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Dossier : T‑28‑20

Référence : 2021 CF 154

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2021

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, AstraZeneca Canada Inc. et AstraZeneca AB (collectivement, AstraZeneca), ont intenté une action contre la défenderesse, Sandoz Canada Inc., pour contrefaçon de son brevet pour un médicament appelé saxagliptine, conformément à l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). L’instruction a été fixée au mois d’octobre 2021.

[2] Au cours des derniers mois, les parties ont échangé des communications au sujet d’un règlement. Sandoz allègue que ces discussions ont abouti à un accord en septembre 2020, par lequel elles convenaient de se désister de l’action, sans frais. Elle présente la requête en l’espèce pour faire respecter l’accord putatif.

[3] Je conclus que les parties ne sont pas réellement parvenues à un accord. Je dois donc rejeter la présente requête.

II. Les discussions entre les parties

[4] Les parties ont discuté des modalités d’un règlement potentiel à plusieurs reprises, même avant le début de l’action. En mars 2020, Sandoz a proposé un règlement qui comprendrait le paiement d’un montant de |||||||||||||| à titre de dommages‑intérêts par AstraZeneca à Sandoz conformément à l’article 8 du Règlement. AstraZeneca a refusé cette proposition, déclarant qu’elle ne se considérait pas comme étant tenue de payer des dommages‑intérêts au titre de l’article 8.

[5] Sandoz a proposé un règlement similaire en avril 2020, au titre duquel AstraZeneca devait payer le montant de |||||||||||||||||| à titre de dommages‑intérêts. Un mois plus tard, AstraZeneca a fait une contre‑offre. Elle a proposé de se désister de son action en contrefaçon si Sandoz renonçait à toute demande de dépens ou de dommages et intérêts au titre de l’article 8. Une série de nouvelles discussions infructueuses entre les parties ont eu lieu au cours des mois suivants.

[6] Les discussions au cœur de la présente requête ont eu lieu par courriel entre le 8 et le 17 septembre 2020, et peuvent être résumées ainsi :

A. Les parties sont‑elles parvenues à un accord?

[7] Sandoz soutient que les parties sont parvenues à un accord de règlement le 14 septembre lorsqu’elle a accepté l’offre d’AstraZeneca du 12 septembre. Elle décrit l’accord comme comprenant le retrait par AstraZeneca de son action en contrefaçon, sans frais, tout en permettant à Sandoz, en raison de son silence sur la question, de poursuivre sa demande de dommages‑intérêts fondée sur l’article 8.

[8] Je ne suis pas d’accord avec la position de Sandoz. Les parties ne se sont pas entendues sur les conditions d’un accord potentiel; aucun accord n’a été effectivement conclu.

[9] Les facteurs pertinents pour déterminer si un accord de règlement a été conclu sont énoncés dans l’arrêt Apotex Inc c Allergan Inc, 2016 CAF 155 [Apotex]. Sur les cinq facteurs qui y sont inclus, trois sont pertinents en l’espèce :

[10] J’examinerai ces facteurs à tour de rôle.

(1) Y avait‑il une « intention mutuelle de créer des rapports juridiques »?

[11] Ce facteur doit être abordé du point de vue d’un « témoin raisonnable » (Apotex, précité, au para 22). À mon avis, un témoin raisonnable ne conclurait pas de l’échange de courriels susmentionné que les parties avaient l’intention de créer des rapports juridiques.

[12] Sandoz considère la communication d’AstraZeneca du 12 septembre comme l’expression claire d’une offre de mettre fin à l’action en contrefaçon d’AstraZeneca sans frais, une offre que Sandoz aurait acceptée deux jours plus tard. Un témoin raisonnable, observant les discussions entre les parties, ne serait pas d’accord avec la description faite par Sandoz.

[13] Premièrement, le message d’AstraZeneca était équivoque – elle a dit qu’elle était disposée à ce que les deux parties se désistent relativement au litige. À mon avis, un spectateur raisonnable interpréterait cela comme l’expression d’une volonté de règlement, et non comme une offre réelle de règlement. Les autres offres présentées par les parties attribuaient à chacune d’elles une obligation en termes impératifs – c’est‑à‑dire [traduction] « Sandoz doit [...] » ou « AstraZeneca doit [...] ». Le message du 12 septembre était plus équivoque.

[14] AstraZeneca a déclaré qu’elle était [traduction] « disposée à ce que les deux parties se désistent relativement au litige, sans frais, si cela vous intéresse ». À mon avis, un témoin raisonnable, lisant le message dans son ensemble, interpréterait la communication d’AstraZeneca comme une question à savoir si Sandoz était intéressée par un règlement du litige. Si Sandoz avait répondu par une expression d’intérêt, une discussion sur le libellé précis du règlement s’en serait probablement suivie.

[15] Troisièmement, AstraZeneca a déclaré qu’elle était disposée à ce que les deux parties se désistent relativement au litige. À mon avis, dans le contexte des problèmes entre les parties et de leurs communications antérieures sur le sujet, un témoin raisonnable interpréterait le message d’AstraZeneca comme renvoyant à l’abandon de l’action en contrefaçon et de la demande de Sandoz en dommages‑intérêts au titre de l’article 8. Les offres précédentes de Sandoz comprenaient des sommes représentant des dommages‑intérêts au titre de l’article 8 ou des formes équivalentes d’indemnités tenant lieu de dommages‑intérêts au titre de l’article 8. De plus, en répondant à la requête antérieure d’AstraZeneca en jugement déclarant que l’action ne serait pas rendue théorique par l’expiration du brevet, j’ai conclu que, même si l’action devenait théorique, les questions devraient être tranchées de toute façon. Si les questions ne sont pas abordées dans le cadre de l’action en cours, elles pourraient néanmoins être soulevées dans une réclamation ultérieure fondée sur l’article 8 (2020 CF 635). Il était alors clair pour moi que l’article 8 était en jeu entre les parties, même si aucune demande formelle n’avait encore été déposée.

[16] Dans ce contexte, la référence aux « deux parties » fait allusion aux réparations demandées par chaque partie, et non seulement aux démarches entreprises par AstraZeneca en vue d’obtenir une déclaration de contrefaçon. Cette interprétation est renforcée par l’utilisation du terme « litige ». AstraZeneca n’a pas suggéré que son [traduction] « action » fasse l’objet d’un désistement. Elle a fait allusion à la fin du litige dans son ensemble, soit à l’action en contrefaçon d’AstraZeneca et la demande en dommages‑intérêts de Sandoz.

[17] AstraZeneca suggère que sa communication du 12 septembre soit considérée non pas comme une offre, mais comme une [traduction] « invitation à traiter », une simple expression de la volonté de conclure un contrat. Je pense que c’est une interprétation équitable, une qui serait acceptée par un témoin raisonnable. Quoiqu’il en soit, ce témoin ne sera pas convaincu que les parties aient manifesté une intention commune de créer des rapports juridiques.

(2) Les conditions de l’accord étaient‑elles suffisamment certaines?

[18] Sandoz soutient que les conditions de l’accord étaient suffisamment claires. Dans le message d’AstraZeneca du 12 septembre, le terme « litige » renvoyait à l’action en contrefaçon d’AstraZeneca – aucune action au titre de l’article 8 n’avait encore été introduite. De même, le terme « désistement » renvoyait uniquement à la contrefaçon, puisqu’il n’y avait pas d’autre litige en cours à ce moment‑là. La référence aux « deux parties » n’était qu’une reconnaissance que les parties devaient se mettre d’accord. AstraZeneca n’a fait aucune référence à l’instance fondée sur l’article 8 ou au retrait de l’avis d’allégation, bien qu’elle l’ait fait dans des offres de règlement antérieures. Selon Sandoz, AstraZeneca a tenté d’ajouter ces conditions après que les parties se furent déjà entendues sur un règlement qui ne les incluait pas.

[19] Je ne souscris pas aux observations de Sandoz. À mon avis, un observateur objectif ne conclurait pas que les termes de l’accord allégué étaient clairs ou que les parties en avaient une compréhension commune.

[20] Je suis d’avis, comme je l’ai mentionné précédemment, qu’un témoin objectif interpréterait l’utilisation par AstraZeneca des mots [traduction] « les deux parties se désistent relativement au litige » comme une suggestion que les deux parties abandonnent leurs positions sans frais. L’affirmation de Sandoz selon laquelle AstraZeneca proposait d’abandonner son action en contrefaçon sans s’attendre à ce que Sandoz renonce à sa demande de dommages et intérêts n’est pas objectivement défendable ni commercialement explicable.

[21] Je note que Sandoz a répondu au courriel d’AstraZeneca du 12 septembre en disant qu’elle [traduction] « accepte par la présente votre offre de mettre fin au litige sans frais ». Elle fait référence à [traduction] « votre offre de mettre fin au litige », ce qui suggère qu’elle a interprété le courriel d’AstraZeneca comme une capitulation unilatérale spontanée, sans tenir compte de l’utilisation des mots « les deux parties ». AstraZeneca a répondu en explicitant ce que, selon elle, Sandoz devait accomplir.

[22] J’ai interprété ces échanges comme la preuve que les parties n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Sandoz a prétendu accepter une offre qui n’avait, dans les faits, pas été proposée. AstraZeneca a ensuite précisé ce qu’elle avait réellement proposé, proposition qui n’était pas acceptable pour Sandoz. Les parties n’étaient pas du même avis sur les conditions du prétendu accord.

[23] Les circonstances sont comparables à celles examinées par le juge Robert Barnes dans la décision Allergan Inc. c Sandoz Canada Inc., 2020 CF 1047. Dans cette affaire, Allergan alléguait que Sandoz s’était livrée à de la contrefaçon et cette dernière a présenté une défense et demande reconventionnelle fondée sur l’invalidité. Pendant le procès, Sandoz a envoyé un courriel à Allergan contenant un message que le juge Barnes a qualifié de « nébuleux » :

[traduction]

Sandoz propose par les présentes de se désister de sa demande reconventionnelle, sans frais. Veuillez nous informer si vous acceptez la proposition, et nous préparerons un désistement. (page 5).

[24] Allergan y a consenti. Cependant, Sandoz a soutenu que sa défense fondée sur l’invalidité restait active et a exprimé son intention de présenter des éléments de preuve à l’égard de cette question. Allergan a demandé l’exécution de ce qu’elle pensait être un règlement de la question de l’invalidité. Sandoz a soutenu qu’elle avait seulement l’intention de retirer sa demande reconventionnelle tout en préservant sa défense fondée sur l’invalidité. Le juge Barnes a conclu qu’il n’y avait pas d’accord :

Compte tenu du contexte plus important dans lequel s’inscrivent toutes les communications et du comportement adopté par les parties par l’entremise de leurs avocats avant cet échange de courriels [...] l’observateur objectif raisonnable ne conclurait pas que les parties étaient sur la même longueur d’onde en ce qui concerne le caractère essentiel ou la portée de la prétendue transaction (pages 9 et 10).

[25] Plus particulièrement, le juge Barnes a conclu qu’un observateur objectif ne conclurait pas que l’offre de Sandoz comportait un désistement quant à la question de l’évidence, qu’elle soulève depuis longtemps » (à la page 10). Récemment, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du juge Barnes présentée par Allergan (14 janvier 2021, 20– A– 38).

[26] De même, un observateur objectif ne conclurait pas qu’AstraZeneca s’est désistée de son action en contrefaçon sans une concession réciproque de Sandoz concernant les dommages‑intérêts au titre de l’article 8.

(3) Y avait‑il une offre et une acceptation correspondante de toutes les conditions essentielles?

[27] Sandoz soutient qu’AstraZeneca a fait une offre de se désister de son action en contrefaçon sans frais et que Sandoz a accepté cette offre. Sandoz affirme que cela a créé un accord de règlement valide.

[28] Une fois de plus, je ne suis pas d’accord.

[29] Il découle de ce qui précède que Sandoz a accepté une offre qui n’était pas réellement sur la table. Cela ressort de la formulation de son acceptation supposée (aucune mention du fait que les deux parties se désistent de leurs poursuites judiciaires) et de la réponse d’AstraZeneca par laquelle cette dernière exprime son attente que Sandoz retire son avis d’allégation et renonce à sa demande de dommages‑intérêts fondée sur l’article 8. Cependant, AstraZeneca était [traduction] « heureuse » que Sandoz soit [traduction] « prête à accepter un désistement ».

[30] Sur le plan objectif, la preuve ne démontre pas une concordance entre les parties de l’offre et de l’acceptation. Selon ma lecture, les communications de septembre entre les parties n’ont pas fait progresser de manière significative leurs efforts pour parvenir à un règlement, au‑delà de la manifestation d’un désir mutuel imprécis à cet égard.

[31] En examinant les facteurs pertinents en jeu et le contexte global des communications entre les parties, je conclus qu’il n’y a pas eu d’accord de règlement valide entre les parties.

III. Conclusion et décision

[32] Sandoz n’a pas établi que les parties sont parvenues à un accord de règlement. Par conséquent, je rejette la requête visant l’exécution du prétendu accord, et j’adjuge les dépens à AstraZeneca.

 




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