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Date : 20210104


Dossier : IMM-5718-19

Référence : 2021 CF 9

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2021

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

SANTOS LINO ALFARO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Santos Lino Alfaro, est citoyen du Salvador. Il est résident permanent du Canada depuis octobre 1996.

[2] En janvier 2012, le demandeur est déclaré coupable d’agression armée en vertu du paragraphe 267(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46. En raison de cette condamnation, un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] est rédigé contre lui en février 2016. L’agent est d’avis que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Son rapport est déféré à la Section de l’immigration [SI] pour fins d’enquête.

[3] Le 18 février 2016, un commissaire de la SI conclut que le demandeur est interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Il émet une mesure de renvoi contre le demandeur. Le demandeur interjette appel de cette décision devant la Section d’appel de l’immigration [SAI] en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR. Il ne conteste pas la validité de la mesure de renvoi, mais demande plutôt à la SAI de sursoir à la mesure compte tenu de motifs d’ordre humanitaire.

[4] Le 27 août 2019, la SAI rejette l’appel du demandeur et conclut que les motifs d’ordre humanitaire invoqués ne sont pas suffisants. Dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire, la SAI tient compte des facteurs non exhaustifs énoncés dans Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL) au paragraphe 14 [Ribic], et approuvés par la Cour suprême du Canada dans Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 au paragraphe 40. Elle estime que les possibilités de récidives sont trop élevées compte tenu de la gravité du crime commis, la violence dont le demandeur a fait preuve et son mépris des institutions judiciaires.

[5] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il reproche à la SAI d’avoir ignoré ou mal interprété les éléments de preuve présentés et de s’être basée sur la preuve d’accusations pour lesquelles il n’a pas été condamné ou qui ont été retirées.

II. Analyse

[6] La norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la SAI en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 [Vavilov]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 58).

[7] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour s’intéresse « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83). Elle doit se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

[8] La Cour souscrit à l’argument du demandeur que la décision de la SAI doit être annulée puisqu’elle n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve.

[9] Lors de son examen du degré de difficultés que causerait le renvoi du demandeur au Salvador, la SAI souligne que le demandeur n’a déposé aucune preuve objective au sujet des conditions de vie actuelles au Salvador. Elle note que la lettre de la sœur du demandeur expose les conditions de vie difficiles qui y prévalaient durant son enfance, mais estime qu’il n’y a rien de contemporain au dossier. Elle constate ensuite que le demandeur n’a pas démontré en quoi il serait exposé aux gangs de rue s’il retournait au Salvador et ajoute qu’il a toujours une sœur qui y habite et ne se retrouverait donc pas seul.

[10] L’examen du dossier démontre toutefois que le demandeur a deux (2) sœurs qui ont déposé des lettres devant la SAI. L’une d’elles réside au Canada alors que l’autre habite toujours au Salvador. La lettre de 2017 signée par la sœur du demandeur au Canada mentionne effectivement les conditions de vie difficiles au Salvador durant leur enfance et le danger posé par les gangs de rue avant qu’ils quittent le Salvador pour le Canada. Celle de l’autre sœur discute plutôt des conditions actuelles au Salvador. Dans sa lettre datée de juin 2019, la sœur du demandeur qui habite au Salvador témoigne de la grande criminalité des gangs de rue et du danger existant au Salvador. Elle indique avoir été obligée de quitter sa demeure pour sauver la vie de son fils que les gangs de rue voulaient assassiner. On n’y retrouve aucune mention des conditions qui prévalaient durant son enfance. Il est évident, à la lecture de ces deux lettres, que la SAI fonde son évaluation des difficultés sur la lettre de la sœur au Canada et non sur celle de la sœur qui habite toujours au Salvador.

[11] La Cour reconnait que le décideur est présumé avoir considéré toute la preuve devant lui et qu’il n’est pas obligé de mentionner tous les éléments de preuve. Cependant, la conclusion de la SAI selon laquelle « [o]n ne retrouve rien de contemporain au dossier » laisse croire qu’elle n’a pas pris en compte la lettre de la sœur du demandeur qui habite au Salvador dans son évaluation du degré de difficultés qu’un retour au Salvador pourrait occasionner au demandeur. Cela est d’autant plus évident si l’on considère sa conclusion selon laquelle les difficultés de retour seraient atténuées par la présence de sa sœur au Salvador. Ce commentaire ne tient nullement compte de la situation difficile de celle-ci, dont sa lettre fait état.

[12] Le défendeur fait valoir que cette erreur n’est pas déterminante puisque la lettre de la sœur du demandeur ne constitue pas une preuve objective et la SAI reconnait que la situation au Salvador entrainera des difficultés pour le demandeur.

[13] Le défendeur a raison de souligner que la conclusion de la SAI est fondée sur son évaluation de l’ensemble des facteurs énoncés dans Ribic et que ses motifs doivent être interprétés de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Cependant, la SAI évalue comme étant un facteur neutre le degré de difficultés que connaîtrait le demandeur s’il retournait au Salvador. La Cour ne peut présumer du poids qu’accorderait la SAI à la lettre de la sœur habitant au Salvador. Étant donné que deux (2) des cinq (5) facteurs Ribic applicables sont jugés favorables au demandeur et deux (2) autres sont jugés défavorables, la Cour est d’avis que l’erreur de la SAI dans l’évaluation du cinquième critère est déterminante. Ce facteur jugé neutre par la SAI pourrait affecter la pondération finale de l’ensemble des facteurs.

[14] Puisque la décision de la SAI ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable et qu’il n’appartient pas à cette Cour de soupeser à nouveau les considérations d’ordre humanitaire, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SAI pour un nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

[15] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-5718-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section d’appel de l’immigration datée du 27 août 2019 est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée devant la Section d’appel de l’immigration pour un nouvel examen par un tribunal constitué différemment;

  4. L’intitulé de cause est modifié afin de remplacer le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; et

  5. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5718-19

INTITULÉ :

SANTOS LINO ALFARO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE MONTRÉAL (QUÉBEC) ET OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2021

COMPARUTIONS :

Samuel McAuliffe

Pour le demandeur

Lisa Maziade

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Samuel McAuliffe

Laval (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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