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Date : 20210226


Dossier : T‑1938‑19

Référence : 2021 CF 187

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

GRAIN WORKERS’ UNION LOCAL 333 ILWU

demanderesse

et

VITERRA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu et contexte factuel

[1] La requête dont la Cour est maintenant saisie vise à obtenir une ordonnance annulant deux subpœnas duces tecum [les subpœnas] délivrés en vertu d’une ordonnance que le juge Gleeson a rendue le 13 octobre 2020.

[2] Avant le dépôt de la présente requête, la Grain Workers’ Union Local 333 ILWU [le syndicat] a sollicité, en vertu des articles 466 et 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], une ordonnance portant que l’employeur, Viterra Inc., [l’employeur], qui emploie des membres du syndicat, était coupable d’outrage au tribunal, relativement à une sentence arbitrale rendue en faveur du syndicat le 28 octobre 2019 [la sentence arbitrale].

[3] La sentence arbitrale a été rendue par un arbitre nommé sous le régime du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [le Code]. Pour les besoins de la présente requête, le passage pertinent de cette sentence est que l’arbitre a conclu que l’employeur avait contrevenu aux dispositions du Code en matière d’heures supplémentaires. L’arbitre a ordonné à l’employeur de cesser de contrevenir au Code.

[4] Le 27 novembre 2019, le syndicat a déposé la sentence arbitrale auprès de notre Cour, conformément au paragraphe 66(1) du Code. Le 6 décembre 2019, le greffe a délivré un certificat de dépôt, lequel a pour effet que la sentence arbitrale de l’arbitre est considérée comme ayant la même force et le même effet qu’un jugement de notre Cour. Cela étant, toute procédure peut être engagée à l’égard de la sentence arbitrale comme s’il s’agissait d’un jugement de notre Cour.

[5] Le 31 août 2020, le syndicat a déposé une requête ex parte en application de l’article 467 des Règles en vue d’obtenir une audience pour outrage.

[6] Le 14 septembre 2020, la protonotaire Ring a rendu une ordonnance de justification à l’encontre de l’employeur. Elle a conclu que le syndicat avait établi une preuve prima facie que l’employeur était coupable d’outrage au tribunal conformément au paragraphe 467(3) des Règles et elle lui a ordonné de comparaître devant un juge dans le cadre d’une vidéoconférence, via Zoom, le mardi 20 octobre 2020, à 9 h 30, sauf directive contraire de la part du juge présidant l’audience, en vue d’entendre la preuve des actes énoncés dans l’ordonnance, et censément commis par l’employeur. Au moment de cette audience, l’employeur devait être prêt à présenter les moyens de défense qu’il pouvait opposer à l’accusation.

[7] Suivant l’ordonnance du 13 octobre 2020 du juge Gleeson, deux employés de l’employeur se sont vu signifier les subpœnas qui sont en litige en l’espèce.

[8] Le 19 octobre 2020, à la suite d’une conférence de gestion d’instance tenue le 16 octobre 2020, le juge Gleeson a ordonné de vive voix que l’audience de justification prévue pour le 20 octobre 2020 soit scindée en deux volets. L’employeur avait soulevé plusieurs questions préliminaires à propos du dépôt et de l’enregistrement de la sentence arbitrale, de son caractère exécutoire et, si la sentence était exécutoire, de la période pour laquelle elle l’était. Le juge Gleeson a entendu les arguments relatifs à ces questions le 20 octobre 2020. Le volet « présentation de la preuve » de l’audience pour outrage au tribunal a été reporté à une date à déterminer.

[9] Le 30 novembre 2020, le juge Gleeson a rendu sa décision sur les questions préliminaires de l’employeur. Pour des motifs énoncés dans l’ordonnance, laquelle est publiée sous la référence 2020 CF 1106, il a conclu que la sentence arbitrale était susceptible d’exécution et que la requête pour outrage au tribunal pouvait être instruite.

[10] L’employeur a fait savoir que l’ordonnance du 30 novembre 2020 du juge Gleeson fait actuellement l’objet d’un appel et que l’audience de justification est censée se dérouler du 23 au 25 mars 2021.

II. La requête en annulation de l’employeur

[11] Par un avis de requête daté du 29 octobre 2020 et déposé le 3 novembre 2020, l’employeur a déposé la requête dont il est question en l’espèce.

[12] L’employeur sollicite deux ordonnances : 1) une ordonnance annulant les subpœnas et 2) une ordonnance interdisant au syndicat de contraindre l’employeur à témoigner, car cela serait contraire au paragraphe 470(2) des Règles, soit en contraignant ses employés ou ses dirigeants à témoigner soit en faisant produire des documents qui sont en sa possession ou sous son contrôle.

[13] Les subpœnas exigent que les employés comparaissent pour témoigner devant le tribunal (par vidéoconférence) et que, à ce moment‑là, ils apportent et produisent à l’audience les documents suivants :

[traduction]

Les documents révélant le nombre d’heures de travail effectuées par les membres de la demanderesse qu’emploie la défenderesse, et ce, quotidiennement, depuis le 29 octobre 2019 jusqu’à aujourd’hui, documents dont certains peuvent être désignés sous le nom de « rapports d’exception »;

Tout autre document applicable à cette période et tenu pour s’acquitter des obligations de la défenderesse en vertu des dispositions suivantes du Règlement du Canada sur les normes du travail, CRC c 986, après lesquelles divers éléments de l’article 24 du Règlement sont énumérés.

III. Les dispositions des Règles qui régissent les cas d’outrage au tribunal

[14] L’employeur reconnaît la nature quasi criminelle des règles de droit en matière d’outrage civil. Le juge Gleeson a souscrit à cet énoncé, tout comme moi. Pour plus de détails sur ce principe, voir l’arrêt Vidéotron Ltée c Industries Microlec Produits Électroniques Inc [1992] 2 RCS 1065, à la page 1075.

[15] Les articles 466 à 472 des Règles renferment les dispositions qui s’appliquent aux outrages au tribunal. L’employeur conteste les subpœnas en se fondant principalement sur le paragraphe 470(2) des Règles, lequel prévoit que « [l]a personne à qui l’outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner ».

IV. L’annulation d’un subpœna

[16] Le critère juridique applicable à l’annulation d’un subpœna reconnaît l’existence de deux motifs différents. L’un d’eux est l’existence d’un privilège ou d’une autre règle juridique aux termes desquels un témoin ne devrait pas être contraint de témoigner : Yeager c Canada (Procureur général), 2015 CF 978, au paragraphe 52 (références internes omises).

[17] Le second motif à prendre en considération est celui de savoir si le témoignage du témoin assigné est pertinent par rapport aux questions que la Cour doit trancher : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mahjoub, 2010 CF 1193, au paragraphe 7 (références internes omises).

[18] L’employeur n’a pas soulevé la pertinence du témoignage possible en tant que question litigieuse.

[19] L’employeur a présenté un certain nombre d’arguments à l’appui de son opinion selon laquelle on ne peut ni contraindre à témoigner les employés mentionnés dans les subpœnas ni contraindre à produire les documents qui y sont précisés.

[20] L’employeur soutient que la règle juridique interdisant l’auto‑incrimination, laquelle est énoncée au paragraphe 470(2) des Règles, s’applique aux sociétés. Il ajoute que la non‑annulation des subpœnas reviendrait à le contraindre à témoigner, ce qui est contraire au paragraphe 470(2) des Règles.

[21] L’employeur soutient également que le fait de contraindre les employés à témoigner dans le seul but de produire des documents qui sont en sa possession revient là aussi à le contraindre à témoigner et à produire des preuves.

A. Les employés sont des témoins contraignables

[22] L’employeur indique qu’une société peut seulement s’exprimer ou « témoigner » par l’entremise de ses employés et que le fait de contraindre un employé à témoigner revient à le contraindre à témoigner, ce qui est contraire au paragraphe 470(2) des Règles.

[23] Cet argument ne peut être retenu en raison de la décision Merck & Co c Apotex Inc, [1996] 2 CF 223, [Merck 1996], dans laquelle le juge MacKay a annulé un subpœna (appelé « assignation ») qui avait été délivré à un dirigeant d’une société visée par une allégation d’outrage au tribunal.

[24] Le juge MacKay a statué qu’étant donné que le dirigeant en question était nommé dans l’ordonnance de justification, il ne pouvait pas être contraint à témoigner. Il a toutefois refusé d’annuler les subpœnas délivrés à des employés de la même société, parce que ceux‑ci n’étaient ni partie à l’action ni cités pour outrage : Merck 1996, aux paragraphes 64 et 67.

[25] La décision Merck 1996 a été confirmée en appel à l’unanimité, par une formation de trois juges. La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel, avec dépens et sans motifs, le 22 mai 1997.

[26] Dans la requête dont il est ici question, aucun des deux employés n’est partie à l’action ni n’est cité pour outrage. L’un d’eux est un spécialiste de la paie et l’autre un adjoint administratif. L’employeur ne fait pas valoir que l’un ou l’autre de ces employés est un dirigeant de la société.

[27] Compte tenu des faits qui précèdent, de même que de la décision Merck 1996, qui jouit de l’approbation de la Cour suprême du Canada, les subpœnas sont valides pour ce qui est de la possibilité de contraindre les employés à témoigner.

B. La décision Merck 1996 demeure valable

[28] L’employeur fait ensuite valoir que la décision Merck 1996 a été rendue avant l’entrée en vigueur du paragraphe 470(2) des Règles et qu’elle n’est donc plus valable. Ce paragraphe, soutient‑il, interdit qu’un subpœna soit délivré à l’employé d’une société citée pour outrage. À l’appui de cette affirmation, il invoque trois arguments principaux :

  • 1) l’entrée en vigueur du paragraphe 470(2) des Règles en 1998 a modifié les règles de droit en matière d’outrage qui ont été appliquées dans la décision Merck;

  • 2) la définition de la « personne » mentionnée au paragraphe 470(2) des Règles englobe les sociétés;

  • 3) quand un employé est contraint à témoigner, en réalité la société elle‑même l’est aussi.

[29] Chacun de ces arguments sera examiné successivement.

1) Le paragraphe 470(2) des Règles ne modifie pas les règles de droit en matière d’outrage

[30] Pour ce qui est du premier argument mentionné ci‑dessus, lorsque le paragraphe 470(2) des Règles est entré en vigueur en 1998, il n’a pas changé les règles de droit en matière d’outrage qui ont été appliquées dans la décision Merck 1996. Les articles 466 à 472 inclusivement des Règles ont plutôt codifié les principes de common law qui régissent les procédures pour outrage engagées devant la Cour fédérale : Canada (Commission des droits de la personne) c Warman, 2011 CAF 297, au paragraphe 21. Demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée le 26 avril 2012, avec dépens.

2) La « personne » mentionnée au paragraphe 470(2) n’englobe pas les sociétés

[31] L’employeur, invoquant le paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation, LRC c I‑21, qui englobe expressément les sociétés dans la définition d’une « personne », fait valoir qu’une société est une personne au sens du paragraphe 470(2) des Règles. Il ajoute qu’étant donné que la société est une personne en vertu de cette interdépendance entre la Loi d’interprétation et les Règles, les subpœnas devraient être annulés. La logique avancée est que le fait de contraindre les employés d’une société à témoigner reviendrait en fait à contraindre la société à le faire, ce qui est contraire au paragraphe 470(2).

[32] Toutefois, même si on admettait – sans trancher la question – qu’une société est une personne pour l’application du paragraphe 470(2) des Règles, cela ne mène pas à la conclusion qu’avance l’employeur.

3) Une société n’est pas contrainte à témoigner lorsque son employé l’est

[33] L’employeur a fait valoir que, dans l’arrêt Regina c Bank of Montreal, [1962] BCJ No 158, 36 DLR (2d) 45 (Bank of Montreal), la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu que le fait d’assigner le surintendant de la banque – un dirigeant de cette dernière – revenait à assigner la société et à l’obliger à témoigner contre elle‑même. Elle a décidé que cela allait à l’encontre de la doctrine de common law interdisant le fait de contraindre l’accusé à témoigner. L’employeur a invoqué l’arrêt Bank of Montreal à l’appui de la thèse qu’on ne peut pas contraindre une société à témoigner contre elle‑même en contraignant ses employés à le faire.

[34] Dans l’arrêt Regina c Judge of the General Sessions of the Peace, Ex Parte Corning Glass Works of Canada Ltd, [1970] OJ No 1729 [Corning Glass], la Cour d’appel de l’Ontario a expressément rejeté l’arrêt Bank of Montreal sur ce point. Elle a conclu que six employés d’une société pouvaient être contraints à témoigner contre cette dernière, car ils n’étaient pas ses [traduction] « porte‑parole », pas plus qu’ils n’étaient appelés à parler en son nom. De telles personnes sont tenues de témoigner, mais elles ont droit à la protection offerte à n’importe quel témoin et, en particulier, à la protection contre l’auto‑incrimination : Corning Glass, au paragraphe 13.

[35] L’arrêt Corning Glass a été suivi sur ce point par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c NM Paterson & Sons Ltd, [1980] 2 RCS 679 [Paterson], au paragraphe 28, ainsi que dans l’arrêt R. c Amway Corp, [1989] 1 RCS 21 [Amway], au paragraphe 15.

[36] Le juge La Forest a analysé la question du droit à la protection contre l’auto‑incrimination dans le contexte des sociétés dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd c Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 RCS 425, à la page 544 [Thomson Newspapers]. Il a conclu qu’il est impossible de forcer une société à témoigner contre elle‑même et il a confirmé le refus de la Cour suprême de souscrire à l’argument selon lequel le fait de contraindre les dirigeants d’une société à témoigner en leur qualité de représentants devrait être considéré comme le témoignage de la société elle‑même : Paterson, à la page 691 et Amway, aux para 37‑39.

[37] Le juge La Forest a ensuite énoncé ce qui suit (références internes omises) :

Prétendre que les personnes qui sont contraintes de s’exprimer au nom d’une société ont le droit de s’opposer à ce que ce témoignage soit utilisé au cours de leur propre procès ultérieur ne signifie aucunement que la société bénéficierait du même droit à son procès ultérieur. C’est d’ailleurs exactement le contraire qui semblerait se produire. Car si la personne contrainte de témoigner au nom d’une société peut bénéficier de la protection du droit de ne pas s’incriminer, il s’ensuit que le témoignage constitue effectivement son propre témoignage, à tout le moins en ce qui concerne la possibilité d’invoquer ce droit particulier. Son utilisation ne peut donc être incriminante pour la société comme telle.

(Non souligné dans l’original.)

[38] Peu avant l’audition de la présente requête, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Québec (Procureure générale) c 9147‑0732 Québec inc, 2020 CSC 32 [Québec inc]. Même si, dans cet arrêt, il était question de savoir si les sociétés pouvaient se prévaloir de la protection de l’article 12 de la Charte canadienne des droits de la personne [la Charte], la Cour a pris en considération et commenté les articles 7 à 14 dans le cadre de son analyse.

[39] Outre les arrêts Corning Glass, Paterson, Amway et Thomson Newspapers, les conclusions que la Cour suprême a tirées dans l’arrêt Québec inc renforcent l’idée que le fait de contraindre un employé d’une société à témoigner ne revient pas à contraindre la société elle‑même à le faire, ce qui serait contraire au paragraphe 470(2) des Règles.

[40] Par une décision unanime, avec deux jugements concordants, l’arrêt Québec inc reconnaît que la personnalité juridique d’une société en tant qu’entité artificielle ne lui confère pas toutes les mesures de protection dont jouissent les particuliers.

[41] La juge Abella signale, dans ses motifs concordants, que, parmi les droits juridiques que prévoit la Charte aux articles 7 à 14, seuls l’article 8 et l’alinéa 11b) s’appliquent, a‑t‑il été conclu, aux sociétés (appelées « personnes morales » dans cet arrêt) : voir les paragraphes 128 et 132. La juge Abella traite également de l’alinéa 11c) de la Charte au paragraphe 132, qui offre une réponse complète au troisième argument qu’invoque l’employeur :

[132] Fait important, il a été jugé que les personnes morales ne sont pas visées tant à l’art. 7 qu’à l’al. 11c). Dans l’arrêt R. c. Amway Corp., [1989] 1 R.C.S. 21, notre Cour a conclu que le droit que reconnaît l’al. 11c) à un inculpé de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même dans toute poursuite intentée ne s’applique pas aux personnes morales. Le juge Sopinka a statué que, comme une personne morale ne peut pas témoigner, elle ne peut pas se prévaloir du droit que l’al. 11c) garantit à tout inculpé de ne pas être contraint de témoigner contre lui‑même. Appliquant à l’al. 11c) une interprétation fondée sur l’objet visé par cette disposition, le juge Sopinka a exprimé l’avis que l’al. 11c) « vise à protéger l’individu contre toute atteinte à sa dignité et à sa vie privée, inhérente à une pratique qui permet à la poursuite d’obliger la personne inculpée à témoigner elle‑même » (p. 40). Pour reprendre les termes qu’il a utilisés, « ce serait forcer l’interprétation de l’al. 11c) que de conclure qu’une entité artificielle est un témoin » (p. 39).

(Non souligné dans l’original.)

[42] Le paragraphe 470(2) des Règles reflète le droit dont jouit toute personne accusée d’une infraction de ne pas être contrainte à témoigner dans une instance engagée contre elle. Ce droit est consacré à l’alinéa 11c) de la Charte. Le fait que cette disposition ne s’applique pas à une société, en plus des arrêts mentionnés dans l’analyse qui précède, étaye la conclusion selon laquelle le paragraphe 470(2) ne s’applique pas à une société ni n’empêche ses employés d’être contraints à témoigner.

C. Les employés peuvent‑ils produire des documents?

[43] Le dernier argument qu’invoque l’employeur est que le fait d’exiger que les employés produisent des documents qui sont placés sous son contrôle revient à le contraindre à témoigner contre lui‑même.

[44] L’employeur indique que les deux employés ont été assignés dans le seul but de produire certains documents qui se trouvent sous sa garde. Il soutient que le fait d’autoriser la production de ces documents dans le cadre de la poursuite intentée contre lui revient à le contraindre à témoigner et à produire des preuves, ce qui est contraire au paragraphe 470(2).

[45] L’employeur soutient également que le fait d’autoriser que des documents soient produits par l’entremise de ses employés aurait pour effet de lui transférer le fardeau de la preuve et de le contraindre à témoigner contre lui‑même.

[46] Pour ce qui est des documents que l’on cherche à faire produire au moyen des subpœnas, comme cela a été fait dans l’affaire Merck 1996, je suis d’avis qu’il est préférable de laisser cette question au juge qui présidera l’audience de justification, lequel pourra trancher la question de savoir si les documents produits sont admissibles. Ce juge sera en mesure d’entendre tous les arguments, d’examiner les documents en question et de se prononcer ensuite sur l’admissibilité de tout document particulier.

V. Conclusion

[47] Aucun des deux motifs permettant d’annuler un subpœna n’a été prouvé.

[48] La Cour suprême a décrété qu’il est impossible de contraindre une société à témoigner contre elle‑même. Tout témoignage forcé est celui de la personne, et non de la société.

[49] Enfin, même si l’arrêt Merck 1996 a été rendu avant la modification du paragraphe 470(2) des Règles visant à codifier la règle de common law interdisant l’auto-incrimination – un argument que l’employeur a invoqué en passant pour établir une distinction entre cet arrêt et la présente affaire – il ressort clairement de l’arrêt Québec inc. qu’une société ne jouit pas de la protection de l’alinéa 11c) de la Charte et que ses employés peuvent être contraints à témoigner. Par extension, l’employeur ne jouit pas de la protection du paragraphe 470(2) des Règles, lequel est conçu pour suivre en parallèle les mesures de protection que l’alinéa 11c) confère aux particuliers. Les employés nommés dans les subpœnas peuvent témoigner.

[50] La requête de l’employeur en vue de faire annuler les subpœnas afin d’éviter que les employés comparaissent pour témoigner devant le tribunal est rejetée.

[51] La requête de l’employeur en vue de faire annuler la production de documents par les employés est rejetée au motif qu’il est préférable que le juge présidant l’audience pour outrage examine la question de savoir si l’un quelconque des documents produits est admissible.

[52] La requête en annulation des subpœnas est rejetée pour les motifs exposés.

[53] Bien que la question de la production des documents ait été déférée au juge présidant l’audience, le syndicat a obtenu gain de cause dans le cadre de la requête. Il a droit aux dépens prévus dans la colonne médiane du tarif B.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‑1938‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée pour les raisons exposées dans la présente ordonnance et ses motifs.

  2. La demanderesse a droit aux dépens prévus dans la colonne médiane du tarif B.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1938‑19

 

INTITULÉ :

GRAIN WORKERS’ UNION LOCAL 333 c VITERRA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence entre Ottawa (Ontario) et VANCOUVER (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 novembre 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

la juge ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2021

 

COMPARUTIONS :

William Clements

Lily Hassall

POUR LA DEMANDERESSE

 

Donald Jordan

Michelle McKinnon

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koskie Glavin Gordon LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Harris & Company LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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