FC) en République démocratique du Congo (RDC), les frais administratifs ou juridiques liés à l'obtention des documents officiels sont payés en francs congolais (FC). Les timbres que l'on appose auxdits documents portent le montant des frais payés suivi de la mention « FC » signifiant « francs congolais » .

Le juriste congolais a expliqué par ailleur, qu'en janvier 1999, un décret présidentiel interdisait déjà toute utilisation de monnaies autres que le franc congolais sur tout le territoire national.

Pour plus d'information sur cette interdiction, veuillez consulter RDC35805.F et RDC34669.F, respectivement du 16 novembre 2000 et du 28 juillet 2000.

[17]            Les documents RDC35805.F et RDC34669.F établissent ce qui suit :

Jointe à Bruxelles le 16 novembre 2000, une journaliste au journal belge Le Soir, spécialiste de la région des Grands Lacs africains, a signalé que le gouvernement actuellement en place en République démocratique du Congo interdit le port et l'utilisation des devises étrangères, y compris les dollars américains, sur tout le territoire national. Selon la journaliste, seule la monnaie locale, le franc congolais, a cours dans le pays (ibid.). Les personnes qui possèdent des devises étrangères sont tenues de les convertir en monnaie congolaise aux bureaux de change autorisés par le gouvernement (ibid.).(RDC35805.F)

*********************************************************************

En janvier 1999, un décret présidentiel, le décret-loi no 177 (ICG 21 sept. 1999, 24), interdit toute transaction en devises étrangères dans tout le pays (AFP 22 janv. 1999; ICG 21 sept. 1999, 24; Le Monde 20 mars 1999; ASADHO 1999; Info-Congo 27 janv. 1999, 6; IPS 15 janv. 1999). Le décret stipule, entre autres, que « désormais toutes les transactions se déroulant sur le territoire national doivent s'exprimer et s'effectuer en monnaie nationale, le Franc congolais » (Info-Congo 27 janv. 1999, 6). La mesure impose également un taux de change officiel et exige que les opérations de change se fassent à la Banque centrale ou dans des bureaux de change agréés (AFP 22 janv. 1999; ICG 21 sept. 1999, 24; Le Monde 20 mars 1999).

[18]            J'en conclus donc qu'en ce qui concerne la crédibilité des demandeurs, il n'y a pas d'erreur manifestement déraisonnable dans la décision.


3.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en n'accordant aucune valeur probante à la preuve médicale déposée par les demandeurs?

[19]            La jurisprudence en semblable matière établit qu'il appartient au tribunal de juger de la valeur à accorder à la preuve d'un expert. Dans la décision R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24 aux paragraphes 41 et 48, la Cour suprême du Canada s'est exprimée comme suit :

Un témoin expert, comme tout autre témoin, peut témoigner quant à l'exactitude des faits dont il a une expérience directe, mais ce n'est pas là l'objet principal de son témoignage. L'expert est là pour exprimer une opinion et cette opinion est le plus souvent fondée sur un ouï-dire. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les opinions de psychiatres.

[...] Pour que l'opinion d'un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d'abord conclure à l'existence des faits sur lesquels se fonde l'opinion. [Je souligne]

[20]            La juge Reed dans la décision Danailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (C.F. 1ère inst.) (QL) au paragraphe 2 a expliqué que :

[...] Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait. [Je souligne]

[21]            Dans la cause qui nous occupe, les demandeurs n'ont pas été jugés crédibles. Le tribunal pouvait donc mettre de côté les documents médicaux car à son avis ces documents n'établissaient aucun lien avec la persécution alléguée.


4.         Est-ce que le tribunal a erré dans ses conclusions en ce qui a trait à la preuve documentaire sur les conditions de vie en République démocratique du Congo?

[22]            Les demandeurs allèguent qu'un document déposé en preuve corrobore tout à fait leur histoire (US Department of State, Country Report on Human Rights Practice pour l'année 2002, page 14/32, section 1(f) - voir p. 158 du dossier des demandeurs). Les passages que les demandeurs prétendent pertinents sont les suivants :

There were some reported cases in which security forces raided private businesses and arrested employees accused of collaborating with rebel forces or attacking state security (see section 1.d.); however, there were fewer reported cases than in the previous years.

ANR security agents monitored mail passing through private express delivery companies as well as through the very limited state mail service. The Government widely was believed to monitor some telephone communications.

[23]            Pour que ces commentaires aient été d'une quelconque pertinence, il aurait fallu que les demandeurs démontrent de façon satisfaisante qu'ils étaient bel et bien propriétaires d'une entreprise d'appels téléphoniques. Le tribunal en est arrivé à une conclusion différente. Encore une fois, je n'ai pas noté d'erreur révisable.

[24]            Les parties ont décliné de soumettre des questions à certifier. Je considère que ce dossier n'en soulève aucune.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

              « Michel Beaudry »                             

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-4150-04

INTITULÉ :                                                     TSHIBUNDA LEAH KABEDI et

BOKEKO THOMAS KALONDA c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ                                                                             ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 20 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   le 7 février 2005

COMPARUTIONS :

Dany Brouillette                                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Michel Pépin                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dany Brouillette                                                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)       

John H. Sims, c.r.                                             POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)       


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