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Date : 20210304


Dossier : IMM-1534-20

Référence : 2021 CF 197

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2021

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

OLABADEJOKO TEMITOPE OLAJIDE

OLANREWAJU ADEOLA OLAJIDE

DANIELLA ADEMIDUN OLAJIDE

MICHELLE OLUWASEMILORE OLAJIDE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les membres de la famille Olajide sollicitent le contrôle judiciaire du rejet de leur demande d’asile. Ils soutiennent que la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a conclu à tort que le témoignage de M. Olajide n’était pas crédible et que les événements allégués à l’appui de leur demande d’asile n’ont pas eu lieu. Je rejette leur demande puisque la SAR a raisonnablement fondé ses conclusions sur les contradictions et les omissions relevées dans le témoignage de M. Olajide.

I. Contexte

[2] La demande d’asile de la famille Olajide repose sur trois événements qui se seraient produits en novembre et en décembre 2016, dans le contexte du conflit entre les agriculteurs chrétiens et les pasteurs foulanis musulmans dans l’État de Kaduna au Nigéria central. Les Olajide, qui vivaient auparavant à Ibadan, se sont réinstallés à la ferme familiale au Kaduna en janvier 2016.

[3] Le premier incident est survenu en novembre 2016. Les membres d’un groupe criminel associé aux pasteurs foulanis sont venus à la ferme des Olajide et ont tenté de kidnapper leur fille Daniella, sans succès.

[4] Le deuxième incident s’est produit le 19 décembre 2016. Une centaine de pasteurs foulanis ont envahi la ferme. M. Olajide et ses employés ont réussi à les convaincre de partir, mais les intrus ont promis de revenir. Après cet incident, Mme Olajide et sa fille sont parties à Lagos chez les parents de Mme Olajide.

[5] Le troisième incident est survenu la veille de Noël, soit le 24 décembre 2016. M. Olajide a organisé une célébration à la ferme. Vers minuit, alors que M. Olajide venait tout juste d’aller se coucher, des militants foulanis ont envahi la ferme, ont mis le feu aux bâtiments et ont assassiné plusieurs personnes, dont son frère et sa belle-sœur. Ayant réussi à se cacher, M. Olajide a survécu à l’attaque. Il est demeuré caché dans les environs pendant quelques jours. Il a ensuite été secouru et a pu se rendre à Lagos, où il a reçu des traitements médicaux. Peu de temps après, la famille s’est rendue aux États-Unis, puis au Canada où elle a demandé l’asile.

[6] La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la CISR a rejeté la demande de la famille Olajide après avoir constaté de nombreuses contradictions et omissions dans le témoignage de M. Olajide. À l’audience, le commissaire a porté à l’attention de M. Olajide ces contradictions et ces omissions, mais n’a pas été satisfait des réponses obtenues. La SPR a expressément conclu que les incidents du 15 novembre 2016 et du 24 décembre 2016 n’ont pas eu lieu. La SPR a ensuite examiné les documents fournis par M. Olajide à l’appui de la demande et ne leur a accordé aucune valeur probante. En particulier, la SPR a mentionné que, selon un rapport médical, M. Olajide avait été traité à Lagos avant la date à laquelle il a dit être arrivé dans cette ville; que des événements ou des transactions auxquels aurait participé le père de M. Olajide sont survenus après le décès allégué de celui‑ci; et que des irrégularités ont été relevées dans certains autres documents. Par ailleurs, la SPR a conclu que les Olajide n’avaient pas prouvé qu’ils étaient propriétaires d’une ferme dans l’État de Kaduna, et elle a refusé d’évaluer le risque associé à un tel profil.

[7] La SAR a rejeté l’appel des Olajide. Elle s’est livrée à un examen détaillé des incohérences et des omissions relevées par la SPR. À une exception près, la SAR est arrivée aux mêmes conclusions que la SPR, et a tranché au final que les événements allégués n’avaient pas eu lieu. La SAR a également examiné la preuve documentaire et a souscrit à toutes les conclusions de la SPR, sauf en ce qui a trait aux rapports de la police. Toutefois, en raison des autres conclusions défavorables en matière de crédibilité et de la possibilité d’obtenir des documents contrefaits au Nigéria, la SAR n’a accordé aucun poids aux rapports des policiers.

[8] Les Olajide sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR.

II. Analyse

[9] Le motif principal invoqué par les Olajide à l’encontre de la décision de la SAR concerne l’évaluation de la crédibilité de M. Olajide. Ils affirment également que la SAR aurait dû tenir compte du risque lié au conflit qui sévit au Nigéria central.

A. Crédibilité

[10] La SAR a rejeté la demande des Olajide en raison de plusieurs contradictions importantes entre l’exposé circonstancié et le témoignage de M. Olajide. La SAR a conclu que les incidents sur lesquels repose la demande n’ont pas eu lieu. Après avoir examiné le dossier, j’arrive à la conclusion que la décision de la SAR à cet égard est raisonnable.

(1) Évaluation des omissions et des contradictions

[11] L’évaluation de la crédibilité d’un demandeur est une tâche délicate qui fait intervenir plusieurs facteurs : Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au paragraphe 19; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 aux paragraphes 20 à 26 [Lawani]. L’un de ces facteurs est la cohérence intrinsèque et la cohérence par rapport aux déclarations antérieures : Garay Moscol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 657 au paragraphe 21. On peut supposer que les demandeurs qui ont vécu des événements difficiles, voire traumatisants, donnant lieu à une crainte fondée de persécution, se souviennent de ces faits avec exactitude et sont en mesure d’en fournir un compte rendu exhaustif et cohérent aux différentes étapes du processus de demande. Par conséquent, la crédibilité des demandeurs est mise à mal lorsqu’ils se contredisent ou livrent un témoignage à propos d’un événement qu’ils n’ont pas relaté dans leurs déclarations antérieures.

[12] Il reste que les témoins sont des êtres humains. On ne peut s’attendre à un témoignage parfait. Un témoin peut être cru même s’il se contredit dans son témoignage, comme on peut le constater dans l’arrêt FH c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41. En particulier, dans les Directives numéro 8 du président : Procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, on reconnaît que « la vulnérabilité d’une personne peut affecter sa mémoire et son comportement, de même que sa capacité de relater des événements pertinents » et que ses symptômes peuvent avoir « des répercussions sur la cohérence de son témoignage ».

[13] C’est pourquoi notre Cour a souvent rappelé aux décideurs de ne pas faire preuve d’un excès de zèle pour ce qui est de trouver des contradictions et des omissions : voir, par exemple, la décision Lawani, au paragraphe 23. Nous avons infirmé des décisions où seule une contradiction mineure avait mené à une conclusion défavorable en matière de crédibilité : Kanagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 145 au paragraphe 13; Mojica Romo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 543; Jakaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 677 aux paragraphes 17 à 19; Venegas Beltran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1475 aux paragraphes 3 à 6. Cependant, il n’y a pas de règle rigide à cet égard. Une contradiction mineure peut injustement entacher la crédibilité d’un témoin honnête, mais aussi démasquer un mensonge bien ficelé.

[14] Les demandeurs fournissent souvent des documents pour étayer leur crédibilité. Notre Cour a établi des lignes directrices pour les évaluer. Les documents émanant d’autorités publiques étrangères sont présumés authentiques : Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 576 aux paragraphes 85 à 87 [Liu]. Un document ne peut être écarté au motif que les documents contrefaits sont largement répandus dans un pays en particulier : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133 au paragraphe 12; Liu, aux paragraphes 79 et 88. Les erreurs typographiques ne peuvent justifier à elles seules le rejet d’un document : Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170. L’absence de documents corroborants n’est pas à elle seule une raison valable pour douter du témoignage d’un demandeur : Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968.

[15] Ces lignes directrices constituent des présomptions réfutables. Elles peuvent être écartées lorsque la crédibilité du demandeur est mise en doute pour d’autres raisons. Autrement dit, le juge des faits doit d’abord tirer une autre ficelle de l’écheveau s’il veut mettre au jour une fausse histoire. Par exemple, la disponibilité de documents contrefaits ne peut être le germe de l’absence de crédibilité : Ortega Ayala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 611 au paragraphe 20. Néanmoins, il est tout à fait acceptable d’accorder peu, voire aucun poids aux pièces justificatives lorsque la crédibilité du demandeur est déjà entachée : Liu, au paragraphe 90; Lawani, au paragraphe 24, citant Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CA) à la p 244.

[16] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les tribunaux font généralement preuve de retenue à l’égard des conclusions factuelles, notamment celles qui portent sur la crédibilité : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 125 [Vavilov]; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF). Cela s’explique par le fait qu’« [i]l est très difficile pour le [décideur] de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits » : R c Gagnon, 2006 CSC 17 au paragraphe 20, [2006] 1 RCS 621. Néanmoins, le contrôle judiciaire demeure possible lorsque « le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Vavilov, au paragraphe 126.

(2) L’histoire de M. Olajide

[17] Les conclusions de la SAR en ce qui concerne la crédibilité de M. Olajide étaient raisonnables. D’importantes contradictions jettent le doute sur l’ensemble de son témoignage. La SAR a fait remarquer que M. Olajide avait déclaré avoir travaillé pour son père après ses études secondaires, mais aussi que son père était décédé lorsqu’il avait neuf ans. Il a fourni des documents visant à démontrer que son père lui avait transféré la propriété de la ferme, onze ans après sa mort. Il a également fourni un rapport indiquant qu’il a été traité dans un hôpital de Lagos, le 13 janvier 2017, tout en témoignant qu’il n’est arrivé à Lagos que le 27 janvier. Les explications de M. Olajide à l’égard de ces contradictions n’étaient tout simplement pas crédibles. De plus, dans son témoignage, il a omis l’incident du 19 décembre, qui était pourtant mentionné dans son exposé circonstancié. Selon moi, il était raisonnable de ne pas croire M. Olajide en raison de ces contradictions et de ces omissions.

[18] Il est donc inutile d’analyser chacune des autres contradictions ou omissions relevées par la SAR pour déterminer si, prises isolément, elles auraient suffi à influer sur la crédibilité de M. Olajide : Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24 aux paragraphes 33 et 34 [Jele]. Par exemple, il aurait peut‑être été indûment sévère de reprocher à M. Olajide de ne pas avoir dit d’emblée que les assaillants avaient brandi un couteau devant le visage de sa fille lors de l’incident de novembre, et d’avoir seulement mentionné qu’ils avaient un couteau et proféré des menaces. Toutefois, cela n’a aucune importance puisque la crédibilité doit être évaluée de manière globale. Lorsqu’il y a suffisamment de contradictions et d’omissions graves, le point de non-retour est atteint, et il est inutile pour M. Olajide de faire valoir que d’autres aspects de son témoignage n’étaient pas incohérents au point d’entacher à eux seuls sa crédibilité.

[19] Par ailleurs, M. Olajide conteste le sort que la SAR a réservé à ses pièces justificatives. Il est possible qu’en l’absence des préoccupations liées à la crédibilité de M. Olajide, les problèmes soulevés par la SAR n’auraient pas suffi pour n’accorder aucun poids aux documents. Toutefois, la SAR n’a pas tiré sur cette ficelle en premier. Par exemple, il faut lire son analyse concernant l’absence de signatures sur les documents de cession de propriété en gardant à l’esprit le témoignage de M. Olajide selon lequel son père était décédé plusieurs années auparavant. De la même manière, ayant conclu que les incidents allégués n’avaient pas eu lieu, la SAR était en droit de n’accorder aucun poids aux documents visant à les appuyer, et de considérer plutôt la possibilité d’obtenir des documents contrefaits au Nigéria. Les présomptions que j’ai mentionnées précédemment ont été réfutées par l’absence de crédibilité de M. Olajide; voir, à cet égard, la décision Jele, aux paragraphes 45 à 48.

B. Conflit au Nigéria

[20] Les Olajide fondent aussi leur demande de contrôle judiciaire sur le fait que la SAR aurait dû évaluer le risque auquel ils étaient exposés compte tenu de leur situation en tant qu’agriculteurs chrétiens au Nigéria central, selon le principe énoncé dans des décisions telles que Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250 (CA). La SPR a refusé de faire un tel examen, ayant conclu que les « demandeurs n’ont pas établi qu’ils étaient des agriculteurs et vivaient au Kaduna ». Il n’est pas clair que ces derniers ont soulevé cette question devant la SAR. Quoi qu’il en soit, puisque la SAR a jugé M. Olajide non crédible, il n’y a aucune preuve permettant d’établir un lien entre sa famille et le conflit opposant les pasteurs foulanis et les agriculteurs chrétiens.

C. Autres arguments

[21] Dans leur mémoire des faits et du droit, les Olajide ont invoqué les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et les traités internationaux. Ils ont par ailleurs affirmé que les décideurs n’étaient pas impartiaux. À l’audience, ils n’ont pas donné suite à ces arguments. Ils ont bien fait de ne pas insister là-dessus.

[22] La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, a été soigneusement rédigée de manière à préserver les droits garantis par la Charte et les traités internationaux. Il est bien établi que, en l’absence de contestation quant à la validité des dispositions de la Loi, les droits garantis par la Charte ne peuvent être invoqués qu’à l’étape du renvoi : Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262 au paragraphe 52, [2020] 2 RCF 355. Il est tout simplement inutile de lancer ce genre d’attaque tous azimuts dans le contexte d’une demande d’asile.

[23] L’allégation de partialité repose uniquement sur le fait que les décideurs ont douté de la crédibilité de M. Olajide. Or, cela est totalement dénué de fondement. Les décideurs n’ont pas été partiaux du seul fait qu’ils ont jugé M. Olajide non crédible. Une allégation de partialité n’est pas une mince affaire. Lorsque de telles allégations sont dépourvues de fondement, elles risquent de nuire à la confiance du public envers le système judiciaire. Avant de formuler de telles allégations, les demandeurs et leur avocat devraient examiner attentivement les faits à la lumière de la jurisprudence, comme l’a souligné récemment mon collègue le juge John Norris, dans la décision Dixon c Groupe Banque TD, 2021 CF 101 au paragraphe 15.

III. Conclusion

[24] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1534-20

LA COUR ORDONNE :

1. L’intitulé est modifié de manière à désigner le « ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » à titre de défendeur.

2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

3. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-1534-20

 

INTITULÉ :

OLABADEJOKO TEMITOPE OLAJIDE, OLANREWAJU ADEOLA OLAJIDE, DANIELLA ADEMIDUN OLAJIDE, MICHELLE OLUWASEMILORE OLAJIDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par viSIoconférence ENTRE OTTAWA (Ontario) et Montréal (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 24 février 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

le 4 mars 2021

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Miguel Mendez

POUR LES DEMANDEURS

 

Margarita Tzavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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