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Date : 20050520

Dossier : T-2079-01

Référence : 2005 CF 728

Montréal (Québec), le 20 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

CHANTAL-ANNICK TREMBLAY

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]    La requête vise à obtenir une ordonnance accueillant l'appel de la défenderesse à l'encontre d'une ordonnance rendue le 8 avril 2005 par le protonotaire Morneau rejetant la requête en rejet d'action pour défaut de compétence.


[2]    Le juge des requêtes saisi d'une requête en irrecevabilité doit tenir pour avérés les faits énoncés dans une déclaration (Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735).

[3]    Il convient donc de faire ressortir de la déclaration les faits essentiels qui y sont énoncés.

[4]    La demanderesse a été nommée le 9 septembre 1989 à un poste au sein du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) aux termes de l'article 8 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23 (la Loi).

[5]    La demanderesse a été congédiée le 7 juillet 1999 par le directeur du SCRS aux termes de l'effet combiné du sous-alinéa 8(1)b)(i) de la Loi et de l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11, parce que le maintien de son habilitation de sécurité nécessaire à l'exercice de ses fonctions lui avait été refusé par ce dernier.


[6]    La demanderesse a porté plainte au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, aux termes du paragraphe 41(1) et de l'alinéa 42(3)a) de la Loi, lequel a tenu l'enquête prévue par le paragraphe 48(2) de la Loi.

[7]    Suite à son enquête, le Comité de surveillance a fait un rapport assorti de recommandations au directeur du SCRS.

[8]    Suite à la réception de ce rapport, le directeur du SCRS a maintenu sa décision du 7 juillet 1999. Aucune demande de contrôle judiciaire de la recommandation du Comité de surveillance n'a été présentée aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

[9]    De même, aucune demande de contrôle judiciaire de la décision du directeur du SCRS prise le 7 juillet 1999 et de son maintien subséquent n'a été présentée aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[10]                        Le 23 novembre 2001, la demanderesse a intenté, aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, une action en responsabilité civile extracontractuelle basée essentiellement sur le caractère illégal de son congédiement.


[11]                        Toute la cause d'action de la demanderesse est basée sur le fait que la décision du directeur du SCRS de retirer à la demanderesse son habilitation de sécurité aurait été prise sans tenir compte de certaines politiques administratives et sans tenir compte de toute l'information pertinente.

[12]                        La demanderesse allègue également que la décision de la congédier a été prise en violation des principes de l'équité procédurale.

[13]                        Le 7 mai 2003, cette Cour rendait une ordonnance à la suite des discussions tenues lors de la poursuite de la conférence préparatoire afin de permettre à la demanderesse de déposer et signifier une requête en prorogation de délai, en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, en vue d'obtenir l'autorisation d'entreprendre une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 7 juillet 1999 du directeur du SCRS ou de toute autre décision pertinente.

[14]                        De plus, advenant un refus par cette Cour de proroger le délai pour le dépôt d'une demande de contrôle judiciaire, cette Cour ordonnait à la défenderesse de déposer une requête en jugement sommaire.


[15]                        Le 9 juillet 2003, cette Cour rejetait la requête de la demanderesse visant à proroger le délai en vue d'obtenir l'autorisation d'entreprendre une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 7 juillet 1999 du directeur du SCRS.

[16]                        La demanderesse n'en a pas appelé de cette décision.

[17]                        Par la suite, la défenderesse a déposé une requête pour jugement sommaire afin de faire rejeter l'action de la demanderesse.

[18]                        Le 19 décembre 2003, le juge Pinard référait cette affaire au juge du fond parce qu'il considérait que cette affaire devait faire l'objet d'une instruction pour une détermination juste et complète des droits des parties en cause tant sur la procédure que sur le fond. Cette décision s'appuyait sur les affaires Gilmour c. Canada, [2000] A.C.F. no 1880 (C.F. (1re inst.)) (QL), Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539 (C.A.F.) (QL), et Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no 2070 (C.A.F.) (QL). La jurisprudence a évolué depuis. La Cour d'appel rendait la décision dans l'affaire Canada c. Tremblay, [2004] 4 R.C.F. 165 (C.A.F.) et la Cour suprême du Canada, la décision dans l'affaire Vaughan c. Canada, [2005] A.C.S. no 12 (QL).


[19]                        Suite à ces décisions récentes, la défenderesse déposait une requête en irrecevabilité pour défaut de compétence de cette Cour d'entendre l'action de la demanderesse aux termes de l'article 17 de la Loi sur les Cours fédérales, laquelle fut rejetée par le protonotaire Morneau, d'où le présent appel.

REMARQUE PRÉLIMINAIRE

[20]                        Le tribunal est saisi d'une requête en irrecevabilité qui porte sur la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour entendre l'action de la demanderesse, laquelle doit être entendue au fond dans quelques semaines. Malgré le court délai et la complexité de la question, il ne serait pas opportun pour la Cour de renvoyer l'affaire au juge du fond, puisque celui-ci ne sera pas dans une meilleure situation pour trancher la question parce que l'enquête et l'audition ne lui permettront pas d'avoir une preuve différente de celle qui est déjà alléguée dans la déclaration. L'absence de compétence ratione materiae est une question fondamentale qui doit être tranchée, sauf circonstances exceptionnelles, par le juge à la première occasion. (Société Asbestos Ltée c. Lacroix, [2004] J.Q. no 9410 (QL); (Québec) Procureur général c. Charest, [2004] J.Q. no 13504 (QL)

ANALYSE


[21]                        La défenderesse prétend essentiellement que le protonotaire Morneau a commis une erreur de droit en refusant de donner effet aux principes édictés dans l'arrêt Tremblay, précité, qui énonçait clairement qu'un droit d'action n'existe à l'encontre des décisions des offices fédéraux que dans la mesure où ces décisions ont d'abord été déclarées illégales en contrôle judiciaire, aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. La demanderesse, pour sa part, soutient que la décision de lui retirer son habilitation de sécurité et de la congédier n'est pas une décision opérante puisqu'elle ne demande pas sa réintégration, étant incapable médicalement d'assumer sa tâche, ce qui distingue la présente affaire de l'affaire Tremblay, précitée.


[22]                        Avec égards, je ne crois pas que cette distinction tienne. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale rejetait la demande de réintégration et de dommages-intérêts d'une personne, laquelle découlait de la décision de son ancien employeur, les Forces canadiennes, d'imposer la retraite obligatoire. Le juge Desjardins a déclaré, au paragraphe 14, que « [l]a nullité de cette décision est au coeur de [l]a demande [de l'employé] et les conclusions recherchées sont fonction de cette nullité alléguée » . La réintégration ne peut être ordonnée que si la décision est déclarée nulle et la seule façon d'y parvenir, c'est par la voie du contrôle judiciaire. Le juge Desjardins concluait que ce n'est que lorsque la décision sera annulée que des dommages-intérêts pourront être réclamés.

[23]                        Dans le présent dossier, bien qu'il soit vrai que la demanderesse ne demande pas sa réintégration, il n'en demeure pas moins que le noeud du litige repose sur la légalité ou l'illégalité des décisions prises par le Comité de surveillance de recommander au directeur du SCRS de ne pas lui octroyer son habilitation de sécurité et du directeur du SCRS de confirmer son congédiement. En ce sens, la décision de congédier la demanderesse n'est pas « théorique » puisque le remède recherché dépend nécessairement de la légalité de ces décisions. L'illégalité ou le caractère abusif d'une décision d'un office fédéral ainsi que le manquement aux règles de justice naturelle sont des principes découlant de l'essence même du contrôle judiciaire.

[24]                        Ainsi, à mon avis, la demanderesse ne peut procéder par voie d'action puisque la nullité de la décision est au coeur de sa demande et que les conclusions recherchées sont fonction de la nullité alléguée.


[25]                        Je reconnais que dans l'affaire Zarzour, précitée, la Cour d'appel fédérale avait fait une distinction entre une décision opérante et non-opérante. Cependant, par la suite, dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Boucher, [2005] A.C.F. no 352 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 3, la Cour d'appel reconnaissait que le mérite des poursuites en dommages-intérêts contre le Service correctionnel du Canada (SCC) « dépend en partie de l'illégalité ou du caractère arbitraire de la décision prise par le SCC » .

[26]                        De la même façon, dans la présente affaire, il n'est pas possible d'affirmer que les décisions de retirer à la demanderesse l'habilitation de sécurité et de la congédier n'ont plus d'effets juridiques puisque le bien-fondé de la poursuite en dommages-intérêts découle de la légalité ou de l'illégalité de ces décisions.


[27]                        De plus, je suis d'avis que de permettre à cette affaire de procéder par action irait à l'encontre des principes édictés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Vaughan, précité, où elle a décidé qu'un fonctionnaire fédéral doit utiliser les mécanismes prévus aux articles 91 et suivants de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, (la LRTFP) contre son employeur et qu'il ne peut exercer contre celui-ci aucun droit d'action puisque seul le contrôle judiciaire de la décision rendue lui était ouvert. Elle affirmait au paragraphe 42 qu'il « ne lui était pas loisible d'écarter le régime établi par la LRTFP et de porter devant les tribunaux sa demande de [prestations de retraite anticipée] en la déguisant en une action pour « négligence » . Dans sa décision, la Cour suprême a à maintes reprises souligné, au paragraphe 39 par exemple, que, bien que les tribunaux conservent une certaine compétence résiduelle, ils « [¼] ne devraient pas mettre en péril le mécanisme exhaustif de règlement des différends que contient la loi en permettant l'accès systématique aux tribunaux » .

[28]                        En l'espèce, il est vrai que, puisque la décision qui a entraîné son congédiement était celle qui lui retirait son habilitation de sécurité qui lui était nécessaire pour exercer ses fonctions, il ne servait à rien à la demanderesse de déposer un grief pour contester son congédiement parce que l'arbitre nommé aux termes de l'article 92 de la LRTFP ne pouvait se prononcer, en l'absence de mauvaise foi de la part du SCRS, sur le bien-fondé de la décision de lui retirer son habilitation de sécurité (voir la décision Sullivan c. Service canadien du renseignement de sécurité, [2003] C.R.T.F.P.C. no 23 (Q.L.)).

[29]                        Elle ne pouvait non plus présenter un grief à son employeur, aux termes de l'article 91 de la LRTFP, pour contester la perte de son habilitation de sécurité parce qu'elle disposait d'un autre recours administratif de réparation qui lui était ouvert sous le régime d'une loi fédérale, soit le droit de plainte au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, aux termes du paragraphe 42(1) et de l'alinéa 42(3)a) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, précitée.


[30]                        En vertu de ce régime, le Comité de surveillance est habilité à analyser le bien-fondé des décisions portant sur le retrait d'un habilitation de sécurité. Le Comité est investi de larges pouvoirs d'enquête. Cette enquête peut donner lieu à une audience pendant laquelle les parties ont le droit d'être représentées par avocat, d'assigner et d'interroger des témoins. Suite à son enquête, le Comité de surveillance fait un rapport des recommandations qu'il juge indiquées et des conclusions qu'il juge à propos de communiquer au plaignant (Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385). C'est après avoir examiné le rapport que le directeur du SCRS fonde sa décision de maintenir ou non sa décision de refuser l'habilitation de sécurité. Cette décision est sujette au contrôle judiciaire. Il s'agit donc d'un régime complet qui permet réparation lorsqu'il s'agit de la perte d'une habilitation de sécurité.


[31]                        Ainsi, je suis d'avis que lorsque le régime prévu par la loi (que ce soit un grief aux termes de l'article 91 de la LRTFP ou une plainte comme il s'agit dans le présent dossier) est complet et qu'il fournit une solution au problème soulevé, on ne devrait pas, normalement ou facilement, passer outre à ce régime en intentant une action indépendante. Et je ne suis pas convaincue que les circonstances en l'espèce sont semblables aux « affaires où l'employé est un dénonciateur » qui sont soulignées dans l'arrêt Vaughan, précité, lesquelles peuvent justifier un recours à la présente Cour en dehors du régime prévu par la loi, totalement séparé d'une demande de contrôle judiciaire.

[32]                        En bref, le décideur aurait pu ordonner que la décision concernant l'habilitation de sécurité de la demanderesse soit écartée ce qui aurait amené le redressement voulu. Malheureusement pour elle, cela ne s'est pas produit. Cependant, cela ne lui donne pas le droit de procéder par la voie de la présente action contre la Couronne.

[33]                        En conséquence, le protonotaire a commis une erreur de droit en refusant de donner effet aux principes édictés dans l'arrêt Tremblay, précité,et plus récemment dans l'arrêt Vaughan, précité.

[34]                        La Cour n'a pas compétence pour entendre l'action de la demanderesse et partant, la déclaration de la demanderesse est radiée, le tout sans frais.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :


[1]                Cette Cour n'a pas compétence pour entendre l'action de la demanderesse.

[2]                L'action de la demanderesse est rejetée pour défaut de compétence.

[3]                La déclaration de la demanderesse est radiée.

[4]                Le tout sans frais.

« Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-2079-01

INTITULÉ :                                        CHANTAL-ANNICK TREMBLAY

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 16 mai 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE:

            LE JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                  le 20 mai 2005

COMPARUTIONS:

Me Jacques Béland                                       POUR LA DEMANDERESSE

Me Raymond Piché                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Béland, Lacoursière                                      POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)                                        


John H. Sims, c.r.                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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