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Date : 20210310


Dossier : T-1244-19

Référence : 2021 CF 221

Montréal (Québec), le 10 mars 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

LUCIEN RÉMILLARD

demandeur

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Lucien Rémillard [M. Rémillard], allègue que les réponses à certains engagements souscrits par un des vérificateurs [Vérificateur] de l’Agence du revenu du Canada [ARC] lors de son contre-interrogatoire sur affidavit sont incomplètes, car elles feraient référence à des documents qui n’ont pas été communiqués.

[2] M. Rémillard ne m’a pas convaincu que les réponses transmises aux engagements souscrits sont incomplètes ou insatisfaisantes. L’obligation de répondre aux engagements se limite à l’engagement qui a été librement souscrit. Les références qui se trouvent dans les documents transmis en réponse aux engagements ne m’apparaissent pas nécessaires à la compréhension des documents eux-mêmes. Ces documents sont complets en soi et il n’est donc pas opportun d’ordonner la divulgation des autres documents qui y sont mentionnés et que M. Rémillard aimerait obtenir.

[3] Je rejette donc la requête.

II. Faits

[4] M. Rémillard est un homme d’affaires retraité qui soutient s’être établi à la Barbade et être ainsi devenu un non-résident aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR], à partir du 15 novembre 2013.

[5] Depuis 2015, la ministre du Revenu national du Canada [Ministre] vérifie le statut de résidence de M. Rémillard, sans en être arrivée à une conclusion à ce jour. Au cours de cette vérification, l’ARC a fait des demandes d’assistance administrative auprès de différents pays, demandes contestées par M. Rémillard le 31 juillet 2019 par voie de demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler lesdites demandes d’assistance administrative.

[6] Selon le dernier avis de demande ré-réamendé de M. Rémillard du 7 mars 2021, ces demandes devraient être cassées puisqu’elles seraient fondées sur des renseignements erronés et auraient été produites en violation à l’équité procédurale ainsi qu’à l’extérieur de la compétence de l’ARC.

[7] Les faits ainsi que l’historique procédural plus détaillé du présent dossier se trouvent dans le jugement portant sur la requête en confidentialité que j’ai rendu le 17 novembre 2020 (Rémillard c Canada (Revenu national), 2020 CF 1061).

[8] Depuis cette décision et conformément à l’échéancier compris dans ma directive du 20 novembre 2020, les parties se sont communiqué des affidavits complémentaires et les affiants des parties ont été contre-interrogés de part et d’autre.

[9] Un des affiants de la Ministre contre-interrogée par M. Rémillard était le Vérificateur dont le contre-interrogatoire s’est déroulé le 13 novembre 2020 ainsi que les 9 et 11 décembre 2020.

[10] Bien qu'il n’y ait aucune obligation de le faire dans le cadre d’un contre-interrogatoire sur affidavit, la Ministre a accepté divers engagements, et le 5 février 2020, elle a communiqué à M. Rémillard les réponses aux engagements que le Vérificateur a souscrits lors de son contre-interrogatoire.

[11] M. Rémillard alléguait que les réponses transmises aux engagements E-1, E-3, E-4, E-21, E-24 et E-28 étaient incomplètes, mais suite à des discussions entre les parties en marge de l’audition sur la présente requête, M. Rémillard ne conteste maintenant que les réponses aux engagements E-1 et E-3. Selon M. Rémillard, ces réponses seraient incomplètes puisqu’elles feraient référence à des documents qui n’ont pas été communiqués. M. Rémillard demande donc à cette Cour d’ordonner à la Ministre de fournir des compléments de réponses à ces engagements.

III. Question en litige

[12] Est-ce que cette Cour doit ordonner à la Ministre de fournir les compléments de réponse aux engagements E-1 et E-3 souscrits par le Vérificateur?

IV. Cadre juridique

[13] Question de situer le débat, mais sans s’éterniser sur le sujet, il est clair que les principes de base applicables au contre-interrogatoire sur affidavit ne sont pas les mêmes que ceux applicables à l’interrogatoire au préalable (Merck Frosst Canada Inc c Canada (ministre de la Santé), [1997] ACF no 1847 au para 4).

[14] Il est aussi clair qu’un engagement librement souscrit lors d’un contre-interrogatoire sur affidavit doit être répondu et qu’on ne peut exiger de la partie que les engagements qu’elle a sans équivoque accepté de faire (Autodata Ltd. c Autodata Solutions Co., 2004 CF 1361 [Autodata]). Toutefois, l’objection qui sous-tend un engagement pris sous réserve devient académique lorsque l’engagement a été répondu (Ottawa Athletic Club inc. (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group inc., 2014 CF 672 au para 135).

[15] De plus, rien dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ne permet à M. Rémillard de rouvrir le contre-interrogatoire et de poser des questions de suivi ou demander la production de documents supplémentaires suite à la transmission de l’engagement (Autodata aux paras 19-20).

V. Analyse

A. Est-ce que cette Cour doit ordonner à la Ministre de fournir les compléments de réponses aux engagements E-1 et E-3 souscrits par le Vérificateur?

[16] L’engagement E-1 visait « une copie du rapport initial ou du renvoi initial ».

[17] M. Rémillard accepte que la copie de ce rapport a bel et bien été transmise. Il n’y a pas de litige sur ce sujet. Or, selon M. Rémillard, cela ne serait pas suffisant. À plusieurs reprises à travers le rapport, celui-ci fait référence à un dossier « OneNote » qui fournirait davantage de détails au lecteur dudit rapport. Ce dossier contiendrait d’autres documents ou notes concernant M. Rémillard qui auraient servi à la rédaction du rapport. Ainsi, M. Rémillard soutient que la réponse à l’engagement ne sera pas satisfaisante tant qu’il n’aura pas reçu une copie du dossier « OneNote » puisque ce dossier serait essentiel à la compréhension du rapport.

[18] De plus, M. Rémillard, en s’appuyant notamment sur la décision Janssen Inc. c Apotex Inc., 2018 CF 407 au paragraphe 10 [Janssen], soutient avec vigueur que le fardeau de preuve repose sur la Ministre de démontrer que le dossier « OneNote » ne fait pas partie de l’engagement.

[19] L’information revendiquée dans Janssen était de l’information qui avait été caviardée par la partie qui devait répondre à l’engagement. J’accepte que dans ce contexte, comme l’a dit la Protonotaire Tabib, le fardeau de démontrer que l’information a été correctement caviardée repose sur la partie qui répond à l’engagement (Janssen au para 10).

[20] Toutefois, il y a une différence importante entre requérir la divulgation d’information caviardée et demander la communication de l’ensemble des documents auxquels le document transmis en réponse à l’engagement fait référence. Dans le premier cas, il est difficile de démontrer que l’information a été correctement caviardée sans avoir accès à cette information. Dans le deuxième cas, je ne vois pas de difficulté à démontrer que le document en tant que tel n’est pas autonome ou compréhensible en lui-même sans avoir accès aux documents auxquels fait référence ledit document.

[21] Dans ce dernier contexte donc, le fardeau de preuve repose toujours sur la partie demanderesse qui doit démontrer soit que la partie ayant souscrit à l’engagement s’est engagée à transmettre tous les documents qui pouvaient être cités dans les documents transmis ou bien que les documents qui y sont cités sont nécessaires à la compréhension des documents transmis. Cette démonstration n’a pas été faite en l’espèce.

[22] En effet, comme mentionné plus haut, l’engagement portait sur « une copie du rapport initial ou du renvoi initial » et c’est effectivement ce qui a été transmis à M. Rémillard. Le Vérificateur ne s’est pas engagé à transmettre tous les documents qui peuvent y être mentionnés.

[23] De plus, le rapport transmis comme engagement E-1 est autonome et ne requiert pas la transmission d’autres documents pour en permettre la compréhension. M. Rémillard ne m’a pas convaincu que le dossier « OneNote » serait plus qu’un simple outil de référence ou que sa transmission serait nécessaire à la compréhension du rapport.

[24] Une personne qui, dans le contexte d’un engagement, souscrit à transmettre un document ne souscrit évidemment pas à transmettre tous les documents qui y sont cités, sauf dans les cas où le document transmis répondrait à l’engagement seulement par les documents qui y sont annexés et qui n’aurait pas été communiqués (comme dans le cas d’un courriel dont le seul objectif serait de transmettre des pièces jointes, par exemple). Cette dernière situation est bien différente que celle qui est présentement devant moi où le document transmis répond à l’engagement souscrit.

[25] Par conséquent, je suis d’avis que la réponse à l’engagement E-1 est complète.

[26] L’engagement E-3 visait le « plan de vérification qui a été fait à l’époque ».

[27] Pour répondre à cet engagement, le Vérificateur a reconstitué le plan de vérification afin qu’il ressemble à la version initiale puisque, comme il l’avait mentionné lors de son contre-interrogatoire, ce document, étant un document évolutif, n’existait plus dans sa forme initiale.

[28] M. Rémillard ne conteste pas que le document transmis correspond bel et bien au plan de vérification initial. Toutefois et de façon similaire aux arguments qu’il a soulevé pour l’engagement E-1, M. Rémillard soutient qu’un des documents auquel ce plan de vérification fait référence aurait dû lui être transmis en plus du plan en tant que tel.

[29] Le plan de vérification invite le lecteur à aller voir un certain document qui aurait « été retenu au plan de travail principal » dans une colonne vis-à-vis une explication détaillée du premier enjeu de la vérification, soit la résidence de M. Rémillard et d’une entité reliée.

[30] Comme mentionné plus haut, bien que cet engagement ait été pris sous réserve, puisqu’une réponse a finalement été fournie, la Ministre est tenue de fournir une réponse complète.

[31] Toutefois, je suis d’avis que la réponse fournie est bel et bien complète. La même logique mentionnée plus haut s’applique aussi ici : le plan de vérification a été transmis et ce n’est pas parce que ce document fait référence à d’autres documents que ceux-ci doivent aussi être transmis. Le plan de vérification est clair et autonome en lui-même.

[32] Bref, je suis satisfait, après avoir pris connaissance des réponses aux engagements, que la copie du rapport et le plan de vérification initial qui ont été transmis à M. Rémillard par la Ministre répondent complètement aux engagements précis qui ont été souscrits lors du contre-interrogatoire du Vérificateur.

B. Les dépens

[33] Les parties se sont entendues pour que la présente requête soit sans frais.

VI. Conclusion

[34] Je rejette la requête, sans frais.


ORDONNANCE au dossier T-1244-19

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête est rejetée.

  2. Le tout sans frais.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1244-19

 

INTITULÉ :

LUCIEN RÉMILLARD c MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 mars 2021

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mars 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Guy Du Pont Ad.E.

Me Élisabeth Robichaud

Me Sammy Cheaib

 

Pour le demandeur

 

Me Louis Sébastien

Me Jonathan Bachir-Legault

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis Ward Phillips & Vineberg, LLP

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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